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Théodore Flournoy

Incarnations et messages spirites

Des Indes à la planète Mars (Chapitre X - §V)

Date de mise en ligne : jeudi 12 octobre 2006

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Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

CHAPITRE DIX
APPARENCES SUPRANORMALES

V. INCARNATIONS ET MESSAGES SPIRITES

Le moment venu de parler du spiritisme, je me sens mal à mon aise et gêné dans les entournures, pour des raisons fort diverses dont j’exposerai quelques-unes, sans chercher d’ailleurs à les légitimer ici. Car mon but est simplement, comme on l’a vu plus haut (p. 307), d’indiquer mes dispositions subjectives à l’endroit de cette doctrine, afin que le lecteur puisse en faire la part, si bon lui semble, dans mon appréciation des phénomènes de cet ordre présentés par Mlle Smith.

J’avoue d’abord que le spiritisme est un sujet qui a le don de me mettre en gaieté et qui me porte d’instinct à batifoler. Je ne sais vraiment pas pourquoi, car rien de ce qui touche aux Morts et à l’Au-Delà ne devrait être matière à plaisanterie. Mais c’est comme ça. Peut-être cela tient-il à la nature des intermédiaires et à la qualité des messages dont les esprits ont coutume de nous gratifier. Quoi qu’il en soit, j’ai ordinairement beaucoup de peine à garder mon sérieux en présence des manifestations des désincarnés. Or je me reproche amèrement cette humeur facétieuse lorsque je songe qu’elle s’exerce aux dépens de conceptions et de croyances qui ont soutenu les premiers pas de notre race en sa douloureuse ascension, et dont la survivance ou la réapparition atavique est aujourd’hui encore une source de force morale, de bienheureuses certitudes, de consolation suprême, pour une foule de mes contemporains, parmi lesquels plusieurs que j’ai appris à connaître et qui m’inspirent autant d’estime que d’admiration par la rectitude de leur vie, la noblesse de leur caractère, la pureté et l’élévation de leurs sentiments. Toute conviction sincère et vécue est absolument respectable, même lorsqu’on ne la partage pas ; aussi fais-je d’avance (et rétrospectivement) amende honorable à mes amis et connaissances spirites pour les écarts de plume qu’il pourrait (ou qu’il a déjà pu) m’arriver de commettre au cours de ce volume, tiraillé que je suis, je le répète, entre le respect que j’éprouve pour les personnes et l’impression plutôt bouffonne que me laisse la doctrine avec son cortège de conséquences et de preuves à l’appui.

En second lieu, j’ai souvent fait la décevante expérience que, lorsqu’on en vient à la discussion, le spiritisme a le grand avantage pour ses défenseurs, mais le grand inconvénient pour ceux qui voudraient le serrer de près, d’être fuyant et insaisissable par le fait de sa double nature — science et religion tout à la fois — qui lui permet de n’être jamais franchement ni l’une ni l’autre. Il me rappelle la chauve-souris du fabuliste ;

Je suis oiseau, voyez mes ailes !
Je suis souris, vivent les rats !

Quand on voudrait analyser et contrôler, suivant les strictes méthodes scientifiques, les faits positifs sur lesquels il prétend baser sa thèse fondamentale — la réalité de communications avec les esprits des morts, par l’intermédiaire des médiums —, aussitôt les adeptes vous déballent leur pacotille de théories (j’allais dire leurs théories de pacotille !), et s’étonnent du manque d’idéal de ces affreux scientistes-matérialistes-néantistes, qui s’acharnent à chercher la petite bête dans les démonstrations du spiritisme au lieu de tomber à genoux devant la splendeur de ses enseignements. Que si alors, se laissant entraîner du terrain de l’observation rigoureuse sur celui de la philosophie morale et religieuse, on a le mauvais goût de ne pas apercevoir l’immense supériorité de cette doctrine sur toutes les autres, ils vous ferment la bouche en vous affirmant que seule, à la différence de ses rivales qui ne sont qu’erreurs ou hypothèses invérifiables, celle-ci a l’incomparable avantage d’être scientifiquement établie. Et le cercle recommence, tant et si bien qu’on se décourage de discuter un système qui de ses deux livrées, scientifique et religieuse, est toujours prompt, au rebours de Maître Jacques, à endosser précisément celle dont on n’a que faire pour l’heure.

Une troisième cause de mon malaise lorsqu’il me faut toucher à ce sujet, c’est la crainte d’être mal compris ou mal interprété, grâce à la classification naïve et simpliste qui prévaut dans les milieux où fréquentent les désincarnés. Spiritisme ou matérialisme, telle est l’alternative brutale dans laquelle on se trouve pris malgré soi. Si vous n’admettez pas que les esprits des morts se révèlent par des coups de table ou les visions des médiums, c’est donc que vous êtes matérialiste. Si vous ne croyez pas que les destinées de la personnalité humaine se terminent au cimetière, c’est donc que vous êtes spirite. Pas de milieu, et tirez-vous de là ! — Cette question de nomenclature et d’étiquetage est assurément puérile. Personne cependant ne consent volontiers à être fourré dans des compagnies qui, pour honorables qu’elles soient, ne lui sont pas sympathiques ; c’est une petitesse très humaine. Aussi tiens-je à dire que je repousse absolument l’alternative ci-dessus. Elle me fait penser à un rêveur en petit bateau qui, ne voyant plus que le ciel et l’onde, s’imaginerait que le monde est composé de gaz et de liquides, et oublierait l’existence des solides. Car il y a pourtant plus de choix que cela dans le musée de la pensée humaine. Au siècle dernier, par exemple, outre le spiritisme de Swedenborg et le matérialisme du baron d’Holbach, il y a eu encore le criticisme d’un nommé Kant qui a fait quelque bruit dans le monde et dont la vogue n’est pas absolument éteinte. Je n’aurais pas craint de m’y rallier. Et, de nos jours, s’il me fallait choisir entre Buchner et Allan Kardec comme les spirites semblent parfois le croire, je n’hésiterais pas à opter… pour M. Renouvier, ou tout simplement pour feu mon compatriote Charles Secrétan.

Mais tout cela, me dira-t-on, et cette collection de grands noms, ce sont des nuances d’école et des subtilités trop abstruses pour le gros bon sens, qui n’entend rien à ces distinctions de point de vue métaphysiques. Soit. Je ne tiens pas autrement à la philosophie et il me suffit, pour repousser tout ensemble le matérialisme et le spiritisme, d’être disciple — indigne, hélas, mais convaincu — du Nazaréen qui répondait aux matérialistes de son temps, non par des évocations spirites, mais par cette simple remarque : « Dieu n’est pas Dieu des morts, mais des vivants, car pour lui tous sont vivants [1]. » Je ne sais trop si cette raison persuada les Sadducéens, mais elle me plaît en sa simplicité, et je n’en désire pas d’autre. Si Dieu existe — je veux dire si la réalité suprême n’est pas la force-substance inconsciente et aveugle du monisme à la mode, mais la souveraine personnalité (ou suprapersonnalité) qui, dans la claire conscience du Christ, mieux qu’en aucune de nos consciences troublées, faisait continûment sentir sa présence paternelle —, si Dieu existe, ce n’est apparemment pas pour jouer le rôle d’un perpétuel entrepreneur de pompes funèbres qu’il consent à exister, et pour laisser choir à tout jamais dans le néant les pauvres créatures qui s’attendent à lui. Elles peuvent disparaître à nos yeux, mais elles ne disparaissent pas aux siens ; pour nous elles sont mortes, mais pour lui, et par conséquent dans la réalité vraie, elles sont vivantes. Autrement il ne serait pas Dieu. C’est tout ce qu’il me faut. Je n’entrevois rien, il est vrai, des conditions concrètes de cette autre existence, dont le mode même, si on me le dévoilait, resterait probablement lettre close pour mon intelligence empêtrée dans les liens actuels de l’Espace et du Temps. Mais que m’importe ! Ce que j’ignore, Dieu le sait et, en attendant qu’il m’appelle à rejoindre ceux qui m’ont précédé, il est assez grand pour que je m’en remette à lui du sort mystérieux de nos personnalités. Pour lui, tous sont vivants. Je n’en demande pas davantage et, des prétendues démonstrations du spiritisme, vraies ou fausses, je me soucie comme d’un fétu.

Ou plutôt je les souhaite fausses. Et si elles sont vraies, si réellement il est dans la loi de la nature que pendant de longues années encore, après cette terrestre existence, nous nous traînions lamentablement de table en table et de médium en médium, les meilleurs d’entre nous (pour ne pas parler des autres) étalant sans pudeur les preuves de leur décrépitude mentale en de pitoyables balivernes et d’ineptes vers de mirliton — eh bien tant pis ! C’est une misère et une honte de plus ajoutées à toutes celles dont est tissé ce satanique univers, une nouvelle calamité venant couronner les maux physiques et moraux d’un monde contre lequel le chrétien proteste toutes les fois qu’il répète : Que ton règne vienne, un scandale additionnel condamné à disparaître avec les autres quand Son Règne sera venu. Mais ce n’est en aucun cas ce que réclame ou espère la conscience morale et religieuse de l’humanité ; cela est sans rapport avec la bonne nouvelle du christianisme. Ii n’y a rien de commun entre les survivances empiriques, spatiales et temporelles, que prétend établir le spiritisme, et la « vie éternelle » proclamée par le prophète de Nazareth. Ces choses, eût dit Pascal, ne sont pas du même ordre. Voilà pourquoi je ne suis pas spirite.

Ici surgit un dernier point qui me tracasse quand je dois dire mon avis sur le spiritisme devant des spirites.

Vous ne tenez pas personnellement, m’a-t-on souvent objecté, à ces communications des vivants avec ceux qui nous ont devancés dans l’au-delà, et vous faites fi des démonstrations du spiritisme. C’est fort bien pour vous, qui êtes un mystique et à qui l’existence du Dieu de Jésus-Christ paraît une garantie suffisante des destinées de la personnalité humaine et des palingénésies ultimes. Mais tout le monde n’a pas le même tempérament et ne prend pas si gaillardement son parti d’ignorer le genre de vie d’outre-tombe. Croire en Dieu, et lui abandonner les yeux fermés le sort de ceux qui nous quittent emportant les meilleurs morceaux de notre être, c’est bien beau, mais bien difficile. Le temps n’est plus du psalmiste qui pouvait dire : Quand il me tuerait, je ne cesserais pas d’espérer en Lui ; et, pour ce qui est du Christ, il fut certainement un médium très remarquable, mais ses simples affirmations ne sauraient être tenues aujourd’hui pour paroles d’Évangile. La race des Thomas, née de son vivant et que d’ailleurs il ne condamna point, s’est généralisée ; il faut du solide et du palpable aux foules de notre époque, elles ne sont pas capables d’admettre un monde supérieur à celui des sens si on ne le leur fait pas toucher au doigt par les messages et les retours des défunts eux-mêmes. D’où il résulte que toute attaque, toute attitude hostile vis-à-vis du spiritisme tend directement à ébranler le seul rempart qui soit désormais efficace contre le matérialisme et ses conséquences funestes : l’incrédulité, l’égoïsme, le vice, le désespoir, le suicide et en fin de compte la décomposition et l’anéantissement du corps social tout entier. Au contraire, que la science reconnaisse et consacre enfin officiellement le spiritisme, et aussitôt, avec la certitude tangible d’une autre vie, le courage et la force reviendront au coeur des individus, le dévouement et toutes les vertus se mettront à refleurir, et l’humanité relevée verra bientôt le ciel descendre sur la terre, grâce aux rapports rétablis et journellement pratiqués entre les vivants et les esprits des morts.

On devine mon embarras. — D’un côté je n’admets aucunement l’objection précédente. Je ne pense pas que l’Évangile ait fait son temps ou soit au-dessus de la portée des foules, puisque c’est à elles que son auteur le destinait ; je crois, au contraire, que la foi chrétienne, la foi du Christ ou la foi au Christ, est en son essence intime une réalité psychologique, une expérience personnelle accessible aux plus humbles, un fait de conscience qui survivra à l’oubli de tous les systèmes théologiques et à l’effondrement de tous les clergés, et dont la puissance vitale et régénératrice sauvera nos civilisations (si quelque chose doit les sauver) par le moyen des individus qu’elle aura renouvelés, sans rien devoir aux pratiques ni aux théories spirites. Inversement, je ne partage pas l’optimisme de ceux qui font du spiritisme une panacée sociale, et qui s’imaginent que là où la conscience morale et la conscience religieuse ont cessé de se faire écouter, les messages des désincarnés auront plus de succès [2].

Mais, d’un autre côté, il y a des cas individuels intéressants et qui méritent certainement des égards. On me cite des gens, et j’en ai connu, à qui ce serait porter un coup fatal que de leur ôter les béquilles spirites sans lesquelles ils ne savent plus marcher dans la vie. Pour l’un, qui s’est constitué l’apôtre militant de la nouvelle doctrine, toute l’existence serait ruinée si l’on venait à briser son idole. Tel autre a l’habitude, chaque soir avant de se mettre au lit, de recourir à son guéridon pour faire un petit bout de causette avec ses chers disparus ; pourquoi, au nom du ciel, aller lui enlever cette joie bien innocente en lui disant que son dialogue n’est qu’un monologue et qu’il converse simplement avec lui-même et ses souvenirs latents ? Celui-ci reçoit à tout moment, par l’écriture automatique, sur les menus faits de la vie journalière, les confidences ou les opinions du tiers et du quart désincarnés, et ce serait une désillusion aussi dure qu’inutile de lui montrer que tout cela est un pur délayage de ses propres observations et inductions subconscientes. Celui-là, dans toutes les circonstances embarrassantes, interroge une parente défunte qui lui dicte aussitôt sa ligne de conduite ; à quoi bon détruire sa confiance dans la réalité de cette précieuse pythonisse invisible, et le renvoyer à sa réflexion personnelle, où il trouverait les mêmes conseils utiles et souvent de meilleurs, mais dont l’autorité lui semblerait beaucoup moindre, de sorte qu’il perdrait certainement au change sous le rapport de la promptitude et de la fermeté des décisions ? Et ainsi de suite. Pour des millions de personnes et à cent titres divers — croyance religieuse, consolation morale, rite solennel et mystérieux, vieille habitude, distraction préférée, etc. —, le spiritisme est aujourd’hui le pivot et le soutien de l’existence ; ne fait-on pas dès lors plus de mal que de bien en l’ébranlant, et ne vaut-il pas mieux laisser les choses aller leur train ? Pourquoi empêcher l’homme de se repaître de rêves si tel est son plaisir ? D’autant plus qu’en définitive… qui sait ?! Tout est possible, et n’est-ce point justement aux revenants que pensait Hamlet dans l’apostrophe célèbre d’où j’ai tiré ce principe ?

Telles sont mes perplexités. En attendant d’y trouver une issue, et pour me résumer, il me semble indispensable de séparer nettement le spiritisme-religion, qui est un ensemble de croyance et de pratiques chères à beaucoup de gens, du spiritisme-science, simple hypothèse destinée à expliquer certains phénomènes relevant de l’observation. Le premier ne me dit rien, ou plutôt il m’amuse ou me répugne suivant les circonstances ; mais les sentiments plus relevés et dignes de tout respect qu’il inspire à ses adeptes m’imposent le devoir de le laisser hors de cause et de l’ignorer ici. Le second, en revanche, ne manque pas de m’intéresser comme il intéresse tous les curieux de la nature.

Car ce n’est pas une question banale que de se demander si les individualités humaines ou animales continuent à intervenir d’une façon effective dans les phénomènes physiques, physiologiques ou psychologiques de cet univers après la perte de leur organisme corporel et visible. S’il y a des faits qui l’établissent d’une manière péremptoire, que de problèmes en jaillissent, et quel champ inattendu d’investigation cela n’ouvre-t-il pas à nos sciences expérimentales ! Et, si l’hypothèse est fausse, quoi de plus captivant que l’étude des singuliers phénomènes qui ont pu lui donner naissance, la recherche des causes véritables dont l’enchevêtrement parvient à simuler avec plus ou moins de perfection le retour des défunts dans notre monde observable ! On comprend donc que, même dépouillée de tous les accessoires émotionnels dont elle s’enveloppe si facilement dans le coeur et l’imagination des hommes, la question de l’immortalité empirique et des interventions spirites, apparentes ou réelles, conserve son importance scientifique et mérite d’être discutée avec la calme sérénité, l’indépendance, la rigueur d’analyse qui sont le propre de la méthode expérimentale.

Il va sans dire qu’a priori l’hypothèse des Esprits, pour expliquer les phénomènes des médiums, n’a rien d’impossible ou d’inepte. Elle ne contredit pas même nécessairement, comme on se l’imagine quelquefois, le principe directeur de la psychologie physiologique — le parallélisme psychologique — qui demande que tout phénomène mental ait un corrélatif physique. Car, malgré notre habitude de considérer les phénomènes moléculaires ou atomiques du cerveau, le catabolisme des neurones, comme le vrai concomitant des processus conscients, il se peut fort bien, il est même assez vraisemblable, que ces mouvements moléculaires ne constituent pas le terme physique ultime côtoyant immédiatement le monde mental, mais que les véritables corrélatifs physiques (spatiaux) des phénomènes psychologiques (non spatiaux) doivent être cherchés dans les vibrations de la matière impondérable, l’éther, où les atomes et molécules pondérables sont plongés un peu comme les grains de poussière dans l’atmosphère, pour employer une comparaison sensible quoique bien inexacte.

Le corps éthéré, périspirital, astral, fluidique, etc., des occultistes et de beaucoup de penseurs qui ne le sont point n’est une notion scientifiquement absurde que quand on en fait un intermédiaire équivoque et nuageux entre l’âme et le corps, un tertium quid inassignable, un médiateur plastique dont nul ne sait s’il est matériel, ou spirituel, ou autre chose. Mais, conçu comme un tourbillon ou un système de mouvements de l’éther, il n’a rien d’absolument anti ou extra-scientifique par nature ; le rapport entre les faits de conscience. subjectifs, et les faits matériels, objectifs, reste essentiellement le même — également inintelligible vu l’hétérogénéité de ces deux ordres de phénomènes, mais également susceptible (au moins en théorie) de déterminations empiriques et de lois précises — soit que l’on considère le monde matériel sous la forme impondérable de l’éther, ou sous la forme pondérable des atomes chimiques, des molécules physiques et des éléments anatomiques. Rien ne s’opposerait donc radicalement, du point de vue des sciences naturelles, à l’existence d’esprits désincarnés promenant dans l’espace leurs tourbillons d’éther ; tandis que nous autres, esprits incarnés, nous y traînons par surcroît un lourd revêtement d’atomes pondérables, à travers lequel nous subissons peut-être (surtout les médiums) certaines influences, de la part de ces voisins intangibles mais sources de vibrations diverses, dont nos organismes laisseraient passer les unes et absorberaient les autres, comme pour toute espèce d’ondes.

Voilà qui est pour faire plaisir à mes amis spirites. Voici deux points qui leur plairont moins. D’abord je me sépare d’eux quand ils passent prématurément des pures possibilités, abstraites et en l’air, à l’affirmation des réalités. Peut-être l’événement leur donnera-t-il raison un jour, voire même prochain, mais nous n’y sommes pas encore tout à fait. Je reconnais volontiers que jamais les circonstances ne leur ont été aussi favorables qu’à l’heure présente. Le retour authentique de Georges Pelham et d’autres défunts, par l’intermédiaire de Mme Piper intrancée, semble admis par tant d’observateurs perspicaces et qui n’étaient point jusqu’ici suspects de crédulité [3] ; les phénomènes observés depuis quinze ans chez ce médium incomparable sont à la fois si merveilleux et entourés de si solides garanties scientifiques ; le cas est en un mot tellement inouï et stupéfiant à tous égards, que ceux qui ne le connaissent que de loin, par les rapports imprimés et les récits oraux de témoins immédiats, se sentent en mauvaise posture pour formuler leurs doutes et leurs réserves à ce sujet. Plaise aux Esprits rendre bientôt leur démonstration irréprochable — en nous révélant le moyen d’éliminer l’action combinée de l’imagination subliminale, dont on connaît fort bien la malice, et de la télépathie dont on ne connaît pas du tout les limites ! Mais pour le moment il ne faut pas oublier que le procès est encore pendant.

Je crains en second lieu, pour les médiums et les spirites pratiquants, que, lorsque leur hypothèse aura été scientifiquement démontrée, le résultat n’en soit fort différent de ce que beaucoup s’imaginent. Il pourrait bien arriver que le culte du guéridon, l’écriture mécanique, les séances et tous autres exercices médianimiques reçussent précisément leur coup de mort de la reconnaissance officielle des esprits par la science. Supposons, en effet, que les recherches contemporaines aient enfin prouvé clair comme le jour qu’il y a des messages venant réellement des désincarnés : il ressort déjà de ces mêmes recherches, avec non moins d’évidence, que dans les cas les plus favorables les messages véritables sont terriblement difficiles à démêler de ce qui n’est pas authentique. Ils se présentent noyés dans une si formidable mixture de confusions, d’erreurs, d’apparences illusoires de toutes sortes, que vraiment — à moins d’avoir le temps et la patience du Dr Hodgson, et un médium aussi remarquable que Mme Piper (ce qui est bien exceptionnel) — c’est une folle prétention que de vouloir, dans un cas donné, assigner ce qui proviendrait véritablement des désincarnés, et le discerner avec certitude au milieu de ce qui doit être au contraire attribué aux souvenirs latents du médium, à son imagination subconsciente, aux suggestions involontaires et insoupçonnées des assistants, à l’influence télépathique de vivants plus ou moins éloignés, etc. Quand les gens auront compris que ce triage est presque toujours au-dessus de notre pouvoir, ils se dégoûteront peut-être d’expériences où ils ont quatre-vingt-dix-neuf chances contre une d’être dupes d’eux-mêmes ou d’autrui et où, chose encore plus vexante, même s’ils avaient le bonheur de tomber sur la centième chance, ils n’auraient aucun moyen certain de le savoir !

On ne voit guère de gens chercher de l’or dans les sables de l’Arve, où il y en a pourtant, parce que le jeu ne vaut pas la chandelle et que nul ne se soucie de remuer tant de boues pour une paillette problématique ; et cependant nous possédons des pierres de touche et des réactifs permettant de reconnaître à coup sûr le précieux métal de ce qui n’est pas lui ! Pareillement, à moins que les désincarnés ne daignent nous octroyer un réactif commode, une pierre de touche magique, pour distinguer leur présence réelle de toutes les admirables contrefaçons auxquelles les facultés subliminales exposent sans cesse les médiums et leur entourage, il me paraît probable que les pratiques spirites perdront de plus en plus de leurs charmes à mesure que la science mettra mieux en lumière la rareté des purs messages authentiques, et la quasi-impossibilité de les reconnaître en fait. Il est vrai qu’aux enfants le similor et le strass feront toujours le même effet que des bijoux véritables...

Ce sujet décidément m’est fatal. Je m’y perds en digressions — fort inutiles, car peu importe au fond, pour l’examen actuel des messages fournis par Mlle Smith, le verdict que l’avenir prononcera sur la théorie des Esprits, avec ou sans corps éthéré. Même devenu vérité scientifique, le spiritisme ne nous dispensera jamais d’apporter à l’analyse des prétendues communications autant de soin et de rigueur que lorsqu’il n’était qu’une hypothèse indémontrée ; chaque cas particulier demandera toujours à être scruté pour lui-même, afin d’y faire le départ entre ce qui selon toute vraisemblance ne relève que des multiples causes non spirites, et le résidu éventuel pouvant provenir des désincarnés. Je dois dire d’emblée qu’en ce qui concerne les phénomènes médiumiques d’Hélène, leur analyse attentive ne m’y a révélé aucun vestige évident de l’au-delà, pas même des traces certaines d’une transmission télépathique de la part des vivants. Je n’ai réussi à y apercevoir que de très beaux et très instructifs exemples de la tendance bien connue de l’imagination subliminale à reconstituer les défunts et à feindre leur présence, surtout lorsque les suggestions favorables du milieu ambiant l’y incitent. N’étant point infaillible et me souvenant du Principe de Hamlet, je me garderai bien d’affirmer que ces pastiches et simulacres soient absolument purs d’une collaboration spirite ; je me contente de répéter que je n’ai pas su la découvrir et qu’elle me paraît au plus haut degré improbable ; à d’autres d’en démontrer la réalité, s’ils croient pouvoir le faire. Quelques exemples pris dans les principales incarnations de Mlle Smith me permettront d’exposer d’une façon plus concrète ma manière de les envisager.

1. Cas de Mlle Vignier.

On devine que ce cas n’a aucune valeur probante puisqu’il y a eu jadis (comme on l’a vu p. 336-337), entre la famille Vignier et Mme Smith, des relations qui suffisent à expliquer les connaissances véridiques manifestées par Hélène dans cette incarnation. J’en donne néanmoins le récit abrégé, à cause de certains points psychologiquement intéressants. Aucun des spectateurs ne se doutait d’ailleurs des susdites relations, au moment de cette scène absolument inattendue et énigmatique pour tous.

Dans une séance chez moi (3 mars 1895, après la vision hindoue décrite p. 235), Mlle Smith voit apparaître une dame inconnue dont elle donne ce signalement :

nez courbé et crochu comme celui d’un aigle ; petits yeux de souris très rapprochés ; bouche avec trois dents seulement ; sourire méchant, expression moqueuse ; mise simple, collerette pas à la mode actuelle ; elle s’approche de ce portrait [4] et le considère, pas méchamment.

On demande le nom de cette personne, et la table [Léopold] commence à épeler : Mademoiselle… mais refuse d’aller plus loin, tandis qu’Hélène voit l’apparition rire « d’un air narquois » ; comme on insiste pour savoir son nom, la table dicte : Cela ne vous regarde pas, puis se met à sauter et gambader sur place comme fort aise de se moquer ainsi de notre curiosité. Bientôt Hélène s’endort et entre en somnambulisme : elle quitte la table et se dirige vers le portrait en question devant lequel elle reste comme figée, incarnant complètement la dame inconnue de sa vision. Je décroche le portrait et le mets à sa portée sur un fauteuil : aussitôt elle s’agenouille et le contemple avec attendrissement ; puis, tenant le cadre de la main droite tandis que la gauche très agitée joue avec le cordon, elle finit, après beaucoup de vains essais, par dire en bégayant fortement : J… j… je l’aimais b… b… beaucoup ; je n’aime pas l’autre… j… j… je ne l’ai jamais aimée, l’autre… j’aimais bien mon neveu… adieu !… je le vois ! Impossible d’obtenir aucun éclaircissement sur cette scène incompréhensible, jusqu’à ce qu’ayant glissé sous la main d’Hélène un crayon et un cahier, elle y griffonne fiévreusement, d’une écriture qui n’est point la sienne, ces deux mots : mademoiselle Vignier ; puis elle tombe dans une phase cataleptique dont elle se réveille amnésique au bout d’une demi-heure.

Ce nom de Vignier évoque en moi de lointains souvenirs et me rappelle vaguement que le professeur Dandiran (qui avait épousé comme on a vu la soeur de ma mère) devait avoir une parente de ce nom ; serait-ce elle qui revient m’exprimer par le canal de Mlle Smith sa prédilection pour ma mère, dont elle a si attentivement considéré le portrait, et ses regrets peut-être que son neveu ne l’ait pas préférée à ma tante ? D’autre part M. Cuendet se souvient d’une demoiselle Vignier qui fut une amie de sa famille, mais qui ne répondrait point au signalement de la vision d’Hélène ; il se promet de prendre des informations, et m’écrit en effet le lendemain :

Cher Monsieur, voici quelques renseignements au sujet de notre séance d’hier. Ce matin je demande à ma mère : As-tu connu une autre demoiselle Vignier que celle qui a été ton amie ? — Après une seconde de réflexion : Oui, me répond-elle, j’en ai connu une autre. C’était la tante de M. Dandiran, de Lausanne, la soeur de sa mère. Elle bégayait et n’était pas toujours très bienveillante ; elle avait trois grandes dents qui avançaient, et un nez à crochet. — Inutile de vous dire que c’est la première fois que j’en entends parler ; je n’ai fait aucune [autre] question à ma mère et me suis borné à lui demander si elle avait entendu parler de cette demoiselle Vignier.

Cette indication, cadrant avec mes souvenirs et la vision d’Hélène, me fut ultérieurement confirmée par M. Dandiran qui me donna les renseignements suivants : Sa tante Mlle Vignier, morte il y a trente-cinq à quarante ans [5], aimait en effet beaucoup son neveu ; mais elle fut ravie de son mariage, et la phrase prononcée devant le portrait de sa mère, je l’aimais beaucoup, je n’ai jamais aimé l’autre, ne saurait se rapporter à une différence de sentiment à l’égard des deux soeurs pour qui elle eut toujours une égale affection. Cette phrase s’explique au contraire à merveille par le fait suivant. Ma mère et sa soeur se trouvant fiancées en même temps, on fit faire par le même peintre leurs deux portraits à l’huile, en buste de grandeur naturelle ; mais ces portraits, qui se font pendant [ils sont actuellement en la possession de mon frère], réussirent inégalement et Mlle Vignier, qui s’occupait elle-même de peinture, trouva toujours celui de ma mère excellent, tandis qu’elle n’aimait point l’autre, celui de ma tante. — Mlle Vignier était très vive, et M. Dandiran trouve que l’épithète de narquois et la scène de la table dictant : Cela ne vous regarde pas, en gambadant de joie, expriment assez bien son caractère ; elle n’était cependant pas du tout méchante ni moqueuse au fond, mais il est certain que les personnes la connaissant peu pouvaient avoir cette impression. Elle avait trois ou quatre dents proéminentes et bégayait fortement. Sur sa photographie, elle a une collerette blanche, un nez assez long et arqué, mais les yeux sont plutôt grands et écartés. Elle portait toujours des lunettes d’or, dont le médium n’a pas parlé.

Si le lecteur a eu la patience de lire ces détails, il aura remarqué que les traits distinctifs de Mlle Vignier dans la vision et l’incarnation par Hélène (le bégaiement, les dents, la forme du nez, l’air méchant) coïncident avec ceux spontanément indiqués par Mme Cuendet, qui l’avait peu connue ; et que, si M. Dandiran, mieux au fait du caractère de sa tante, trouve fausse la note de méchanceté ou de manque de bienveillance, il reconnaît que les gens du dehors pouvaient s’y tromper. Qu’est-ce à dire, sinon que l’imagination de Mlle Smith n’a fait que réaliser le souvenir extérieur, le signalement de notoriété publique en quelque sorte, que Mlle Vignier a laissé après elle ? Et, si l’on se rappelle qu’à l’époque où les deux fiancées furent portraiturées, Mlle Smith fut mise en relations avec mes grands-parents maternels par la soeur même de Mlle Vignier, il devient d’une probabilité touchant à la certitude que ce sont des souvenirs contemporains, racontés une fois ou l’autre à Hélène par sa mère, qui ont fait la matière de cette personnification somnambulique. — Quant aux mots mademoiselle Vignier écrits à la fin de l’incarnation, je les ai comparés avec des lettres originales de Mlle Vignier et de sa soeur, Mme Dandiran ; ces mots ne rappellent point la signature de la première, mais se rapprochent beaucoup de l’écriture de la seconde. On dirait qu’il s’agit là d’un cliché visuel provenant de quelque lettre ou billet où Mme Dandiran aurait nommé sa soeur. Je ne vois en tout cas pas sur quoi on pourrait se fonder pour attribuer à ces mots une origine supranormale.

Dans cet exemple, auquel j’en pourrais joindre plusieurs analogues, le contrôle spirite apparent se réduit à des souvenirs latents de récits entendus jadis par Hélène. Dans d’autres cas, où, faute d’informations, il a été impossible jusqu’ici de retrouver cette filiation purement naturelle des renseignements, la simple analyse des circonstances et du contenu des communications indique que, selon toute probabilité, elles proviennent de réminiscences et impressions appartenant à des individus vivants bien plutôt qu’aux désincarnés. Autrement dit, ces messages et personnifications reflètent trop évidemment le point de vue du médium ou d’autres gens actuels pour qu’il soit permis d’y voir l’intervention de défunts dont le point de vue serait vraisemblablement tout autre.

C’est ce que je vais essayer de montrer en prenant comme échantillons, pour éviter jusqu’à l’apparence d’un choix arbitraire favorable à ma thèse, ceux-là mêmes que M. Lemaître a déjà publiés comme étant des plus frappants.

2. Cas de Jean le carrieur.

Il s’agit ici d’un message spirite bien curieux concernant Mme Mirbel, dans lequel je ne puis m’empêcher de voir de purs souvenirs de cette dernière — transmis je ne sais comment (mais pas forcément d’une façon supranormale) à Mlle Smith — plutôt qu’une communication authentique du désincarné prétendu.

Je ne parle pas des messages, provenant soi-disant de son fils réincarné en Esenale, qu’on a pu remarquer au cours du cycle martien ; car les quelques détails exacts qui s’y trouvent (les sentiments d’affection qu’Esenale témoigne à sa mère, sa façon de lui prendre la main, le petit nom de Linet du texte 3) peuvent trop facilement être mis au compte d’une reconstitution imaginative ou de souvenirs latents de la part du médium pour fournir une présomption notable en faveur de la présence réelle de feu Alexis Mirbel ; sans compter que la télépathie suffirait à combler les lacunes possibles de ces explications ordinaires. Je veux parler de la séance citée par M. Lemaître [6], où Hélène, en l’absence de Mme Mirbel, eut l’hallucination d’une très forte odeur de soufre, puis la vision d’une carrière au pied du Salève où elle aperçut et décrivit en détail un homme inconnu qui, par les dictées de la table, déclara être Jean le carrieur et chargea les assistants d’un message affectueux pour Mme Mirbel. Celle-ci interrogée le surlendemain reconnut, dans le signalement très précis de cet homme et tous les traits de la vision d’Hélène, des faits parfaitement exacts de son enfance, sortis depuis plus de vingt ans du cercle habituel de ses idées : il s’agissait d’un ouvrier employé dans les carrières de son père et qui, lorsqu’elle était petite fille, lui avait toujours témoigné une affection particulière, au point de la porter un jour sur ses épaules jusqu’au haut du Salève.

Supposons — en l’absence de toute preuve que Mlle Smith ait jamais entendu parler de ces souvenirs d’enfance de Mme Mirbel — qu’il faille recourir au supranormal pour l’explication de ce cas. Il n’en résulterait point encore une intervention réelle du carrieur défunt et M. Lemaître a eu bien raison, à mon sens, de s’en tenir à la télépathie en hasardant l’idée d’une influence éthérique subie par Hélène de la part de Mme Mirbel qui, à l’heure de cette séance, se trouvait passer à un demi-kilomètre de là. Sans sortir du domaine de la télépathie, je préférerais encore, à cette action à grande distance sur le moment même, une transmission antérieure au cours d’une des séances auxquelles avait assisté Mme Mirbel. Il n’est en effet pas contraire à ce qu’on croit savoir de la suggestion mentale d’admettre que le subliminal d’Hélène, dans l’état d’Esenale par exemple, a pu pomper en quelque sorte dans le subliminal de Mme Mirbel des souvenirs latents, qui ont ensuite couvé plus ou moins longtemps chez elle avant d’être prêts à reparaître à une séance où elle avait quelque raison de penser que Mme Mirbel serait de nouveau présente.

Quoi qu’il en soit du mode de transmission, le contenu même de cette vision me paraît indiquer clairement qu’elle a son origine dans les souvenirs personnels de Mme Mirbel plutôt que dans la mémoire posthume de Jean le carrieur. Pour ne relever qu’un détail, je ne vois pas comment, venant de ce soi-disant désincarné songeant encore avec affection à l’enfant de son ancien patron, la vision aurait pu débuter par une odeur de soufre ; il n’y a aucune raison pour que, de toutes les impressions sensorielles qui remplissaient la vie journalière du carrieur, celle-là précisément se soit soudée dans son esprit au souvenir de Mme Mirbel. Chacun a remarqué le rôle énorme des impressions olfactives dans l’évocation du passé ; on peut dire qu’à toute scène, personne, ou localité, qui nous a frappés par une odeur spéciale, cette odeur (ou son idée) s’attache dans la mémoire comme un signe caractéristique et une sorte d’étiquette ; aussi ne serait-il point surprenant que chez l’ouvrier carrieur le souvenir de la fillette du patron fût resté joint à celui de quelque parfum d’eau de Cologne, de pommade, ou simplement de fraîche peau de jeune fille, contrastant avec les odeurs de mines explosées, de poussière et de sueur qui formaient son atmosphère professionnelle ; mais pourquoi cette association avec du soufre ? On comprend au contraire fort bien, et pour la même raison, que, dans la mémoire latente de Mme Mirbel, l’odeur frappante et désagréable des mèches soufrées (dont elle se souvient parfaitement) se trouve encore indissolublement liée au souvenir de ses visites aux carrières de son père et des ouvriers qu’elle y rencontrait. Il en est de même des autres traits de la vision (la grande taille et l’absence de chapeau du carrieur, etc.) : tous semblent pris du point de vue de Mme Mirbel, et non pas de celui du soi-disant désincarné.

Je conclus que toutes les présomptions sont ici en faveur d’un souvenir de Mme Mirbel, et non pas d’une véritable communication de l’au-delà. L’aspect personnel des messages, soi-disant dictés par le carrieur, ne constitue pas un obstacle à mon interprétation et une garantie d’authenticité spirite, cet aspect étant, comme bien l’on sait, la forme que les automatismes revêtent habituellement chez les médiums, même lorsqu’il est prouvé qu’il s’agit de pures créations de la fantaisie subliminale.

3. Cas de Mme Flournoy.

Ma mère (décédée en 1875) s’est incarnée deux fois en Mlle Smith. De ces scènes somnambuliques, je me bornerai à relever et à discuter, à titre de spécimens, les deux épisodes mentionnés dans l’article de M. Lemaître (loc. cit., p. 78), et montrerai qu’ils ne fournissent aucun indice valable en faveur de la prétendue présence de ma mère.

1. Ma mère, très rhumatisante, ne pouvait étendre complètement l’annulaire et le petit doigt, qu’elle avait toujours plus ou moins fléchis ; or cette attitude me frappa pendant quelques moments dans les mains d’Hélène, et je la fis remarquer aux assistants. Je me l’expliquai alors par quelque suggestion mentale involontaire de ma part, mais ce n’est plus nécessaire depuis que je sais les relations de Mme Smith avec mes grands-parents. Car comment prouver qu’Hélène n’a jamais entendu parler, ou même été directement témoin dans son enfance, de ce trait spécial des mains de ma mère ? Or il suffirait de cela pour comprendre qu’elle l’ait naturellement reproduit d’une façon automatique en personnifiant cette dernière.

2. Le second fait cité par M. Lemaître — l’insistance d’Hélène, incarnant ma mère au dire de Léopold, à entrer dans une pièce attenante à ma bibliothèque et son arrêt devant une armoire basse, de mesquine apparence, qu’elle finit par ouvrir s’explique en réalité comme un mouvement de curiosité instinctive du médium beaucoup mieux que par l’authenticité de l’incarnation supposée. Je fus, il est vrai, très frappé sur le moment de l’attrait d’Hélène pour cette armoire, le seul des meubles de cette pièce que ma mère eût connu jadis, et j’inclinais à y voir de nouveau une influence télépathique de mes propres souvenirs. Mais l’analyse plus minutieuse des circonstances m’a fait apparaître ce cas sous un jour différent. Il y avait en réalité dans cette chambre un autre objet également familier à ma mère, quoique je n’y aie point pensé ce jour-là, à savoir une épée, pendue au mur, qui avait appartenu à mon père et qui était jadis un des ornements de la chambre à coucher de mes parents. Il est certain pour moi que, de l’armoire ou de l’épée, c’est ce dernier objet qui devait posséder le plus fort coefficient émotionnel dans les souvenirs de ma mère et aurait par conséquent dû l’attirer en premier lieu, tandis qu’il passa inaperçu, quoiqu’il fût bien en vue et ait nécessairement traversé plusieurs fois le champ visuel d’Hélène pendant sa station et ses allées et venues dans cette chambre. Rien d’étonnant au contraire à ce que l’armoire fermée, frappante par sa laideur bénie, ait piqué la curiosité d’Hélène plus qu’aucun des autres meubles ou objet, environnants.

D’une façon générale, toute cette scène d’incarnation s’explique très bien du point de vue du médium, mais absolument pas si on la rapporte à la personne défunte. Si vraiment il y avait eu là ma mère retrouvant avec intérêt une vieille armoire au milieu d’objets nouveaux qui ne lui disaient rien, comment ne se serait-elle pas livrée à ce même triage dans la bibliothèque où avait eu lieu la séance, laquelle est toute pleine de meubles, tableaux, livres et objets variés formant un mélange de choses anciennes qu’elle a connues et aimées et d’acquisitions postérieures à son décès ? Or le seul objet qu’elle y ait regardé et touché est son portrait, facilement reconnaissable par Mlle Smith, qui ne sait rien en revanche de l’origine du reste.

De même, le violent désir de pénétrer dans la pièce attenante à la bibliothèque, contrastant avec une indifférence totale pour le contenu de cette dernière, ne se comprend pas du tout si on suppose la présence réelle de ma mère ; il s’explique à merveille au contraire si on y voit une impulsion naturelle et bien légitime du médium lui-même. Mlle Smith était déjà familiarisée avec ma bibliothèque, où c’était la troisième fois qu’elle donnait une séance ; mais cette porte toujours fermée, faisant pendant à la porte d’entrée, devait l’intriguer et susciter en elle l’envie de savoir où elle conduisait. Ce n’est pas qu’Hélène soit curieuse à l’état de veille ; elle est au contraire extrêmement discrète et réservée. Mais point n’est besoin d’être bien fin psychologue pour avoir observé sur soi-même qu’on ne saurait être reçu plus d’une fois dans une chambre sans avoir l’idée — qui est déjà la curiosité à l’état naissant — de ce qui peut bien se trouver derrière les portes closes ou dans les armoires qu’on y aperçoit. Or les inhibitions artificielles, créées par l’éducation et le sens des convenances sociales, sont d’entre les premières que l’hypnose supprime ; aussi n’est-il pas surprenant que, dans un état d’autosuggestibilité où l’on s’imagine être la mère du propriétaire de céans, on ne soit plus retenu par la gêne d’aller enfin voir ce qu’il y a dans la chambre voisine et d’y ouvrir une armoire bizarre.

Ce serait m’engager dans des longueurs superflues que de rapporter les autres incidents des prétendues incarnations de ma mère, leur analyse aboutissant aux mêmes conclusions négatives.

4. Cas divers.

On est toujours mal placé pour juger des réapparitions de défunts qu’on n’a pas connus, et dont l’identité saute au yeux de leurs aboutissants. M. Lemaître en a cité deux cas, l’incarnation d’une personne « très vive et aimant à faire des nettoyages » [ce qui pouvait se savoir en dehors de sa famille immédiate], et celle de Mme Duboule qui revint dire des choses intimes à son mari [en fait elle lui demandait pardon, ce qui n’étonna personne]. Il y a eu bien d’autres cas encore. Tous, je crois, ont entraîné la conviction des assistants intéressés. Ces scènes d’incarnation, qui sont souvent très pathétiques et où d’autres fois le rose se mêle au gris et le burlesque au tragique, ne vont jamais sans un certain effet nerveux sur les simples spectateurs ; on conçoit ce que ce doit être pour les parents et ami s ! Mais des effets nerveux et des impressions organiques — palpitations, constriction de la glotte, perspiration froide le long du nez et des joues, petits frissons dans les téguments du dos, etc. —, tout cela peut bien engendrer psychologiquement un certain coefficient de réalité, donner comme une sensation immédiate de la présence authentique du défunt : cette conviction subjective ne constitue point un argument que l’on puisse rationnellement peser. Il m’est donc impossible de me prononcer.

Car si je déclare que, dans tous ceux de ces phénomènes que l’on m’a racontés ou dont j’ai été témoin, je n’ai rien su voir qui dépassât, non pas l’hypothèse télépathique, mais tout bonnement la reconstitution artificielle du prétendu désincarné par l’imagination hypnoïde travaillant sur des données de notoriété publique et des inductions très naturelles ; si je dis que, dans la voix de Mlle Smith intrancée, je n’ai jamais perçu que des altérations suffisamment explicables par son état émotif passager, tandis que ceux qui avaient connu le défunt croyaient y retrouver son timbre de voix et ses intonations, leurrés qu’ils étaient selon moi par un processus archi-vulgaire [7] ; si je fais oeuvre de critique en un mot au lieu de m’abandonner à l’impression esthétique générale et immédiate — je passerai inévitablement pour un affreux sceptique, un homme de parti pris, un empêcheur de danser en rond, etc. Aussi ferais-je mieux de me taire après mon refrain habituel : Tout est possible, même le retour des décédés par l’entremise de Mlle Smith ; mais vraiment les preuves qu’on m’en a offertes ne sont pas encore d’un poids proportionné à l’énormité d’un pareil fait.

5. Cas du syndic Chaumontet et du curé Burnier.

Voici un dernier cas, tout récent, où l’hypothèse spirite et l’hypothèse cryptomnésique subsistent l’une en face de l’autre, immobiles comme deux chiens de faïence se faisant les gros yeux, à propos de signatures données par Mlle Smith en somnambulisme et qui ne manquent pas d’analogie avec les signatures authentiques des personnages défunts dont elles sont censées provenir.

Dans une séance chez moi (12 février 1899), Mlle Smith a la vision d’un village sur une hauteur couverte de vignes ; par un chemin pierreux, elle voit descendre un petit vieux qui a l’air d’un demi-monsieur : souliers à boucles ; grand chapeau mou ; col de chemise pas empesé, aux pointes montant jusqu’aux joues, etc. Un paysan en blouse qu’il rencontre lui fait des courbettes, comme à un personnage important ; ils parlent patois, de sorte qu’Hélène ne les comprend pas. Elle a l’impression de connaître ce village, mais cherche vainement dans sa mémoire où elle l’a vu. Bientôt le paysage s’efface, et le petit vieux, maintenant vêtu de blanc et dans un espace lumineux [c’est-à-dire dans sa réalité actuelle de désincarné ; voir la note 2, p. 334], lui paraît s’approcher. À ce moment, comme elle est accoudée du bras droit sur la table, Léopold dicte par l’index : Baissez-lui le bras. J’exécute l’ordre ; le bras d’Hélène résiste d’abord fortement, puis cède tout à coup. Elle saisit un crayon, et au milieu de la lutte habituelle relative à la façon de le tenir (voir p. 103) : « Vous me serrez trop la main », dit-elle au petit vieux imaginaire qui, suivant Léopold, veut se servir d’elle pour écrire ; « vous me faites très mal, ne serrez pas si fort… qu’est-ce que ça peut vous faire que ce soit un crayon ou une plume ! » À ces mots, elle lâche le crayon pour prendre une plume et, la tenant entre le pouce et l’index, trace lentement d’une écriture inconnue : Chaumontet syndic (voir fig. 44). Puis revient la vision du village ; sur notre désir d’en savoir le nom, elle finit par apercevoir un poteau indicateur où elle épelle Chessenaz, qui nous est inconnu. Enfin, ayant sur mon conseil demandé au petit vieux, qu’elle voit encore, à quelle époque il était syndic, elle l’entend répondre : 1839. Impossible d’en apprendre davantage ; la vision s’évanouit et fait place à une incarnation totale de Léopold, qui de sa grosse voix italienne nous parle longuement de choses diverses. J’en profite pour le questionner sur l’incident du village et du syndic inconnus ; ses réponses entrecoupées de longues digressions se résument ainsi :

Je cherche… je me suis dirigé en pensée le long de cette grande montagne percée dessous dont je ne sais pas le nom [8] ; je vois ce nom de Chessenaz, un village sur une hauteur, une route qui y monte. Cherche dans ce village, tu trouveras certainement ce nom [Chaumontet], cherche à contrôler sa signature ; cette preuve-là, tu la trouveras ; tu trouveras que l’écriture a été de cet homme [9].

À ma demande s’il voit cela dans les souvenirs d’Hélène et si elle a été à Chessenaz, il répond négativement sur le premier point, évasivement su le second :

Demande-le-lui, elle a bon souvenir de tout, je ne l’ai pas suivie dans toutes ses promenades.

Réveillée, Hélène ne put nous fournir aucun renseignement. Mais le lendemain je trouvai sur la carte un petit village de Chessenaz dans le département de la Haute-Savoie, à vingt-six kilomètres de Genève à vol d’oiseau et non loin du Crédo. Comme les Chaumontet ne sont point rares en Savoie, il n’y avait rien d’invraisemblable à ce qu’un personnage de ce nom y eût été syndic en 1839 [10].

Quinze jours plus tard il n’y avait pas de séance, mais je faisais visite à Mme et Mlle Smith, lorsque Hélène prend soudain l’accent et la prononciation de Léopold sans se douter de ce changement de voix et croyant que je plaisante quand je cherche à le lui faire remarquer [11]. Bientôt l’hémisomnambulisme s’accentue ; Hélène voit reparaître la vision de l’autre jour, le village, puis le petit vieux (le syndic), mais accompagné cette fois d’un curé avec qui il paraît au mieux et qu’il appelle (à ce qu’elle me répète toujours avec l’accent italien de Léopold) mon cer ami Bournier. Comme je demande si ce curé ne pourrait pas écrire son nom par la main d’Hélène, Léopold me promet par une dictée digitale que j’aurai cette satisfaction à la prochaine séance ; puis il se met à me parler d’autre chose par la bouche d’Hélène qui est maintenant entièrement intrancée.

À la séance suivante chez moi (19 mars), je rappelle à Léopold sa promesse. Il répond d’abord par le doigt : Désires-tu beaucoup cette signature ? — et ce n’est que sur mes instances qu’il y veut bien consentir. Hélène ne tarde pas alors à revoir le village et le curé, qui, après divers incidents, vient s’emparer de sa main comme l’avait fait le syndic, et trace très lentement à la plume les mots : Burnier salut (fig. 44) ; puis elle passe à d’autres somnambulismes.

Le moment était venu d’éclaircir la chose. J’écrivis à tout hasard à la Mairie de Chessenaz. Le maire, M. Saunier, eut l’extrême obligeance de me répondre sans retard.

Pendant les années de 1838 et 1839, me disait-il, le syndic de Chessenaz était un Chaumontet, Jean, dont je retrouve la signature en divers documents de cette époque. Nous avons aussi eu pour curé M. Burnier André, de novembre 1824 jusqu’en février 1841 ; pendant cette période, tous les actes des naissances, mariages et décès, tenus alors par les ecclésiastiques, portent sa signature… Mais je viens de découvrir dans nos Archives un titre revêtu des deux signatures, celle du syndic Chaumontet et celle du curé Burnier. C’est un mandat de payement ; je me fais un plaisir de vous le transmettre.

J’ai fait reproduire au milieu de la figure 44 le fragment de ce document original (daté du 29 juillet 1838) portant les noms des deux personnages ; le lecteur peut ainsi juger par lui-même de la similitude assez remarquable qu’il y a entre ces signatures authentiques et celles automatiquement tracées par la main de Mlle Smith.

Ma première idée fut, on le devine, que Mlle Smith avait dû voir une fois ou l’autre des actes ou documents signés du syndic ou du curé de Chessenaz, et que c’étaient des clichés visuels oubliés, reparaissant en somnambulisme, qui lui servaient de modèles intérieurs lorsque sa main intrancée retraçait ces signatures. On devine également si une telle conjecture fit bondir Hélène, qui n’a aucun souvenir d’avoir jamais entendu le nom de Chessenaz ni de ses habitants présents ou passés. Je ne regrette qu’à moitié mon imprudente supposition, car elle nous a valu une nouvelle et plus explicite manifestation du curé, lequel, s’emparant derechef du bras de Mlle Smith à une séance ultérieure (21 mai, chez M. Lemaître), vint nous certifier son identité par l’attestation en bonne et due forme de la figure 43. Comme on le voit, il s’y prit à deux fois s’étant trompé à la signature, il barra incontinent avec dépit tout ce qu’il venait d’écrire si soigneusement, et recommença sur une autre feuille ; ce second libellé où il a omis le mot soussigné du premier, lui prit sept minutes à tracer, mais ne laisse rien à désirer comme évidence et précision. Cette calligraphie appliquée est bien celle d’un curé campagnard d’il y a soixante ans, et, à défaut d’autre pièce de comparaison, elle présente une indéniable analogie de main avec acquit authentique du mandat de paiement de la figure 44.

Ni Mlle Smith ni sa mère n’avaient la moindre notion du curé ou du syndic de Chessenaz. Elles m’apprirent cependant que leur famille avait eu quelques parents et connaissances dans cette partie de la Savoie, et qu’elles sont encore en relations avec un cousin qui habite Frangy, le bourg important le plus rapproché (une lieue) du petit village de Chessenaz. Hélène elle-même n’a fait qu’une courte excursion dans cette région, il y a une dizaine d’années ; et si, en suivant la route de Seyssel à Frangy, elle a traversé des coins de paysage répondant bien à certains détails de sa vision du 12 février (qu’elle avait le sentiment de reconnaître, comme on a vu p. 353), elle n’a par contre aucune idée d’avoir été à Chessenaz même, ni d’en avoir entendu parler. D’ailleurs, dit-elle,

pour ceux qui pourraient supposer que j’ai pu passer à Chessenaz sans m’en souvenir, je m’empresserai de leur objecter et de leur affirmer que même y serais-je allée, je n’aurais point été y consulter les archives pour y apprendre qu’un syndic Chaumontet et un curé Burnier y avaient existé à une époque plus ou moins reculée. J’ai bonne mémoire et j’affirme hautement qu’aucune des personnes qui m’ont entourée pendant ces quelques jours passés loin de ma famille ne m’a jamais montré aucun acte, aucun papier, rien en un mot qui pourrait avoir emmagasiné dans mon cerveau un pareil souvenir. Ma mère a fait, à l’âge de quatorze ou quinze ans, une course en Savoie, mais rien dans ses souvenirs ne lui rappelle avoir jamais entendu prononcer ces deux noms.

Les choses en sont là, et je laisse au lecteur le soin de conclure comme il lui plaira.

FIGURE 43. Attestation écrites (le 21 mai 1899) par la main de Mlle Smith intrancée. Celle d’en haut a été fiévreusement barrée en terminant la signature fautive ; puis celle d’en bas a été écrite en sept minutes [Collection de m. Lemaître.] — Grandeur naturelle.

FIGURE 44. Comparaison des signatures authentiques du syndic Chaumontet et du curé Burnier avec leurs prétendues signatures de désincarnés données par Mlle Smith en somnambulisme. — Au milieu de la figure, reproduction d’un fragment d’un mandat de paiement de 1838. Au-dessus et au-dessous, les signatures fournies par la main d’Hélène. — Grandeur naturelle.

Ce cas m’a paru digne de couronner mon rapide examen des apparences supranormales qui émaillent la médiumité de Mlle Smith, parce qu’il résume et met excellemment en relief les positions respectives, antinomiques et inconciliables, des milieux spirites et des médiums d’une part, parfaitement sincères du reste mais par trop faciles à contenter — et des chercheurs quelque peu psychologues d’autre part, toujours poursuivis par la sacro-sainte terreur de prendre des vessies pour des lanternes. Aux premiers, la moindre chose curieuse, une vision inattendue du passé, des dictées de la table ou du doigt, un accès de somnambulisme, une ressemblance d’écriture, suffisent à donner la sensation du contact de l’au-delà et à prouver la présence réelle du monde désincarné. Ils ne se demandent jamais quelle proportionnalité il peut bien y avoir entre ces prémisses, si frappantes soient-elles, et cette formidable conclusion. Pourquoi et comment, par exemple, les défunts, revenant au bout d’un demi-siècle signer par la main d’une autre personne en chair et en os, auraient-ils la même écriture que de leur vivant ? Les mêmes gens qui trouvent cela tout naturel, bien qu’ils n’en aient encore point vu de cas certains, tombent des nues lorsqu’on invoque devant eux la possibilité de souvenirs latents, dont la vie courante leur fournit pourtant des exemples quotidiens — qu’ils n’ont, il est vrai, jamais pris la peine d’observer. Les psychologues en revanche ont le diable au corps pour aller regarder derrière les coulisses de la mémoire et de l’imagination, et, quand l’obscurité les empêche d’y rien distinguer, ils ont la marotte de s’imaginer qu’ils finiraient bien par y trouver ce qu’ils cherchent — si seulement on pouvait y faire de la lumière. Entre deux classes de tempéraments aussi disparates, il sera, je le crains, bien difficile d’arriver jamais à une entente satisfaisante et durable.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

Notes

[1Évangile de Luc 20 38.

[2« S’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, ils ne se laisseront pas non plus persuader quand même l’un des morts ressusciterait » (Luc 16 31).

[3Voir R. Hodgson, « A Further Record. etc. », Proceed. S. P. R. vol. XIII, p. 254.

[4Un petit portrait à l’huile de ma mère, pendu dans un panneau près duquel Mlle Smith voyait l’apparition.

[5Vérification faite à l’état civil, Mlle Vignier mourut en 1860, soit bien avant la naissance de Mlle Smith.

[6loc. cit., p 74-77 (Mme Mirbel y est désignée sous le nom de Mme Nadaud).

[7Fusion des éléments actuels de la perception avec les images mnésiques reproduites ; concrétion d’Ampère, assimilation de Herbart, etc.

[8En disant cela, Léopold-Hélène se tournait vers une fenêtre de ma bibliothèque donnant du côté du Fort-de-l’Écluse, où se trouve en effet le tunnel du Crédo, sur la voie ferrée de Genève à Bellegarde (sur son ignorance des noms propres, voir p. 330, n. 1).

[9Noter cette préoccupation, constante chez Léopold, de me fournir des preuves du supranormal pour m’amener au spiritisme.

[10La Savoie faisait alors partie des États sardes. Sa cession à la France en 1860 a entraîné la substitution des maires aux syndics.

[11Cet accès inattendu et exceptionnel d’hémisomnambulisme spontané pendant une de mes visites est probablement dû au fait que c’étaient justement le jour et l’heure ordinaires des séances.

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