« Les questions relatives à la Folie sont de celles qui passionnent le plus l’opinion publique de notre temps ; à ce point que la séquestration d’un insensé, pour peu qu’il ait occupé dans le monde une situation en vue, devient un événement gros des conséquences les plus graves : la vie publique est suspendue ; les législateurs, transformés en académiciens, discutent avec vivacité le diagnostic des aliénistes ; les journaux réimpriment le fameux dossier — toujours le même depuis vingt-cinq ou trente ans — des séquestrations arbitraires ; les théâtres jouent des pièces et les feuilletons publient des romans où l’on voit les personnages gênants être subtilement coffrés sous couleur d’aliénation mentale ; enfin de généreux conjurés méditent le sac des maisons de santé pour venger la liberté individuelle outragée.
L’imagination surchauffée par cet amoncellement d’accusations et de diatribes, chacun se demande avec inquiétude si sa propre liberté ne court pas certains risques, jusqu’à ce que, un beau jour, quelque fou méconnu armé d’un revolver de calibre, vienne semer la mort dans les rangs des citoyens paisibles qui circulent sur le boulevard des Italiens. Aussitôt le calme renaît dans les esprits et l’on s’avoue in petto que la folie pourrait bien n’être pas une pure invention de spécialistes en quête d’une clientèle. Mais quelque nouveau scandale retentissant ne tarde pas à ramener tous les doutes, toutes les incertitudes.
D’où vient donc que le public, habituellement si crédule en fait de choses médicales, se montre si sceptique quand il s’agit des maladies mentales ? » (Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie).