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Alexandre Cullerre

Crime et folie

Les frontières de la folie (Ch. IX, §. I)

Date de mise en ligne : jeudi 17 janvier 2008

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Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre IX, §. I : « Crime et folie », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 281-293.

CHAPITRE IX
QUESTIONS DE MÉDECINE LÉGALE

—  — —
I
CRIME ET FOLIE

Par tout ce qui précède, il nous semble suffisamment établi que le fou tel que se le représente le vulgaire, cet être hors des gonds, désordonné, hagard, n’est qu’une variété dans l’espèce. On peut être fou et conserver toutes les apparences de la raison ; on peut délirer sans danser sur la tête, sans déraisonner sur tout et toujours et même sans divaguer le moins du monde. Comme toutes les maladies, la folie a ses modes, ses formes et ses degrés.

Mais, il faut le reconnaître, de cette absence de limite tranchée entre la raison et la folie découlent les plus graves problèmes au point de vue de la responsabilité morale. L’héréditaire, en raison de ses dispositions anti-sociales, de la faiblesse de son sens moral et de son manque d’équilibre intellectuel, se met souvent dans le cas d’être recherché par la justice. Et aussitôt la question : est-il ou n’est-il pas fou ? Est-il ou non responsable ? se pose pressante, inéluctable, et exige une réponse catégorique. La société et l’accusé l’attendent ; il n’est plus temps de disserter sur la nature plus ou moins morbide des phénomènes, d’émettre des hypothèses et de se retrancher derrière le doute scientifique : la justice réclame de la science un verdict qui la mette à même de prononcer le sien.

Mais les difficultés que soulève l’incertitude des limites qui séparent la raison de la folie ne sont pas les seules car nous ne pouvons préciser davantage les frontières du crime et de la folie ; aussi convient-il que nous nous arrêtions un instant sur ce sujet que nous n avons fait qu’effleurer dans un précédent chapitre.

Si nous nous reportons aux études les plus récentes des médecins criminalistes, nous voyons que loin de tendre à tracer des limites précises, elles ont au contraire pour résultat de créer une zone mixte, dans laquelle le crime et la folie morale viennent se confondre par des nuances insensibles.

Nous avons étudié au début de ce livre les caractères somatiques qui accompagnent la folie héréditaire, principalement les stigmates de la dégénérescence. Les criminels d’habitude partagent précisément avec les aliénés héréditaires un grand nombre de ces symptômes de dégénérescence.

D’après Lombroso [1], les voleurs ont une tendance marquée à la microcéphalie, et l’on constate chez eux une grande quantité d’incorrections crâniennes, des anomalies dentaires, des synostoses prématurées des sutures, un front fuyant, la saillie ou l’aplatissement de la région occipitale. La plagiocéphalie, ou déformation oblique ovalaire de la tête, commune chez les aliénés, ne le serait pas moins chez les criminels. S’il est une différence à noter au point de vue qui nous occupe entre ces deux catégories d’individus, c’est que les anomalies qu’on rencontre chez les criminels surpassent de beaucoup celles des fous eux-mêmes.

L’habitus des criminels-nés porte en effet tout entier le cachet de la dégénérescence. Toujours d’après le même auteur, ils sont atteints de strabisme dans la proportion de cinq pour cent. Les voleurs et les meurtriers ont un faciès d’une laideur uniformément repoussante dû à la déformation et aux anomalies de leurs traits. Les violateurs sont grêles, blonds, rachitiques, parfois bossus ; les pédérastes ont un aspect infantile, une apparence féminine. Les faussaires et les escrocs ont un teint pâle, des yeux hagards, la barbe rare, les oreilles écartées, les cheveux épais et crépus. Chez tous, les anomalies génitales sont fréquentes, mais elles le sont surtout chez ceux qui commettent des crimes contraires à la morale sexuelle. Parmi les violateurs, en effet, certains sont à demi-impuissants, et leurs parties génitales sont tantôt atrophiées, tantôt d’un volume énorme.

Enfin les criminels de toutes les races perdent leurs caractères ethniques propres, et, comme les crétins, tendent vers un type uniforme qui, selon la propre expression de Lombroso, est le résultat d’une dégénération morbide.

On ne saurait en outre nier que, de même que certains individus présentent une disposition innée aux désordres de l’esprit, il en existe qui ont une disposition innée pour le crime. « On peut, dit Maudsley, dire du voleur ce qu’on dit du poète : il naît tel, il ne le devient pas. » Les récidives, qui s’élèvent à un chiffre énorme et sont devenues un véritable danger social contre lequel il a fallu dresser la barrière de lois spéciales, sont la preuve la plus évidente de cette prédisposition au mal d’un grand nombre de criminels. Ainsi, en France, sur 1000 récidivistes [2] :
 6 n’avaient pas atteint leur 16e année.
 204 avaient de 16 à 21 ans.
 284 avaient de 21 à 10 ans.
 215 avaient de 30 à 40 ans.
 200 avaient de 40 à 60 ans.

Sur 6108 prisonniers libérés en 1878, 39% ont été repris dans l’espace de deux ans.

Fait remarquable, les proportions de récidives pour les diverses sortes de crimes sont en rapport avec la fréquence des anomalies crâniennes. Les voleurs fournissent le plus de récidivistes ; ce sont aussi eux qui présentent le plus d’anomalies de ce ce genre.

Presque tous les modes de la sensibilité physique sont obtus chez les criminels : or, nous savons que chez les fous moraux, l’analgésie est fréquente ; Renaudin, Moreau (de Tours), en ont cité des exemples ; c’est aussi l’opinion de Tamburini et de Seppilli. On doit rappeler, d’ailleurs, que les hystériques, chez qui la sensibilité est si souvent troublée ou pervertie, présentent fréquemment les caractères de la folie morale.

L’hérédité morbide est un terrain commun où viennent bien décidément se confondre le crime et la folie, ce qui ne contribue pas peu à démontrer l’inanité des efforts de ceux qui voudraient établir entre les deux, d’infranchissables barrières. D’après une statistique de Lombroso à laquelle il faut cependant se garder d’attacher une valeur absolue, si dans les antécédents héréditaires indirects des fous moraux, on rencontre plus de fous que de criminels, dans leurs antécédents directs, au contraire, les criminels et les vicieux dominent. Aussi, peut-on dire qu’en principe, les tendances à la folie et au crime, se confondent dans une hérédité de même nature et de par cette dernière, la folie morale, réel trait d’union entre le crime et la folie intellectuelle, semblerait même plus rapprochée du premier que de la seconde.

Malgré ces preuves d’autant plus solides qu’elles ne reposent que sur dés faits palpables, faciles à vérifier, quelques auteurs distingués se refusent à reconnaître la parenté du crime et de la folie. Le Dr Jacobi [3], par exemple, regarde le crime comme l’expression et le résultat d’un état mental particulier, sui peneris, n’ayant que peu de points de contact avec l’aliénation mentale. Pour lui, c’est une manifestation de l’Atavisme, un retour à l’état mental de nos ancêtres les plus éloignés, tout comme la microcéphalie. « Ce n’est pas, dit-il, le réveil des instincts, encore moins est-ce la dégénérescence, comme semblent le croire beaucoup de médecins aliénistes. » Et pour démontrer que le crime d’habitude n’a pas de rapport avec la dégénérescence mentale, il part de ce principe, que cette dernière prend ses origines dans l’excitation cérébrale exagérée, dans l’abus de la force nerveuse ; qu’elle est d’autant plus fréquente dans une contrée, par exemple, qu’on constate un plus haut degré de surexcitation mentale chez la population de cette localité. Mais cette théorie est manifestement inexacte et incomplète, car la dégénérescence mentale se montre excessivement commune dans certains milieux où la stagnation intellectuelle est aussi grande que possible [4]. Au surplus, pour être dénués de sens moral et portés à la violence, les sauvages, nos ancêtres, présentaient-ils toutes les tares physiques, toutes les incorrections somatiques qu’on rencontre chez les criminels ? Le contraire est bien plus probable.

Une remarque importante à faire, c’est que tout ce que nous avons dit jusqu’ici ne s’applique qu’aux criminels d’habitude, et que les criminels d’occasion, comme le sont beaucoup de meurtriers, n’ont avec les premiers que des rapports plus ou moins éloignés, et n’offrent souvent aucun des signes de la dégénérescence.

Si, maintenant, nous continuons notre parallèle dans le domaine psychologique, nous voyons que l’absence de sens moral est encore une particularité commune aux criminels et à certains aliénés. Beaucoup de criminels ne peuvent comprendre en quoi consiste l’immoralité. Dans leur argot spécial la conscience s’appelle la muette.

« Il n’est pas rare, dit Lombroso, qu’un de ces misérables comprenne qu’il fait mal, mais il ne donne pas à sa mauvaise action la même importance que nous. Par exemple, Dombey écrivait, après son premier assassinat : “J’espère qu’on me pardonnera cet enfantillage !” Rouet, en marchant à la potence, où le conduisait un assassinat suivi de vol, murmurait : “Faire mourir un homme pour si peu de chose !” »

Si, malgré leur imbécillité morale, on voit surnager en eux quelques sentiments, on peut en même temps constater combien, malgré leur apparente énergie, ces sentiments sont instables, et tout de surface. Gasparone, poussé à un premier meurtre, par amour pour sa maîtresse, la tue peu après pour un mot de reproche qui lui avait échappé. Thomas, autre assassin, aimait sa mère à la folie, ce qui ne l’empêcha pas, dans un accès de colère, de la précipiter d’un balcon. Un troisième, Martinati, avait, pendant de longues années, aimé la femme dont, deux mois après son mariage, il songeait déjà à se défaire [5]. On sait quelle étrange passion la plupart des prostituées, qui, à beaucoup d’égards, se rapprochent des criminels-nés, éprouvent pour leurs indignes souteneurs ; malgré sa violence, ce grand amour capable de résister aux plus indignes traitements, tombe à plat sous le prétexte le plus futile, pour se reporter sur un autre.

Nous avons vu, chez les fous héréditaires, le mysticisme religieux s’allier à la plus complète immoralité. La famille Mercier [6] en est un des plus frappants exemples. Le monde des criminels, lui aussi, compte ses pratiquants convaincus, et il en est qui n’hésitent pas à mettre leurs forfaits sous la protection divine.

« Où trouver une personne plus religieuse, je dirai mieux, plus bigotte que la marquise de Brinvilliers, qui de sang-froid et longtemps avant son arrestation, préparant par écrit son examen de conscience, mêlait à ses parricides à ses incendies, à ses empoisonnements, à ses débauches, les confessions omises ou faites avec négligence, et qui la veille du jour où on l’arrêta, se formalisait de ce qu’on l’autorisait à faire gras un jour maigre ? [7] » Selon madame de Sévigné, la Brinvilliers avait cessé d’être fille à sept ans. Elle s’essayait à la pratique des empoisonnements sur ses domestiques, sur ses amis, sur les malades des hôpitaux. Elle s’empoisonna elle-même pour éprouver un contre-poison. Enfin elle fit mourir par le poison son père, ses deux frères, sa soeur. Elle mit dix mois à tuer son père, répondant aux caresses et aux douceurs de celui-ci en doublant toujours la dose.

Que le lecteur se reporte à l’histoire de l’empoisonneuse Marie Janneret, que nous avons rapportée dans un précédent chapitre et il sera frappé des analogies qui existent entre son cas et le précédent. Qu’il veuille bien remarquer en outre, que la fille Janneret était indubitablement une aliénée, et qu’il dise si au lieu de l’horreur que lui inspirait la Brinvilliers, il ne va sentir naître en lui une pénible incertitude.

Comme les déséquilibrés et les fous héréditaires, les criminels manifestent un orgueil excessif, ce qui permet à Lombroso de faire le curieux rapprochement suivant : « La vanité des criminels est supérieure à celle des artistes, des littérateurs et des femmes galantes. » Lacenaire disait : « Je ne redoute pas la haine, mais je crains d’être méprisé. »

De même que certains fous moraux, et en particulier les hystériques ont l’orgueil de leurs déportements et s’en font gloire, de même, les criminels ont l’orgueil de leurs forfaits. C’est précisément cette vanité excessive qui cause souvent leur perte. En se vantant de leurs crimes avec une inconcevable imprévoyance, ils se chargent eux-mêmes de fournir à la justice les moyens de s’emparer d’eux.

La cruauté est, en général, provoquée par un motif précis, comme la vengeance, la cupidité, la vanité offensée ; et tuer pour tuer est, comme nous l’avons vu ailleurs, le fait de certains aliénés chez qui existe une perversion maladive de la sensibilité morale. Cependant, il est des assassins véritables qui, eux aussi, tuent pour tuer, par une sorte d’appétit sanguinaire. Spadolino se plaignait en mourant de n’avoir fait que quatre-vingt-dix-neuf victimes et de n’avoir pu compléter la centaine [8]. La férocité des Néron, des Caligula, des Tibère avait quelque chose de machinal, d’incoercible. Gall a réuni et Moreau (de Tours) a cité quelques exemples frappants de ce penchant irrésistible au meurtre, même chez des personnes qui n’étaient ni folles ni criminelles : un garçon apothicaire, qui éprouvait un tel besoin de tuer, qu’il finit par embrasser la profession de bourreau ; un fils de marchand qui, pour le même motif, se fit boucher ; un riche Hollandais qui payait les bouchers qui faisaient de grosses livraisons aux navires pour qu’ils lui laissassent le plaisir d’assommer les boeufs ; un prêtre qui se fit aumônier de régiment pour voir couler le sang.

On sait avec quelle avidité les criminels recherchent le spectacle des exécutions capitales. Certains psychopathes éprouvent un penchant analogue, et c’est encore à Gall que nous empruntons les exemples suivants :

Le chevalier Lelwin assistait à toutes les exécutions criminelles. Il faisait tous ses efforts pour être placé près de la guillotine. La Condamine ne cherchait pas avec moins d’ardeur à se repaître de l’agonie des condamnés. Don Carlos, fils de Philippe II, n’avait pas de plus grand plaisir que de voir palpiter les animaux qu’il avait tués. Pierre le Grand, au témoignage de Voltaire, se repaissait des supplices dont il était l’exécuteur, et il avouait qu’il n’avait pas vaincu sur ce point son caractère.

Nous avons vu, en étudiant les perversions sexuelles, à quelles étranges aberrations sont conduits certains individus manifestement atteints dans leurs facultés intellectuelles et morales. Certains criminels aiment à associer le meurtre et la vue du sang à l’amour charnel ; ce sont en général, comme le remarque Lombroso, des hommes soumis à une chasteté forcée, des prêtres, des bergers, des soldats, comme Mingrat, le père Ceresa, l’abbé Lacollange, l’abbé Léotard, Legier, etc.

On a remarqué que les passions sexuelles des criminels étaient ou très faibles, ou exagérées, et qu’elles revenaient périodiquement. Comme nous l’avons fait observer, il en est de même chez les fous héréditaires.

Ajoutons que, comme les déséquilibrés héréditaires, les criminels sont portés aux excès alcooliques, au jeu, à la débauche ; qu’ils manifestent parfois, en même temps que les sentiments les plus vils, des passions nobles, des aspirations artistiques, un goût tout particulier pour la poésie, un sentimentalisme bizarre et exagéré.

Enfin, bien que chez le criminel-né, la lésion porte surtout sur la sensibilité morale, son intelligence, en raison de l’union intime qui existe entre toutes les facultés, présente de nombreuses anomalies.

« Si l’on pouvait, dit Lombroso, établir une moyenne de la puissance intellectuelle des criminels avec la précision qui préside aux observations craniologiques, je crois qu’on obtiendrait des résultats égaux, c’est-à-dire qu’on trouverait une moyenne inférieure à la normale, avec des exagérations d’infériorité et de supériorité ». C’est précisément ce que nous avons signalé chez les fous héréditaires [9].

L’observation montre que les criminels d’occasion sont les plus intelligents, mais que tous, même les criminels de génie, présentent quelque côté défectueux de l’intelligence. Ils sont d’une légèreté d’esprit et d’une mobilité extrêmes. Il est impossible de fixer leur attention, et de leur faire suivre le raisonnement le plus simple. Leur imprévoyance est incroyable ; et les plus grands coupables ne semblent pas se douter qu’ils peuvent être découverts. Même quand ils ont fait preuve, dans l’exécution d’un crime, d’une habileté infernale, ils ne tardent pas à commettre quelque maladresse qui, à leur grand étonnement, cause leur perte.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre IX, §. I : « Crime et folie », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 281-293.

Notes

[1Lombroso, L’homme criminel (traduction). Paris, 1887.

[2Lombroso, loc. cit.

[3P. Jacobi, De la sélection dans ses rapports avec l’hérédité chez l’homme. Paris, 1881.

[4A. Cullerre, Des dégénérescences psycho-cérébrales dans les milieux ruraux (Annales médic.-psych., 1884).

[5Lombroso, loc. cit.

[6Voyez chap. VI.

[7Lombroso, loc. cit.

[8Lombroso, loc. cit.

[9Voyez chapitre Ier

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