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Richard von Krafft-Ebing

Exhibitionnistes, fricatores, souilleurs de statues

Psychopathia Sexualis : V. — La vie sexuelle morbide devant les tribunaux

Date de mise en ligne : dimanche 28 novembre 2010

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Richard von Krafft-Ebing, Études médico-légales : Psychopathia Sexualis. Avec recherche spéciales sur l’inversion sexuelle, Traduit sur la 8e édition allemande par Émile Laurent et Sigismond Csapo, Éd. Georges Carré, Paris, 1895.

Dangers des délits sexuels pour le salut public. — Augmentation du nombre de ces délits. — Causes probables. — Recherches cliniques. — Les juristes en tiennent peu de compte. — Points d’appui pour juger les délits sexuels. — Conditions de l’irresponsabilité. — Indications pour comprendre la signification psycho-pathologique des délits sexuels. — Les délits sexuels. — Exhibitionnistes ; fricatores ; souilleurs de statues. — Viol ; assassinat par volupté. — Coups et blessures, dégâts, mauvais traitements sur des animaux par sadisme. — Masochisme et servitude sexuelle. — Coups et blessures ; vol par fétichisme. — Débauche avec des enfants au-dessous de quatorze ans. — Prostitution. — Débauche contre nature. — Souillure d’animaux. — Débauche avec des personnes du même sexe. — Pédérastie. — La pédérastie examinée au point de vue de l’inversion sexuelle. — Différence entre la pédérastie morbide et non morbide. — Appréciation judiciaire de l’inversion sexuelle congénitale et de l’inversion acquise. — Mémoire d’un uraniste. — Raisons pour mettre hors des poursuites judiciaires les faits d’amour homosexuel. — Origine de ce vice. — Vie sociale des pédérastes. — Un bal de mysogines à Berlin. — Forme de l’instinct sexuel dans les diverses catégories de l’inversion sexuelle. — Pædicatio mulierum. — L’amour lesbien. — Nécrophilie. — Inceste. — Actes immoraux avec des pupilles.

1. OUTRAGES AUX MŒURS PAR EXHIBITIONNISME

(Autriche, art. 516 ; Projet de loi, art. 195 ; Code allemand, art. 183.)

La pudeur est dans la vie civilisée de l’homme moderne un trait de caractère et un principe tellement enracinés par l’éducation des siècles qu’il faut bien supposer de prime abord l’existence d’un état psycho-pathologique chez ceux qui outragent grossièrement la décence publique.

On supposera, avec juste raison, qu’un individu qui blesse d’une telle façon le sentiment moral des hommes et en même temps sa propre dignité, n’a jamais pu acquérir de principes moraux (idiots), ou les a perdus (faiblesse mentale acquise), ou qu’il a agi dans un moment de trouble de sa conscience (folie transitoire, troubles de l’esprit).

Un acte très singulier et qui rentre dans cette catégorie est l’exhibitionnisme.

Les cas observés jusqu’ici nous montrent que ce sont exclusivement des hommes qui découvrent avec ostentation leurs parties génitales devant des personnes de l’autre sexe, et qui ont éventuellement poursuivi ces dernières, mais sans devenir agressifs.

La forme puérile de cet acte sexuel ou plutôt de cette manifestation sexuelle indique une idiotie intellectuelle ou morale, ou du moins une entrave temporaire aux fonctions intellectuelles et éthiques, en même temps que le libido reçoit une excitation due à un trouble considérable de la conscience (inconscience morbide, trouble des sens) ; elle met en doute aussi la puissance de ces individus. Il y a donc diverses catégories d’exhibitionnistes.

La première comprend les individus atteints de faiblesse mentale acquise, chez lesquels la conscience a été troublée par une maladie du cerveau ou de la moelle épinière ; les fonctions éthiques et intellectuelles ont été lésées et ne peuvent former aucun contre-poids contre le libido qui a toujours été puissant ou qui a été excité par la maladie ; de plus, ces individus sont impuissants et ne peuvent plus manifester leur impulsion sexuelle par des actes violents (éventuellement le viol) mais seulement par des actes puérils.

C’est dans cette catégorie que rentrent la plupart des cas rapportés [1].

Il s’agit d’individus tombés dans la dementia senilis, dans l’idiotie paralytique, ou qui, par abus de l’alcool, par suite d’épilepsie, etc., sont devenus malades au point de vue intellectuel.

Observation 165. — Z…, fonctionnaire supérieur, soixante ans, veuf, père de famille, a provoqué un scandale parce que pendant une période de quinze jours, à plusieurs reprises, genitalia sua de fenestra ostendit à une fille qui habitait en face de lui. Plusieurs mois après, cet homme a répété dans des circonstances analogues son acte inconvenant. Dans l’interrogatoire il reconnaît lui-même le caractère abominable de son procédé, mais il ne peut en donner aucune explication. Une année après, il est mort d’une affection cérébrale. (Lasègue, op. cit.)

Observation 166. — Z…, soixante-dix-huit ans, marin, a plusieurs fois exhibitionné dans des préaux où jouent les enfants ou dans la proximité des écoles de filles. C’était son seul procédé d’activité sexuelle. Z…, marié, père de dix enfants, a eu, il y a douze ans, à la tête, une grave blessure dont il porte encore une cicatrice osseuse très profonde. Une pression sur cette cicatrice lui cause de la douleur, en même temps que la figure devient rouge et qu’il a l’air comme pétrifié. Le malade paraît somnolent ; il a souvent des convulsions dans l’extrémité supérieure à droite (évidemment des états épileptoïdes en connexité avec une maladie de l’écorce cérébrale). Du reste, constatation d’une démence sénile et d’un senium très avancé. On ne sait pas si les exhibitions ont coïncidé avec des accès épileptoïdes. Preuve d’une dementia senilis. Acquittement. (Dr Schuchardt, op. cit.)

Pelanda (op. cit.) m’a communiqué une série de cas qui rentrent dans cette catégorie.

1. Paralytique, soixante ans. À l’âge de cinquante-huit ans, il a commencé à exhibitionner devant des femmes et des enfants. Il a gardé à l’asile d’aliénés (Verona) pendant longtemps encore son caractère lascif et a essayé aussi de la fellatio.

2. Vieux potator, soixante-six ans, très taré, atteint de folie circulaire. Son exhibitionnisme a été remarqué pour la première fois à l’église, pendant l’office. Son frère aussi était exhibitionniste.

3. Homme de quarante-neuf ans, taré, potator, de tout temps très excitable sexuellement, interné à l’asile pour alcoolisme chronique, exhibe toutes les fois qu’il aperçoit un être féminin.

4. Homme de soixante-quatre ans, marié, père de quatorze enfants. Chargé de lourdes tares. Rachitique, crâne microcéphale. Est exhibitionniste depuis des années, malgré les condamnations réitérées qu’il s’est attirées.

Observation 167. — X…, négociant, né en 1833, célibataire, a exhibitionné devant des enfants à plusieurs reprises : parfois il urinait devant eux ; une fois, pendant qu’il se trouvait dans cette situation, il a embrassé une petite fille. Il y a vingt ans, X… a eu une grave maladie mentale qui a duré deux ans et pendant laquelle il aurait eu une attaque d’apoplexie.

Plus tard, ayant perdu sa fortune, il se livra à la boisson et, dans les dernières années, il semblait souvent avoir des absences d’esprit.

Le status præsens a amené la constatation d’alcoolisme, de senium præcox, de faiblesse mentale. Penis petit, phimosis, testicules atrophiés. Preuves de maladie mentale. Acquittement. (Dr Schuchardt, op. cit.)

Ces cas d’exhibitionnisme rappellent l’habitude des jeunes gens plus ou moins âgés et en excitation sexuelle, habitude qui se retrouve aussi chez certains adultes cyniques d’une moralité très abaissée, qui s’amusent à salir les murs des lieux d’aisance publics de dessins de parties génitales masculines et féminines. C’est une sorte d’exhibitionnisme idéal mais qui est encore très loin de l’exhibitionnisme réel.

Les épileptiques forment une autre catégorie d’exhibitionnistes.

Cette catégorie se distingue de la précédente par le fait essentiel qu’il y a absence de mobile conscient pour l’exhibition. Celle-ci semble plutôt un acte impulsif dont l’exécution s’impose à l’individu sans égards pour les circonstances extérieures, par suite d’une contrainte morbide et organique.

Il y a toujours tempore delicti une obnubilation de l’esprit. Cela explique aussi pourquoi le malheureux, sans avoir conscience de la portée de son acte, dans tous les cas sans cynisme, commet sous l’influence d’une obsession aveugle un acte qu’il regrette et abhorre quand il a repris ses sens, à moins qu’il ne soit déjà arrivé à un état permanent de faiblesse mentale.

Dans cet état d’esprit embrouillé, primum movens est, comme dans les autres actes impulsifs, un sentiment d’oppression anxieuse. S’il s’y joint un sentiment sexuel, l’idée obsédante reçoit une ligne de direction déterminée dans le sens d’un acte correspondant (sexuel).

On trouvera ailleurs l’explication du fait que, chez les épileptiques, ce sont précisément les représentations sexuelles qui surgissent avec une facilité particulière tempore insultus.

Si une pareille association d’idées s’est faite et que, dans un accès, un acte déterminé ait lieu, cette association se reproduit dans tous les accès suivants avec d’autant plus de facilité qu’il s’est formé, pour ainsi dire, un sentier battu dans la voie de la motivation.

L’état d’angoisse pendant que la conscience est voilée, fait paraître l’impulsion sexuelle associée, comme un ordre, une contrainte intérieure, qui est exécutée impulsivement et avec une suppression absolue du libre arbitre.

Observation 168. — K…, fonctionnaire subalterne, vingt-neuf ans, de famille névropathique, vivant heureux en ménage, père d’un enfant, a plusieurs fois, au crépuscule, exhibitionné devant des bonnes. Il est grand, svelte, pâle, nerveux, précipité dans ses allures. Il n’a qu’un souvenir sommaire de ses délits. Depuis son enfance, il a eu de fréquents états congestifs, avec rougeur vive à la figure, pouls accéléré et tendu, regard fixe et comme dénotant une absence d’esprit. Par ci, par là, il y avait dans ces accès, abolition des sens et vertige. Dans cet état exceptionnel (épileptique), K… ne répondait que lorsqu’on avait crié plusieurs fois ; alors il revenait à lui, comme s’il sortait d’un rêve. K… prétend que, pendant les quelques heures qui précédaient les actes incriminés, il se sentait toujours excité et inquiet, qu’il éprouvait une angoisse avec oppression et fluxion vers la tête. Arrivé au summum de cet état, il sortait sans but de la maison et exhibait quelque part ses parties génitales. Rentré à la maison, il n’avait gardé de ces incidents que comme un souvenir de rêve : il se sentait très fatigué et très déprimé. Il est aussi à remarquer que, pendant l’exhibition, il allumait des allumettes pour éclairer ses parties génitales. L’avis des médecins légistes concluait que les actes incriminés s’étaient produits sous l’action d’une contrainte due à l’état épileptique. Toutefois il fut condamné, avec admission de circonstances atténuantes. (Dr Schuchardt, op. cit.)

Observation 169. — L…, trente-neuf ans, célibataire, tailleur, né d’un père qui probablement était adonné à la boisson, avait deux frères épileptiques et un qui était aliéné. Lui-même présente des crises épileptiques plus légères ; il a de temps en temps l’esprit voilé ; dans cet état il erre sans but et ne sait plus après où il a été. Il passait pour un homme convenable ; il est maintenant accusé d’avoir dans une maison étrangère exhibé quatre à six fois ses parties génitales et joué avec. Le souvenir de ces actes était très vague chez lui.

L… avait déjà subi une grave condamnation pour avoir déserté plusieurs fois pendant qu’il était au régiment (probablement ces désertions ont eu lieu dans un état de trouble épileptique) ; en prison, il fut atteint d’une maladie mentale et on le transporta pour cause de « folie épileptique » à la Charité, d’où il fut plus tard renvoyé comme guéri. En ce qui concerne les actes incriminés, il faut exclure l’idée de cynisme ou d’exubérance. Il est probable qu’ils ont été commis dans un état d’obnubilation intellectuelle, ce qui ressort entre autres du fait que cet homme paraissait étrange au point de vue psychique, même aux agents qui l’arrêtaient, et qui l’appelaient l’idiot. (Liman, Vierteljahrsschr. f. ger. Med., N. F., XXXVIII, fascicule 2.)

Observation 170. — L…, trente-sept ans, s’est rendu coupable d’avoir, du 15 octobre jusqu’au 2 novembre 1889, fait un grand nombre d’exhibitions devant des filles ; il avait commis ces actes en plein jour, dans la rue, et même dans des écoles où il pénétrait. À l’occasion il arrivait qu’il demandait aux filles la masturbation ou le coït, et comme cela lui était refusé, il se masturbait devant elles. À G…, se trouvant dans un cabaret, il frappa avec son pénis, mis à nu, sur les vitres, de sorte que les servantes et les enfants qui étaient dans la cuisine le virent.

Après son arrestation, on constata que, depuis 1870, L… avait déjà nombre de fois provoqué du scandale par ses exhibitions, mais qu’il avait toujours échappé à une condamnation, grâce aux preuves d’une maladie mentale établies par les médecins. En revanche, il avait subi, pendant son service militaire, des condamnations pour désertion et vol, et une fois, comme civil, pour vol de cigares. À plusieurs reprises il a été interné dans un asile d’aliénés pour maladie mentale (accès de folie). Du reste il s’était fait remarquer par son caractère changeant et querelleur, par son excitation périodique et son inconstance.

Le frère de L… est mort paralysé. Lui-même ne présente aucun stigmate de dégénérescence ni d’antécédents épileptiques. Pendant la période d’observation il n’est ni malade d’esprit, ni mentalement affaibli.

Il se comporte d’une manière très décente et exprime une profonde horreur pour ses délits sexuels.

Il les explique de la façon suivante. D’habitude il n’est pas buveur, et par moments il a pourtant une impulsion à boire. Aussitôt qu’il a commencé à boire, il se produit un afflux de sang à la tête, des vertiges, de l’inquiétude, de l’angoisse, de l’oppression. Alors il tombe dans une sorte d’état de rêve. Un charme irrésistible le contraint à se découvrir, ce qui lui procure du soulagement et de la liberté pour respirer.

Une fois découvert il ne sait plus ce qu’il fait. Comme signes précurseurs de ces accès il a des scintillements devant les yeux et du vertige.

Il n’a qu’un souvenir très vague et semblable à un rêve lointain de sa période d’obnubilation.

Ce n’est qu’avec le temps que des représentations et des impulsions sexuelles se sont associées à ses états d’obnubilation pleins d’angoisse. Déjà, plusieurs années auparavant, en proie à cet état, il avait déserté sans motif et en s’exposant aux plus grands dangers ; une fois il a sauté par une fenêtre du deuxième étage : une autre fois il a quitté une bonne place et est allé sans projet dans un pays voisin où il fut bientôt arrêté pour exhibitionnisme.

Quand par hasard L… s’enivrait, en dehors de sa période de maladie, il n’exhibitionnait jamais. À l’état lucide ses sentiments et ses rapports sexuels sont tout à fait normaux. (Dr Holzen, Friedreichs Blætter, 1890, fascicule 6.) Comme autres cas voir les observations 153, 155.

Un groupe qui, au point de vue clinique, est très voisin de celui des exhibitionnistes épileptiques, est représenté par certains neurasthéniques, chez lesquels il se produit aussi par accès des états d’obnubilation [2] (épileptoïde ?) avec une oppression anxieuse. Les impulsions sexuelles qui s’associent à ces états peuvent amener impulsivement à des actes d’exhibitionnisme.

Observation 171. — Dr S., professeur de lycée, a provoqué un scandale public par le fait qu’il a été vu, à plusieurs reprises, genitalibus denudatis devant des dames et des enfants. S… en convient, mais il nie avoir eu ni l’intention ni la conscience d’avoir provoqué par là un scandale public ; il allègue comme excuse qu’en courant rapidement avec les parties génitales découvertes, il soulage son émotion nerveuse. Son grand-père du côté maternel était hypocondriaque et a fini par le suicide, sa mère était de constitution névropathique, avait du somnambulisme (se promenait pendant son sommeil) et fut passagèrement atteinte d’une dépression mélancolique. L’inculpé est névropathe ; il était somnambule, eut de tout temps une aversion pour les rapports sexuels avec les femmes, pratiqua pendant sa jeunesse l’onanisme. C’est un homme timide, sans énergie, qui s’embarrasse facilement et tombe en confusion ; il est neurasthénique. Il était toujours très excité sexuellement. Il rêvait souvent qu’il courait mentula denudata ou qu’étant en chemise, il était suspendu sur la barre d’une salle de gymnastique, ayant la tête en bas, de sorte que la chemise retombait et que le membre en érection se trouvait découvert. Ces rêves lui donnaient des pollutions, et il était alors calmé pour toute une semaine.

Même quand il est éveillé, il a souvent, comme dans ses rêves, une impulsion à courir, avec son membre découvert. Quand il se met à découvrir son membre, il sent une chaleur ardente ; il court alors à tort et à travers, son membre devient moite, mais il n’arrive pas à la pollution. Enfin il y a relaxatio membri, il le remet dans son pantalon, il recouvre ses sens et est très heureux quand personne n’a vu ce manège. Dans cet état d’excitation il se sent comme en rêve, comme ivre. Il n’a jamais eu, dans ces circonstances, l’intention de provoquer des femmes. S… n’est pas épileptique. Ses assertions sont empreintes d’un cachet de vérité. En effet, se trouvant dans cet état, il n’a jamais poursuivi de femmes, il ne leur a même jamais adressé la parole. La brutalité et la frivolité semblent être absentes dans son cas. De toutes façons les actes de S… sont dus à un sentiment et à une idée morbides et il se trouvait, au moment de les commettre, dans un état de trouble morbide des fonctions mentales. (Liman, Vierteljahrschrift für gerichtl. Med. N. F XXX, VIII, fascicule 2.)

Observation 172. — X…, trente-huit ans, marié, père d’un enfant. De tout temps d’un caractère sombre, taciturne ; souffrant souvent de maux de tête ; gravement neurasthénique, mais pas malade au physique, très tourmenté par des pollutions nocturnes ; a plusieurs fois suivi dans la rue des filles de magasin qu’il avait guettées dans un urinoir ; en les suivant il exhibait ses parties génitales et manipulait son pénis. Dans un cas il avait même poursuivi une fille jusque dans le magasin. (Trochon, Arch. de l’anthropologie criminelle, III, p. 256.)

Dans l’observation suivante l’exhibition n’apparaît que comme un accessoire à côté d’un penchant impulsif à satisfaire par la masturbation un libido violent qui se manifeste subitement.

Observation 173. — R…, cocher, quarante-neuf ans, marié à Vienne depuis 1866, sans enfants, est né d’un père névropathe exalté sexuellement et qui est mort d’une maladie cérébrale. Il ne présente aucun stigmate de dégénérescence.

À l’âge de vingt-cinq ans il a eu une commotio grave à la suite d’une chute d’un lieu élevé. Jusque-là sa vita sexualis était normale. Depuis il tombe tous les trois ou quatre mois dans un état d’excitation sexuelle très pénible, avec une impulsion à la masturbation. Comme signes précurseurs de ces accès, il éprouve un sentiment de grande fatigue et de malaise avec le besoin de prendre des boissons alcooliques. Dans les intervalles il est froid sexuellement, et il n’a eu que rarement le besoin de faire le coït avec sa femme qui, du reste, est depuis cinq ans malade et inapte à la cohabitation.

Il affirme ne s’être jamais masturbé pendant qu’il était jeune homme ; il n’a pas songé davantage, dans les intervalles de ses accès, à ce genre de satisfaction sexuelle.

Pendant la période dangereuse, l’impulsion à la masturbation surgit toujours à la vue de certains charmes féminins, tels que jupon court, beau pied et beaux jarrets, apparition élégante. L’âge n’y fait rien. Des petites filles même peuvent exercer une impression excitante. L’impulsion est subite, irrésistible. R… donne la description des états et des symptômes d’un acte impulsif. Il a souvent essayé de résister, mais alors il se sent brûlé par une chaleur et il a des angoisses terribles ; il sent comme une chaleur d’ébullition qui lui monte à la tête ; il est comme dans un brouillard ; il ne perd pas tout à fait conscience, c’est vrai, mais il est comme hors de ses sens. En même temps il a des douleurs et des lancements violents dans les testicules et dans les cordons spermatiques. Il regrette d’être obligé d’avouer que l’impulsion est plus forte que sa volonté. Dans cette situation il se sent contraint de se masturber, n’importe dans quel endroit où il se trouve. Aussitôt que l’éjaculation s’est produite, il se sent soulagé et il retrouve son empire sur lui-même. C’est une chose terrible et fatale. Son avocat m’apprend que R… a déjà été condamné six fois pour le même délit : exhibition et masturbation sur la voie publique. Toutes les fois il a demandé que l’état mental de son client fût soumis à un examen médical et le tribunal a toujours refusé, alléguant que dans le dossier de la cause on ne trouvait exprimé aucun doute concernant la responsabilité de l’accusé.

Le 4 novembre 1889, R… étant dans sa période dangereuse, se trouvait dans la rue au moment où un groupe de petites filles de l’école passait devant lui. Son impulsion indomptable se réveilla. Il n’eut pas le temps d’aller dans un cabinet d’aisances, il était trop excité. Aussitôt il procéda à l’exhibition, se masturba sous une porte-cochère : immense scandale, arrestation. R… n’est pas idiot ni défectueux éthiquement. Il gémit sur son sort, éprouve une honte profonde de son acte, craint de nouveaux accès, mais considère ses accès comme morbides, comme une fatalité en présence de laquelle il se trouve impuissant.

Il se croit encore sexuellement puissant. Le pénis est d’une grandeur anormale. Existence du réflexe crémastérien ; réflexe patellaire accentué. Depuis quelques années, faiblesse du sphincter vésical. Divers symptômes neurasthéniques.

Le rapport médical a démontré que R… avait agi sous l’influence de conditions morbides et d’une manière impulsive. Pas de condamnation. Le malade a été interné dans une maison de santé d’où il fut relaxé quelques mois plus tard.

Dans l’observation précédente, le point clinique principal n’est pas dans la névrose existante, mais plutôt dans le caractère impulsif de l’acte (exhibition pour la masturbation).

Il est évident qu’en établissant des catégories entre les exhibitionnistes imbéciles, entre ceux qui sont mentalement affaiblis et ceux qui se trouvent sous l’influence d’un trouble névrosique des sens (épileptique ou neurasthénique), le côté médico-légal de ce phénomène n’est pas encore épuisé. On peut ajouter aux groupes précédents un autre groupe dont les représentants sont, par suite de lourdes tares (héréditaires, névrose dégénérative), poussés périodiquement et d’une manière impulsive à l’exhibition.

Dans ces états de psychopathia sexualis periodica l’impulsion à l’exhibition éveillée par hasard, n’est qu’un phénomène partiel d’un ensemble clinique, de même que dans la dipsomania periodica. Magnan, à qui j’emprunte les deux cas instructifs suivants, attribue, avec raison, une grande importance au caractère impulsif et périodique de ces penchants morbides, ainsi qu’au fait que souvent ils sont accompagnés d’une angoisse pénible qui fait place à un sentiment de grand soulagement aussitôt que les désirs sont réalisés.

Ces faits—et, dans une mesure non moins grande, toute l’histoire clinique de la dégénérescence psychique, qu’on peut dans la plupart des cas ramener à des influences héréditaires ou à des conditions qui, dans les premières années de la vie, ont nui au développement du cerveau (Rachitis, etc.),—sont, au point de vue médico-légal, d’une signification décisive.

Observation 174. — G…, vingt-neuf ans, garçon de café, a, en 1888, exhibé sous la porte d’une église en face de plusieurs filles qui travaillaient dans un magasin. Il avoue le fait, et même que plusieurs fois déjà au même endroit et à la même heure, il s’était rendu coupable du même délit, ce qui, l’année passée, lui avait valu une peine d’un mois de prison.

G… a des parents très nerveux. Son père est mal équilibré psychiquement, d’un caractère très emporté. Sa mère est de temps en temps malade psychiquement et atteinte d’une grave maladie de nerfs.

G… eut de tout temps un tic nerveux de la face ; variations continuelles entre une dépression sans motif avec tædium vitæ et des périodes de gaieté. À l’âge de dix ans et de quinze ans, il a voulu se suicider pour des raisons futiles.

Quand il est émotionné, il a des convulsions dans les extrémités. Il présente constamment de l’analgésie générale. En prison il fut tout d’abord hors de lui à cause de la honte et du déshonneur qu’il causait à sa famille ; il s’accusait d’être le plus mauvais des hommes et de mériter la punition la plus grave.

Jusqu’à l’âge de dix-neuf ans, G… s’est satisfait par l’auto-masturbation et la masturbation mutuelle : il a aussi une fois onanisé une fille. À partir de cette époque, employé dans un café, il était à la vue de la clientèle féminine tellement excité qu’il en avait souvent de l’éjaculation. Il souffrait presque continuellement de priapisme et, comme l’affirmait sa femme, il en perdait le sommeil, malgré le coït. Depuis sept ans, il avait, à plusieurs reprises, exhibé et s’était exposé nudatus en présence de feminis vicinis.

En 1883, il a conclu son mariage par amour. Les devoirs conjugaux ne suffisaient pas à ses besoins excessifs. Par moments, son excitation sexuelle devenait si violente qu’il en avait des maux de tête, qu’il paraissait troublé, comme s’il était ivre, étrange, et incapable de faire son service.

Se trouvant dans cet état le 12 mai 1887, il avait deux fois, à de courts intervalles, exhibitionné devant des dames dans les rues de Paris. Depuis, il livre un combat désespéré contre ses penchants morbides qui l’obsèdent presque constamment ; à la fin de cet état il était toujours sombre, consterné, et il pleurait alors des nuits entières. Toutefois, il recommençait toujours. Rapport médical : preuve de dégénérescence héréditaire avec idées obsédantes et impulsions irrésistibles (perversion délirante du sens génital). Acquittement. (Magnan, Arch. de l’anthropologie criminelle, T. V, nº 28).

Observation 175. — Br., vingt-sept ans, de mère névropathe et de père alcoolique, a un frère qui est ivrogne et une sœur qui est hystérique. Quatre parents proches du côté paternel sont des ivrognes ; une cousine est hystérique.

Il pratiqua, à partir de onze ans, l’onanisme, tantôt solitaire, tantôt mutuel. À partir de l’âge de treize ans il eut un penchant à exhibitionner. Il essaya dans l’urinoir d’une rue, en éprouva un bien-être voluptueux, mais eut des remords bientôt après. Quand il essayait de combattre son penchant, il sentait une angoisse violente et un serrement à la poitrine. Étant soldat, il avait souvent l’obsession de montrer, sous divers prétextes, sa mentulam aux camarades.

À partir de l’âge de dix-sept ans, il eut des rapports sexuels avec des femmes. Il avait un grand plaisir à se montrer nu devant elles. Il continuait ses exhibitions dans les rues. Mais comme dans les urinoirs il ne pouvait compter que rarement sur des spectateurs féminins, il choisit pour théâtre de ses délits les églises. Pour pouvoir exhibitionner dans ces endroits, il était toujours obligé de se remonter le courage par quelques verres.

Sous l’influence des boissons alcooliques, l’impulsion qu’il pouvait ordinairement assez bien maîtriser, devenait irrésistible. B… n’a pas été condamné, il perdit sa place et depuis il boit encore davantage. Peu de temps après, nouvelle arrestation pour exhibition et masturbation dans une église. (Magnan, idem.)

Observation 176. — X…, garçon coiffeur, trente-cinq ans, plusieurs fois condamné pour délits de mœurs, a été de nouveau arrêté parce que depuis trois semaines il rôdait autour d’une école de filles, il cherchait à attirer sur lui l’attention des filles, et quand il y réussissait il exhibitionnait immédiatement. À l’occasion, il leur avait aussi promis de l’argent en leur disant : Habeo mentulam pulcherrimam, venite ad me ut eam lambatis.

X… avoue tout au magistrat, mais, dit-il, il ne sait pas comment il a pu arriver à commettre de pareils actes. D’habitude c’est un homme de fort bon sens, mais il a un penchant à commettre ce délit, et il ne peut pas le réprimer.

Déjà, en 1879, étant soldat, il a quitté le service pour rôder dans la ville et exhibitionner devant des enfants. Un an de prison. En 1881, même délit. Il courait après les enfants et s’arrêtait fixe. Un an et trois mois de prison. Deux jours après avoir été rendu à la liberté il disait à deux petites filles : « Si mentulam meam videre vultis, mecum in hanc tabernam veniatis. » Il nia ces paroles et prétendit qu’il était ivre. Trois mois de prison.

En 1883, nouvelle exhibition. Il ne prononça pas une parole ; pendant son interrogatoire, il prétendit que depuis une maladie grave qu’il avait eue, il y a huit ans, il souffrait de ces excitations morbides. Un mois de prison. En 1884, exhibition devant des filles dans un cimetière ; en 1885, idem. Il déclara : « Je reconnais mon tort, mais c’est une maladie ; quand cela me prend, je ne puis pas m’empêcher de faire ces actes. Parfois il se passe un plus long laps de temps pendant lequel ces penchants ne me viennent pas. » Six mois de prison.

Relaxé le 12 août 1885, il récidive le 13 août. Même excuse. Cette fois on le soumet à un examen médical qui ne put constater aucun trouble mental. Trois ans de travaux forcés.

Après avoir purgé cette peine, série de nouvelles exhibitions.

Cette fois, l’examen a donné les résultats suivants.

Le père a souffert d’alcoolisme chronique et, dit-on, avait commis le même genre d’actes d’impudicité. La mère et une sœur sont atteintes d’une maladie de nerfs ; toute la famille était d’un tempérament violent.

X… souffrit de crises épileptiques à partir de sept ans jusqu’à dix-huit ans. À l’âge de seize ans, premier coït. Plus tard, gonorrhée et prétendue syphilis. Dans la période suivante, rapports sexuels normaux jusqu’à l’âge de vingt et un ans. À cette époque il était souvent obligé de passer devant un préau ; à l’occasion il satisfaisait son besoin d’uriner et il arrivait que des enfants poussés par la curiosité le regardaient.

Incidemment, il s’aperçut que ces regards curieux l’excitaient sexuellement et lui donnaient de l’érection et même de l’éjaculation. Il trouva alors plus de plaisir à ce genre de satisfaction sexuelle, devint de plus en plus indifférent au coït ; il ne se satisfaisait que par l’exhibition qui envahissait toutes ses pensées et dont il rêvait même dans ses pollutions. Il lutta contre ce penchant mais en vain ; sa résistance devint de plus en plus faible. Il était pris avec une telle puissance qu’il n’avait plus d’égards pour rien, qu’il ne voyait ni n’entendait plus rien autour de lui, qu’il était complètement « sans raison, comme un taureau qui veut de sa tête enfoncer un mur ».

X… a un crâne d’une largeur anormale ; pénis petit ; le testicule gauche est atrophié. Le réflexe patellaire manque. Symptômes de neurasthénie, surtout neuro-cérébrale. Pollutions fréquentes. Les rêves ont la plupart pour sujet le coït normal, et rarement l’exhibition devant des petites filles.

Quant à ses actes sexuels anormaux, il affirme que le penchant à chercher et à attirer des filles vient chez lui en première ligne, et ce n’est que lorsqu’il a réussi, earum intentionem in sua genitalia nudata transferre, erectionem et ejaculationem fieri ; pendant l’acte il ne perd pas conscience. Après il est toujours mécontent de l’avoir commis et il se dit, quand il n’a pas été pris en flagrant délit, « qu’il a encore une fois échappé au procureur ».

En prison il n’a plus ce penchant ; là il n’est tourmenté que par des rêves et des pollutions. Quand il est en liberté il cherche chaque jour l’occasion de se satisfaire par l’exhibition. Il donnerait dix années de sa vie, s’il pouvait se débarrasser de sa manie ; « cette vie d’angoisse continuelle, cette alternative entre la liberté et la prison est insupportable ».

Le rapport médical supposa une perversité congénitale du sens sexuel en même temps qu’il constatait, une tare héréditaire manifeste, une constitution névropathique, une asymétrie du crâne, un développement défectueux des parties génitales.

Il est à remarquer aussi que l’exhibitionnisme s’est déclaré à partir de l’époque où la maladie épileptique a cessé, de sorte qu’on pourrait penser à un phénomène vicariant.

La perversion sexuelle s’est développée sur la base d’une prédisposition existante et par le concours d’une association d’idées amenée par le hasard (regards curieux des enfants lorsqu’il urinait), à la suite d’un acte insignifiant en lui-même.

Le malade n’a pas été condamné, mais transféré dans un asile d’aliénés. (Dr Freyer, Zeitschr. f. Medicinalbeamte, 3e année nº 8.)

Observation 177. — Par une soirée du printemps de 1891, vers les neuf heures, une dame venait toute consternée au poste de police du Stadtpark raconter l’incident suivant. Pendant qu’elle se promenait, un homme complètement nu par devant était sorti subitement d’un bosquet et s’était approché d’elle ; épouvantée, elle avait pris la fuite. L’agent de police se rendit immédiatement à l’endroit désigné et y trouva un homme qui exposait aux regards ventrem et genitalia nuda. Il essaya de se sauver, mais il fut rejoint et arrêté. Il déclara avoir été, par suite d’une forte consommation d’alcool, excité sexuellement et sur le point de se mettre en quête d’une prostituée. En traversant le parc il s’était souvenu que l’exhibition lui procurait beaucoup plus de jouissance que le coït qu’il ne pratique que rarement et à défaut d’un autre genre de satisfaction. Après avoir retiré sa chemise et déboutonné la partie supérieure de son pantalon, il s’était posté dans un bosquet et quum duæ feminæ advenissent nudatis genitalibus iis occurrisse. Dans cette situation il sent une chaleur agréable et le sang lui monte à la tête.

L’inculpé est un ouvrier d’un établissement industriel ; son contremaître le dépeint comme un homme consciencieux dans ses devoirs, laborieux, rangé, sobre et intelligent.

Déjà en 1886 B… a été condamné pour avoir deux fois exhibitionné sur la voie publique : la première fois en plein jour, et la seconde fois, le soir, étant assis sous une lanterne.

B…, âgé de trente-sept ans, célibataire, fait une impression étrange par sa mise de gommeux, son langage et ses manières affectés. Son œil a une expression névropathique et romanesque ; autour de sa bouche se dessine toujours un sourire d’infatuation. Il prétend être né de parents sains. Une sœur de son père et une sœur de sa mère eurent une maladie mentale. D’autres sœurs de sa mère passaient pour des dévotes excentriques.

B… n’a jamais eu de maladies graves. Dès son enfance il était excentrique, fantasque, aimait les romans de chevalerie et autres, s’absorbait tout entier dans ces sortes d’histoires et finissait par s’identifier, dans son imagination surchauffée, avec les héros du roman. Il croyait toujours être quelqu’un de supérieur aux autres, attachait une grande valeur à une mise élégante et aux bijoux ; et lorsque les dimanches il se pavanait, il croyait dans son imagination être un fonctionnaire supérieur. B… n’a jamais présenté de symptômes d’épilepsie. Dans sa première jeunesse, il a pratiqué un onanisme modéré, plus tard le coït d’une façon modérée. Il n’a jamais eu avant des sentiments ou des impulsions sexuelles perverses. Il vivait d’une vie retirée et employait ses loisirs à la lecture (ouvrages populaires et histoires de chevalerie, Dumas entre autres). B… n’était pas buveur. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’il se préparait une sorte de bowle et en la buvant il se sentait excité sexuellement.

Depuis quelques années son libido ayant considérablement diminué, il avait conçu pendant ses libations alcooliques « l’idée bête en diable » et le désir genitalia adspectui feminarum publice exhibere.

Quand il est dans cet état, il s’échauffe ; le cœur lui bat violemment, le sang lui monte à la tête, et alors il ne peut se défendre contre son penchant. Il ne voit ni n’entend plus autre chose, et il est alors tout à fait absorbé par son désir. Après il a souvent frappé à coups de poing sa tête folle et pris la ferme résolution de ne plus faire du pareilles choses, mais les idées folles lui sont toujours revenues.

Pendant ces exhibitions, son pénis n’a qu’une demi-érection et jamais il n’y a éjaculation, celle-ci d’ailleurs ne se produit que tardivement quand il fait le coït. Il lui suffit, lorsqu’il exhibe, genitalia adspicere, et il a alors l’idée soulignée par une sensation voluptueuse que cet aspect doit être très agréable aux femmes, de même que lui regarde genitalia feminarum. Il n’est capable de faire le coït que lorsque la puella se montre très prévenante. Sinon il préfère payer et s’en aller sans avoir rien fait. Dans ses rêves érotiques, il exhibitionne devant des femmes jeunes et plantureuses.

Le rapport médico-légal a démontré la personnalité héréditairement psychopathique de l’inculpé, la tendance perverse et impulsive aux délits incriminés et a fourni encore la preuve, digne d’être remarquée, que les impulsions à la consommation de l’alcool, chez cet homme d’habitude sobre et économe, doivent être attribuées à une contrainte morbide qui revient périodiquement. Il ressort à l’évidence des species facti que pendant ses accès B… se trouvait dans un état d’exception psychique, dans une sorte de trouble des sens, tout à fait plongé dans ses fantaisies sexuelles perverses. C’est ainsi que s’explique aussi le fait qu’il ne s’est aperçu de l’approche de l’agent de police que lorsqu’il était déjà trop tard pour prendre la fuite. Ce qui est intéressant dans cet exhibitionnisme héréditaire, dégénératif et impulsif, c’est que le penchant sexuel pervers a été réveillé de son état latent par l’influence de l’alcool.

Les frotteurs représentent une espèce d’exhibitionnistes remarquables au point de vue médico-légal. Leur perversion repose sur un fondement névrotico-dégénératif et clinique qui est analogue à celui des autres exhibitionnistes ; mais le procédé qui les caractérise particulièrement est provoqué par un libido violent (hyperæsthesia sexualis) qui existe en même temps qu’une puissance sexuelle fort entamée.

Les trois observations suivantes, empruntées à Magnan (op. cit.), sont typiques.

Observation 178. — D…, quarante-quatre ans, taré, alcoolique et atteint de saturnisme, s’était beaucoup masturbé jusqu’à il y a un an ; il avait aussi dessiné beaucoup d’images pornographiques et les avait montrées à ses amis. À plusieurs reprises, se trouvant seul chez lui, il s’était habillé en femme.

Depuis deux ans, étant devenu impuissant, il éprouvait le besoin d’aller dans la foule à l’heure du crépuscule et mentulam denudare eamque ad nates mulieris crassissimæ terere.

Pris un jour en flagrant délit, il fut condamné à quatre mois de prison.

Sa femme tient une crèmerie. Iterum iterumque sibi temperare non potuit quia genitalia in ollam lacte completam mergeret. Il éprouvait alors une sensation de volupté « comme s’il y avait contact avec du velours ».

Il était assez cynique pour se servir de cette huile pour lui et pour ses clients.

En prison il s’est développé chez lui une monomanie alcoolique de persécution.

Observation 179. — M…, trente et un ans, marié depuis six ans, père de quatre enfants, lourdement taré, souffrant épisodiquement de mélancolie, a été il y a trois ans surpris par sa femme au moment où, revêtu d’une robe de soie, il se masturbait. Un jour il fut surpris dans un magasin au moment où il se frottait contre une dame. Il fut profondément confondu et demanda une punition sévère pour son penchant qui d’ailleurs était irrésistible.

Observation 180. — G…, trente-trois ans, lourdement chargé de tares héréditaires, est surpris à une station d’omnibus au moment où il frottait son membre contre une dame. Profond repentir, mais affirmation qu’à l’aspect des posteriora prononcés d’une dame il se sentait irrésistiblement entraîné à faire du frottage et qu’il est alors troublé au point de ne plus savoir ce qu’il fait.

Internement dans un asile d’aliénés.

Observation 181. — Z…. né en 1850, d’un passé irréprochable, de bonne famille, employé d’une administration privée, bonne situation matérielle, sans tare, veuf depuis 1873, après un ménage de courte durée, s’était depuis longtemps fait remarquer dans les églises par sa manie de se presser par derrière contre les femmes, jeunes ou vieilles, et de manipuler leurs tournures. On le guetta et un jour on réussit à l’arrêter en flagrant délit. Il fut consterné au plus haut degré ; désespérant de sa situation, il pria, en faisant un aveu complet, qu’on le ménage, sinon il ne lui resterait qu’à se suicider.

Depuis deux ans, il était obsédé par le penchant funeste, quand il se trouvait au milieu d’une foule, à l’église ou au théâtre, à se frotter par derrière contre les femmes et de manipuler leurs robes bouffantes, ce qui lui donnait de l’orgasme et de l’éjaculation.

Z… affirme n’avoir jamais été adonné à la masturbation et n’avoir dans aucun sens de tendance sexuelle perverse. Depuis la mort prématurée de sa femme, il avait satisfait ses puissants besoins sexuels dans des amourettes temporaires, mais il avait toujours eu de la répugnance pour les bordels et les prostituées. Le penchant au frottage lui est venu subitement, il y a deux ans ; il stationnait par hasard dans une église. Bien qu’il se rendît compte que c’était inconvenant, il n’a pu s’empêcher de céder immédiatement à cette impulsion. Depuis il est devenu si excité par les postérieurs des femmes qu’il se sent poussé à chercher des occasions de frottage. Chez la femme il n’y a que la tournure qui l’excite ; tout le reste du corps ou la toilette lui est absolument indifférent, de même que l’âge de la femme, sa beauté ou sa laideur. Depuis il n’a plus d’inclination pour la satisfaction naturelle. Ces derniers temps des scènes de frottage apparaissaient aussi dans ses rêves érotiques.

Pendant le frottage il se rend parfaitement compte de sa situation et de la portée de son acte, et il s’efforce de procéder autant que possible de manière à n’être pas aperçu. Après il éprouve toujours de la honte d’avoir commis une pareille action.

L’examen médico-légal n’a relevé aucun symptôme de maladie mentale ou de faiblesse intellectuelle, mais bien des symptômes de neurasthenia sexualis — ex abstinentia libidinosi, ce qui est indiqué aussi par le fait que le seul contact du fétiche avec les parties génitales non exhibées suffisait à produire une éjaculation. Il est évident que le libidineux Z… qui était sexuellement très affaibli et qui se méfiait de sa puissance, a été amené au frottage par une coïncidence accidentelle : la vue de posteriora feminæ avec une émotion sexuelle. C’est cette liaison associative d’une perception avec une sensation qui a donné au postérieur féminin le caractère d’un fétiche.

Comme actes offensant la moralité publique et, par conséquent, tombant sous le coup de la loi, on peut encore ajouter aux précédents les cas d’outrages à des statues dont Moreau (op. cit.) a recueilli toute une série, dans les temps antiques et modernes. Malheureusement il ne sont rapportés que dans des récits ayant trop le caractère anecdotique pour pouvoir être analysés et jugés avec certitude. Ils produisent toujours l’impression de faits de nature pathologique. Ainsi, par exemple, l’histoire de ce jeune homme (racontée par Lucianus et saint Clément d’Alexandrie) qui se servait d’une Vénus de Praxitèle pour assouvir ses désirs ; ensuite le cas de Clisyphus qui, au temple de Samos, a souillé la statue d’une déesse après avoir apposé un morceau de viande à un certain endroit de cette œuvre sculpturale.

À une époque plus récente, le journal l’Évènement du 4 mars 1877 publie l’histoire d’un jardinier qui, étant tombé amoureux de la statue de la Vénus de Milo, fut pris en flagrant délit au moment où il faisait des essais de coït sur cette statue. Ces cas sont cependant en rapports étiologiques avec un libido anormalement fort qui subsiste en même temps qu’une puissance défectueuse ou bien un manque de courage ou d’occasions pour une satisfaction sexuelle normale.

Il faut faire la même supposition, en ce qui concerne les soi disant « voyeurs » [3], c’est-à-dire ces hommes qui sont assez cyniques pour chercher à voir faire le coït afin de stimuler leur puissance, ou bien qui, à l’aspect d’une femme excitée, sont pris d’orgasme et d’éjaculation.

En ce qui concerne ce genre d’aberration morale que nous ne voulons pas ici traiter plus amplement, pour diverses raisons, il suffirait de renvoyer au livre de Coffignon : La Corruption à Paris. Les révélations faites dans ce livre sur le domaine de la perversité et aussi de la perversion sexuelle, sont de nature à inspirer de l’horreur.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Richard von Krafft-Ebing, Études médico-légales : Psychopathia Sexualis. Avec recherche spéciales sur l’inversion sexuelle, Traduit sur la 8e édition allemande par Émile Laurent et Sigismond Csapo, Éd. Georges Carré, Paris, 1895.

Notes

[1Lasègue, Union médicale, 1887, mai ; Laugier, Annal. d’hygiène publ., 1878, nº 106 ; Pelanda, Ueber Pornopathiker, Archivio di Psichiatria, VIII ; Schuchardt, Zeitschrift f. Medicinalbeamte, 1890, II. 6.

[2Comparez v. Krafft, Ueber transitorisches Irresein bei Neurasthenischen, Journal Irrenfreund, 1883, nº 8 et Wiener klin. Wochenschrift, 1891, nº 50.

[3Le docteur Moll désigne cette perversion par le nom de Mixoskopie (μιξι, = union sexuelle et σκεπτειν, = regarder). Son hypothèse, qui la rapproche du masochisme parce que peut-être le voyeur trouve un charme à souffrir en voyant une femme en la possession d’un autre, ne me paraît pas juste. D’autres détails à voir chez Moll, Inversion sexuelle, édit. française, Carré, éditeur, Paris.

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