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Charles Lasègue

CHARLES LASÈGUE
Albert Blum, Préface aux Études médicales du Professeur Charles Lasègue,
Tome I, Éd. Asselin et Cie, Paris, 1884, pp. V-VIII.

La mort surprit le professeur Lasègue au moment où il parlait sérieusement de se retirer de l’enseignement.

Il estimait qu’après les fatigues d’une vie consacrée à la pratique et à l’instruction, il arrivait un moment où il devenait impossible de remplir consciencieusement la tâche de diriger les autres. Il pensait enfin qu’à un certain âge il faut faire place aux jeunes.

Ces idées il les partageait avec Trousseau son maître et nombreuses sont les analogies que présentent ces deux hommes qui seront la gloire de la médecine française et l’honneur de la profession. Bretonneau leur avait servi d’exemple et c’est dans les leçons du médecin de Tours que tous deux ont puisé l’esprit clinique et la méthode scientifique qui caractérisent leur enseignement.

Ils se faisaient gloire d’appartenir à cette école d’observation qui, à chaque époque, a compté d’illustres représentants et qui, quoi qu’on fasse, aura de fervents disciples, tant que la médecine aura pour but l’art de guérir.

Plaçant au second plan la médecine expérimentale qui déduit l’anormal du normal, la maladie de la santé, cette école considère que la maladie ne peut être étudiée que sur le malade ; elle concentre là ses recherches et superpose l’observation clinique à l’expérimentation. Pour elle la pathologie est une science, la médecine un art.

Lasègue ne pensait pas qu’il y eût antagonisme entre la science et la pratique et tout en tenant compte des recherches de laboratoire, l’étude même du malade était le point de départ et l’aboutissant de toutes ses recherches.

Mais pour lui l’observation n’était pas tout et l’observateur par son investigation doit jouer un rôle considérable. Il l’a bien montré dans les études si délicates qu’il a faites de l’hystérie, de la paralysie générale, des angines, etc.

À une grande facilité et une grande promptitude d’observation il joignait la correction du langage et l’élégance de l’exposition. C’est à ces qualités qu’il dut le succès immense et soutenu qu’il obtint dans ses cours du pathologie générale et de médecine mentale.

Il maniait la parole avec une facilite merveilleuse et si chaque leçon était pour lui un sujet d’inquiétude et d’émotion, il en était largement récompensé par l’assiduité de ses auditeurs et les applaudissements qu’ils lui prodiguaient.

Quand il fut nommé professeur, il renonça à la pratique journalière de la médecine pour se consacrer presque exclusivement à l’instruction.

II aimait la médecine par dessus toutes choses et ses matinées étaient entièrement absorbées par son service d’hôpital. C’est là qu’il développait sans épargner ni son temps ni sa peine des vues originales, des conceptions nouvelles, poussant ses élèves dans une direction où chaque intelligence se meut à son gré, sans chercher à imposer la doctrine du maître comme un article de foi.

Son ambition était de rassembler autour de lui des intelligences vivant de la même vie, profitant de l’expérience du maître sans abdiquer leur spontanéité. Il voulait, prenant au mot l’expression de famille médicale, que les élèves acceptassent respectueusement la tradition en réservant leur indépendance.

Il avait une manière d’observer et de voir qui lui était particulière. Le moindre symptôme devenait chez lui le point de départ d’une étude approfondie. Les idées qu’il énonçait sous une forme simple et facile avaient fait l’objet de méditations prolongées et étaient le résultat d’un labeur intellectuel considérable. Le professeur était inséparable du médecin : ils se complétaient l’un par l’autre.

Si Lasègue parlait de renoncer à l’enseignement ce n’était pas pour rester inactif. Il avait l’intention d’employer ses dernières années à reprendre ses travaux antérieurs, à les mettre à jour et à publier le fruit de sa longue expérience et de sa pratique consommée.

L’enseignement oral quelque brillant qu’il puisse être disparaît avec le maître. L’enseignement écrit reste le témoignage de l’activité scientifique et sous ce rapport le travail de Lasègue a été considérable. Il est peu de points de médecine auxquels il n’ait touché pour y présenter quelque vue nouvelle, quelque aperçu ingénieux. Depuis trente ans qu’il dirigeait les Archives générales de médecine il a publié de nombreuses études critiques et des travaux originaux, sans compter que, grâce à sa connaissance approfondie des langues étrangères, il fut un des principaux vulgarisateurs des théories nouvelles émises en Angleterre ou en Allemagne.

Le travail que Lasègue n’a pu mener à bonne fin, j’ai pensé qu’il était du devoir étroit de son élève, de son fils, de l’entreprendre. J’ai tâché de faire de mon mieux en réunissant les mémoires les plus intéressants, laissant de côté les articles de polémique ou d’actualité qui étaient dus à la plume du journaliste plutôt qu’à celle du professeur.

Bien que souvent une bonne leçon puisse faire un mauvais article, j’ai intercale dans cet ouvrage un certain nombre de leçons inédites recueillies et rédigées ces dernières années par ses élèves. On y trouvera des aperçus ingénieux, une manière originale d’envisager certaines questions, qui, je l’espère, doublera pour le lecteur le regret que Lasègue n’ait pu lui-même présider à cette publication.

J’ai été aidé dans ce travail par de nombreux élèves de M. Lasègue : Motet, Falret, Fernet, Legroux, Tapret, Hanoi, Ducastel, Huette, de Beurmaun, Frèmy, de Brun, Marfan, Faisans, Queyrat, Charrin, Lermoyez, etc., je leur en témoigne toute ma reconnaissance.

Le zèle que j’ai rencontré chez tous ceux auxquels je me suis adressé m’a montré qu’ils avaient perdu un maître affectionné. Lasègue avait atteint son but : il avait réuni autour de lui une vraie famille médicale.

ALBERT BLUM.
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