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Richard von Krafft-Ebing

Paranoïa sexuelle masturbatoire

Traité clinique de psychiatrie (1897)

Date de mise en ligne : mardi 4 mars 2008

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Richard von Krafft-Ebing, « Paranoïa sexuelle masturbatoire », Traité clinique de psychiatrie, traduit sur la 5e édition allemande par le Dr Émile Laurent, Éd. A. Maloine, Paris, 1897, pp. 551-555.

Paranoïa sexuelle masturbatoire.

Le stade d’incubation est représenté par les symptômes d’une neurasthénie sexuelle qui a tendance à devenir une neurasthénie générale. Les conceptions nosophobiques roulent sur l’imminence du tabes, de l’aliénation mentale, du ramollissement cérébral. Les traits caractéristiques de la maladie sont le délire de persécution physique, les hallucinations olfactives, les accès d’angoisse.

Le début de la paranoïa masturbatoire reste dans la plupart des cas inaperçu. L’incertitude psychique dans les relations sociales qui est particulière aux masturbateurs, le sentiment pénible que tout le monde lit sur leur figure leur vice secret, favorisent beaucoup l’explosion de la maladie. Le malade se sent et se croit réellement observé, souvent même regardé de travers et persécuté. Tout est mis en corrélation avec sa personne : les discours et les gestes des gens, même les journaux et les affiches contiennent de méchantes attaques et des offenses. Par là, l’embarras psychique et la méfiance vont croissant. Des hallucinations auditives et visuelles fournissent de nouveaux éléments au délire naissant ; souvent les hallucinations olfactives de puanteur qui se produisent dès le début sont utilisées : le malade a peur, tout le monde le croit atteint d’une vilaine maladie, et c’est de cette manière qu’il motive la prétendue attitude des gens qui l’évitent ou qui font des gestes de dégoût, etc.

Après une incubation durant des mois et même des années, l’acmé de la maladie est atteint progressivement ou subitement. Ce sont essentiellement des voix, des paroles de persécution qui l’amènent. Le malade entend dire : c’est un mauvais sujet, on devrait débarrasser le monde d’un pareil individu ; une société a ourdi un complot pour amener sa perte. Le délire de persécution trouve de nombreux éléments dans les malaises neurasthéniques du malade. Les phénomènes dyspeptiques après le repas sont interprétés comme des tentatives d’empoisonnement ; les sentiments d’entrave intellectuelle se présentent comme des tentatives pour le priver de sa raison, l’amener à être interné dans une maison d’aliénés ; les sensations d’abasourdissement, la pression à la tête due à une cause vaso-motrice, ont la même signification ou sont, conjointement avec les hallucinations olfactives (chloroforme, acide prussique, etc.), la conséquence des attentats.

On a voulu le rendre inanimé pour le voler, pour fouiller dans ses effets, pour y glisser des pièces compromettantes, etc.

Une importance particulière revient aux sensations nèvralgico-paralgiques, comme phénomènes excentriques de la surexcitation fonctionnelle des nerfs dorsaux à la suite de l’onanisme. Avec le temps l’hyperesthésie s’étend aussi au domaine des fonctions sensitives et sensorielles. Chaque sensation éveille alors des conceptions délirantes qui correspondent à cette sensation, chaque idée provoque des sensations correspondantes.

Les organes des sens hyperesthésiés produisent des hallucinations à la moindre excitation. Une foule d’anomalies de sensation dans les domaines de la perception générale, des sensations cutanées et musculaires s’offrent à l’interprétation alogique du malade. Les sentiments de pesanteur, d’engourdissement, de légèreté jusqu’à pouvoir s’élever en l’air, de creux des organes, de lourdeur comme du plomb, de séparation du corps et de l’âme, de courant magnétique, se manifestent, mettent en mouvement les réflexes moteurs qui vont jusqu’aux phénomènes spasmodiques locaux et généraux (catatonie), et demandent des explications à la conscience du malade.

Avec, une uniformité surprenante les malades appartenant aux classes instruites expliquent ces anomalies de sensation par l’influence de leurs ennemis, à l’aide de mystérieuses machines magnétiques et électriques ; les malades incultes y voient une persécution au moyen de la sympathie, de la sorcellerie ; ils croient qu’on a soufflé sur eux des vapeurs méphitiques, qu’on leur a jeté du poison, etc.

Souvent des névroses locales des parties génitales (testicule irritable, névralgie spermatique, hyperesthésie de l’urètre) sont interprétées dans ce sens. Les ennemis font de la masturbation avec le malade, lui donnent des pollutions, tiraillent ou piquent ses testicules, etc.

La maladie oscille entre des remissions et des exacerbations. Ces dernières coïncident ordinairement avec de nouveaux excès de masturbation et sont souvent accompagnées d’hallucinations accumulées, de sensations, d’une augmentation de l’excitabilité réflexe spinale allant jusqu’aux accès tonico-cloniques, cataleptiformes, épileptoïdes. La suite de la marche est la même que dans les autres formes de la paranoïa acquise typique.

Souvent il y a transformation en délire des grandeurs. Les états de faiblesse psychique se produisent beaucoup plus tôt et sont plus intenses sur la base masturbatoire que dans les autres variétés étiologiques de la vésanie. Thérapeutiquement les phénomènes de la neurasthénie et de l’irritation spinale sont accessibles au traitement tonique (hydro-électrothérapie, etc.). La morphine et les sels de brome atténuent les hyperesthésies, les paralgies, les hallucinations et ne sont pas sans valeur symptomatique.

OBSERVATION LVII. Paranoïa masturbaloire. — D…, ingénieur, trente-huit ans, célibataire, né de parents tuberculeux. Une soeur est névropathe, une autre aliénée. Le malade fut dès sa jeunesse onaniste ; néanmoins, jusqu’à l’âge de trente-six ans il se porta bien et était très capable dans son métier. Alors il commença à devenir malade : il maigrit, eut un catarrhe pulmonaire suspect, des malaises neurasthéniques. Une cure climatérique améliora beaucoup son état. Bientôt après il reprit ses travaux professionnels ; des malaises neurasthéniques se présentèrent nombreux ; il s’y ajouta de la névralgie des testicules et une maladie de l’estomac avec vomissements sérieux. Le malade est pris d’une tristesse hypocondriaque profonde, il se croit impuissant, il se fait des reproches à cause de son onanisme, désespère de sa guérison, fuit le monde et devient irascible.

Au cours du développement de la maladie, des sensations se produisent en foule. Il se sent un feu électrique dans le corps ; un courant part de son pied gauche ; son lit s’isole ; il sent son corps se scinder en deux moitiés ; s’il descend de voiture, il a la sensation qu’il laisse derrière lui son corps à l’état aérien. En même temps pression à la tête, susurrement dans la tète, insomnie durable. Un jour il entend une voix dire : « Je t’ai rendu électrique positif et négatif. » Étant en voyage pour son service, il éprouva tout d’un coup la sensation que la nourriture qu’il prenait glissait de sa bouche dans son pied gauche. Il entendit la nuit une voix disant : « De quelle, façon veux-tu mourir ? » et il crut que sa dernière heure était venue. Ses parents décédés et son médecin lui apparaissent. Une autre fois, au moment de se mettre au lit, il voit de nombreuses figures qui lui sont tout à fait inconnues et sur lesquelles s’épand une lueur rougeâtre.

Il entend des voix impératives qui lui disent qu’il doit se confesser, prendre du musc dans la pharmacie. Étant couché sur un canapé, il entend crier que c’est une table à dissection, dans la rue on l’insulte en l’appelant hypocrite, menteur, etc. La nuit, étant au lit, il a souvent la sensation que ses pieds et ses mains brûlent et qu’on lui retire son pénis du corps. Il sent qu’on lui dissèque le corps, qu’on en retire les tissus, qu’on introduit des objets dans différentes parties de son corps, qu’on enlève des os. Il se sent magnétisé, sa tête étant de métal.

L’agitation croissante par suite de ces hallucinations nombreuses et pénibles a imposé la nécessité d’interner le malade dans un asile, alors que la maladie avait déjà duré deux ans. Le trouble continue à progresser. Il est magnétisé, électrisé ; il n’a plus de boyaux, les médecins lui font des passes électriques sur le ventre ; il sent une trompe d’éléphant sur son dos ; son manger descend dans ses testicules ; une scie spirale scie son corps ; on lui fait une perforation à l’ombilic ; des objets pointus s’enfoncent de tous les côtés dans son corps ; le lit oscille ; des machines et des couteaux lui sont enfoncés dans le corps ; il a une quantité d’hameçons de fer dans le corps, des dents y sont enfoncées.

En même temps le malade est sujet à une foule d’hallucinations auditives. Devant la fenêtre on imite le chant du coq ; il entend dire qu’il est inguérissable, qu’il sera disséqué, que c’est lui le Juif-Errant, qu’il a tué d’un coup de fusil la femme du médecin. Les cloches lui parlent, les mouches aussi ; on lui dit ses propres pensées, des obscénités, on l’appelle chien sanguinaire ; dans chaque coup de cloche il entend son nom. À ses mots on accroche la syllabe finale Vieh (bête) ; il reçoit l’ordre de souffleter les gens de son entourage. La pendule lui crie : « Tu es en banqueroute. » Partout il entend des injures, il lui en vient même du soleil. Des influences télégraphiques sont évidemment en jeu. Il entend tomber des excréments humains du plafond.

Des hallucinations de la vue aussi se produisent au cours de la maladie. Il voit tout dans son esprit, même l’intérieur de son corps. Il voit son nom flotter dans l’air. Tout dans la chambre est transparent. Il voit devant ses yeux les papillons d’une collection entomologique prendre leur vol et partir ; quand il essaie de lire, les lettres se sauvent devant lui à travers la fenêtre. Souvent ses visions ont aussi un caractère obscène : des parties génitales volent et planent dans l’air à travers la chambre : il voit des tableaux lascifs sur les murs. Dans une tasse de café il voit un jour une belle femme qui lui sourit.

Les hallucinations du goût et de l’odorat ne jouent chez lui qu’un rôle secondaire. Parfois il a un goût métallique dans la bouche, surtout quand il sent sur son corps des courants magnétiques. La nourriture aussi a parfois un goût de poison ; il sent des cadavres d’exécutés.

Le malade se masturbe continuellement et d’une manière excessive. Après les excès d’onanisme accumulés, son excitabilité sensorielle est si forte que rien qu’en ouvrant la paupière il a déjà des visions. Un jour, on frappe la poussière d’un veston dans la cour. Il sent immédiatement qu’en battant ce vêtement on pense à lui et aussitôt il sent les coups qui viennent de la cour monter à lui et lui faire du mal. À certains moments, quand il pousse ses excès trop loin, les troubles de la perception générale sur lesquels est basée la monomanie électromagnétique, occupent le premier plan. Il sent alors l’attraction et la répulsion de l’électricité positive et négative, comment on le touche avec des fils de fer magnétiques. C’est à travers lui qu’on lit. Il a la sensation qu’on lui tranche le pénis avec un couteau. Ses poumons, son cerveau, sa mémoire lui sont enlevés par voie télégraphique par l’administration de l’asile qui les revend à d’autres personnes. Ces sensations et perceptions morbides sont en partie attribuées aux gens de l’entourage, ce qui pousse le malade à faire des agressions violentes contré ces derniers ; parfois elles sont acceptées par lui sans provoquer aucune réflexion. Avec le temps l’intensité de la réaction à ces sensations diminue et ces dernières deviennent plus rares. La durée totale de la maladie cérébrale qui a essentiellement évolué sous forme d’hallucination a duré plus de douze ans. Le malade, qui jusqu’à la fin de sa vie fut très adonné à la masturbation a succombé à une tuberculose pulmonaire.

OBSERVATION LVIII. Paranoïa à base de neurasthénique sexuelle à la ménopause. — Mme Weinmeier, cinquante ans, reçue le 8 septembre 1880, d’ascendance inconnue, de tout temps névropathe, irritable, difficile à vivre, originale, depuis dix-sept ans séparée de son mari ; à l’époque menstruelle, toujours déprimée et atteinte de migraine ; mère de quatre enfants ; est entrée dans la ménopause l’été de 1879 (règles profuses et irrégulières, fréquemment sang à la tête, irritabilité accentuée, accès de migraine fréquents, tiraillement gênants dans la colonne vertébrale, dans les jambes, chair de poule sur le corps). Au cours de l’hiver 1870-80, elle se plaignit de pressions à la tête, d’irritation spinale ; elle se sentait souvent oppressée, inquiète, n’aimait pas sortir de son logement. Au mois de février 1880, elle devint méfiante, se sentait observée, croyait que la police la faisait suivre, elle avait conçu le soupçon que son fils qui voulait conclure un mariage qu’elle ne trouvait pas convenable, cherchait avec son amante à attenter à ses jours. Des malaises dyspeptique (pression à la tête et mal de tête après les repas) ont été interprétés par elle comme les suites d’une tentative d’empoisonnement. Elle croyait sentir le poison. Elle en devint toute faible et exténuée, fut prise de fièvre. La langue était comme enduite de blanc de céruse. Dans son eau minérale on lui mettait du calomel, car régulièrement elle attrapait la diarrhée et du météorisme. Comme elle ne se sentait pas en sûreté, elle quitta Gratz, alla habiter Vienne, ensuite Salzbourg, mais nulle part elle ne put retrouver sa tranquillité. Partout où elle allait, elle était l’objet d’une surveillance et d’une observation. Partout où elle apparaissait, on ouvrait les fenêtres des petits cabinets, de sorte qu’elle ne pouvait plus se tenir à cause de l’odeur des water-closets dans la rue. À l’occasion elle éprouvait aussi une odeur de cannelle suffocante. Avec de l’eau contenant de l’acide sulfhydrique on lui a fait gonfler le ventre ; les plats ont été empoisonnés avec de l’arsenic.

À plusieurs reprises on lui a fait une excitation dans les parties génitales, comme si on voulait faire le coït.

Comme dans les derniers temps la malade devenait menaçante et hostile pour son entourage, elle fut amenée pour être reçue à l’asile. Habitus névropathique ; la partie gauche de la figure est moins développée que la partie droite. Oreilles d’une grandeur anormale. Vertèbres dorsales sensibles à la pression. Organes végétatifs sains. L’examen de l’utérus est refusé.

La malade est toujours méfiante et irritée. Elle ne veut pas rester au lit, car le lit de fer et le tableau de son chevet lui sont suspects ; ils conduisent de l’électricité, et lui causent des maux de tête et du vertige. Elle se croit constamment travaillée par le spiritisme et l’électricité ; elle rédige de nombreuses protestations contre son internement et des pétitions au tribunal pour être remise en liberté. Ses ennemis (son fils et son amante) ont corrompu le professeur de physique. Avec des verres ardents et des machines celui-ci agit constamment sur elle. Elle est médium pour toute la ville de Gratz. On la scrute à l’aide d’un tube. Elle le sent à ses deux oreilles. Dans le cerveau on lui cause un tourbillon, et alors ses pensées sont divulguées à tout le monde. On lui serre la tête avec une vis ; on presse le cours du sang. On lui excite les nerfs de la tête de sorte qu’elle est forcée de pencher la tête en arrière. Cela se fait en partie avec un miroir concave qui produit l’effet du magnétisme à distance, en partie avec une cloche de verre invisible et suspendue au-dessus le sa tête. À l’exception de la vessie elle n’a aucun point dans son corps qui soit à l’abri des effets distance du spiritisme.

Le vertex est le siège de sensations de brûlure et de tourbillonnements, on la perfore entre les deux sourcils, on lui suce les oreilles, on lui presse l’occiput. Les tempes sont prises dans, un étau, on aspire le sang de ses joues, ses paupières sont tuées par les nerfs vers le front. Sur la langue on agit par des poisons, sur le nez par des odeurs désagréables. La respiration est entravée par des sensations d’oppression et de serrement sur la poitrine ; les battements du coeur sont irréguliers. Pas de selles ou diarrhée. Les persécutions entretiennent la malade dans une agitation permanente. Elle refuse les médicaments calmants, déclarant que ce sont des poisons. Comme l’état restait stationnaire et que la malade se montrait inaccessible à tout traitement, elle fut envoyée dans une maison d’aliénés.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’exposé de Richard von Krafft-Ebing, « Paranoïa sexuelle masturbatoire », Traité clinique de psychiatrie, traduit sur la 5e édition allemande par le Dr Émile Laurent, Éd. A. Maloine, Paris, 1897, pp. 551-555.

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