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Leopold von Sacher-Masoch

Le premier nihiliste : Tschoglokoff

Revue Bleue (1887)

Date de mise en ligne : mercredi 4 juillet 2007

Leopold von Sacher-Masoch, « Le premier nihiliste. Tschoglokoff », La Revue Bleue, t. XIV, 24e année, 2e semestre, Paris, 1887, pp. 152-153.

LE PREMIER NIHILISTE
Tschoglokoff

La première société secrète qui ait eu en Russie un caractère révolutionnaire fut celle des « Anonymes » (Besimenje). Loin d’avoir reçu son impulsion de l’Occident, son origine était toute nationale.

Le gouvernement de Pierre III, qui avait pris Frédéric le Grand pour modèle, cherchait à transformer la Russie d’après les goûts allemands ; il appelait des officiers prussiens dans son armée et donnait à ses soldats l’uniforme allemand. Ce bouleversement des choses existantes suscita un mécontentement général et donna naissance à la Société des « Anonymes », dont le but était le rétablissement des anciennes coutumes.

Le noyau de l’association était à Pétersbourg, mais elle ne tarda pas à se propager dans toutes les parties du vaste empire. On n’y était admis qu’après avoir passé par les plus dures épreuves et prêté un terrible serment.

Les « Anonymes » se recrutaient dans toutes les classes ; leur influence se manifestait dans toutes les circonstances, malgré les efforts de la chancellerie secrète qui connaissait l’existence de cette société, mais ne parvenait pas à se mettre sur ses traces.

Les « Anonymes » comptaient parmi leurs membres le comte Panin, les frères Orloff, et avant tout l’intrépide et aventureuse nièce du chancelier Woronzoff, la belle princesse Daschkoff. Ce fut la princesse Daschkoff qui affilia l’ambitieuse épouse de Pierre III ; ce furent les « Anonymes » qui poussèrent les soldats à la rébellion, eux aussi qui firent prisonnier Pierre III, l’étranglèrent et amenèrent la czarine à régner sous le nom de Catherine II.

Catherine, lorsqu’elle harangua les soldats près de la Taverne rouge, leur apparut dans le vieil uniforme russe, rejetant ainsi officiellement les idées de germanisation de Pierre III ; elle se montra au peuple comme la fille dévouée de l’Église orthodoxe et appela aux plus hautes fonctions les principaux « Anonymes » ; mais là se borna son adhésion au programme de cette société. Les réformes qu’elle entreprit et qui lui valurent le surnom flatteur de « souveraine philosophe » respiraient déjà l’esprit de l’Occident. Elles pouvaient ravir un Diderot ou un Voltaire ; mais les vrais Russes ne se trouvaient pas satisfaits. Un grand nombre d’entre eux désiraient le retour aux institutions du temps de Pierre le Grand ; d’autres remontaient plus haut encore et réclamaient le rétablissement de la vieille constitution slave : abolition de l’esclavage, retour à l’égalité d’autrefois, communauté des biens, autonomie communale, justice du peuple, libre exercice du culte pour toutes les confessions, en particulier pour les nombreuses sectes de l’Église russe ; en un mot, la vieille république slave des paysans.

Une nouvelle société secrète se forma, comprenant quelques savants, des médecins, des fonctionnaires, de jeunes officiers. Le lieutenant Tschoglokoff y jouait un rôle prépondérant. S’inspirant des vieilles libertés des républiques slaves et romaines, Brutus était son idéal. Animé d’un grand esprit, possédant un fier courage et une rare énergie, passablement instruit, ayant beaucoup lu, doué d’un extérieur agréable et d’une éloquence naturelle, le jeune officier était tout désigné pour être un agitateur populaire. Mais il ne lui fut pas donné, comme plus tard à Émilian Pugatscheff, qui professait les mêmes idées, de mettre les masses en mouvement.

Il débuta par un Mémoire sur la situation de la Russie, qu’il fit tenir secrètement à la czarine : un conjuré le glissa sous un coussin, dans le salon de la souveraine. Ne voyant pas que cette supplique produisit aucun effet, il prit le parti d’attenter à la vie de Catherine dont il détestait le despotisme. Son acte lui fut-il inspiré par une résolution subite ou dut-il obéir à un ordre de la secrète société à laquelle il appartenait ? On ne saurait le dire. Il était de garde au palais d’hiver, dans l’antichambre de la czarine, chargé de veiller sur son repos. Il entra dans la chambre.

Heureusement pour elle, Catherine avait l’habitude de lire dans son lit ; la pièce était éclairée. Lorsqu’elle aperçut Tschoglokoff, elle se mit à sourire, croyant sans doute à quelque tentative hardie d’un adorateur passionné, tandis qu’elle avait devant elle un assassin.

Le nouveau Brutus tire l’épée pour en frapper Catherine ; mais celle-ci, douée d’une rare énergie, réussit à parer le coup ; elle enserra Tschoglokoff et le maintint avec force jusqu’à l’arrivée de ses gens, qui se saisirent de l’officier.

Tschoglokoff montra dans les tortures une rare fermeté ; il ne dénonça aucun de ses complices et monta à l’échafaud avec un courage sans exemple ; sur la roule du supplice il invitait encore le peuple à la révolution.

Depuis cet attentat du premier nihiliste la czarine demeura en proie à une inquiétude fiévreuse ; elle s’occupa sérieusement de l’abolition de l’esclavage et de l’octroi d’une constitution à la Russie, en quoi elle était en grande avarice sur l’Occident. Mais c’était prématuré, et la plupart de ses projets échouèrent devant l’inertie des hauts fonctionnaires.

Catherine II voulut toutefois instituer une sorte de parlement russe dans la ville sainte de la Russie, dans Moscou, la vieille cité aux mille et une coupoles ; mais déjà les mêmes fonctionnaires avaient usé de leur influence pour envoyer à cette haute assemblée des représentants de leur choix, imbus de leur esprit de résistance. Une foule de réformes et de projets de lois furent proposés ; la question de l’abolition de l’esclavage fut abordée, mais sans énergie ; l’accord ne se fit pas, et la diversité des langues acheva de jeter le trouble dans cette importante réunion dont Catherine II, perdant patience, prononça la dissolution.

Ainsi le premier parlement russe aboutit à un avortement presque ridicule, mais il n’en contribua pas moins à la renommée de Catherine qui, quoique femme, osait et tentait ce qu’avant et après elle aucun homme assis sur le trône de Russie ne songea même pas à faire. Son entreprise jeta sur la pâle figure de Tschoglokoff comme une ombre de Brutus et fit de lui le premier nihiliste.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après le récit de Leopold von Sacher-Masoch, « Le premier nihiliste. Tschoglokoff », La Revue Bleue, t. XIV, 24e année, 2e semestre, Paris, 1887, pp. 152-153.

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