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Alexandre Cullerre

Pervertis hystériques

Les frontières de la folie (Ch. VII, §. I)

Date de mise en ligne : mercredi 24 octobre 2007

Mots-clés :

Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre VII, §. I : « Pervertis hystériques », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 222-230.

CHAPITRE VII
PERVERTIS

—  — —
I
HYSTÉRIQUES

Bien que, au point de vue mental, l’hystérie ne puisse revendiquer en propre que le délire spécial qui fait partie de l’attaque complète, il est si commun de trouver chez les sujets entachés d’hystérie certains troubles psychiques allant de la plus légère perversion du caractère jusqu’à la folie véritable, qu’on est convenu d’étudier à part un état mental des hystériques. Nous adopterons donc, pour nous conformer à l’usage, cette manière de faire, mais sans y attacher une importance doctrinale, et en faisant bien observer au contraire que la plupart des remarques que nous aurons à présenter s’appliquent à d’autres sujets mal équilibrés, mal doués moralement, rentrant dans la grande classe des héréditaires. « N’étant ni raisonnable ni folle, l’hystérique appartient d’ordinaire, fait précisément observer Legrand du Saulle, à une famille de névropathes, de convulsifs, d’apoplectiques, d’aliénés ou de suicidés, et, dans le langage de la science, on l’appelle une prédisposée, une héréditaire ou même une cérébrale. Surnuméraire permanente de l’aliénation, elle reste sur la frontière de la raison et de la folie, suscite sur son propre compte les opinions les plus divergentes, mais peut difficilement se faire prendre au sérieux. Incorrect rejeton d’une famille à tares pathologiques, elle représente à sa façon un passé morbide en voie de transformation » [1].

Le signe le plus constant de l’hystérie psychique est l’instabilité du caractère. À l’enjouement, aux manières engageantes et aimables, les hystériques font inopinément succéder la maussaderie, la susceptibilité, la colère. Après s’être montrées bonnes, accommodantes, satisfaites, elles deviennent sans transition mécontentes, aigries, injustes, méchantes, odieuses même. Elles prennent alors plaisir à faire souffrir les autres et à faire le mal pour le mal.

En raison d’une sorte d’ataxie de la sensibilité affective dont elles sont atteintes, tantôt elles se montrent insensibles aux plus. grands malheurs, tantôt elles sont poussées aux éclats du plus violent désespoir à propos de l’incident le plus futile. Privées de sens moral, poussant tout à l’extrême, elles sont excessives, primesautières et capricieuses dans leurs passions, dans l’amour comme dans la haine, dans les plus nobles sentiments comme dans les plus vils instincts. Elles peuvent s’enflammer pour le bien comme elles s’enflamment pour le mal, à la condition de pouvoir se mettre en évidence et d’être remarquées. On en voit se placer à la tête de bonnes oeuvres, s’agiter, se multiplier, panser d’une main délicate les plus cruelles blessures morales, consoler les deuils, relever les courages abattus. Mais par contre, elles sont capables des plus grandes noirceurs et ne reculent même pas devant le crime. Parmi les femmes qui composèrent les brigades de pétroleuses en 1871, un certain nombre, reconnues hystériques, avaient été recrutées primitivement comme ambulancières.

Elles sont vives, intelligentes, d’une conversation attachante, et pleines d’imprévu ; elles ont le talent de passer d’un sujet à un autre avec une facilité et une aisance extrêmes. Elles tiennent par-dessus tout à plaire, à captiver. Elles enveloppent de cajoleries de toutes espèces et avec un art infini la personne qu’elles ont résolu de séduire, et ne manquent guère de réussir.

En revanche, il faut qu’on s’occupe d’elles. Irrésistiblement poussées à rechercher l’éclat d’un rôle en vue, elles ne reculent devant aucun sacrifice pour se faire remarquer. Comédiennes consommées, elles adorent la pose et en abusent.

Elles ont au plus haut degré l’esprit d’opposition, de contradiction, de controverse. Il suffit qu’on soutienne une chose devant elles pour qu’elles en prennent immédiatement le contre-pied. Elles se plaisent à combattre les idées qu’elles soutenaient la veille, et à afficher des opinions bizarres, paradoxales et subversives, simplement pour étonner et attirer l’attention : leur assurance n’a d’égale que leur absence de conviction.

Si leurs impressions sont mobiles et fugaces, par une singulière contradiction elles font preuve à propos de certaines de leurs idées d’une persévérance et d’une ténacité extraordinaires. Ont-elles imaginé quelque fable manifestement inexacte, elles en maintiendront les termes avec la dernière énergie. Certaines idées fixes, véritable catalepsie de l’intelligence selon Esquirol, s’emparent d’elles et les poussent irrésistiblement à des attitudes injustifiées et bizarres. Telle se condamne à un mutisme absolu, convaincue que parler lui fait mal ; telle autre se soumet à un jeune rigoureux pour s’éviter des douleurs gastriques ; telle autre encore demeure au lit pendant des années persuadée qu’elle est incapable de marcher. C’est peine inutile de les combattre, car, comme dit Lasègue, l’excès d’insistance amène l’excès de résistance, et d’ailleurs leur opiniâtreté ne prend pas son origine dans la puissance de leur volonté, mais dans la force de leur inertie.

Elles se recherchent entre elles, promptes à nouer des amitiés aussi soudaines qu’imprévues, à les dénouer de même et à y faire succéder des aversions et des haines aussi peu justifiées. Jalouses jusqu’à la férocité, elles ne se pardonnent ni un succès mondain ni un triomphe de toilette.

La calomnie est leur arme favorite. Pour se venger de quelque grief ou même pour faire montre de leur esprit, elles sont capables des inventions les plus noires, dont elles ont parfois la candeur de se vanter. Triviales et basses, étrangères à toute espèce de dignité, elles affectent en public des sentiments élevés, des goûts délicats, des manières distinguées, mais dans l’intimité descendent volontiers de leur piédestal, s’abandonnent à des familiarités étranges et débraillées, en un mot s’encanaillent.

Leur dépravation morale éclate surtout dans la vie privée. L’hystérie dans le ménage, dit M. Brouardel, suit toujours à peu près la même évolution. À peine mariée depuis quelques semaines, l’hystérique se plaint d’être incomprise, et de n’avoir point trouvé celui sur lequel elle était appelée à verser les trésors d’amour dont déborde son âme. Il n’est bientôt rien qu’elle ne mette en oeuvre dans la maison pour être désagréable à son mari. Le mari perd patience : on se querelle, on va devant le tribunal, qui invariablement ne manque pas de reconnaître que c’est le mari qui a tort.

Cette perversion affective ne se révèle pas seulement à propos du mari, mais parfois à propos des enfants. II y a des hystériques qui témoignent de l’affection à l’un de leurs enfants et de l’aversion à un autre ; chose horrible à dire, il y en a chez qui l’instinct maternel n’existe pas.

La plupart sont indifférentes à leurs maux physiques et supportent avec une quiétude singulière les désordres nerveux auxquels elles sont sujettes ; pourtant, on en rencontre dont l’égoïsme étroit est sans cesse en alarmes, se plaint, gémit, réclame des soins et des remèdes et finit par verser dans l’hypocondrie la plus extravagante.

Contrairement à l’opinion vulgaire, les hystériques ne sont pas nécessairement salaces et portées à la lubricité. On confond avec l’appétit sexuel exagéré auquel elles sont très souvent complètement étrangères, une dépravation du sens moral les poussant à rechercher les occasions d’exercer leur pouvoir de séduction et leur goût des aventures romanesques et galantes. C’est toujours cet éternel besoin de se faire remarquer qui conduit l’hystérique aux situations scabreuses, aux actes incorrects, aux conversations épicées et cyniques dans lesquelles elle compromet à la fois sa dignité de femme et l’honneur domestique.

Toutes les diverses modalités de leur caractère et de leur état mental peuvent, selon M. Huchard, se résumer dans ces mots : elles ne savent pas, elles ne peuvent pas, elles ne veulent pas vouloir ; c’est bien en effet parce que leur volonté est toujours chancelante et défaillante, dans une sorte d’équilibre instable, tournant au moindre vent comme une girouette, qu’elles ont cette mobilité et cette inconstance dans leurs idées, leurs affections et leurs désirs.

Selon Legrand du Saulle, les troubles mentaux des hystériques peuvent, comme les troubles somatiques de la grande névrose, présenter quatre degrés différents.

« Chez les malades du premier degré, l’hystérie est légère, les facultés affectives sont un peu diminuées mais non encore profondément troublées ; c’est du nervosisme plutôt que de l’hystérie proprement dite.

 »Au degré suivant, le trouble est plus prononcé, la façon de percevoir les impressions du dehors et de réagir contre elles trahit une équilibration vicieuse des facultés, une perturbation déjà profonde du caractère, du moi pensant, et surtout du moi sentant. La malade ne jouit plus d’une entière liberté dans ses déterminations ; et si la responsabilité ne fait pas complètement défaut, elle est tout au moins atténuée à certains moments et à l’occasion de certains actes.

 »Un pas de plus et c’est déjà l’hystérie grave, l’hystérie avec impulsions irrésistibles, parfois avec hallucinations passagères ; dans tous les cas, avec dérangement marqué des facultés. La malade est conduite aux actes les plus étranges et les plus audacieux, aux accusations les plus odieuses, aux dénonciations les plus fausses.

 »Le quatrième degré, enfin, constitue la folie hystérique. »

Bon nombre d’hystériques rentrent purement et simplement dans une des catégories d’excentriques que nous étudions dans ce livre : nous n’insistons donc pas sur des faits [2] qui ne seraient que des redites. Attitudes incorrectes, actes insolites, instabilité mentale, telles sont les particularités qui signalent certaines hystériques. L’existence accidentée de ces personnes ne diffère que par la diversité des circonstances particulières. Telle commence par un noviciat dans un couvent, simule une tentative de viol sur sa personne, s’évade s’abandonne à ses tendances érotiques, se marie, se sépare, devient prostituée et finit par une mort ignominieuse [3]. En voici une autre qui, belle, intelligente, instruite, capable des plus généreux dévouements, mais douée des plus mauvais instincts et de passions impérieuses, passe une partie de sa vie au milieu des bandits, bravant les dangers, les abîmes, le choléra, le couteau des joueurs ivres. Les familles qui la recevaient ne comptaient que des victimes ; pères, fils, gendres étaient entraînés par elle [4]. La seule chose qui les distingue des excentriques ordinaires, ce sont les stigmates de la grande névrose, qu’on retrouve, à un degré plus ou moins prononcé, chez ces malades.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre VII, §. I : « Pervertis hystériques », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 222-230.

Notes

[1Les éléments de cette étude ont été en partie empruntés au remarquable mémoire de Huchard (Archives de neurologie, 1882), et au livre de Legrand du Saulle (Les hystériques, état physique, état mental, actes insolites, délictueux, criminels. Paris, 1883).

[2Voyez notamment les chapitres consacrés aux persécuteurs, aux mystiques, aux idées fixes, impulsions et obsessions diverses.

[3Legrand du Saulle, Les hystériques, loc. cit.

[4Brierre de Boismont, Annales d’hygiène, 1853.

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