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Richard von Krafft-Ebing

Paranoïa religieuse

Traité clinique de psychiatrie (1897)

Date de mise en ligne : vendredi 22 février 2008

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Richard von Krafft-Ebing, « Paranoïa religieuse », Traité clinique de psychiatrie, traduit sur la 5e édition allemande par le Dr Émile Laurent, Éd. A. Maloine, Paris, 1897, pp. 480-484.

Paranoïa religieuse

Les antécédents de ces malades indiquent nettement une prédisposition aux maladies psychiques en général et à cette forme de maladie en particulier. Souvent la maladie que nous allons décrire n’est que la suite du développement d’une tournure religieuse bizarre et excessive du caractère qui existe dès l’enfance ; c’est donc pour ainsi dire une « hypertrophie du caractère ».

Presque toujours les représentants de cette forme clinique sont originairement des imbéciles dont l’esprit borné ne peut comprendre le fond éthique de la religion ; ils sont occupés uniquement des dehors et des formes brillantes du culte religieux ; avec l’étroitesse et la paresse intellectuelles des imbéciles, ils se jettent exclusivement dans la pratique des commandements religieux mal compris. Ainsi la tendance exclusive et, excessive qui existe dès le commencement s’accentue de plus en plus ; une influence considérable est aussi exercée sur les faibles d’esprit par les missionnaires éloquents et les prêtres zélés en général qui dépeignent sous des couleurs trop vives les souffrances de l’Église, les attaques de ses adversaires, le ciel et l’enfer, et qui par ces descriptions portent l’agitation et la confusion dans les esprits.

Parfois ce sont des revers de fortune qui poussent les âmes dévotes dans les bras de la religion et les éloignent du monde des intérêts matériels.

Chez beaucoup de malades qui plus tard deviennent tune proie pour la paranoïa religieuse, il se produit déjà à la période de la puberté des états d’émotion psychique qui se manifestent sous forme d’enthousiasme religieux, l’ardent désir de se faire prêtre, d’entrer dans un couvent, de faire des pèlerinages, etc., et auxquels se joignent occasionnellement aussi des visions d’êtres célestes.

L’explosion de la maladie proprement dite est amenée par des faits qui affaiblissent le physique, que ces affaiblissements soient causés par des maladies aiguës ou par des excès sexuels ou par suite de pénitences et de jeunes. Parmi les éléments psychiques agissant comme causes, notons les espoirs d’amour déçus, les revers de fortune graves, ou parfois aussi les sermons enflammés et les offices qui provoquent des remords ou qui représentent comme fort douteux le salut de l’âme.

Le stade d’incubation de cette maladie peut durer pendant des mois et même des années. Chez les individus du sexe féminin on observe souvent des phénomènes chlorotiques, de l’hystérisme, des troubles de la menstruation comme symptômes physiques ; chez les individus du sexe masculin on constate des velléités hypocondriaques. Dans les deux sexes il existe en outre souvent des anomalies de l’instinct génital qui est d’une intensité anormale, se réveille très tôt et conduit à la masturbation.

Les candidats à la paranoïa religieuse, quand ils se trouvent à ce stade, perdent le goût du travail, restent plongés dans leurs pensées ; ils lisent de préférence la Sainte Écriture, les traités religieux, sont de tous les pèlerinages et offices de mission, négligent leurs devoirs sociaux. Avec l’exaltation religieuse qui par moments s’accentue nettement (chez les femmes toujours à l’époque des règles) vont régulièrement des phénomènes d’érotisme qui se manifestent soit par l’onanisme, ou qui se traduisent plus ou moins par une sorte de débauche mentale, l’enthousiasme pour certains prêtres, pour un saint ou un autre, etc.

Le commencement du stadium conclamatum morbi est marqué par l’apparition des hallucinations comme phénomènes partiels d’un état d’excitation psychique qui peut s’accentuer jusqu’à l’extase et va de pair avec l’insomnie.

Dans ces états la sublime sensation que leur corps de pécheur est traversé par le souffle divin, pénètre dans la conscience et dégage l’individu de tous les intérêts et soucis terrestres. Un sentiment de béatification envahit les malades comme si le Saint-Esprit s’était épandu en eux ; chez les femmes il y a souvent en même temps des sentiments d’excitation sexuelle allant jusqu’aux sensations de coït, ce qui est utilisé plus tard dans les idées délirantes : elles ont accouché de l’enfant Jésus. Des phénomènes cataleptiques peuvent même se produire dans ces états d’extase.

Au commencement les hallucinations ne sont que des visions : les malades voient le ciel ouvert, la madone leur sourit avec grâce, les miracles de l’Apocalypse leur sont révélés, ils se voient enveloppés d’une auréole lumineuse, etc.

Plus tard, avec le retour de ces hallucinations enchanteresses et de forme extatique, ils entendent aussi des voix : « Voici mon fils en qui j’ai mis mon affection », des prophéties, des promesses, des commandements, des missions pour la vocation de prophète, etc.

Ces hallucinations durent jusqu’aux derniers stades de la maladie. L’ascétisme, la masturbation sont les éléments sous l’influence desquels elles reviennent avec une vivacité particulière. Les produits de ces processus pathologiques sont tout d’abord des idées délirantes ; chez les individus masculins le fond de ces idées est toujours d’être le Sauveur du monde, chez les femmes d’être la mère de Dieu.

Elles se forment et se développent avec une rapidité surprenante, car la personnalité habituellement bizarre originairement, perd bientôt ses derniers restes de réflexion. L’opposition minime qui s’y fait encore jour, est ressentie comme la contestation de Satan et elle est bientôt victorieusement surmontée.

À côté des délires primordiaux et des hallucinations, il y a une autre source importante d’idées délirantes : c’est la paralogique de ces malades grâce à laquelle ils interprètent faussement et d’une façon vraiment insensée des passages de la Sainte Écriture et les rapportent à leur propre personne.

Tant que l’illusion est fraîche, portée par les émotions et nourrie par les hallucinations, ces malades sont disposés à agir en conformité avec leurs idées, soit dans le rôle inoffensif de prêcheur dans le désert, dans celui de réformateur et de Sauveur du monde, ce qui ne les rend que ridicules et impossibles dans la société, soit dans le rôle plus dangereux de champion de la foi divine qui n’hésite pas à sévir contre les mécréants avec le feu et le glaive ad « majorem Dei gloriam », à l’instar de certains fanatiques normaux (?) des époques passées.

Comme dans la paranoïa de nature persécutoire dépressive, on peut aussi dans la paranoïa religieuse expansive distinguer en général deux stades pathologiques : un premier, celui de la passivité où le malade se comporte simplement comme observateur et récepteur des sentiments sublimes qui germent en lui et se trouve en présence des hallucinations ; le second stade est celui d’activité où le délire achevé cherche à se faire valoir, ce qui provoque des conflits avec le monde réel.

Ce qui est digne d’être remarqué dans le cours de la maladie de ces messies et de ces madones, c’est que, à côté de périodes d’enthousiasme allant jusqu’à l’extase, il y a chez eux des moments où ils sont en proie à des paroxysmes de la contrition la plus profonde, d’anéantissement du sentiment d’eux-mêmes ; des périodes de doute sur leur dignité pour remplir la mission divine, des périodes où ils ont la conviction d’être de misérables pécheurs, d’avoir besoin de se purifier et de faire pénitence, périodes pendant lesquelles ils refusent la nourriture, s’imposent le silence, pratiquent le plus grand ascétisme jusqu’à se mutiler eux-mêmes et, par suite de l’angoisse précordiale et de visions diaboliques, se croient même menacés par Satan. Ordinairement ces attaques démonomaniaques passent bien vite et l’ascétisme continu ainsi que la concentration religieuse produisent bientôt de nouveau des visions célestes.

La suite de la marche de la maladie est uniforme pour tous les cas. Comme ces individus ne peuvent pas se maintenir dans la société, on a souvent l’occasion d’étudier dans les asiles les terminaisons de la maladie. Dans les cas favorables on peut par l’isolement dans un asile et en ayant soin d’éloigner tous les objets du culte et les occasions de pratiques religieuses, atténuer l’exaltation religieuse, rendre plus sobre le malade et arriver à ce que par la cessation des hallucinations le trouble revienne à son ancien degré d’excentricité religieuse. La prédisposition à une explosion nouvelle de la maladie par suite de causes accidentelles somatiques et psychiques n’en continue pas moins à subsister. Si ces malades sont internés dans un asile et que leur idée délirante ne s’efface pas, la maison de santé avec la privation de la liberté leur apparaît bientôt comme un lieu de martyr, une station d’épreuves, etc. ; ils se plaisent dans ce rôle de martyr noble et paresseux où ils se consolent soit par l’idée de leur prochaine mission messianique, idée entretenue par les hallucinations, soit par la conviction que leur temps n’est pas encore venu, etc.

Au commencement ces malades troublent par-ci par-là la tranquillité des autres en voulant faire du prosélytisme par des explosions de fanatisme contre l’entourage profane ; plus tard ils deviennent des pensionnaires calmes et quelquefois même laborieux (quand l’idée délirante s’est suffisamment effacée).

Dans leurs paroxysmes dépressifs, quand ils sont en lutte contre les tentations du diable, ou qu’ils pratiquent la pénitence et le jeûne, le refus de nourriture est, un phénomène ordinaire, mais ce refus conduit rarement à la nécessité de gaver le malade par force.

Ces malades sont toujours dangereux pour eux-mêmes par les mutilations qu’ils font sur leur propre corps soit spontanément, soit par suite d’un ordre de Dieu. Parfois même ils tentent de se crucifier. Ils sont dangereux pour les autres à cause de leurs actes de fanatisme, exécution des ordres reçus de Dieu, interprétations incomprises et insensées de passages de la Bible.

La terminaison de la paranoïa religieuse est la débilité psychique dans laquelle l’idée délirante n’existe plus pour le malade qu’à l’état de phrase et n’est plus réveillée et soutenue ni par les hallucinations ni par les sensations extatiques.

La terminaison par idiotie complète et apathique ne se rencontre pas dans cette variété de paranoïa.

OBSERVATION XLI. Paranoïa religieuse. — Ehmann, quarante-deux ans, paysan, a été amené le 5 juin 1874 à l’asile « pour cause de folie religieuse ». On dit qu’il n’a pas de prédispositions héréditaires, qu’il a toujours été sain de corps et d’esprit, sobre, mais il passait pour être querelleur et chicaneur. Il était en outre soupçonné d’avoir fait une fois un faux serment en justice.

À l’automne 1873, il y avait des offices de mission dans son village, services religieux que le malade fréquentait assidûment. Il fit une confession générale et, à ce qu’on dit une pénitence très sévère lui fut infligée. À partir de ce moment il changea, ne travaillant plus, passant ses journées à l’église ; il prit un ton onctueux, prétendait être destiné à quelque chose d’élevé, laissa pousser sa barbe et ses cheveux, car son corps est sain et rien ne doit en être coupé. Un jour qu’il faisait sa prière à l’église, des fleurs artificielles tombèrent d’une bougie. Il les prit, les mit à sa boutonnière, déclara que c’était un cadeau de fiancée qui lui était tombé du ciel ; car il est le fiancé de la mère de Dieu et destiné à gouverner prochainement le monde, puisque le vieux Père éternel n’est plus bon à rien. Sa femme et ses enfants sont l’unique obstacle qui l’empêche de se marier immédiatement avec Notre-Dame, la Mère de Dieu, mais il exterminera ces gens inutiles aussitôt qu’il sera arrivé au pouvoir.

Après un autre office religieux de mission qui avait eu lieu le 10 mai 1874, le malade devint encore plus bizarre. Il ne s’habillait plus qu’avec ses vêtements de fête, ornés de fleurs tombées du ciel, avait une démarche et une attitude posées et empreintes de dignité, prétendait ne faire que ce qui lui était commandé d’en haut.

Il ne lui est plus permis de travailler, car le missionnaire a dit qu’il a une vocation plus élevée ; le bon Dieu se chargera de sa femme et de ses enfants.

À l’asile, le malade se plaît dans une fainéantise seigneuriale. Il se tient à l’écart des autres malades, se délecte dans le sentiment de sa mission sublime, mais sur laquelle il ne révèle pas beaucoup. On le surprend souvent dans une embrasure de fenêtre la figure en extase. La nuit le malade dort peu ; il a évidemment des hallucinations.

Le 6 janvier 1875, il sort de son attitude réservée. Il se déclare tout-puissant et ajoute que depuis un mois il a connaissance de sa toute-puissance. II voit tous les jours le Jugement divin et Notre-Dame la Sainte Vierge. Elle est agenouillée et vêtue d’une robe rouge. Dieu le père est à côté d’elle, coiffé d’un bonnet rouge. Le ciel est bleu, très beau et plein d’autels. Il n’a jamais parlé avec les seigneurs célestes, c’est vrai, mais le missionnaire lui a dit, à l’occasion de sa confession générale, qu’il est le fils de Dieu et qu’un jour il sera plus que Dieu. Pour le moment ceci est encore un secret. Il avait alors transpiré du sang. L’église à E… a été réservée pour lui. À l’heure qu’il est il ne pourrait encore opérer aucun miracle, puisque c’est le vieux Dieu le père qui dure encore. Le Christ n’est autre que saint Jean, mais c’est lui (le malade) qui est le fils de Marie, lui le véritable fils de Dieu. Il ne mourra jamais, mais il fera avec son corps son ascension au ciel où il occupera la fonction de Dieu et sera assis à droite de Dieu le père.

Près de l’image de la Madone, une canne et une bague sont tombées du ciel ; à l’église c’étaient des fleurs. La canne est la verge du châtiment qu’il doit manier, les fleurs sont les signes du vieux Dieu qui est maintenant destitué et dont il prendra prochainement la place. Un vieux parapluie avait été (il le croyait sérieusement) jeté du ciel ; il venait de l’inventaire du bon Dieu. Il déclare Marie sa femme céleste et il doit rester sur la terre jusqu’à ce que sa femme terrestre meure, laquelle d’ailleurs il ne lui est plus permis de fréquenter.

Ses actes et son attitude sont tout à fait inspirés d’en haut. Sa mission est de visiter l’église. Il n’a pas d’autres travaux à faire, puisqu’il est tout-puissant. Il prend l’asile des aliénés pour la maison du bon Dieu.

Le malade se plaît dans sa position noble, pieuse et contemplative et repousse poliment mais avec fermeté tous les efforts pour l’amener à une occupation utile. Étant d’une nature inoffensive on le confia à l’assistance de sa commune. Deux ans plus tard j’eus l’occasion de le voir en passant. Il était tranquillement couché dans son lit, attendant le moment où il pourrait débuter dans sa mission divine. Il gardait chez lui comme phénomènes très intéressants une anesthésie complète et une analgésie du corps à l’exception de la muqueuse de la langue et d’un point de l’occiput. Il ne sentait pas les plus fortes excitations électriques. Quand il avait les yeux bandés, il ne s’apercevait pas même des changements de position qu’on avait donné à ses extrémités, tandis qu’il était capable d’exécuter promptement et sans aucune ataxie tous les mouvements qu’on lui commandait.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’exposé de Richard von Krafft-Ebing, « Paranoïa religieuse », Traité clinique de psychiatrie, traduit sur la 5e édition allemande par le Dr Émile Laurent, Éd. A. Maloine, Paris, 1897, pp. 480-484.

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