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Lewis Carroll

Ce que la tortue dit à Achille

Traduction d’Agnès Sofiyana

Date de mise en ligne : samedi 13 décembre 2003

Langue de cet article : English > What the Tortoise said to Achilles

Le paradoxe de Zénon, expose, rappelons-le, l’impossibilité du mouvement et procède à l’aide d’une régression infinie. Elle met aussi en évidence la nécessité de considérer la continuité du temps comme un axiome, afin de ne pas se perdre dans l’infini d’une démonstration sans fond prenant pour étapes les instants disjoints du temps.

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L’épilogue que propose Lewis Carroll montre, de la même manière, l’importance fondamentale de la règle d’inférence en logique. En effet, la logique est basée sur des propositions et des règles expliquant comment utiliser ces propositions (le syllogisme est la base de l’inférence). Cependant, le trou de l’impossible ne peut être évité si la logique n’est pas théorèmatisée et le premier théorème fondamental est un postulat d’inférence proche du syllogisme.

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Achille avait rattrapé la tortue, et s’était assis confortablement.

« Ainsi, vous avez terminé notre course-poursuite ? « dit la tortue. « Bien qu’elle se compose d’une série infinie de distances ? Je pensais que quelque sage averti avait montré que cela ne pouvait être fait ? »

« Cela PEUT être fait, » dit Achille. « Cela a été fait ! Solvitur Ambulando [1]. Vous voyez bien que les distances DIMINUAIENT constamment ; et donc ... »

« Mais si elles AVAIENT AUGMENTÉ CONSTAMMENT ? » coupa la tortue. « Qu’en serait-il ? »

« Alors je ne devrais pas être ici « répondit modestement Achille « et VOUS, vous auriez fait plusieurs fois le tour du monde, à l’heure actuelle ! »

« Vous me flattez - vous m’enflammez, devrais-je dire » dit la tortue ; « car vous ETES un poids lourd, sans AUCUN doute ! Bien, maintenant, aimeriez vous entendre l’histoire d’une autre course-poursuite, que la plupart des gens s’imagine pouvoir gagner en deux ou trois étapes, alors qu’elle se compose en REALITE d’un nombre infini de distances, chacune plus longue que la précédente ? »

« Vraiment, oui ! » dit le guerrier Grec, en tirant de sous son casque un énorme cahier et un crayon (en effet, en ce temps, les guerriers grecs n’avaient pas de POCHES). « Allez-y ! Et parlez LENTEMENT, s’il vous plait ! La STÉNOGRAPHIE n’est pas encore inventée ! »

« Cette belle Première Proposition d’Euclide ! » murmura rêveusement la tortue. « Vous aimez Euclide ? »

« Passionnément ! Au moins autant que l’on PEUT aimer l’auteur d’un traité qui ne sera pas édité avant quelques siècles ! »

« Bien, maintenant, considérons une partie de l’argument de cette première proposition - juste DEUX étapes, et la conclusion qui en découle. Nous vous saurions gré de les écrire dans votre cahier. Et afin de se référer à elles plus aisément, appelons-les A, B, et Z :

(A) Les choses qui sont égales à une même chose sont égales entre elles.

(B) Les deux côtés de ce triangle sont des choses qui sont égales à une même chose.

(Z) Les deux côtés de ce triangle sont égaux entre eux.

Les lecteurs d’Euclide s’accorderont, je suppose, à ce que Z se déduit logiquement de A et de B, de sorte que quiconque accepte A et B comme vrais, DOIT accepter Z comme vrai ? »

« Assurément ! Le plus jeune des lycéens - dès que le lycée aura été inventé, ce qui ne sera pas le cas avant deux mille ans - sera d’accord avec CELA. »

« Et si un lecteur n’avait pas encore accepté A et B comme vrais, il pourrait cependant admettre que la suite des SEQUENCEs est VALIDE, je suppose ? »

« Aucun doute qu’un tel lecteur puisse exister. Il pourrait dire, ‘j’accepte en tant que vrai la proposition hypothétique qui dit que, si A et B sont vrais, Z doit être vrai ; mais je n’accepte pas A et B comme vrais.’ Un tel lecteur serait sage d’abandonner Euclide, et de se mettre au football. »

« Et ne pourrait-il pas y avoir EN OUTRE un certain autre lecteur qui dirait ‘j’accepte A et B comme vrais, mais je n’accepte pas la proposition hypothétique’ ? »

« Certainement. CeLUI-ci aussi serait meilleur au football. »

« Et NI L’UN NI L’AUTRE de ces lecteurs, » continua la tortue « n’est JUSQU’ICI contraint par une quelconque nécessité logique à accepter Z comme vrai ? »

« Tout à fait » approuva Achille.

« Bien, maintenant, j’aimerai que vous me considériez comme un lecteur de la DEUXIÈME catégorie, et que vous me forciez, logiquement, à accepter Z comme vrai. »

« Une tortue jouant au football, ce serait... » commença Achille.

« .. une anomalie, évidemment » interrompit hâtivement la tortue. « Ne divaguez pas trop. Occupons nous d’abord de Z, et après du football ! »

« Je dois vous forcer à accepter Z, c’est cela ? » dit Achille sur un ton rêveur. « Et votre position actuelle est que vous acceptez A et B, mais vous n’acceptez pas la proposition hypothétique ... »

« Appelons-la C » dit la tortue.

« ... mais vous n’acceptez pas (C) : si A et B sont vrais, Z doit être vrai. »

« C’est ma position actuelle » dit la tortue.

« Alors je dois vous demander d’accepter C. »

« Je le ferai » dit la tortue « dès que vous l’aurez inscrite dans votre cahier. Qu’avez-vous d’autres dedans ? »

« Seulement quelques mémorandums » dit Achille, en tournant nerveusement les pages. « Quelques mémorandums de ... des batailles dans lesquelles je me suis distingué ! »

« Je vois... beaucoup de pages blanches ! » remarqua gaiement la tortue. « Nous aurons besoin de TOUTES ! » (Achille frissonna.) « Ecrivez maintenant sous ma dictée :

(A) les choses qui sont égales à une même chose sont égales entre elles.

(B) Les deux côtés de cet triangle sont des choses qui sont égales à une même chose.

(C) Si A et B sont vrais, Z doit être vrai.

(Z) Les deux côtés de ce triangle sont égaux entre eux.

« Vous devriez l’appeler D, pas Z » dit Achille. « Il vient après des trois autres. Si vous acceptez A et B et C, vous DEVEZ accepter Z. »

« Et pourquoi le devrais-je ? »

« Parce qu’il se déduit LOGIQUEMENT des précédents. Si A et B et C sont vrais, Z DOIT être vrai. Vous ne pouvez pas contester CELA, je pense ? »

« Si A et B et C sont vrais, Z DOIT être vrai » répéta pensivement la tortue « N’est-ce pas là une autre proposition hypothétique ? Et si je ne voyais pas sa vérité, est-ce que je pourrais accepter A et B et C, et ENCORE ne pas accepter Z ? »

« Vous pourriez » admis le candide héros « Bien qu’une telle stupidité serait certainement phénoménale. Toujours est-il que l’événement est POSSIBLE. Ainsi je dois vous demander d’admettre UNE proposition hypothétique DE PLUS. »

« Très bien, je suis tout à fait disposé à l’accepter, dès que vous l’aurez écrite. Nous l’appellerons (D) :

(D) si A et B et C sont vrais, Z doit être vrai.

« Avez-vous noté cela dans votre cahier ? »

« Oui ! » s’exclama le joyeux héros, en remettant son crayon dans sa gaine. « Et enfin, nous arrivons au bout de notre course-poursuite idéale ! Maintenant que vous acceptez A et B et C et D, ÉVIDEMMENT vous acceptez Z. »

« Ah ? » dit la tortue innocemment. « Mettons cela tout à fait au clair. J’accepte A et B et C et D. Supposons que je refuse ENCORE d’admettre Z ? »

« Alors la logique vous prendrait par la gorge, et VOUS FORCERAIT à le faire ! » répondit triomphalement Achille. « La logique vous dirait : ‘ Vous n’y pouvez rien. Maintenant que vous avez accepté A et B et C et D, vous DEVEZ accepter Z.’ Vous voyez, vous n’avez pas d’autre choix. »

« Que la logique soit assez bonne pour me dire quoi que ce soit, cela vaut la peine DE LE NOTER » dit la tortue. « Alors, notez-le dans votre carnet, s’il vous plaît. Nous l’appellerons (E) :

(E) si A et B et C et D sont vrais, Z doit être vrai.

« Tant que je n’ai pas accepté CECI, je n’ai aucun impératif à accepter Z. Vous voyez bien que c’est une étape tout à fait NÉCESSAIRE ? »

« Je vois » dit Achille. Et il y eu une note de tristesse dans sa voix.

A cet instant, le narrateur, qui avait à régler quelques affaires à la banque, fut obligé de laisser les deux joyeux complices, et il ne put retourner sur les lieux qu’après quelques mois. Il vit alors qu’Achille était encore assis, adossé contre l’inlassable tortue. Il écrivait dans son cahier qui semblait presque plein.

La tortue indiquait : « Avez-vous noté cette dernière étape ? À moins que j’en ai perdu le compte, c’est la mille et unième. Il y en a encore plusieurs millions à venir. »

« Et, en guise de faveur personnelle, puisqu’il n’y a pas d’inconvénient à apprécier les nombreux enseignements que notre entretien fournira aux logiciens du 19ème siècle, cela vous-dérangerait-il d’adopter un calembour de ma cousine Tortue-Moqueuse, en consentant [2] à être rebaptisé UN-CONSCIENT [3] ? »

« Si vous voulez » répondit le guerrier las, d’un ton évidé par le désespoir, en plongeant son visage dans ses mains. « A condition que VOUS, de VOTRE côté, vous adoptiez un calembour que la Tortue-Moqueuse n’a jamais fait, et consentiez à être rebaptisé PRISE-DE-TÊTE ! » [4].

Notes

[1tout se résout en marchant

[2allowing yourself # vous autoriser de vous-même

[3TAUGHT-US= Nous a enseigné - signifiant proche de tortoise, qui signifie Tortue

[4KILL-EASE = pourrait qualifier celui qui s’évertue à complexifier la facilité avec aisance et récidive

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