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La Topologie et le Temps (II)

L’ob-jet petit a

Texte de l’intervention au Cercle Psychanalytique de Paris (29 novembre 2007)

Date de mise en ligne : dimanche 2 décembre 2007

Auteur : Guy MASSAT

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Guy Massat, « L’ob-jet petit a », Deuxième séance du séminaire sur « La Topologie et le Temps », au Cercle psychanalytique de Paris, le jeudi 29 novembre 2007.

L’ob-jet petit a

La topologie des nœuds ça rend fous ! L’historienne Elisabeth Roudinesco rapporte que Michel Thomé, le célèbre topologue à qui Lacan demandait d’inventer toujours de nouveaux nouages, se rendit chez lui, 5 rue de Lille, pour lui dire : « Les nœuds rendent fous ! ». Lacan rétorqua, nous dit l’historienne, par un seul mot : « Oui ! » (Lacan, p 473).

Michel Thomé et son ami Pierre Soury étaient les topologues attitrés de Lacan. C’est Michel Thomé qui réalisa avec Pierre Soury le nœud borroméen à quatre, cinq et six ronds. Cependant, Michel Thomé est contre la psychanalyse. Il en a horreur (du moins d’une certaine psychanalyse). Il me disait un jour : « Si Lacan reste célèbre ce sera simplement pour le seul mérite d’avoir parlé de la topologie de Pierre Soury ». Les nœuds rendent-ils fous ? Pas du tout, même si Soury s’est suicidé…

Les nœuds sont compliqués mais faciles, la folie, elle, est simple mais difficile. En outre, vous, vous savez comme moi, que la psychanalyse n’attribue pas à la folie la même valeur, la même fonction que ne le font l’histoire, la science et la sociologie. « Ne devient pas fou qui veut », enseigne Lacan. En approuvant que les nœuds rendent fou, Lacan souhaitait avant tout valoriser la topologie des nœuds. Il pensait qu’elle pouvait rendre compte, comme écriture, du discours inconscient. C’est que la praxis psychanalytique est d’abord l’art de la paranoïa-critique et de la schizo-analyse (la division des mots). C’est même la seule voie humaine, la grande voie, pourrions-nous dire à la manière des taoïstes, qui nous guérit de nous-mêmes en nous réconciliant avec nos folies, nos fantasmes nos pertes et nos ignorances. De sorte que c’est bien plutôt le temps et non le monde des nœuds qui rend fou. Nous le verrons mieux tout à l’heure.

Le m’onde, le m’onde (avec une apostrophe), ce « monde flottant », comme disent les Japonais, le monde, le m’onde des nœuds est une vision ondulatoire des phénomènes à laquelle nous sommes tous si parfaitement adaptés que nous ne nous en rendons plus compte, hypnotisés que nous sommes par l’univers des objets électroniques, portables, fax et autres ordinateurs, fonctionnant tous sur « la mécanique ondulatoire ». C’est l’onde qui pilote le corpuscule, a démontré Louis de Broglie. Onde et corpuscule sont contraires et pourtant ils existent simultanément. L’onde c’est la ligne du nœud, le corpuscule c’est le nouage. Ce sont des contraires. Mais, rappelons-le, les contraires ne sont pas le contradictoire. Le temps, en revanche, lui, est absolument contradictoire : il est en n’étant pas ! Comment être en n’étant pas ? Cela ne relève plus de l’existence ou de la coexistence des contraires. Le temps est-il donc un fantasme irréel ? En tout cas, nous le refoulons parce qu’il est contradictoire et que le contradictoire est impossible dans les bulles éphémères de nos petites réalités. Le temps constitue ce qu’on appelle, en psychanalyse, « le refoulement originaire ». Le temps refoulé et son retour sont la même chose, a montré Lacan. Le refoulé et son retour illustrent, en quelque sorte, comme sur un ressort, la poussée et sa réaction. Mais ici, les retour du temps ne nous reviennent que masqués sous les formes brûlantes des dépressions, des angoisses, des peurs et des paniques : « Comment moi, se dit-on dans le secret de nous-même, moi qui ai fait si peu de mal, moi qui ai défendu le bien, le bon et la morale, moi qui aime tellement la vie, je dois disparaître, je dois mourir, être à jamais effacé ? Et de conclure, comme tous ceux qui brûlent déjà en enfer, que le temps incarne l’injustice elle-même, personnifiée par ce fils de la nuit appelé Thanatos dans la Mythologie ».

Pourtant, le temps est toujours là. En toute logique, ne faut-il pas reconnaître qu’il relève du tiers inclus, le contraire du tiers exclu d’Aristote, ce philosophe qui nous a dévoilé les principes absolus de la vérité : A est A, point final, A ne peut être non-A. Car comment être simultanément ici et ailleurs, là et pas là, maintenant et à la fois plus maintenant ? Il n’y a guère que dans les rêves où l’on peut ouvrir sa fenêtre pour se voir passer dans la rue. Or, justement c’est à s’efforcer de refouler le contradictoire du temps que l’on devient fou. Alors, est-on fou de ne pas vouloir être fou ? Cette impossibilité du contradictoire devrait suffire à nous convaincre que l’inconscient est le temps, à la fois comme dévoilement originaire, oubli régénérateur et forme supérieure de la mémoire. Ce qui nous permet de mieux suivre Lacan quand il nous dit : « L’inconscient est la pulsation temporelle » (Les quatre concepts). Certains expliquent que le temps est la mobilité même : le temps est ce qui s’écoule. « Panta rhei », dit Héraclite, « Tout s’écoule », donc tout est temps, même le temps. Le temps lui-même est du temps. Donc, « le temps est immobile » peut alors affirmer Heidegger. Comment cela ? C’est qu’il n’est pas immobile comme le serait une chose. Le temps est immobile parce qu’il est toujours là. C’est comme le dasein. Le dasein, l’être là, l’être l’a. En ajoutant une apostrophe, nous ciblons déjà « l’objet petit a ». Le temps est toujours là comme l’inconscient, comme le réel « est toujours à sa place », dit Lacan. (Écrits, p. 25). Donc tout à la fois le temps s’écoule et se trouve toujours là. Selon la formule d’Heidegger : « Le temps n’est pas, mais, il y a du temps. Qu’y a-t-il ? Il y a du temps. Qu’est-ce que tout ça ? Simplement du temps. C’est que toute durée est soumise au temps. Quel que soit le temps d’une durée on peut la considérer aussi éphémère que le battement d’aile d’un papillon. Les dinosaures ont vécu cent millions d’années et ont disparu il y a soixante millions d’années. C’est curieux, mais dès qu’on en parle on dirait que c’était la semaine dernière. Peut-être que le temps n’est autre que la parole ?

La parole, dans son analyse, montre que le temps est aussi bien synchronique, c’est-à-dire simultané, que diachronique c’est-à-dire successif, mais, que de toute façon, il n’est pas totalisable. Le temps est plastique, il ne se réduit à aucune mesure. Pour établir quelque mesure que ce soit il faut toujours un temps antérieur. Par exemple, la seconde d’aujourd’hui, nous informe la science, est définie par l’excitation provoquée par un rayon lumineux sur un atome de césium 133. Cette excitation est une fréquence de 9.192 631 770 oscillations pour une seconde. Selon les calculs des savants cette mesure resterait toujours la même quelque soit la position de l’observateur. Pourtant si fine, si sophistiquée que soit cette mesure elle exige un temps préalable et non mesurable pour être mesurée. Toute mesure exige un temps non mesurable, incommensurable qui la précède. Il y a toujours un passé antérieur plus passé que tout passé comptabilisable, un futur absolument lointain, plus futur que tous les futurs métrisables, un présent qui échappe à tout présent tout en étant présent sans être de l’espace. Comment alors pourrait-on manquer de temps ?

Le temps s’avère inépuisable, sans fond, c’est l’abîme originel d’où sortent et partent les phénomènes. On y voit passer, tels des nuages, les individus, les sociétés, les civilisations, les univers. Terpsichore, elle même n’y fait que danser. Et cependant le temps n’est pas un cadre : il est lui-même les choses qui ne font que passer. En ce sens le temps est toujours là sans être là. Mais qu’est-ce que sont ces deux là ? Ces deux adverbes de lieu ? Ils se contredisent l’un l’autre. « Le temps est là » évoque une situation spatiale. Et « jamais là » une dimension, une dit-mension, autre que l’espace. Alors ne conviendrait-il pas mieux de dire : « le temps est l’a », avec une apostrophe ? L’a temps. L’a temps que j’attends. Quand ? L’a-quand ? J’a tends le temps qui passe. Et passe quoi ? l’ob-jet de mon désir ?

Quoiqu’il en soit, on peut dire aussi que le temps n’existe pas. Quoique pour le dire — comme vous l’entendez — il faille un certain temps. Et comment pourrait-il y avoir de la parole sans temps ? Quand Freud nous dit qu’il n’y a pas de temps dans l’inconscient, il parle du temps mesurable, du temps des horloges. Car si l’inconscient parle et pense, comment ferait-il sans temps ?

S’il y a bien trois sortes de paroles, la savante c’est-à-dire le symbolique, l’ordinaire c’est-à-dire l’imaginaire et l’inconsciente qui relève du réel, conformément au nœud borroméen, il y a trois sortes de temps, le temps mesurable, le temps subjectif, le temps du moi, celui de Proust, de Bergson, le temps du souvenir, et le temps inconscient, c’est-à-dire le temps réel.

Ainsi, l’inconscient, le temps et la parole forment un même nœud, le nœud le plus mystérieux qui soit.

Mais, ce n’est pas le nouage de ce noeud qui rend fou. C’est le temps, la guerre permanente qu’est le temps. Car que signifie folie ? Le mot signifie étymologiquement « gonfler ». Or le temps n’arrête pas de gonfler. Il n’a pas de commencement puisque s’il avait un commencement on pourrait demander : « combien de temps s’est-il passé avant que le temps ne commence ? » En revanche, comme il n’arrête jamais de passer il y a forcément de plus en plus de temps. Le temps est une spirale en expansion infinie. Il ne cesse pas de gonfler, bref, le temps est fou. Existe-t-il un nœud, quelque chose, qui pourrait arrêter le temps ? « Personne n’a jamais pu se délivrer du temps, je le savais, nous dit Cioran, mais quand c’est dans le Mahabharata qu’on le lit, ajoute-t-il, on le sait pour toujours ». Il est vrai que pour figurer l’incommensurabilité du temps, les Indiens utilisent des mesures qui ne pouvant être imaginées ne signifient plus rien que des mots : les kalpas. Un kalpa, se composerait d’une période de 1 728 000 années solaires. Il composerait les mahâyugas qui compterait 4 320 000000 d’années solaires etc., etc. pour arriver aux « Maha Kalpa » : « une ère de Brahma », qui compterait 311 400 000 000 000 années mortelles. Remarquons simplement que lorsque les mesures cessent d’être représentables elles ne relèvent plus que du langage. Il en est ainsi lorsque nous nous parlons de milliards d’années lumière. La lumière voyageant dans le vide à la vitesse de 300 km à la seconde, l’année lumière définit la distance parcourue par un photon en une année, soit 9500 milliards de km. En raison de ce temps de parcours de la lumière, un astre, par exemple, situé à 5 années lumière de la terre nous apparaît tel qu’il était 5 ans plus tôt. Mais, encore une fois, aucune mesure ne pouvant être absolue si l’on parle de milliards de milliards de milliards d’années lumières nous ne sommes plus que dans le langage.

Toute mesure est une transgression du sans mesure. Toute mesure du temps est une transgression du sans mesure qu’est le temps. Toute loi, si utile soit-elle, est une transgression du sans loi. Toute conscience est une transgression de l’inconscient. L’argent qui est la mesure commune de toutes les marchandises est la transgression générale. Payer c’est transgresser. D’où, quant à l’argent, nos comportements Œdipiens. Mais ceci est une autre histoire.

Les Grecs représentaient la flèche du temps allant dans les deux directions, du passé vers le futur, et de l’avenir vers le passé. Le présent étant le point, le nœud immatériel se déplaçant sur la flèche du temps entre ses deux bornes infinies.

« ---------------I--------------- »
passé présent futur

Apollon et Dionysos

La mythologie rapporte qu’un jour Zeus lâcha deux aigles l’un à droite et l’autre à gauche pour qu’ils volent jusqu’à ce qu’ils se rejoignent. Aigles, a pour anagramme agiles. Delphes, sanctuaire d’Apollon, fut l’instant du lieu où les aigles de Zeus se rencontrèrent. Dès lors Delphes devint le centre du monde méditerranéen de la sagesse. Gnosis séauton, « Connais-toi-même », la fameuse devise dont Socrate marqua la philosophie, était inscrite sur le fronton du temple d’Apollon. Le nom d’Apollon, a-pollon, est composé de a, privatif, et de pollein plusieurs, non-plusieurs. Apollon désigne donc par son nom même l’instant unique. Le raboutement des extrémités qui n’étant ni l’une ni l’autre est l’instant d’une fois. Ce n’est ni le passé, ni le futur, ni le présent, mais l’extase temporelle de l’a-venir. Delphes dès lors fut le sanctuaire de la divination. Les devins grecs étaient ceux qui connaissaient le nœud de l’avenir (le ça), du présent (le moi) et du passé (le surmoi).

Beauté est le nom de cet instant unique et sans durée qui soutient toutes choses :

« Quand l’instant unique de la Beauté (Apollon) tend l’arc de la vie, nous dit Homère, tous les dieux dans l’Olympe se lèvent » (Hymnes à Apollon Délien).

Dionysos. On dit de Dionysos, selon son nom, qu’il est « deux fois né » ; en réalité, il est né trois fois. Il figure donc le nœud du temps renaissant de l’éternel retour. Le premier Dionysos est Zagreus, né des amours de Zeus et de Perséphone. Mais la jalousie d’Héra poursuivit l’enfant qui dut se transformer en Taureau. Alors Héra envoya les Titans qui tuèrent ce taureau et le mangèrent « en partie crue et en partie cuit », précise la mythologie. Le cœur qui palpitait encore put être sauvé. Zeus le recueillit et le fit absorber à Sémélé, la fille de Cadmos (l’arrière grand-père d’Œdipe) et de la déesse Harmonie. Par cette absorption, Sémélé devint enceinte du nouveau Dionysos. C’est la seconde naissance de Dionysos. Mais Héra, travestie en servante, suggéra à Sémélé de demander à son amant divin de lui apparaître dans toute sa gloire. Zeus qui avait imprudemment promis à Sémélé de lui accorder tout ce qu’elle lui demanderait, lui apparut alors dans une gigantesque flamme qui mit le feu partout. Du coup, Sémélé eut un accouchement prématuré et périt dans l’incendie. Zeus eut juste le temps de prendre l’enfant pour le mettre dans sa cuisse, euphémisme, afin qu’il achève une nouvelle gestation. Ce qui marque là la troisième naissance de Dionysos.

Avec ce contraste, « cette lutte continuelle, nous dit Nietzsche, coupée d’accords provisoires » entre Apollon et Dionysos, la Mythologie nous figure les deux dimensions paradoxales du temps. Apollon, c’est l’extase de l’instant qui ne se répète pas. La coupure du temps, la bifurcation créatrice qui donne les jumeaux Artémis et Apollon. Tandis que Dionysos, figure le temps de l’éternel retour de la jouissance.

Dionysos est le dieu de l’ivresse, du bonheur, du théâtre, de la tragédie et de la comédie. Mais on ne confondra pas cet éternel retour de la jouissance et du bonheur avec le retour de la pesanteur, de la pesante heure, le poids nietzschéen le plus lourd, à la manière dont la méconnaissance du temps nous fait réduire le plus souvent l’ivresse dionysiaque à l’alcoolisme et aux drogues.

Question métaphysique : Y a-t-il un nombre fini d’états finis, se demandait Zénon d’Elée, le plus grand des mathématiciens sceptiques de la Grèce d’il y a 2500 ans. Sa célèbre méthode dialectique consiste à pousser une idée jusqu’à l’absurdité pour faire surgir la contradiction qui lui est inhérente. C’est en montrant que le mouvement, le changement et le temps sont des illusions que Zénon va mettre en évidence leur pouvoir réel, quitte à sembler tomber dans le piège de ses propres paradoxes.

Les quatre paradoxes les plus réputés de Zénon d’Elée et qui sont arrivés jusqu’à nous sont appelés la dichotomie, l’Achille, la flèche et le stade. 1) La dichotomie assure que le mouvement est impossible car avant que l’objet en mouvement ne puisse atteindre sa destination, il doit d’abord atteindre la moitié de son parcours, mais avant d’en atteindre la moitié, il doit d’abord en atteindre le quart, or, pour cela, il lui faut d’abord en atteindre le huitième, etc. Ainsi le mouvement ne peut jamais commencer. 2) L’Achille : Achille en pleine course ne pourra jamais rattraper une tortue marchant devant lui car il devra, avant tout, atteindre le point de départ de cette dernière. Or quand il aura atteint ce point, la tortue aura avancé ; il lui faudra alors atteindre sa nouvelle position, mais lorsqu’il l’aura atteinte la tortue aura de nouveau avancé, etc. Ce qui fait que la Tortue sera obligatoirement toujours en tête. 3) La flèche : Le temps se décompose en instants, qui sont indivisibles. Une flèche est soit en mouvement soit au repos. Une flèche ne peut être en mouvement, car, pour qu’elle le soit, il faudrait qu’elle parte à une position donnée au début d’un instant, puis à une autre à la fin du même instant. Ce qui revient à dire que les instants sont divisibles, ce qui étant contradictoire n’est pas recevable. Une flèche n’est donc jamais en mouvement. 4) Le stade : Par le même raisonnement on peut dire que la moitié d’une durée donnée est égale au double de la même durée. Démonstration :

première position :

0
0
0

(a)

0
0
0

(b)

0
0
0

(c)

seconde position :

0
0
0

(a)

0
0
0

(b)

0
0
0

(c)

Considérons les trois rangées de zéro ci-dessus : ils sont placés au départ dans la première position. La rangée a reste immobile tandis que les rangées b et c bougent à la même vitesse dans des directions opposées. Lorsqu’elles arrivent à la seconde position, chaque 0 de b a franchi deux fois plus de 0 c que de 0 a. La rangée b a donc mis deux fois plus de temps à franchir la rangée a qu’elle en a mis à franchir la rangée c. Cependant, le temps mis par les rangées b et c à atteindre la position de la rangée a est le même. D’où le paradoxe.

Ces paradoxes relèvent du cauchemar. On ne peut y réfléchir qu’à tête reposée. Mais ils ont le mérite de nous réconcilier avec le temps pour peu qu’on ait pour ami Diogène le Cynique. En effet, pour répondre à Zénon, Diogène, lui, démontrait la réalité du mouvement, du temps et du changement simplement en marchant. Qui n’a pas vécu en rêve le sale quart d’heure où les flèches ne volaient pas, où il était impossible de rattraper une tortue, où la moitié d’une durée était égale au double de la même durée, où, tout mouvement s’avérait impossible pour se désengluer du sol, où le temps était pour ainsi dire ainsi dire, inversé ? Dans la réalité nous pouvons voir un film en accéléré ou au ralenti. Mais si nos passons ce même film à l’envers, quelque soit sa vitesse, nous nous en apercevons aussitôt. Nous faisons l’expérience de l’ordre irréversible du temps. Et pourtant si nous passions toujours les films à l’envers, on en prendrait l’habitude, et finalement c’est le film à l’endroit qui nous ferait faire l’expérience d’un ordre irréversible. Il y a toujours un envers et un endroit, une face et un dos dans l’espace. C’est l’espace qui nous donne l’impression d’un ordre irréversible du temps.

Les physiciens de la physique quantique nous montrent cependant que les évidences auxquelles nous sommes habitués dans nos espaces, n’ont plus court à une autre dimension d’observation. C’est le temps et le langage qui là deviennent décisifs, c’est-à-dire la ligne du temps et ses différentes sortes de nouages phoniques. Les successions les plus extraordinaires pourraient se montrer cohérentes et acceptables, comme dans la méthode psychanalytique des associations libres.

Nous pouvons illustrer cela par une anecdote rapportée dans le livre de Jean Allouch : Allo Lacan ? Certainement pas. C’est une nouvelle analysante qui arrive à ses séances toujours en retard ou en avance. Elle croise un autre analysant qui, lui, arrive toujours impeccablement à l’heure. Lacan entre dans le salon d’attente et les regarde tous deux. Il s’écrie : « Est-ce que cela va durer encore longtemps ces fantaisies avec les horaires ? ». L’analysante, qui est arrivée en avance, ne sait plus ou se mettre tandis que l’analysant, qui est toujours à l’heure, sourit de satisfaction. Lacan se tourne alors vers l’analysante et lui dit : « Entrez, c’est à vous, ma chère ».

D’une certaine manière c’est la physique des quanta, qui nous introduirait le mieux à l’objet petit a.

L’objet a

Comment comprendre l’objet a si nous ne sommes pas convaincu de l’universalité de l’Œdipe, non pas comme une vue de l’esprit mais avec l’immédiate certitude de l’intuition ? L’Œdipe est universel. C’est le centre nucléaire, le centre nodal, de toutes les névroses, enseigne Freud.

Mais, en quoi Œdipe est-il universel ? Quiconque pratique tant soit peu l’introspection constate, en vérité, qu’il n’a jamais voulu tuer son père et épouser sa mère, ou l’inverse. C’est évident, c’est naturel. Donc, selon quel point de vue Œdipe serait-il universel ? Un point, je vous l’ai dit, c’est un nœud. Je vais vous donner ce point de vue que vous ne trouverez nulle part ailleurs.

C’est un scoop : Œdipe, pour faire bref et consistant, « Œdipe c’est manger ».

Explications : Prenons, si vous le permettez, le mythe du Dieu qui s’est fait homme pour sauver l’humanité, que dit-il ? En l’occurrence il s’agit de Jésus qui dit, en montrant le pain, prenez ceci est mon corps, et en montrant le vin, prenez ceci est mon sang. C’est la Cène, en latin, le repas du soir. Il s’agit ici du dernier repas que Jésus prit avec ses douze apôtres, au soir du jeudi saint, la veille de sa crucifixion et trois, trois jours avant sa résurrection. Le célèbre livre le Da Vinci Code a bien mis en évidence que sur la fresque de Léonard de Vinci, le premier apôtre, à la droite de Jésus, était une femme. C’est le message du Da Vinci code, mais moi, je vous apporte, aujourd’hui, ce jeudi soir, un jeudi soir comme par hasard, le message inconscient de l’Œdipicode. C’est beaucoup plus important, mais ça a beaucoup moins de succès, bien que cela soit aussi blasphématoire, comme le sont, par principe, toutes les perles de l’inconscient. Les perles sont des accidents qui deviennent précieux.

Mais reprenons, « le pain est mon corps, le vin est mon sang », qu’est-ce que cela veut dire ; au sens propre, sinon que le père, le créateur suprême, l’Autre, n’est autre que la nourriture ?

Que raconte l’Œdipicode ? En mangeant nous tuons le père. Voilà Thanatos. Et pourquoi nous le tuons ? Pour jouir de la mère : la vie. Voilà Eros. Manger c’est tuer son père et épouser sa mère. Thanatos et Eros. Serait-ce l’Opus dei ? Signalons que « Opus Dei », l’œuvre de Dieu, n’est qu’une anagramme d’Œdipe. Ce qui obligera cette institution espagnole, n’en doutez pas, à révéler les crimes qu’elle a du forcément commettre sans le savoir bien sûr, comme l’a fait Œdipe. Mais ceci est une autre histoire.

En tout cas, nul ne peut vivre sans manger. Condamnés à manger pour vivre nous sommes donc comme le dit Freud « condamnés à l’Œdipe et à la résoudre ». Mangeant, nous ne cessons métaphoriquement de tuer le père par désir de la mère. Et pour les femmes, demandez-vous ? Pour les femmes c’est pareil, dans l’inconscient féminins et masculins sont permutatifs. Regardez tous ces gens dans les restaurants : ils pratiquent l’Œdipe sans le savoir, ou comme on dit, à l’insu de leur plein gré. Certains même se lèvent parfois la nuit pour pratiquer l’Œdipe mangeant en solitaire. L’inconscient est partout. Détruire c’est pour jouir car si le grain ne meurt comment pourrait-il produire, par exemple, la magnificence des champs de blé ? Un vivant pourrait-il vivre sans manger ? Non, donc, Œdipe est universel.

Vous me direz que c’est du langage, de la métaphore. Bien sûr, c’est du langage, car dans l’inconscient il n’y a que du langage, un langage très spécial : langage et métaphore qui ne s’incarnent qu’en mangeant. Voilà l’Œdipe. Nous sommes dans la dimension de l’inconscient où le mot est la chose. Souvenons-nous de Diogène, le cynique, celui qui n’a besoin de rien, on raconte qu’un jour il se masturbait, à la vue de tous, sur la place d’un marché. N’as-tu pas honte de faire ça ici, s’écrièrent les marchands. Diogène pour toute réponse fit cette remarque dont la vérité est incontournable : « Ah, si on pouvait soulager son estomac en le masturbant de la même manière que son sexe ! ». Ce qui montre bien que la relation à l’Autre est inévitable et qu’Œdipe c’est manger. On ne peut éviter la relation à l’Autre : Il nous faut manger. Et, « qui mange n’est plus seul », comme disait Apollinaire. Comme vous le savez, la lettre A, par quoi on désigne le grand Autre, a pour étymologie vache. La vache ça se mange et c’est par là que tout alphabet commence. Thèbes, le royaume d’Œdipe, fut fondé à l’emplacement d’une vache morte, nous rapporte la mythologie.

Mais, d’où le processus Œdipien tire-t-il son origine ? Il ne la tient que du temps. Le temps est alternativement Thanatos et Eros. C’est une guerre. Le temps détruit tout ce qu’il a engendré. L’enfant fait de même, il tue son père qu’il a engendré, car c’est lui qui a engendré son père puisque avant lui le père n’était pas père. Le temps fait tuerie et jouissance de tout. L’enfant a la jouissance de sa mère, il l’a engendrée elle aussi, puisque la mère avant lui n’était pas mère. Le temps est donc bien Thanatos et Eros, comme l’est le ça, et la parole. Et la parole peut dire, à la manière d’Héraclite, Thanatos est Eros, Eros est Thanatos. Le temps est, tel l’inconscient et la parole : on les réalise en voulant les éviter.

À ce propos, vous connaissez l’histoire des quatre moines zen qui font zazen un soir à la lumière d’une bougie ? Soudain, la bougie s’éteint. Le premier moine s’exclame : la bougie s’est éteinte. Le second lui rappelle : on ne parle pas en zazen. Le troisième remarque : en tout cas vous venez de parler l’un et l’autre ! Et le quatrième passant au moment de conclure, dit : vous remarquerez que moi je n’ai rien dit. Ceci illustre que dans l’inconscient il n’y a de silence que sur fond de parole. Temps, inconscient et parole sont le même nœud qui nous constitue. C’est à refouler leur guerre qu’on devient névrosé, psychotique ou pervers.

Mais alors, qui suis-je, demande Œdipe à la Pythie assise sur son trépied. Le trépied de son système inconscient. Qui suis-je ? Quel être parlant, frère ou clone fractal d’Œdipe, ne s’est-il pas poser cette question ? Et quel être parlant n’a pas constaté qu’il ne savait la réponse qu’à la seule condition de ne pas se poser la question ? Dès qu’il se la posait, ou, dès que les circonstances l’obligeaient à se la poser, en profondeur, il ne savait plus qui il était.

« Tu es… », répond alors la représentante d’Apollon. « Tu es », ça sonne en français comme « tuer ». Quand un psychanalyste parle il dit « tu », il dit : « tue » à son analysant. On ne peut vivre qu’en mangeant, c’est-à-dire qu’en tuant. Même si comme le conseillait Socrate : « Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger ».

Être et manger, rappelons-le, sont en latin le même mot : esse. Esse est à la fois l’infinitif de edo, je mange, et de sum, je suis. Esse, S, es. Freud nous dit que : « Le ça est le champ de bataille de Thanatos et d’Eros ». Le champ ou le chant de bataille, pouvons-nous entendre. Le champ avec un p c’est spatial, le chant avec un t c’est temporel. En tout cas à la fin de sa vie, Freud explique Thanatos et Eros par le principe unique et polémique de répulsion et d’attraction, autrement dit, selon la mythologie, par la pulsation dionysiaque. On peut lire dans une note de L’Abrégé de psychanalyse (p. 9) : « Le philosophe Empédocle d’Agrigente (cinquième siècle av. J.-C.) avait déjà adopté cette façon de considérer les forces fondamentales ou pulsions, opinion contre laquelle, déjà, souligne Freud, tant d’analystes s’insurgent encore ».

Thanatos et Eros, c’est la disparition et l’apparition. Nous ne sommes qu’en mangeant, nous ne sommes que cette pulsation temporelle, cette guerre de Thanatos et d’Eros. C’est à quoi on peut réduire le procès oedipien, dit Freud. « L’action de manger, fait-il remarquer (ibidem, p. 8), est destruction de l’objet avec pour but final l’incorporation. Quant à l’acte sexuel c’est une agression accomplissant l’union la plus intime. Cet accord et cet antagonisme des deux pulsions fondamentales (semblables au jour et à la nuit), confèrent justement aux phénomènes de la vie toute la diversité qui lui est propre ».

Toute forme d’appétit comprend donc la mort et la jouissance : Thanatos et Eros. Toute vie demande de l’appétit.

L’appétit, en français, ça sonne justement comme l’a petit, le petit a, l’objet petit a. L’objet petit a désigne le « phallus linguistique » qui est le soutient du fantasme et du désir, soit comme pulsion de mort, Thanatos soit comme pulsion de vie, Eros.

Mais, tout d’abord, qu’est-ce donc qu’un objet, à un moment, le nôtre, notre époque, où il n’y a plus de chose, où l’on a constaté matériellement que la substance n’existait pas ou ce qu’on appelait autrefois, « es puissances de l’objet » ont perdu toutes leurs vertus.

Dans cette formule, « objet petit a », le mot « objet » ne désigne pas un objet du monde, qui serait partiel ou même transitionnel. Objet ne s’entend, ici avec Lacan, que comme ob-jet, c’est-à-dire comme jaillissement (jet) devant (ob) : ob-jet. Sinon comment pourrait-il affirmer qu’il s’agit là d’un objet non représentable, non visible ? L’objet petit a nous dit Lacan n’est identifiable que sous forme d’éclats. Comprenons bien : non pas éclats en tant que fragments de quelque chose mais éclats dans le sens de brillance, d’intensité.

Si l’objet petit a est l’objet fondamental de la psychanalyse, c’est parce qu’il est l’instant où le temps se matérialise en symbole, où le temps se met à parler, où le temps s’incarne. Toute matière commence par un dérangement temporel. L’instant de voir, le temps de comprendre et le moment de conclure constituent le nouage d’une certaine, osons le dire ici, transsubstantiation. Ce mot, nous devons l’arracher à la religion pour qu’il retrouve ici la mutation d’un flux en nouage.

L’objet de la psychanalyse est le titre du séminaire XIII de Jacques Lacan (1965-1966). Son exécuteur testamentaire, depuis plus de quarante ans donc, ne l’a pas encore publié. Mais, heureusement, on peut le trouver gratuitement sur le site que je vous ai déjà indiqué : gaogoa.free.fr.

L’objet petit a « est présent partout dans la pratique de l’analyse ». Pour l’expliquer Lacan détourne la parabole évangélique de la pierre inutile pour l’attribuer à l’objet petit a : « L’objet petit a c’est, dit-il, la pierre de rebut devenue la pierre d’angle » (L’objet de la psychanalyse).

Mais l’objet petit a a d’abord le mérite de nous libérer de nos représentations cosmique et sphérique du firmament pour nous faire accéder à une autre dimension, la dimension dynamique du temps et de ses trois coupures, la dit-mension de l’inconscient. Avec lui nous changeons d’abîme. L’objet a non spéculaire, explique Lacan, est structuré par une coupure. Cette coupure est celle du temps (tem : couper). « La voûte céleste, souligne Lacan c’était ce qu’il y avait de plus fermé », c’était « l’enfermement du monde… » Avec l’objet a, dit-il, « nous avons crevé le firmament ». Cela s’entend comme ce que disait le peintre Malevitch, un peu avant lui : « J’ai brisé l’anneau de l’horizon et suis sorti du cercle des choses ». Einstein, de son côté, à la même époque, soutenait sans le savoir mais très sûrement, l’art non objectif et la psychanalyse en expliquant : « Quand nous avons supprimé la matière, nous pensions qu’il resterait l’espace. Mais nous nous sommes aperçu qu’en supprimant la matière nous avons aussi supprimé l’espace ». Or il se trouve que l’anagramme d’Einstein est « rien n’est établi » et aussi « rétine instable »… Fini le monde des sphères. Fin de la physique, début du temps. Le réel est le temps. Son autre nom est l’impossible parce que nul ne peut en faire ce qu’il veut. Tout est instable. Aucune durée ne dure. Telle est maintenant notre grande affaire, le temps, autrement dit l’inconscient : le nœud du temps de l’inconscient et de la parole. Le monde est devenu le m’onde avec une apostrophe marquant le flux du temps. Il n’y a plus de là, adverbe de lieu, plus de dasein, plus d’être là au sens d’englobant, mais seulement du l’a, l’apostrophe, du petit a, au sens d’instant, de brillances rapides.

Quelles sont ces brillances ? Les brillances de l’objet a peuvent être réduite au nombre de cinq, selon Lacan : le sein, les fèces, le regard, la voix, le rien, en n’importe quel ordre.

« Le sujet, dit Lacan, les gagne ou les perd, en est détruit ou les préserve, mais surtout il est ces objets » (Écrits, p. 614). Par exemple, « interrogez, l’angoissé de la page blanche il vous dira qu’il est l’étron de son fantasme » (Écrits, p. 818).

L’objet a dans son instantanéité produit ce « champ » de l’illusion décisive, ni intérieur ni extérieur. L’objet a est l’objet qui incarne les métaphores du désir qui nous caractérise. « Cet objet du désir au sens courant est ou un fantasme, qui soutient le désir, ou un leurre », nous dit Lacan dans « Subversion du sujet ». L’objet a divise donc et manipule le sujet, d’où la formule :

S barré, $ poinçon, petit a.

$ barré c’est le sujet divisé ; le poinçon, représenté par un losange, désigne à la fois l’implication et l’exclusion des instants du « a » qui schize le sujet.

« Cet algorithme du fantasme, explique Lacan, est pour permettre vingt et cent lectures différentes, multiplicité admissible aussi loin que le parlé en reste pris à son algèbre » (Écrits, p. 818). « La délimitation même de la fonction de la zone érogène que la pulsion isole (l’acte de dévoration intéresse d’autres organes que la bouche) est le fait d’une coupure (celle du temps préciserons-nous encore une fois) qui trouve faveur du trait anatomique d’une marge ou d’un bord, et Lacan nous donne cette liste : lèvres, “enclos des dents”, marge de l’anus, sillon pelvien, vagin, fente palpébrale, voire cornet de l’oreille… L’érogénéité respiratoire est mal étudiée, mais c’est évidemment par le spasme qu’elle entre en jeu » (Écrits, 817), nous explique Lacan.

C’est que chacune de nos respirations est différente, à chaque fois nouvelle, comme chacun de nos battements de cœur et chaque instant de nos vies.

Si l’objet a se figure par des éclats en tant que brillances, nous l’avons dit, ce n’est pas, souligne bien Lacan « qu’ils soient partie d’un objet total qui serait le corps, mais à ce qu’ils ne représentent que partiellement la fonction qui les produit ». Quelle est cette fonction ? C’est celle de la coupure, c’est celle du temps. Les éclats de l’objet petit a représentent donc les brillances des instants qui s’incarnent en objet symboliques. L’objet a est à la fois 1) effet de la coupure qu’est le temps et 2) effet du nouage des trois registres de la subjectivité : le réel, le symbolique et l’imaginaire, autrement dit : l’instant, le langage et le corps. On peut concevoir ces trois registres à la fois distincts l’un de l’autre, c’est une distinction spatiale, ou, noués ensemble, c’est la dimension temporelle avec le nœud borroméen, ou nœud du temps. C’est pourquoi le petit a se cible au centre du nouage borroméen.

La physique quantique nous dit que les particules les plus brèves sont justement celles qui produisent le plus d’énergie. Il en va de même pour les éclats de l’objet petit a. Dans l’analyse on pourra voir comment des choix, de grandes décisions, qui ont engagés des périodes capitales de notre existence, ont été pris seulement sur un déclic, sur l’intensité de l’instant d’un des éclats de l’objet petit a.

On peut encore faire correspondre les cinq éclats aux cinq sens : Les fèces, l’odeur. Le sein, le goût. Le regard, la vue. La voix, l’audition. Le rien (res, la chose), le toucher.

Qu’on imagine le bébé que nous avons été dans les bras de sa mère, prenant le sein ou le biberon, il satisfaisait aux cinq éclats de l’objet petit a. Il avait le sein, il avait le regard bienveillant de la mère, il entendait sa voix agréable qui s’adressait à lui, il faisait dans ses couches (fèces), il n’avait besoin de rien. Mais, que la mère détourne le regard, parle à quelqu’un d’autre etc. et, c’est un éclat perdu à jamais.

Pour nous familiariser encore davantage avec les cinq éclats de l’objet petit a, nous pouvons les référer à notre corps, puisque nous les sommes. 1) Le sein : sein signifie courbe du latin sinus. Nous sommes faits de courbes. C’est simple à constater, et nous sommes attiré libidinalement par différentes courbes. 2) Les fèces. Notre ventre, nos intestins contiennent continuellement des excréments comme nos vessies de l’urine. 3) Le regard. Nous nous définissons par ce que nous voyons, ce que nous comprenons. 4) La voix. Nous sommes ce que nous disons ou la manière de le dire. 5) le rien. Aux yeux du temps nous ne sommes rien. Au regard du temps il n’y a jamais rien eu que l’instant où nous avons été et qui ne se répète pas.

Beaucoup ne supporte pas cette blessure narcissique du temps qui nous réduit et nous ramène à rien, qui que nous soyons. Si cela vous fait encore trop peur, vous n’avez qu’à considérer que même la mort n’arrête pas le temps. Alors que pour le conscient nous sommes des êtres parlant, selon l’inconscient nous sommes des êtres parlés. Tout se réduisant à ce langage, Lacan a élaboré « la théorie des quatre discours ». L’objet a c’est ce que produit le discours du maître ; c’est ce que refoule le discours hystérique ; c’est à quoi s’adresse le discours universitaire ; et c’est, naturellement, le sujet du discours psychanalytique.

Le discours psychanalytique prend le petit a (a) comme sujet qui fait l’action, et refoule le savoir universitaire (S2). Le discours psychanalytique s’adresse au sujet divisé, $, pour produire du maître (S1), sachant qu’il n’y a d’autre maître que le temps et que le temps c’est l’inconscient.

Nous pouvons subtiliser encore l’objet petit a en faisant correspondre ses éclats aux formes de déclinaisons du langage, même si nous ne sommes pas une langue à déclinaison. Le sein serait l’ablatif (oral) ; les fèces le datif (anal) ; le regard, l’accusatif ; la voix le nominatif et le vocatif ; et le rien, correspond au génitif (au sens étymologique d’engendrer).

Du point de vue topologique l’objet petit a se situe sur le point cuspidal, c’est-à-dire le point de pincement où deux lignes coïncident dans la figure du crosscap (bonnet d’évêque). Cette figure du crosscap est appelée par Lacan « le fantasme fondamental ». (Voir dessins p. 49 et 50).

Pour plus de précisions consultez le site du mathématicien [Jean-Pierre Petit et Lacan->http://www.jp-petit.org/nouv_f/Lacan_jpp.pdf] particulièrement intéressant. Voir aussi Le topologicon de J.-P. Petit (Edition Belin).

Le hiatus c’est que la topologie des mathématiciens ne relève que de l’espace tandis que celle de Lacan est celle du temps, d’où La topologie et le temps. On quitte ici la géométrie.

Identification du point triple sur la surface de Boy illustrant qu’un point est un nœud premier « sans existence géométrique intrinsèque ».

Soulignons que lorsqu’on construit des modèles topologiques en 3d, c’est comme si à la question qu’est-ce que le temps on montrait une horloge… D’où, encore une fois, l’importance de La topologie et le temps.

Résumé

Objet signifie ob-jet, petit, parce qu’il est bref, « a » parce que c’est la lettre du commencement. Lettre exprimée par une bifurcation en grec : α [alpha]. Cette bifurcation suggère le passage de l’instant à la matière. De l’instant aux fèces, au sein (aux courbes), au regard, à la voix et au rien. Il n’y a rien à faire tout ne fait que passer.

Si dans le conscient la flèche du temps va du passé à l’avenir irréversiblement, dans l’inconscient elle va aussi irréversiblement du futur vers le passé. Ici le futur est antérieur, dans le sens où il désigne un fait qui sera accompli dans le futur de manière certaine : dans x temps je serai mort, ou « je suis déjà mort puisque je dois mourir ». En ce sens la mort, comme chez les Gaulois se trouve au commencement.

C’est parce qu’il y a la mort que nous sommes en vie.

Quant à l’objet petit a, c’est-à-dire ce que désirons, nous le sommes. Nous sommes ce que nous désirons même si nous ne le savons pas. Tu es ce que tu désires : Tu es pauvre parce que désires être pauvre etc. En ce sens comme disait Epictète : « Tout le monde est heureux sinon c’est de sa faute ». Vive la guerre d’Eros et de Thanatos !

Je vous remercie,
GM.

P.-S.

Pour toute question, remarque ou suggestion :
 Guy Massat

Prochaine conférence : Jeudi 31 janvier 2008 à 20h30.
 La topologie et le temps (III) : « La psychanalyse n’est pas un humanisme : Rien de ce qui est inhumain ne lui est étranger. »

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