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Alexandre Cullerre

Pervertis menteurs

Les frontières de la folie (Ch. VII, §. II)

Date de mise en ligne : mardi 13 novembre 2007

Mots-clés :

Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre VII, §. II : « Pervertis menteurs », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 230-237.

CHAPITRE VII
PERVERTIS

—  — —
II
MENTEURS

Le mensonge est un des travers les plus frappants des hystériques, de l’avis de tous les médecins spécialistes et légistes.

L’hystérique, dit Brouardel [1] est essentiellement menteuse, et c’est là le vrai criterium du caractère hystérique.

Les hystériques, selon Huchard [2] sont remarquables par leur esprit de duplicité, de mensonge, de simulation.

Elles trompent aussi bien leurs maris, leurs parents, que leurs confesseurs et leurs médecins, ajoute Morel [3].

On se surprend quelquefois, expose Charcot [4], à admirer la ruse, la sagacité ou la ténacité inouïe que les femmes qui sont sous le coup de la grande névrose mettent en oeuvre pour tromper.

Les mensonges des hystériques ne sont, ainsi que le fait remarquer Lasègue [5], que le résultat de la combinaison d’un fait faux et d’une sagacité, qui donne à ce fait inventé un cachet de vraisemblance. Nous empruntons à cet auteur quelques-unes des observations remarquables qu’il a citées devant la Société médico-psychologique.

Une jeune fille de dix-neuf à vingt ans raconte l’histoire suivante : un jour, elle est envoyée de l’atelier où elle travaillait pour prendre des mesures. À la porte, elle est accostée par un domestique qui la fait monter dans une maison qu’elle ne saurait plus reconnaître, auprès d’un vieux monsieur. — Là trouve naturellement place la description complète de la demeure ; il n’y manque pas un détail. — Le vieillard auprès de qui elle est amenée, ne lui demande qu’une chose, c’est qu’elle remplace dans son affection la fille qu’il a perdue. Comme elle fait des difficultés, on exige simplement d’elle qu’elle se rende son atelier ; tous les jours on la ramènera auprès du vieux monsieur, puis elle retournera auprès de sa mère.

Ce manège aurait, en effet, duré pendant quelque temps ; mais un jour est arrivé un prêtre qui l’adjure de céder au désir du vieillard ; elle s’obstine à refuser, alors des domestiques la saisissent et la portent dans un sous-sol. Au bout de quelques jours, elle parvient à s’échapper et va retrouver sa mère. Tout cela durait depuis un mois, six semaines ; mais l’absence de la jeune fille n’a duré que huit jours. — Naturellement, la mère colporte les récits de sa fille ; celle-ci, de son côté, les raconte dans tous les détails ; enfin, la chose prend de telles proportions que plainte est déposée par les habitants mêmes du quartier. Ceux-ci se portent caution de la vérité de l’histoire, et, cependant, il n’y avait de vrai que l’absence de huit jours de la maison paternelle. Au bout de six mois, on apprit que c’était avec un musicien de régiment qu’elle avait passé cette huitaine.

Une autre histoire d’hystérique a mis en jeu des généraux, des diplomates et même des têtes couronnées.

Un jour, Victor-Emmanuel reçoit une lettre d’une personne qui lui annonce qu’elle est fille naturelle de sa soeur la princesse de Carignan. Comme preuve de son assertion, elle parle d’une cassette cachée sous le lit de la femme qui lui servait de mère ; celle-ci lui avait fait des demi-confidences sur sa véritable naissance, un jésuite venait voir souvent cette femme ; mais un jour, cassette et jésuite avaient disparu, etc. Ne recevant pas de réponse à sa lettre, elle continue décrire, donne son adresse. Victor-Emmanuel finit par envoyer un de ses aides de camp, avec mission d’aller trouver l’empereur et l’impératrice. La police est chargée de faire des recherches ; mais on ne découvre rien. Cependant le mandataire qui avait vu la jeune femme est convaincu par ce qu’elle lui raconte ; il l’emmène en Italie et elle est installée à la cour. Puis un jour, pour je ne sais quel motif, elle quitte l’Italie et revient a Paris. Là, les inventions continuent leur train, les jésuites y jouent un grand rôle : tous ses manèges durent encore un an. Enfin, à force de recherches, on finit par trouver que cette soi-disant fille naturelle de la soeur de Victor-Emmanuel est la femme d’un coiffeur ; quant au roman qui avait mis en émoi la diplomatie et les têtes couronnées, il n’y avait pas un mot de vrai. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Cette femme, après avoir réintégré le domicile conjugal, arrive à convaincre son mari de la vérité de toutes ses inventions ; il se produit alors un véritable délire à deux, qui prend, avec le temps, de grandes proportions. Enfin, un jour, je suis appelé en toute hâte auprès du chef de division à la préfecture de police, je trouve là cette femme dans une véritable attaque d’hystérie, qui finit par un état aphasique. La malade ne pouvant plus parler, écrit ; c’est par ce moyen que nous arrivons à connaître qui elle était et à la rendre à qui de droit.

Les hystériques ne sont pas seules à mentir et à inventer des histoires. Le mensonge peut encore être le signe d’un trouble mental précoce ou de dépravation chez les enfants.

MM. Lasègue, Bourdin et Motet [6] les ont particulièrement étudiés à ce point de vue.

Rien n’est plus émouvant, fait observer ce dernier, que le récit d’un enfant racontant avec une simplicité naïve et d’autant plus touchante, un crime dont il prétend avoir été la victime. Amis, parents, voisins, tout le monde est pris, et, sous le coup d’une indignation croissante, ils colportent l’histoire, l’arrondissent, l’arrangent et la fixent enfin dans sa forme définitive.

Un négociant chemisier est arrêté pour avoir commis un attentat à la pudeur sur un jeune garçon. Étonnement de cet homme ; il est emmené chez le commissaire de police ; interrogé, il déclare avec la violence de sa dignité froissée que l’imputation est calomnieuse, qu’il n’y a pas un mot de vrai dans cette accusation. Quant au petit garçon, — la prétendue victime — il donne les détails les plus précis avec le vocabulaire naïf des enfants. On poursuit les investigations, les parents sont interrogés et confirment les dires de leur fils. Cependant, la justice, se rendant aux protestations indignées et pleines de sincérité du négociant, laisse tomber l’affaire et aucune poursuite n’a lieu. Mais le négociant veut en avoir le coeur net, il veut connaître d’où a pu provenir une telle accusation et, pour cela, se met à faire lui-même sa propre police. À force de recherches, il finit par reconstituer intégralement la journée de l’enfant. Vous allez trouver là le processus obligé de tous les faits pareils. L’enfant quitte le domicile de ses parents pour aller à l’école ; au lieu de se rendre en classe, il va jouer dans un clos avec quelques gamins de son âge et rentre une heure après l’heure ordinaire. Interrogé par ses parents il répond d’un air embarrassé ; qu’arrive-t-il alors ? Les parents suivent une piste qui leur vient à l’esprit et qui se trouve être l’attentat à la pudeur, ils font les questions ; l’enfant répond oui à tout ce qu’on lui demande, et le roman est fait. Mais il y avait un dernier point à éclaircir ; où le fait s’était-il passé ? Pour trouver l’endroit, on emmène l’enfant, le hasard fait qu’on passe par la rue Vivienne ; devant la maison du chemisier, la mère demande à son fils, si c’est là, il répond oui, etc. On voit d’ici la fin de l’histoire. Bref, tout à été inspiré à l’enfant par ses parents ; il a bien retenu la leçon, car devant la justice, il la raconte ainsi qu’elle lui a été dictée. On a bien là tous les caractères d’une histoire véritable et il y avait lieu de s’y tromper. [7]

L’affaire si retentissante de Tizza-Eszlar, où on accusait les israélites d’avoir égorgé une jeune fille pour l’accomplissement d’un rite religieux, a été tout entière basée sur un récit inspiré à un enfant par un juge passionné, qui avait lui-même inventé les détails du crime.

L’observation suivante, due à Bourdin [8], montre bien le danger qu’il y a à éveiller prématurément l’imagination des enfants par le récit de faits immoraux ou extraordinaires.

Une petite fille abandonnée fut adoptée par monsieur et madame X… gens des plus honorables. Cette enfant, gentille et gracieuse, avait su se faire aimer. Les parents adoptifs l’admirent dans leur intimité et tout était pour le mieux. Un jour survint, dans une ville du Midi, un grand scandale qui alla se dénouer devant la cour d’assises. Le procès occupa une grande partie de la presse. Les journaux ne purent tout dire, mais des sous-entendus provoquèrent des commentaires qui se firent sous le manteau de la cheminée. La lecture des débats fut faite à haute voix, par M. X… en présence de la petite fille qui jouait avec ses poupées, et qui d’ailleurs semblait ne faire aucune attention à ce qui se disait autour d’elle. Ni le mari, ni la dame ne pensèrent à l’enfant, qu’en raison de son jeune âge ils considéraient comme incapable de comprendre la conversation tenue à mots couverts. Quelques jours après la lecture et les commentaires imprudents dont elle avait été suivie, madame X… entrant subitement dans le salon, surprit la petite fille qui se livrait sur sa poupée à des démonstrations obscènes. Madame X… demanda à l’enfant qui pouvait lui avoir appris une pareille chose. La petite fille ne fut nullement déconcertée. Elle dit qu’elle faisait à sa poupée ce qu’on lui avait fait à elle-même. Puis la confidence alla son train. La petite déclara qu’étant en nourrice, elle couchait habituellement avec son frère de lait qu’elle appelait son petit mari. Elle ajouta qu’en ces occasions ils se conduisaient comme mari et femme. Après le petit garçon était venu le père nourricier, et après le père nourricier, le grand-père qui avaient pris les mêmes licences que le petit mari. Ce récit fut épicé de détails étranges sur les douleurs ressenties par elle-même, l’innocente victime. Or, les héros de cette aventure étaient une fillette de quatre à cinq ans, et un petit garçon à cette époque, âgé de dix ans. Monsieur et madame X… furent atterrés par ces déclarations. Il se plaignirent avec énergie et voulaient intenter un procès. Sur ces entrefaites, intervint un homme expérimenté qui dit : « Mais les faits dénoncés sont-ils vrais ? » La petite fille fut soumise à l’examen d’un médecin habile, qui déclara nettement qu’aucun attentat n’avait été commis sur la personne de l’enfant soumise à son observation. Ceci étant acquis, on fit, dans la famille de la nourrice, une enquête qui provoqua les plus grandes colères. La petite fille devint l’accusée. Poussée dans ses derniers retranchements, elle avoua qu’il n’y avait rien de vrai dans ce qu’elle avait dit. Elle confessa qu’elle avait voulu faire comme les dames que l’on avait mises sur le Journal.

De telles inventions ne sont pas uniquement le fait d’hystériques ou d’enfants ; on les rencontre aussi chez des hommes.

Un maître d’études raconte qu’un jour, étant entré dans un cabaret des environs de la ville, il assista à un entretien de gens de mauvaise mine. Il entend qu’il s’agit d’un complot contre la sûreté de l’État. Il va lui-même faire une déposition à la préfecture de police ; mais voyant qu’il n’inspire pas une grande crédulité, il continue son histoire. Aussi, un jour, il arrive à la police pour annoncer qu’il possède de nouveaux détails sur le complot, qu’il a filé les conjurés, qu’il a découvert l’un des coupables, etc. Sur ses affirmations, on le fait suivre ; mais on ne trouve personne. Il convient enfin d’abord qu’il s’est trompé, puis qu’il a trompé. [9]

Lasègue nous fournit une autre observation de ce genre, des plus curieuses :

Il s’agit d’un individu qui a préoccupé la police pendant près de sept ans. C’était un garçon frêle, grêle, à constitution féminine, qui, élevé à Paris, y a commencé son droit. À un moment donné, il serait parti pour l’Inde où il aurait été adopté par Sidi-Saël. De là transporté en Angleterre, il prétend avoir d’importantes communications à faire ; des secrets d’État qu’il ne peut révéler qu’à la France. Il serait trop long de raconter toute son odyssée, de le suivre dans toutes ses pérégrinations, en Angleterre, en France, en Hollande, etc. Il est mis en prison, puis reconnu pour un aliéné. Tout cela dure près de sept ans. Quatre ans après, je me trouvais un jour avec lui, j’ai voulu en avoir le coeur net ; après bien des interrogations et des supplications, il m’a raconté son histoire. Le prétendu Sidi-Saël était employé dans la maison de commerce d’un de ses frères ; un jour il disparut emportant cent francs ; depuis cette époque il a erré partout. J’ai fait venir son frère qui m’a confirmé qu’en effet les faits se sont passés ainsi : par lui aussi, j’ai appris que le faux Sidi-Saël est un de ces irréguliers de l’intelligence ; un fait curieux à noter, c’est qu’il ne pouvait s’endormir sans avoir deux chandelles allumées devant a fenêtre.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre VII, §. II : « Pervertis menteurs », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 230-237.

Notes

[1L’hystérie et le mariage, cours de médecine légale de la Faculté de médecine, 1886-1887.

[2Huchard, loc. cit.

[3Morel, Études cliniques.

[4Charcot, Leçons sur les maladies du système nerveux.

[5Lasègue, Les hystériques, leur perversité, leurs mensonges (Annales médico-psychologiques, 1881).

[6Lasègue, loc. cit. ; Motet, Les faux témoignages des enfants devant la justice (Académie de médecine, 12 avril 1887, et Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 1887).

[7Soc. méd. psych., 28 mars 1881.

[8Annales médico-psychologiques, 1881.

[9Lasègue, Annales, 1881.

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