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Berbiguier de Terre-Neuve du Thym

On ne se lasse pas de vouloir m’abuser

Les Farfadets (Chapitre XLI à L)

Date de mise en ligne : mercredi 20 décembre 2006

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Berbiguier de Terre-Neuve du Thym, Les Farfadets ou Tous les démons ne sont pas de l’autre monde, À compte d’auteur, Paris, 1821.

CHAPITRE XLI
Curiosité de M. Étienne. Dîner d’amis. Mauvaise nuit. Conseils de M. Étienne

LE LENDEMAIN, c’était la veille de la Noël, M. Étienne voulut, en descendant de chez lui, me donner le bonjour ; mais comme c’était le moment des préparations de mon petit dîner, je voulus être libre, et le remerciai sans lui ouvrir la porte. Je lui observai que les chefs de cuisine n’aimaient pas à être incommodés. Il s’en fut. Ses affaires l’obligèrent à rentrer plusieurs fois chez lui dans le courant de la journée, et sa curiosité le portait à voir ce que je faisais, prétextant toujours qu’il n’avait qu’un mot à me dire. Je n’ai pas le temps de vous entendre, lui dis-je, allez, allez, faites vos affaires et laissez-moi faire les miennes. Mais je sens, dit-il, une odeur délicieuse. Demain vous la sentirez encore mieux qu’aujourd’hui : dites-moi seulement quelle sera votre heure la plus commode pour dîner. — La vôtre, me dit-il. Vous avez l’habitude de vous mettre à table à deux heures, je me rendrai chez vous à cette heure. C’est bon, lui dis-je, allez à présent à vos affaires, car je n’ai pas le temps de causer. Je préparai donc tout pour le moment indiqué. II ne manqua pas au rendez-vous, il y fut le premier ; je l’invitai à prendre place, lui disant que l’honneur appartenait à mon seigneur et maître. — Non, me dit-il, attendons un quart d’heure. Ce temps expiré, je le pressai de nouveau ; il voulut encore attendre ; mais l’autre quart d’heure passé, nous nous mîmes à table. J’étais très fâché que mon ami se fit attendre ; mais comme j’aime l’exactitude, et que je ne manque jamais à ma parole, je voulus lui donner une leçon, malgré les observations de M. Étienne, qui me disait que ce jeune homme pouvait avoir été retenu malgré lui pour quelque affaire pressante. — Il aurait dû les prévoir ; commençons notre dîner, il en trouvera assez, s’il arrive. Nous dinâmes donc presque seuls. M. Étienne ne pouvait se lasser de louer ma manière d’apprêter et de servir un repas : il trouva tout parfait. Ses compliments me faisaient tant de plaisir que je n’étais occupé qu’à le servir, sans goûter à aucun des mets ; ma joie était à son comble d’avoir si bien réussi. Vers la fin du dîner mon ami arrive enfin. Vous voyez comme nous vous attendons, lui dis-je. Il nous fit des excuses et complimenta M. Étienne. — C’est lorsque vous serez à table que vous continuerez vos compliments, je serai content de voir la partie complète. Leur conversation me fut très agréable, tant que dura le repas ; elle n’était interrompue que pour exalter la manière dont je traitais mes amis. Je les remerciais l’un et l’autre, en leur disant que l’on ne pouvait jamais rien faire de trop pour eux. L’instant de nous séparer étant venu, chacun se retira. Resté seul, je me félicitai de l’agrément que m’avaient procuré ces deux jeunes gens par leur conversation aimable et spirituelle, j’eus la consolation de voir que le caractère de mon ami sympathisait parfaitement avec celui de M. Étienne.

Après avoir mis ordre à tout, je me couchai, et je fus tourmenté bien cruellement. C’était sans doute pour me faire payer le plaisir que j’avais eu dans la journée, que les démons ne voulurent pas me laisser tranquille une seule nuit ; je trouvai ces procédés plus que cruels. Mais que peut-on attendre des esprits malfaisants dont tout le génie n’est porté qu’au mal, et qui se font un jeu de tourmenter les faibles humains, lorsqu’ils savent surtout que pour se consoler, ils n’ont recours qu’à la divinité.

Le lendemain, à mon lever, je montai chez M. Étienne pour lui demander comment il avait passé la nuit. Ma foi, me dit-il, votre charmant dîner m’a fait passer une nuit délicieuse, les plus riantes images de la bonne société se sont présentées à mon imagination. — Vous êtes bien heureux, lui dis-je, d’avoir l’esprit rempli de ces riantes images, le mien n’est plein que de choses bien différentes, je ne vois que des farfadets qui se déguisent sous mille formes pour me tourmenter, m’agiter et me faire éprouver une insomnie perpétuelle. — Je présume que ce sera mon cousin Lomini qui vous aura tourmenté cette nuit. — Que ce soit lui ou un autre, je n’en ai pas moins été persécuté comme une âme damnée. — Il faut que vous soyez encore poursuivi quelque temps, jusqu’au moment que nous recevrons des nouvelles de M. Cazin ; mais après cela, soyez certain que j’y mettrai ordre. Il revint ensuite à me complimenter encore auprès de ses amis, qui se trouvaient là, sur le charmant dîner de la veille, et sur l’agréable connaissance que je lui avais fait faire, et avec laquelle il désirait former une étroite liaison d’amitié. Je vous procurerai ce plaisir, Monsieur, comptez sur moi, lui dis-je, et je pris congé de la société pour me rendre à l’église, afin d’y remplir les devoirs d’un chrétien dévoué.

M. Étienne me pria de songer à lui dans mes prières. Soyez tranquille, Monsieur, lui dis-je, je n’oublierai ni amis, ni ennemis ; car telle est la loi divine, qu’il faut également prier pour les uns comme pour les autres. Mais pour ne pas le tromper, je lui conseillai de ne pas compter sur l’efficacité de mes prières, quoique je les adressasse avec assez de ferveur pour les faire parvenir auprès du Très-Haut. De retour chez moi, tandis que j’étais à réfléchir sur ma triste situation, je fus interrompu encore par M. Étienne, qui me raconta tout ce qui lui était arrivé pendant cette journée. Je voulus savoir où nous en étions pour ce qui me regardait, et s’il avait reçu des nouvelles de M. Cazin. Pas encore, dit-il. — Savez-vous que tous ces retards ne m’accommodent pas du tout, et que je suis très impatient de voir finir tout cela ? Comment ! je ne suis tranquille ni jour ni nuit ! — Prenez encore un peu de patience, M. Berbiguier, si ce prêtre ne nous répond pas, nous écrirons une autre lettre. — Mais, Monsieur, ce commerce de lettres ne fera rien à ma guérison ; jusqu’à présent je ne vois là qu’un abus sans aucun résultat. C’est ainsi que les escamoteurs, les saltimbanques, qui ont beaucoup de rapport avec les sorciers de nos jours, nous trompent et nous font espérer. Ils nous distribuent quelques imprimés gratuits, qu’ils ne donnent que pour nous faire acheter des drogues dont ils vantent l’efficacité ; c’est ainsi, dis-je, que vous me trompez en me faisant espérer la fin de mes maux. Je vous avoue donc que je ne compte pas plus sur l’effet des lettres de M. Cazin, que sur les papiers des saltimbanques. M. Étienne voyant que mon dépit me menait un peu trop loin, détourna la conversation, et me parla de ce qui le concernait et de sa famille, dont il ne recevait plus de nouvelles, non plus que de son frère Baptiste. Il ne savait à quoi attribuer ce silence. Il craignait que M. son père, pour le forcer à revenir chez lui, ne lui retirât sa pension, ce qui le mettrait dans un cruel embarras. Pourquoi ne vous rendez-vous pas près de vos parents, lui dis-je, puisqu’ils le désirent ardemment, et que M. votre frère lui-même vous le conseillait avant son départ pour Moulins ? — Je le sais bien, me répondit-il ; mais les craintes que je vous ai déjà exposées me retiennent toujours, voilà pourquoi je n’ai nulle envie d’y aller.

Songez, Monsieur, qu’un fils doit toujours soumission à ses père et mère. Ce n’est pas déshonorant que d’être repris par eux, quels que soient l’âge et l’état que nous ayons. Songez qu’ils représentent l’image de Dieu sur la terre : vous le saurez si un jour vous êtes père : vous ne souffrirez pas que votre autorité soit méconnue. Aisément un fils trouve pardon de ses fautes ; car la bonté des pères est au-dessus de la méchanceté des enfants. — Je conviens de l’excellence de vos conseils, me dit-il ; mais vous ne connaissez pas ma mère : soit prévention ou attachement pour tel ou tel autre enfant, elle ne peut me rendre justice sur rien, et malheureusement mon père cède toujours à son avis. — Peut-être avez-vous aussi la présomption de croire que vous faites toujours bien, ce qui vous fait considérer comme injustes les reproches que votre mère est en droit de vous faire, vu son âge et son expérience. Votre obstination doit l’irriter, et vous l’accusez de dureté et d’injustice.

Je vous ai déjà dit, Monsieur, que vos conseils étaient très bons ; mais fussent-ils meilleurs encore, il ne me convient pas de m’y soumettre. Je ferai mon possible pour ne pas être obligé de quitter Paris. J’emploierai le crédit de mes amis ; je me soumettrai à toutes les privations nécessaires pour y demeurer. — Et si votre père, lassé de votre opiniâtreté, employait la force pour vous faire conduire chez lui ? — Voilà ce que je crains plus que je ne le désire.

Cet entretien un peu sévère l’avait indisposé contre moi ; mais il ne le témoigna pas. La nuit s’avançait, nous désirions chacun le repos ; mais le repos ne fut pas plus pour moi pendant cette nuit que pendant les précédentes.

CHAPITRE XLII
Ma visite à M. Prieur aîné.
Ses bons procédés à mon égard.
Divers conseils à M. Étienne

DES QUE LE JOUR FUT vu, je montai chez M. Étienne. Un instant après, son frère aîné, droguiste, arriva pour le voir. M. Étienne me fit faire sa connaissance. Nous parlâmes commerce ; et quand nous fûmes sur l’article chocolat, ce Monsieur me dit qu’il en avait de première qualité. Je le priai de m’en faire parvenir deux livres, ce dont il prit note, et il s’en fut en me faisant promettre de l’aller voir. Comme il ne faut jamais nuire à personne, et que dans les familles les parents se divisent souvent entre eux, je demandai à M. Étienne si je devais parler de lui chez M. son frère, que je devais visiter. Il parut ne pas le désirer. Je fis très bien de prendre cette précaution ; car l’humeur que j’avais contre ce jeune homme aurait pu peut-être me faire dire de lui des choses qui n’eussent pas été à son avantage, et qui eussent fait de la peine à M. son frère. Je me rendis à l’invitation de M. Prieur aîné. II me reçut très bien, me fit voir sa maison, son laboratoire : tout cela me parut très bien disposé. Nous parlâmes ensuite de sa famille, et particulièrement de M. Baptiste son frère, qui était allé à Moulins pour rétablir sa santé. II m’annonça qu’il allait beaucoup mieux, ce qui me fit plaisir, car ce jeune homme me paraissait très estimable. Je dis à M. Prieur que M. son frère Étienne ne m’en avait jamais donné des nouvelles depuis son départ. II peut bien se faire que mon frère Baptiste n’ait pas écrit à Étienne ; mais je lui en parlerai, me dit M. Prieur, que je remerciai de son aimable accueil en prenant congé de lui.

Rentré chez moi, je conjecturai que M. Baptiste était fâché contre son frère Étienne, puisque ce dernier n’avait pas reçu de ses nouvelles, tandis que l’autre en avait eu. La raison était simple : M. Prieur avait de la conduite, il s’était fixé un état dans lequel il prospérait, tandis que M. Étienne, après avoir fait dépenser beaucoup d’argent à son père, n’était encore fixé à rien. II est très possible que ce fut ses père et mère qui l’eussent empêché de lui écrire : je n’en serais pas fâché, si cela pouvait être pour ce jeune écervelé une leçon qui l’obligeât à se fixer à quelque chose. Ces réflexions m’occupaient, lorsque M. Étienne, qui en était l’objet, frappa à ma porte. Je la lui ouvris et lui fis part de la visite que j’avais faite à M. son frère aîné ; qu’après avoir reçu de lui toutes sortes d’honnêtetés, nous nous étions entretenus d’affaires de commerce, ensuite de sa famille ; que je n’avais rien dit, le concernant, qui pût lui être défavorable, mais que j’avais reçu des nouvelles satisfaisantes sur la santé de M. son frère Baptiste. J’ai passé deux heures fort agréables avec M. votre frère, et je vous remercie de m’avoir procuré sa connaissance. II parut satisfait de ce que je lui disais, et me fit l’éloge de son frère aîné. Il fut également satisfait du rétablissement de son frère Baptiste, en se plaignant néanmoins de n’avoir pas reçu une lettre de lui. Vous êtes un peu exigeant, peut-être, pour un malade, lui dis-je ; vous êtes le plus jeune, et vous devriez en cela écrire avec soumission à vos parents. Croyez-moi, suivez mes conseils, ils ne peuvent dans aucun cas vous nuire : réhabilitez-vous avec eux, fixez-vous à quelque chose qui puisse vous convenir, vous serez heureux et vous contenterez toute votre famille ; cela vaudra mieux que de mener une vie oisive qui, tout en mécontentant tous vos parents, ne peut que vous entraîner un jour dans de cuisants chagrins. Votre obstination à ne pas suivre la volonté de votre père ne peut qu’amener la privation de votre pension. Que deviendrez-vous alors ? pourrez-vous braver la misère ? Faites donc, il en est temps encore, toutes ces réflexions.

Ah ! Monsieur, me dit-il, je sens toute la force de vos sages conseils, ils me pénètrent au point que je puis m’empêcher de vous en remercier ; mais je ne me sens pas celle de pouvoir prendre sur moi de mettre en pratique tous vos avis. — Si vous faites quelque cas de la morale que je me suis permis de vous faire, donnez-moi du moins la satisfaction d’écrire sur-le-champ à vos parents, dites-leur que vous êtes attaché à toute votre famille, à tous vos frères, sans oublier celui qui se trouve malade, pour qu’il puisse lui-même contribuer à vous faire revenir dans son sein : ne vous rebutez pas, si vous n’obtenez de suite une réponse. Vous le voyez vous-même par les lettres que nous avons écrites à M. Cazin. Auriez-vous cru qu’il eût été aussi longtemps à nous répondre ?… Toutes ces remontrances nous ayant conduits un peu avant dans la nuit, il se retira et me promit d’écrire bien vite, pour me prouver qu’il était pénétré de ma morale. Je passai la nuit dans le même état que les précédentes, toujours agité et tourmenté.

CHAPITRE XLIII
Nouveaux prétextes de M. Étienne.
Mes observations à ce sujet.
Sa surprise sur mes connaissances

LORSQUE JE MONTAI chez mon obstiné farfadet, je le trouvai à son bureau ; je lui témoignai le plaisir que j’avais de le voir se décider à suivre mes avis. II me répondit que n’ayant jamais eu le bonheur de rencontrer des personnes aussi sages et d’aussi bons conseils que moi, il n’avait pu prendre sur lui-même de se soumettre ainsi à ses devoirs. Je le félicitai de nouveau de s’être enfin décidé à une chose aussi nécessaire à son repos et à son bonheur. Je sortais de sa chambre, lorsque je rencontrai deux de ses amis, qui me demandèrent s’ils trouveraient M. Étienne chez lui. Vous le trouverez occupé à écrire à ses parents. Nous nous saluâmes, et j’allais à mes affaires. Je ne rentrai que le soir. Je ne vis point M. Étienne, et je m’abandonnai à mes réflexions ordinaires. Ne voyant jamais venir aucun soulagement à mes peines, je dois craindre que rien ne puisse faire finir ces tourments infernaux. Je me levai de mon lit et je montai chez M. Étienne, muni d’une tablette de chocolat, que je préparai chez lui pour pouvoir déjeuner ensemble. Il m’apprit qu’il avait mis sa lettre à la poste. Vous avez très bien fait, lui dis-je, et vous devez espérer d’une telle démarche. Plusieurs de ses amis entrèrent chez lui, me firent des questions sur mon état ; et lorsque je me disposais à leur répondre, une personne me demanda. Je fis mes excuses à ces Messieurs, et je rentrai chez moi. Cette personne, qui venait s’informer de ma santé, resta très peu de temps.

Aussitôt qu’elle m’eut quitté, je m’aperçus, par le temps affreux qu’il faisait, que les sorciers et les physiciens avaient commencé leurs travaux, ce qui me fit tomber dans des réflexions pour en approfondir la cause. Je ne pouvais me rendre compte de la nécessité que ces gens-là trouvaient à nous envoyer un aussi mauvais temps. Leur intention est-elle de ravager les campagnes, de désoler le cultivateur, de produire la disette dans les villes, en nous inondant par des torrents de pluie ?… Aussitôt que je verrai M. Étienne, il faut absolument qu’il me donne la solution de cet infernal problème, qui me trouble la cervelle sans apporter le moindre remède à mon mal.

Il rentra bientôt, je l’interrogeai sur cette pluie considérable qui était tombée. C’est un désastre affreux, lui dis-je ; que deviendront les malheureux artisans, cultivateurs, ouvriers, etc., si on ne peut récolter le blé et autres denrées de première nécessité ? Les voyageurs seront arrêtés dans leur route ; les militaires, cette classe d’hommes estimables, ne pourront résister à tant d’intempérie. Enfin, tous les états qui s’exercent extérieurement, ne produiront plus rien. Combien de milliers d’individus sont en danger de perdre la vie, si ceux qui les exercent sont sans travail !

M. Étienne me dit d’un air surpris : Eh mais ! Monsieur, qui donc vous a persuadé que ce temps affreux, dont vous vous plaignez avec tant d’amertume, était plutôt l’ouvrage des démons que celui de Dieu ? C’est une erreur où personne n’est jamais tombé que vous. — Ah ! Monsieur, pouvez-vous traiter d’erreur une chose qui frappe si évidemment l’esprit ? Vous ne savez donc pas qu’il n’appartient qu’à Dieu de favoriser les mortels qu’il prend sous sa protection ? Eh bien, Monsieur, apprenez que je suis au nombre de ces mortels, et que c’est Dieu lui-même qui, connaissant la pureté de mes sentiments et l’horreur que j’ai de tout le mal qui se commet sur la terre par tous les êtres malfaisants qui la désolent ; c’est Dieu, dis-je, qui a bien voulu me donner les lumières nécessaires pour juger que cette désolation n’était pas son ouvrage, mais bien celui des farfadets qui ne croient pas à sa divine bonté. Partout je ne vois que désordre, il semble que tout ce qu’il y a de génie malfaisants s’est réuni pour confondre la terre ; ce n’est qu’une guerre perpétuelle d’éléments contre éléments ; le feu qui s’élance de la nuée, et qui va réduire en cendre la cabane du malheureux ; la pluie qui tombe par torrents pour ravager les moissons, ne sont que des signes trop certains de la scélératesse de ces méchants qui désolent notre terre infortunée, sous le voile des ombres malheureuses échappées de leurs tombeaux. Les fantômes errants peuvent donc être considérés comme ces hommes qui furent autrefois si redoutables aux ennemis de leur gloire et de leur bonheur. Voilà, Monsieur, des choses que vous ne pouvez me nier. Vous me demandez qui peut m’avoir instruit de toutes ces choses ? ignorez-vous qu’il y a vingt ans que je suis en proie aux plus horribles souffrances ; que mon courage a résisté à toutes les épreuves ; que c’est par ce courage inébranlable que j’ai su parvenir à distinguer les différents travaux de chacun des physiciens qui se sont emparés de moi ? Ne croyez pas m’avoir abusé longtemps, votre travail n’a pas échappé à ma pénétration, il est tout à fait différent de celui de vos amis : pouvez-vous me prouver le contraire ? Vous m’avez à présent livré à une planète orageuse, qui fait fondre sur moi la neige, la pluie et les éclairs. Je vous en fis des reproches dans le temps ; vous crûtes devoir me répondre que ces choses étaient nécessaires. Je vous déclare que je n’en vois pas la nécessité. Prendre autorité sur ma personne, et m’abuser chaque jour comme tant d’autres ont fait avant vous, c’est être plus que cruel. Mais revenons à des choses qui doivent être pour moi plus intéressantes. N’est-il pas à votre connaissance que je souffre comme une âme damnée depuis longtemps ? pourquoi, en votre qualité de magicien, vous introduire invisiblement chez moi, sous telle forme qu’il vous plaît ? pour savoir ce que je fais, vous vous placez même dans mon lit. Si Dieu ne me donnait pas la force de vous repousser de mon intérieur, je crois que votre Belzébuth se serait emparé de moi, et que je serais tout à fait en votre puissance ; et bien loin de mettre la moindre opposition à vos perfides manoeuvres, vous les continuez avec autant de perfidie que de cruauté, et je continue d’être le jouet de votre bande infernale, au point que, si je passais près d’un fleuve ou d’une rivière, le démon du vent soufflerait aussitôt avec tant d’impétuosité, que je ne pourrais éviter de me noyer ; je craindrais même d’entreprendre un voyage à cheval ou en voiture, un mauvais démon briserait ma voiture ou ferait prendre au cheval le mors aux dents. Si je voulais bâtir une maison, vous l’endommageriez au point que je ne pourrais l’habiter. Je frémis enfin des dangers auxquels je suis exposé, et ne sais plus que penser et que dire.

Que dois-je faire pour me mettre à l’abri de toutes vos persécutions, puisque votre pouvoir s’étend sur toute la terre ? Comment fuir cette société, présidée par Belzébuth, Lucifer et Asturet, le plus dangereux des démons, le séducteur de notre mère Ève, auteur du péché originel ? Ah ! pourquoi Dieu n’a-t-il pas pulvérisé cet infernal démon, lorsque, par astuce, il prit la forme d’un serpent, pour insinuer à Ève l’envie de goûter le fruit défendu ? nous n’aurions pas connu les misères humaines, notre âme serait pure comme quand elle est sortie du sein du Créateur. Infernale engeance ! qui a donc pu vous vomir sur la terre ? S’il est des méchants comme vous, adressez-vous à eux pour exercer vos infâmes projets ; mais ne venez pas attaquer d’innocentes victimes comme moi, des malheureux que vous faites souffrir par votre exécrable domination. M. Étienne parut très surpris de m’entendre parler de la sorte et de l’étendue de mes connaissances, il m’assura qu’aucune des personnes qu’ils avaient tourmentées jusqu’à ce jour n’avait pu deviner si juste les causes qui les faisaient agir. Eh ! Monsieur, lui dis-je, l’homme qui cherche la vérité, qui ne dédaigne pas de s’éclairer des divines connaissances, est bien plus heureux sur la terre que ceux qui ne s’occupent que des futilités mondaines, dont les jouissances sont si peu de chose, quand elles sont comparées aux sublimes vérités contenues dans l’évangile. Un revers ici-bas fait le désespoir des farfadets ; mais moi, soutenu par la force divine, j’attends la récompense de mes tribulations et des supplices que me fait éprouver la race des sorciers et des magiciens, qui n’auraient jamais dû sortir de leur antre infernal.

Vous avez raison, me dit ce jeune homme, votre espoir ne doit point être trompé ; et la confiance que vous avez en Dieu doit vous attirer la récompense que vous demandez. Prenez patience, et vous jouirez, sur cette terre, de toute la tranquillité que je vous ai promise et que je vous promets encore ; et il me quitta en riant.

CHAPITRE XLIV
Nouvelles Remontrances à M. Étienne

QUAND J’ÉTAIS SEUL, je ne pouvais me dissimuler que M. Étienne ne fût un hypocrite. Je n’avais plus de confiance en lui. Cependant, pour ne rien précipiter, je fus le trouver le lendemain pour l’engager à écrire une troisième lettre à M. Cazin. Je l’y déterminai, et je fis de cette lettre comme des autres. De retour chez moi, je pensai que cette épreuve devait avoir quelque effet, ou bien me confirmer que M. Étienne m’en imposait, et qu’il compromettait un honnête homme, dont le caractère devait lui inspirer plus de respect. M. Étienne arriva dans ce moment, et sans employer aucune cérémonie, il me dit qu’en raison de ce que nous avions écrit à M. Cazin, je devais avoir passé une meilleure nuit que de coutume. Je pense qu’il ne s’obstinera pas, dit-il, cette fois, à ne pas nous répondre : s’il gardait encore le silence, je me fâcherais décidément contre lui. J’opérerais seul, et vous seriez guéri ; mais j’ai l’espérance qu’il écrira. Nous causâmes encore quelques instants, et il monta à sa chambre. Je restai seul ; je voulus reposer, mais je ne pus goûter un moment de repos.

Le lendemain matin, il me vint une visite, qui m’empêcha de monter chez M. Étienne. Je ne le vis que le soir. Il me fit part d’une lettre de son père, que son frère aîné lui avait remise, et dans laquelle on l’invitait à revenir à la maison paternelle. On le menaçait de ne plus lui envoyer de l’argent, en raison du mauvais emploi qu’il en avait fait jusqu’à ce jour. Je l’engageai à se rendre à l’invitation de son père. Il me dit qu’il ne voulait pas s’expliquer sur ce qu’il pensait de son rappel à Moulins ; et pour me faire comprendre l’éloignement qu’il avait pour son retour, il prit un verre qu’il jeta par terre avec force, en me disant qu’il n’y aurait pas plus de réunion entre lui et sa famille qu’entre les parties du verre qu’il venait de casser. Cette scène se passa en présence du frère, qui le menaça de le faire conduire par la gendarmerie, s’il ne retournait pas à Moulins. Je lui recommandai de se modérer devant son frère, qui pourrait en instruire ses parents, qui ne cesseraient alors d’être indisposés contre lui. Vous avez beau dire, Monsieur, je ne veux pas vous contrarier ; mais je ne puis me résoudre, me dit-il, à ce que veulent mes parents. — Eh ! Monsieur, quand l’ardeur de la jeunesse vous porterait à ce dérèglement, et que vous ne croiriez pas mal faire, l’éducation, et, plus encore, la religion, ne doivent-elles pas vous apprendre à vous modérer et reconnaître vos devoirs envers vos parents ? II reconnut la sagesse de mes conseils ; mais il persista dans ses résolutions à ne pas changer de conduite. Alors je fus indigné, et lui dis avec la plus vive émotion, qu’il mériterait bien que son père lui retirât la pension dont il faisait un si mauvais usage, qu’il l’abandonnât et qu’il le déshéritât, juste châtiment des enfants ingrats et dénaturés. Vous deviendrez l’opprobre de la société, la proie de tous les vices ; le remords bientôt vous poursuivra partout ; vos traits défigurés porteront l’empreinte hideuse de l’infamie ; vous n’aurez peut-être plus d’asile que dans les lieux destinés à la punition des grands scélérats. Craignez ensuite le tribunal d’un Dieu vengeur, qui vous précipitera dans les flammes éternelles, séjour de tous ceux qui, comme vous, renoncent aux préceptes de la religion, pour suivre les sentiers qui conduisent au chemin de tous les diables, que vous vous obstinez à vouloir imiter.

Confondu par la force et la justesse de mon raisonnement, ce jeune homme convint de ses torts, mais sans me promettre de changer de manière de vivre. Il se retira, et il ne tarda pas à revenir me visiter invisiblement dans mon lit : encore, s’il fût venu seul ! mais il était accompagné d’une société de furibonds, composée des suppôts de Satan, qui faisaient de ma chambre le lieu de la plus épouvantable des orgies. Ils me tordaient les membres et me faisaient entendre des sifflements effroyables. C’est dans ces tortures horribles que se passaient toutes mes nuits. On peut juger par là si, à mon réveil, je ne devais pas chercher tous les moyens de détruire la race farfadéenne.

CHAPITRE XLV
Conférence qui me prouva la perversité de M. Étienne

À MON LEVER, je ne me pressai pas de me rendre chez M. Étienne, pour lui laisser le temps de causer avec ses amis. Je n’y fus qu’à neuf heures. La société était composée de Madame Métra, MM. Lomini et Frontin, et de plusieurs autres personnes que je ne connus que pour les avoir vues quelquefois chez Prieur. Madame Métra me demanda si mes nuits étaient toujours orageuses. Madame, lui dis-je, l’objet de ma visite de ce matin est pour venir remercier mon prétendu maître de la visite nocturne et des récréations diaboliques qu’il a bien voulu me procurer cette nuit, d’accord avec son infernale société. — Comment ! Monsieur, dit Madame Métra à M. Étienne, vous avez encore la cruauté de tourmenter M. Berbiguier ? — Je vous jure, Madame, que je ne suis pas sorti de mon lit. Ne voyez-vous pas que ce sont ces canailles de Pinel, Moreau, Vandeval et tant d’autres, qui s’introduisent chez Monsieur, et qu’il me confond avec ces gens-là ? Puis il dit à son cousin Lomini : Mais toi, qui cours aussi les nuits, n’aurais-tu pas été chez Monsieur ? Souviens-toi de la parole que tu m’as donnée, ou je me souviendrai de la mienne. Jouis du pouvoir que tu as de t’introduire invisiblement chez de jeunes et jolies personnes, fais avec elles tout ce que tu voudras ; mais laisse en repos M. Berbiguier, ou je te retirerai tous les pouvoirs que je t’ai confiés. Apprends que Dieu lui a donné la connaissance exacte de tous les effets des divers travaux des magiciens, qu’il ne se fait pas un orage, qu’il ne tombe pas une ondée, qu’il ne sache de suite quels sont les magiciens qui produisent ces malheurs qui désolent la nature entière : ainsi, tu vois que rien n’échappe à sa pénétration. Il connaît les pouvoirs des farfadets et leurs moyens de nuire ; et sa ferveur est si grande, qu’il invoque chaque jour le Roi des Rois, pour qu’il le délivre de cette vermine qui fait le tourment de sa vie. Ainsi, vois à quoi tu t’exposes, si tu continues tes manoeuvres indignes. Chacun applaudit au discours de M. Étienne et aux menaces de son cousin. De mon côté, je pensai qu’il voulait me faire prendre le change, puisqu’il rejetait sur Pinel et autres ce qu’il m’avait fait lui-même. Toute la compagnie, d’un commun accord, dit à ces Messieurs qu’il fallait me laisser désormais en repos, que j’avais bien mérité la tranquillité et la liberté après lesquelles je soupirais. M. Étienne assura que son cousin lui avait rapporté tout ce qu’il m’avait dit et fait la veille ; il me détailla tout, et j’en convins, la société fut très choquée de la conduite de M. Lomini à mon égard. On lui reprocha l’abus qu’il faisait de son pouvoir, les insomnies qu’il me causait ; car, lui observa-t-on, le sommeil est un aliment pour la santé de tous les êtres vivants, puisque les bêtes les plus immondes goûtent aussi ce bienfait de la nature. La société lui fit de nouveaux reproches à mon sujet. Vous ne gagnerez rien, Messieurs et Dames, car M. Étienne prétend qu’aucune loi ne peut agir contre nous ; qu’en conséquence nous n’avons pas besoin de nous gêner : et c’est pourquoi, ajoute-t-il, nous sommes si hardis, voilà la raison qui nous donne tant d’associés dans la secte magicienne.

Si les yeux de la justice ne sont pas assez ouverts sur le mal que vous vous permettez de faire, lui objecta-t-on, ce n’est pas une raison pour vous livrer au mal. Votre coeur ne vous dit-il pas de vous conduire d’après ces paroles de la sagesse : Ne fais point à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit. Ces paroles, qu’on ne peut trop admirer, devraient être la base de la conduite des humains.

J’étais content de les entendre, parce que je profitais de leur conversation pour m’instruire ; mais comme rien ne pouvait influer sur les principes affreux de M. Lomini, il répondit que cela l’amusait, et qu’il continuerait tant que cela le divertirait. Toute la société, indignée de cette réponse, lui dit que si rien ne pouvait le faire changer de résolution, il pouvait continuer ses infâmes plaisirs, pourvu que ce ne fût pas à mes dépens. La conversation roula sur tout autre sujet. Je sortis, en faisant apercevoir à la société, par un sourire malin, que je n’étais pas l’ami de M. Lomini.

CHAPITRE XLVI
Annonce de mon Mémoire.
Menaces faites à mes persécuteurs

LE SOIR, JE FUS ACCABLÉ de réflexions sur les souffrances inouïes que j’éprouvais depuis vingt ans. Je formai la résolution d’en faire part à M. Étienne, et de lui communiquer l’intention où j’étais de faire un mémoire contre les magiciens, sorciers, etc.

Vous savez qu’autrefois on brûlait ceux qui se livraient à cet infâme état, sitôt qu’ils étaient saisis par les tribunaux. Eh bien ! prenez garde que mon mémoire ne fasse ouvrir les yeux au public sur la secte des farfadets. Le gouvernement, instruit, à son tour, de vos infamies, se fera un devoir de faire revivre ces lois salutaires pour toutes les personnes paisibles, et qu’une indulgence mal entendue a fait tomber en désuétude : lois qui procuraient, dans des temps plus sévères, la paix et la liberté des honnêtes gens. Croyez-vous, Monsieur, lui dis-je, que ces perturbateurs du repos des âmes honnêtes ne méritent pas qu’on leur inflige les supplices les plus affreux ? Ils ne seraient pas comparables aux souffrances qu’ils font éprouver aux infortunés qu’ils prennent pour victimes. Je voudrais que tous les monstres des enfers pussent leur faire sentir, par des tourments inouïs, combien ils sont féroces en exerçant leur pouvoir ; je voudrais que le feu et la flamme fussent lancés sur eux, et qu’en souffrant ainsi, leur existence fût prolongée autant de temps que la vie de chaque individu qu’ils auraient fait souffrir formerait d’années ; car je trouve que les supplices humains, ceux que la loi inflige aux malfaiteurs, sont encore trop doux pour ces sortes de crimes.

Je sais bien, me dit M. Étienne, que vous pouvez nous faire punir, mais pas autrement que par la prison. Alors, vous auriez à faire à nous ; aussitôt que nous serions sortis, vous payeriez cher l’instant de repos que vous auriez cru goûter. — Cela se peut ; mais, en attendant, vous auriez toujours subi votre punition. Soyez juste, n’avez-vous pas menacé M. le curé Cazin, dans votre troisième lettre, de cette punition, s’il ne répondait pas à votre lettre et à ce que vous étiez convenu entre vous ? — Ah ! M. Berbiguier, un peu d’indulgence, s’il vous plaît ! — Eh ! Monsieur, ayez-en vous-même, vous implorez la pitié quand on vous menace ; mais quand vous faites souffrir si injustement vos victimes, êtes-vous sensible à leurs douleurs ? Je sais bien que non. Ainsi, Messieurs, point de grâce, j’espère vous tenir bientôt, et je vous paierai d’un juste retour.

Comme cette conversation ne l’amusait pas beaucoup, il détourna l’entretien, et me dit qu’il avait passé une journée fort agréable avec ses amis. — J’en suis flatté, Monsieur, divertissez-vous honnêtement, à la bonne heure, je vous approuverai toujours. Nous parlâmes ensuite de choses fort indifférentes, après quoi nous nous quittâmes. Au nombre des réflexions auxquelles j’étais souvent en proie, quand j’étais seul, il me revint en pensée que M. Étienne m’avait souvent parlé d’un grand-maître. Je résolus de lui demander, le lendemain matin, ce que c’était que ce grand-maître. J’ajouterai encore cette connaissance à celles que j’ai déjà acquises.

CHAPITRE XLVII
Duplicité de M. Étienne

JE ME MIS AU LIT, et malgré les promesses de M. Étienne, et les menaces qu’il fit à son cousin de lui retirer le pouvoir qu’il avait sur moi, cette nuit ne fut pas meilleure que les autres.

Empressé de connaître enfin ce que c’était que ce grand-maître, j’allai, à mon lever, voir M. Étienne ; je le trouvai en compagnie, et ne voulus pas l’interrompre pour cet objet. On me demanda dans quel état je me trouvais. Messieurs, dis-je, en montrant M. Étienne, voilà mon maître, auquel je viens rendre compte tous les jours de ma situation, en lui présentant mes devoirs. Il dit à la compagnie que je devais avoir trouvé du soulagement la nuit passée, parce qu’il avait menacé son cousin de lui ôter les pouvoirs de me tourmenter. Je travaillerai le diable avant la fin du jour par quelques petites opérations que j’exécuterai devant Monsieur. Je considérai tout cela comme un pur charlatanisme. La conversation prit une autre direction. Je sortis pour vaquer à mes affaires. À mon retour, j’attendis M. Étienne pour l’opération qu’il devait faire, et pour lui parler en même temps de ce grand-maître des physiciens. Il arriva bientôt, et me dit qu’il allait me délivrer des poursuites de son cousin, en lui enlevant tous les pouvoirs qu’il avait sur moi, et dont il avait abusé tant de fois.

Il ouvrit la croisée, fit quelques cérémonies avec une baguette, et me dit que dès ce moment j’étais libre ; que son cousin n’avait plus de droit sur moi, et que je pouvais dormir tranquille. Je lui observai que j’étais surpris de la promptitude avec laquelle il avait traité cette affaire ; je voulus savoir ce qu’il pouvait y avoir au bout de sa baguette. — C’est quelque chose, dit-il, de très important, qui vous est inconnu, et dont la vertu a enlevé le pouvoir de mon cousin.

Je le remerciai, et le priai de me dire ce que ce pouvait être que ce grand-maître auquel on devait écrire en ma faveur, et dont je n’avais pas encore entendu parler. Est-ce un de ces ennemis de mon repos ? Est-ce M. Imbert ou M. Cazin ? Voyons, répondez donc ? — Que voulez-vous que je vous dise ? Il faut encore attendre. — Comment ! attendre ! Croyez-vous avoir affaire à un sot ? Je vous le dis, depuis longtemps je ne suis plus la dupe de rien : nous verrons à la fin quelque chose qui surprendra ; et rira bien qui rira le dernier. — Mais, Monsieur, me dit-il, vous avez quelquefois un air si imposant, que j’en suis déconcerté, et que je ne sais où j’en suis. — L’homme qui ne craint rien, qui ne place son espoir qu’en Dieu, sait déployer de l’énergie quand il le juge à propos.

Comme la nuit s’avançait, je l’invitai à se retirer, en lui promettant que j’irais le voir aussitôt que je serais levé.

À peine il fut sorti, que je lui fis cette apostrophe : Pauvre jeune homme, tu veux m’en faire accroire et m’en imposer par tes prétendus maléfices ; mais tu n’as pas affaire à une tête mal organisée. Ma nuit se passa comme toutes les autres.

Sitôt que je le vis le lendemain matin, il n’eut rien de plus empressé que de me dire qu’il avait reçu une lettre de M. Cazin, en réponse à celle qu’il avait écrite, et dans laquelle il lui disait que je devais en avoir reçu une autre, que je trouvai effectivement chez le portier.

Certains pressentiments m’annonçaient, en lisant cette lettre, qu’elle ne pouvait pas être du père Cazin, malgré la signature qu’elle portait. Je la repliai, et remontai chez M. Étienne, pour lui dire que sa ruse était trop grossière pour n’être pas à l’instant découverte ; que cette lettre était fausse et composée par son cousin, pour m’abuser et me persécuter plus longtemps. Il parut d’abord interdit ; et se rassurant, il me dit : Comment ! il n’est donc plus possible de vous en faire accroire ? — Non, Monsieur, et je suis bien aise de vous dire que vous avez achevé par ce trait, de détruire toute la confiance que vous m’avez inspirée : tout cela justifie les soupçons que vos lenteurs éternelles m’avaient fait concevoir de vos indignes manoeuvres. Vous vous employiez, disiez-vous, pour me rendre la paix et la tranquillité que je désirais si ardemment !… Je dois même vous avouer que la confiance que j’avais en vous, était, depuis quelque temps, bien affaiblie ; mais j’attendais encore ce trait pour vous la retirer entièrement, et pour la remplacer par le sentiment que vous m’inspirez à présent, qui est le mépris le plus parfait. Il faut enfin vous dire que votre conduite envers moi n’est que celle d’un fourbe, d’un charlatan, à la société duquel on perd son temps, son honneur et sa réputation.
Je le quittai de manière à lui faire sentir toute l’indignation qu’il m’inspirait. Je trouvai, en sortant, quelqu’un qui avait à me parler. Lorsque j’eus terminé avec cette personne, je courus pour mes affaires et revins plusieurs fois chez moi, dans le courant de la journée. Je rencontrai inopinément MM. Étienne et Lomini. Le premier dit, d’un air goguenard, à son cousin, que j’avais reçu une lettre du père Cazin. C’est trop impertinent, Monsieur, lui dis-je, que d’ajouter l’insulte à la duplicité ; l’auteur et l’écrivain de cette lettre ne gagneront rien, désormais, à me tromper. D’ailleurs, Messieurs, mon temps ne me permet pas de vous en dire davantage, et je rentrai brusquement chez moi.

Je pensai alors à ce que devait me dire M. Étienne quand il rentrerait. Il sera bien confus de la conduite qu’il a tenue à mon égard et de la réponse que je lui ai faite sur la plaisanterie abominable qu’il s’est permise. Je ne sais s’il sentit sa faute ; mais je ne le vis pas ce soir-là : apparemment qu’il voulut éviter mes reproches. Je fis encore d’autres réflexions avant de me mettre au lit ; mais ce fut inutilement que je cherchai à m’endormir.

CHAPITRE XLVIII
On ne se lasse pas de vouloir m’abuser

J’ÉTAIS IMPATIENT, dès le lendemain matin, de savoir pourquoi M. Étienne n’était pas venu la veille. Je montai chez lui pour lui en demander la raison. Il me dit qu’il n’avait pas osé, crainte de me réveiller. Eh ! Monsieur, c’est encore une défaite de votre part, lui dis-je, vous savez bien que je ne dors pas : ainsi, vous ne devez pas vous gêner plus avec moi que je ne me gêne avec vous. Vous avez raison, me dit-il ; et d’après mes conseils, qui avaient été approuvés de son médecin, il se disposa à manger la soupe qui lui servait de déjeuner tous les matins. M. Pinel, qui m’avait reconnu pour un homme prudent et profond, était son médecin. Je ne pus dans ce moment lui faire aucun reproche. Ses amis vinrent le voir, je restai quelque temps encore, pour savoir s’il parlerait de cette prétendue lettre de M. Cazin ; mais il se garda bien d’en parler devant ses amis : ce qui me confirma encore plus sa fourberie ; car si cette lettre eût été véritable, pourquoi ne plus en parler ? Je sortis, très convaincu de sa perfidie et ne voulus pas pousser la chose plus loin. Je regardai ce trait comme une étourderie de jeunesse. Il ne manqua pas le soir de venir chez moi. Il me dit, d’un air joyeux, que son frère Baptiste était arrivé en parfaite santé ; qu’il était venu pour me voir, mais que, ne m’ayant pas trouvé, il reviendrait le lendemain. Je suis charmé que M. votre frère ait recouvré la santé en si peu de temps. Loge-t-il dans l’hôtel ? — Il reste maintenant rue Mazarine, n° 66. — Et vos affaires avec vos parents sont-elles en bon état ? — Tout va parfaitement bien, mon frère a si bien arrangé les choses, que je toucherai ma pension comme à l’ordinaire. Je ne doute pas que ce ne soit aussi à l’aide des lettres que j’ai écrites, d’après vos sages conseils, que je suis rentré en grâce ; aussi, souffrez, Monsieur, que je continue à faire de vous ma société, vous ne pouvez que me donner de bons préceptes de conduite. — Je me félicite de vous en voir reconnaître l’efficacité ; mais en attendant que j’aie le plaisir de voir M. votre frère, instruisez-moi de grâce pourquoi je suis obligé de rester sous la domination des magiciens, des mains desquels vous devez me faire sortir ? — Voici pourquoi : on peut bien vous enlever de leurs mains, et vous rendre libre ; mais ils conserveraient malgré cela le droit de vous surveiller : si vous n’aviez jamais eu affaire qu’à moi, tout serait fini ; mais les farfadets sont si perfides, qu’ils vous abandonnent d’une main pour vous reprendre de l’autre. La conduite de vos ennemis d’Avignon ne vous prouve-t-elle pas ce que je vous avance ? Ne vous ont-ils pas fait tomber au pouvoir des physiciens de Paris, de M. Moreau, sous la domination duquel vous êtes tombé sans le savoir ? Si vous passez ainsi de pouvoir en pouvoir, vous voyez bien que rien ne pourra vous soustraire à la puissance du moindre magicien que vous croirez avoir découvert, son audace vous poursuivra jusqu’au bout du monde. — Mais, Monsieur, vous m’effrayez, lui dis-je, qu’ai-je donc fait à ces misérables, pour qu’ils aient le droit de me persécuter ainsi ? Est-il donc de toute impossibilité de se saisir de cette horde de scélérats, de cette vermine qui s’attache à troubler le repos des âmes pures et honnêtes ? Avouez, que je suis bien malheureux ! — II est certain, Monsieur, que votre position n’est pas des plus agréables, me dit-il ; aussi je souffre pour vous, depuis que j’ai le plaisir de vous connaître. Je l’invitai à me dire ce que c’était que ce grand-maître dont il m’avait parlé : il ne voulut rien me dire à ce sujet ; m’assurant qu’il était d’accord avec lui pour me délivrer ; que tout était préparé, et que je ne dépendais plus que de lui ; ce qui lui faisait espérer que je serais bientôt débarrassé de ces monstres infernaux. Nous nous séparâmes pour nous reposer ; mais tant il est vrai que l’effet du mal est bien plus prompt que l’effet du bien, je ne pus pas mieux dormir cette nuit que les autres, malgré les promesses qu’on venait de me faire.

CHAPITRE XLIX
Moyens employés par M. Étienne

JE DÉSIRAIS VIVEMENT DE voir M. Baptiste. J’allai le lendemain lui faire ma visite. Je le trouvai effectivement bien rétabli, et lui fis promettre que l’éloignement ne serait pas un obstacle au plaisir de nous voir. J’appris de lui que ses parents consentaient à continuer la pension de M. Étienne, puisqu’ils ne pouvaient le déterminer à retourner chez eux. Je lui dis que je ne pouvais concevoir comment M. son frère n’avait pu se rendre aux conseils que je me plaisais à lui donner dans ses intérêts. Il faut absolument qu’un de ces génies malfaisants le détourne de la bonne route où ce jeune homme doit sans doute avoir le dessein d’entrer. Je sais, Monsieur, me dit M. Baptiste, que si mon frère n’eût fréquenté que des personnes aussi sages que vous, il n’eût pas donné tant de désagrément à sa famille. Je suis cependant très satisfait que tout soit rentré dans l’ordre. Je pris congé de lui, en lui promettant de venir le revoir.

Dès que je vis M. Étienne, je lui témoignai la joie que me faisait éprouver sa réconciliation avec son père, je me disais intérieurement : voilà mon ouvrage. Je suis en mon particulier bien flatté de ce bonheur. M. Étienne avoua que sans mes bons conseils, qu’il n’avait suivis qu’avec peine, il serait toujours dans l’embarras. Il voulut me témoigner sa reconnaissance ; mais ma modestie ne me permettait d’en trouver que dans le plaisir d’avoir contribué en cela à sa tranquillité. Je l’invitai à changer le sujet de la conversation. Je lui dis que j’avais eu l’avantage de voir M. son frère. Il m’apprit qu’il était déjà venu pour me voir lui-même, mais que j’étais alors absent, et qu’il devait revenir le lendemain pour me parler de sa famille. M. Étienne ajouta qu’ayant toute confiance en moi, il voulait me communiquer quelque chose d’important. Il m’avoua qu’étant un peu arriéré par ses étourderies, et voulant y mettre ordre, il avait formé le projet de vivre avec son frère, pour mettre un peu d’économie dans sa dépense. J’approuvai beaucoup ce projet, et je l’engageai même à le suivre, comme étant très favorable. Il fut très satisfait de ce que j’appuyais sa résolution, et me dit qu’il en parlerait à son frère. La nuit s’avançant, nous obligea de nous séparer. Le lendemain je fus le voir, et lui demandai s’il avait vu M. son frère. Il m’observa que si son frère était venu, il serait d’abord entré chez moi, attendu que mon appartement se trouve le premier sur ses pas. Je voulais prévenir sa visite et lui parler pour vous ; mais puisqu’il est absent en ce moment, je reviendrai lorsque j’aurai terminé quelques affaires qui m’appellent en ville. Dès que je fus rentré, je reçus la visite de M. Baptiste, qui me dit fort honnêtement qu’il ne serait pas monté chez son frère sans avoir su de mes nouvelles. Nous avions à peine dit deux mots, que l’on vint nous interrompre. Je fus obligé de sortir pour quelques affaires. Je le priai de me ménager le plaisir de le revoir au plus tôt. En rentrant sur les onze heures, je montai chez M. Étienne, où je trouvai M. Baptiste, Madame Métra, M. Brescor, abbé de Saint-Sulpice, qui m’avait déjà vu, et qui connaissait ma pénible situation. M. Papon-Lomini s’y trouvait avec le jeune homme qui était en pension avec lui. J’y aperçus aussi M. Frontin et d’autres personnes que je ne connaissais pas. Ces messieurs et dames félicitaient M. Étienne sur la paix rétablie entre sa famille et lui. Comme la saison des bals s’avançait, chacun se promit de bien s’amuser. Je m’excusai sur mon âge, pour ne pas prendre part à ces plaisirs. Madame Métra s’informa de mon état. L’habitude du mal, lui dis-je, me le fait en quelque sorte supporter plus patiemment ; d’ailleurs, M. Étienne, que je reconnais pour mon maître, me fait espérer que bientôt je serai délivré. La société me trouva tellement digne de compassion, qu’elle sollicita M. Étienne de me retirer de ce pitoyable état. Il promit que malgré qu’il n’eût pas reçu de nouvelles de M. Cazin, il me délivrerait de tout avant deux jours. La conversation revint ensuite sur la partie de plaisir projetée. Je descendis chez moi, en réfléchissant sur l’aveu que M. Étienne avait fait à l’égard de M. Cazin. Je reconnus de suite que j’avais bien deviné que la lettre était fausse, et que mes soupçons étaient très fondés, ainsi que mes reproches. Ah ! jeunesse imprudente, me disais-je, voilà où vous conduit le plaisir de mal faire : vous commencez par tromper sur des choses de peu d’importance, et pas à pas vous tombez dans l’abîme. Vous ne craignez pas d’offenser Dieu par les plus forts mensonges, vous les prodiguez par habitude, dans l’espoir d’en retirer du plaisir, et vous ne redoutez pas d’attirer sur vous tous les châtiments dus à de tels crimes car, tromper, n’est-ce pas ce qu’il y a de plus affreux ? C’est vous, trompeurs infâmes, que les magiciens, sorciers ou démons devraient poursuivre et tourmenter, pour vous donner des remords sur vos horribles mensonges, et vous faire éprouver les souffrances destinées aux grands criminels. Après ces justes réflexions, je remontai chez M. Étienne, et je le trouvai seul avec Madame Métra. À mon arrivée quelqu’un le demanda. Seul avec cette dame, elle me confia que M. Baptiste n’avait pas accueilli les propositions de son frère, relativement au partage de son local, qu’il trouvait trop petit pour deux ; mais qu’il croyait que M. Frontin pourrait réparer ce contretemps ; puis elle me parla de l’embarras où se trouvait M. Étienne, pour son loyer, dont il devait encore quelque chose, ainsi qu’au portier de la maison. Il n’a pas encore touché la pension que son père est convenu de lui compter, et il ne veut pas quitter sa chambre, sans avoir payé son loyer et sans avoir fait honneur à toutes ses petites dettes. La conversation tomba ensuite sur MM. Pinel et Moreau. Cette dame m’assura que ces messieurs s’étaient réunis pour prier M. Étienne de terminer avec moi avant de quitter l’hôtel, et qu’il avait promis que le soir même il ferait ses opérations. M. Étienne rentra dans ce moment. Il voulut me parler de ses affaires ; mais je lui dis que je savais tout par Madame Métra. Il m’assura que, quoiqu’il n’eût pas trouvé de chambre à louer dans les environs, il voulait décidément quitter son logement le lendemain premier février ; que ce soir était fixé pour ses dernières opérations contre la race des sorciers qui osaient encore me tourmenter malgré les moyens qu’il avait employés pour m’en délivrer.

Le voyant disposé à sortir avec Madame Métra, je lui donnai rendez-vous pour le soir, et je fus à mes affaires. Chemin faisant, je me persuadais que c’était peut-être une comédie qu’il voulait jouer à mes dépens, comme tant d’autres magiciens l’avaient fait jusqu’à ce jour ; mais il se trompait grossièrement s’il croyait m’abuser encore ma confiance en lui était totalement perdue. Mon dessein n’était donc que de profiter de ses expériences pour fournir des matériaux qui fussent utiles au mémoire que je voulais faire contre cette race de sorciers que je voulais démasquer à tout l’univers. Aussitôt que j’aurai rassemblé tous les documents nécessaires, me disais-je, je parviendrai, avec l’aide de la divine Providence, à armer les lois et l’indignation du genre humain contre ces serpents, qui se glissent invisiblement dans l’asile de l’innocence, et lui font éprouver les tourments réservés aux âmes du purgatoire. Je voudrais pouvoir les signaler assez pour qu’ils pussent tous être pulvérisés comme le furent les habitants de Sodome, pour avoir méconnu les lois, du maître de l’univers.

CHAPITRE L
Jonglerie de M. Étienne

LE SOIR, J’ATTENDIS M. ÉTIENNE ; j’étais curieux de voir s’il paraîtrait devant moi avec le costume des magiciens que l’on représente au théâtre, c’est-à-dire en robe noire à longue queue, garnie de bandes rouges, avec la ceinture et la banderole, où sont tracés les signes du zodiaque et d’autres caractères hiéroglyphiques, un bonnet très haut, terminé en pointe, armé d’une baguette magique propre à faire toutes les conjurations. Je me flattais de cette idée, quand ce jeune homme entra ; il me dit que, fidèle à sa promesse, il avait quitté une société de bons amis pour venir me joindre, et qu’aucune raison n’aurait pu le faire manquer à sa parole, vu qu’il quittait son logement le lendemain, et qu’alors il ne pourrait plus rien faire pour moi. Il se disposa à monter chez lui, et me fit la recommandation de l’y suivre. Quand il fut sorti, je me dis en riant : Je vais encore voir un trait de son charlatanisme. Mais qu’importe ; voyons jusqu’au bout. Je montai chez lui, et, lorsque j’y fus entré, il se couvrit la tête de deux serviettes. Je lui dis : On voit bien à cette coiffure que nous sommes en carnaval, car voilà un plaisant accoutrement. Il me dit que cela était nécessaire aux opérations qu’il se proposait de faire. Ces deux serviettes étaient nouées de manière à former trois cornes. Il prit ensuite du sel, qu’il pétrit avec un morceau de chandelle qu’il enveloppa dans du papier ; il le jeta au feu, de sorte que le tout brûlait et pétillait ensemble. Je lui observai que cela ressemblait encore à des farces de jongleurs. Il m’accusa d’incrédulité, et m’affirma que ces choses étaient indispensables en raison de son caractère et pour assurer mon bonheur. Je fus très satisfait de cette explication, et l’invitai à continuer : je ne voulais que m’instruire.

Il prit ensuite une baguette, dont il mit un bout au feu chaque fois qu’il prononçait un des noms des magiciens qui m’avaient tourmenté depuis vingt ans, jusqu’au dernier, qui était son cousin Lomini. Quand il les eut passés en revue, il me dit : M. Berbiguier, vous voici enfin libre, et vous n’avez plus rien à redouter des farfadets. Je me démets entièrement de tous les droits que je fus obligé de prendre sur vous pour vous délivrer du pouvoir abominable des scélérats qui avaient abusé de votre crédulité ; maintenant il ne nous reste plus qu’à rendre grâce à Dieu de votre heureuse délivrance. Prosternez-vous avec humilité ; faites entendre les accents d’un coeur reconnaissant. Ah ! je ne demande pas mieux ; cela s’accorde parfaitement avec mes principes. Je priai Dieu avec ferveur ; et quand j’eus fini, il me réitéra que j’étais parfaitement guéri. — Si cela est aussi vrai que vous me l’assurez, que de remerciements ne vous dois-je pas, et comment m’acquitter jamais envers vous ? Il me fit part de la gêne où le mettait l’obligation de quitter la maison dès le lendemain ; cela me fit aussi de la peine, et je le lui témoignai. La nuit étant déjà avancée, nous nous retirâmes chacun de notre côté.

Les réflexions vinrent en foule, dès que je fus rentré chez moi. Toute cette cérémonie me parut, en effet, très bizarre ; je ne crus pas devoir y ajouter foi, et, sans la prière à Dieu qui termina notre entretien, j’aurais été encore plus indisposé contre lui. Je pensai ensuite à sa position, qui me parut en effet bien triste. La gêne où il se trouvait n’était que la suite du peu d’ordre qu’il mettait dans ses affaires ; mais il faut espérer qu’à l’aide de mes bons conseils et par la fréquentation des gens de bien, il se corrigera de ses folies. Enfin, c’est un jeune homme de famille, je veux ménager sa délicatesse, et ne pas l’obliger à quitter son hôtel d’une manière qui lui ferait beaucoup de tort, et en même temps pourrait lui causer bien du chagrin.

Quand j’eus bien réfléchi sur son compte, je songeai à m’endormir ; et je dois avouer, à ma grande satisfaction, que cette nuit fut plus calme que les autres. Je fus reconnaissant. Le jeune homme fut très sensible à mes procédés à son égard. Il me sauta au cou avec les transports d’une joie excessive, et me dit que ses frères ne s’étaient jamais comportés ainsi avec lui. Il fut enfin convaincu, disait-il, qu’un bon ami valait mieux quelquefois que des parents. Il me protesta que ce trait resterait gravé dans son coeur, et qu’il ferait tous les sacrifices possibles pour s’acquitter envers moi. Je l’assurai que j’avais toujours eu beaucoup de plaisir à rendre service quand mes moyens me l’avaient permis ; mais si par malheur vous veniez à me tromper, je ne vous le pardonnerais jamais. Je vous le dis à vous-même, vous connaissez ma véracité. Soyez tranquille, Monsieur, me dit-il ; je ne vous donnerai jamais le sujet de vous plaindre de moi. Quand je serai dans mon nouveau logement je vous donnerai mon adresse, et j’espère que l’éloignement ne sera pas une raison pour nous priver du plaisir de nous voir, et ne diminuera pas l’estime que j’ai pour vous, et l’intérêt que vous prenez à moi.

Vous voyez, Monsieur, comme j’agis avec franchise, lui dis-je ; votre conduite envers moi réglera la mienne envers vous. Mais en attendant que j’aie de vos nouvelles, il faut que je songe à mes affaires. Ainsi, souffrez que je vous quitte pour aller m’en occuper. En réfléchissant à tout ce qui venait de se passer, je me persuadais que le jeune homme était très honnête, puisqu’il avait reçu une bonne éducation. Je n’étais cependant pas moins en garde contre tout ce qu’il pourrait faire encore contre ma tranquillité.

Je ne m’attendis point à le voir le soir, parce que je savais qu’il devait quitter la maison. Je me livrai à d’autres réflexions le concernant, et je réfléchis ensuite sur mes malheurs.

Quelques moments après je me mis au lit, et je n’éprouvai rien de désagréable cette seconde nuit. L’intention du farfadet était sûrement de me donner quelque repos pendant un certain temps, en reconnaissance de mes bons procédés.

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