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René Allendy

Éléments affectifs en rapport avec la dentition

Revue Française de Psychanalyse (1927)

Date de mise en ligne : dimanche 17 février 2013

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René Allendy, « Éléments affectifs en rapport avec la dentition », Revue Française de Psychanalyse, Première année, T. I, n° 1, Éd. G. Doin et Cie, 1927, pp. 82-86.

Éléments affectifs en rapport avec la dentition
par R. ALLENDY
(Communication à la Société Psychanalytique de Paris, 10 janvier 1926.)

L’interprétation systématique des rêves, telle qu’elle est pratiquée dans la psychanalyse, montre que les dents reviennent avec une fréquence assez considérable et qu’elles constituent un symbole important pour traduire des éléments psychologiques inconscients. Il en est de même dans le langage : la représentation des dents s’est superposée à toutes sortes de formes, telles que scie, peigne, râteau, roue, et en général à tout ce qui est découpé de façon semblable : dentelle, dentelure. Elle a inspiré le nom de certaines montagnes : Dent du Midi, Dent du Chat, etc. Enfin, le symbolisme dentaire donne un grand nombre de locutions pour exprimer en général l’agressivité : (à belles dents, avoir la dent longue, armé jusqu’aux dents, être sur les dents, donner un coup de dents), la rivalité, la rancune (avoir une dent contre quelqu’un), l’attaque (anglais : in ones teeth) la convoitise, la gourmandise (anglais : toothsome, friand).

Il n’est pas étonnant que l’homme pense volontiers aux dents si l’on considère l’importance qu’elle tiennent dans sa vie. En général l’apparition des premières dents s’échelonne entre le sixième et le trente‑sixième mois de la vie, et correspond à la phase du sevrage ; la chute de ces premières dents et l’apparition de la dentition définitive s’étend de cinq à quatorze ans et annonce la puberté. Entre vingt et trente ans se place l’apparition des dents de sagesse, puis en avançant vers la vieillesse, l’individu voit généralement tomber un nombre considérable de dents, signe de déchéance organique.

Au point de vue qui nous occupe, ce sont les impressions infantiles qui ont le plus d’importance.

La signification biologique de la dentition, chez les animaux, est celle d’une arme offensive et défensive. D’ailleurs, son râle masticatoire, chez les carnassiers, est trop étroitement lié à la poursuite de la proie vivante pour pouvoir correspondre à des instincts différents. Il est clair que l’apparition des dents, chez les mammifères, marque l’aptitude du jeune animal à se nourrir par ses propres moyens, par conséquent la fin de l’allaitement maternel. Dès ce moment, l’individu est armé pour la lutte et doit partir en guerre.

Les docteurs Laforgue et Codet ont insisté sur l’importance du sevrage dans l’évolution des instincts qui donneront à l’enfant toutes ses aptitudes vitales. Il faut remarquer que cette phase capitale gravite autour d’un fait organique, l’apparition des dents, phénomène habituellement douloureux et qui ne peut passer inaperçu dans la conscience de l’enfant.

Non seulement le jeune être doit souffrir pour avoir ses dents, mais il en résultera pour lui des efforts considérables : renoncer à la mère‑nourrice, apprendre à marcher, à parler, à être propre, autant de responsabilités et de concessions au monde extérieur qui le font sortir de sa vie égocentrique des premiers mois, qui font passer sa libido du mode captatif au mode oblatif, comme dit Pichon.

Avec les dents apparaît l’instinct de déchirer et de mordre. Si l’enfant recule devant l’épreuve du sevrage, il en arrive à désirer que les dents ne poussent pas, qu’elles disparaissent, ou bien il se sent porté à mordre le sein maternel comme la bête sauvage mord sa proie. Nous avons ici, l’origine du sadisme. Naturellement, ces tendances sadiques doivent être refoulées et le conflit psychologique commence.

Accepter l’effort du sevrage ou mordre le sein maternel, tel est le dilemme qui se pose dans l’instinct du jeune enfant. Par ce fait s’explique la fréquence toute particulière des seins coupés ou arrachés, dans les représentations imaginaires des sadiques, aussi bien hommes que femmes.

Notre attention a été attirée sur ce point au cours de l’analyse d’un neurasthénique. Après avoir découvert chez lui des tendances masochistes, aboutissant à l’homosexualité passive et au désir inconscient de castration, l’exploration a retrouvé successivement une compréhension sadique de la sexualité, un sentiment d’horreur attaché à l’idée de naissance, le refoulement de la sexualité normale, la répression des désirs onanistes, une jalousie agressive à l’égard d’une soeur plus jeune, au moment de sa naissance, enfin le refus d’accepter le sevrage. À ce moment, le malade fit de rêves très typiques : un personnage (auquel il désirait s’identifier) se faisait porter en chaise-à‑porteurs et se trouvait atteint de diarrhée (refus de marcher et d’être propre) ; une autre nuit, il vit d’abord une femme avec les seins coupés, puis lui‑même s’arrachant des dents. Ceci se passa peu de temps avant la fin de l’analyse, laquelle se termina par une guérison complète. Il s’agissait là d’une reviviscence du conflit psychique au moment de la dentition et du sevrage.

Il est impossible que l’inconscient de l’enfant n’établisse pas un lien entre la poussée des dents et le double effort de se résigner aux premières obligations sociales (renoncer à l’allaitement, marcher, parler, être propre) et de se préparer à la lutte et aux responsabilités (prendre les armes de la nature pour mordre).

La chute des dents de lait se situe, avons‑nous dit, dans le second septénaire des années, avant la puberté ; dans cette phase que Freud appelle période de latence, entre les deux poussées du choix sexuel [1]. Elle coïncide donc avec un certain détachement affectif du père ou de la mère et précède les désirs sensuels de la puberté. L’enfant ne peut manquer d’attacher à ce fait une valeur affective, dans un sens symbolique variable selon la manière dont ses conflits antérieurs l’ont sensibilisé. S’il a subi victorieusement les épreuves psychologiques préalables, il se console de la perte de ses premières dents par l’apparition des secondes, plus larges et plus fortes : Un de nos confrères nous racontait à ce propos l’impression qu’il avait eue et qui pouvait se résumer ainsi : « Ce n’est pas un inconvénient de perdre ses dents, puisqu’elles repoussent » et il en avait fixé un sentiment d’optimisme général comme si toutes les diminutions que la vie fait subir, devaient être suivies de larges compensations. Il n’en et pas de même quand l’enfant porte déjà en lui un sentiment de culpabilité ou des complexes qui lui font craindre la puberté future. Dans ce cas, la chute des dents prend la valeur symbolique d’une véritable castration. L’enfant renouvelle le voeu qui a pu, auparavant, hanter sa conscience de nourrisson : « Plutôt supprimer mes dents que d’accepter les responsabilités qui se préparent » et il s’agit ici des problèmes sexuels qui vont se poser. L’analyse montre, chez beaucoup de malades, les traces de ce désir morbide de renoncer à ses armes et à la lutte, malgré le danger d’être mordu par les concurrents. Le dilemme vaincre ou être vaincu, mordre ou être mordu se pose à propos de la concurrence amoureuse future. On comprend que cette notion de morsure, jointe à l’idée qu’une partie du corps tombe (les dents) doit entrer en composition, pour une part importante, dans le complexe de castration.

Un de nos malades, au cours d’une période de résistances correspondant à une phase d’hostilité infantile contre le père, rêva qu’il était à cheval et qu’il voulait traverser une rangée d’autres cavaliers (associés dans son esprit aux psychanalystes qu’il connaît) mais que le cheval de l’un d’eux, près de qui il devait se frayer passage, montrait les dents de façon inquiétante.

Chez la femme, l’acceptation de la puberté future implique la résignation au rôle sexuel passif, l’abandon de l’agressivité directe et, pour peu que cette phase psychologique ait été influencée par une certaine terreur de la sexualité, la chute des dents prend une signification masochiste analogue à ce qu’est la castration chez l’homme. Mais ici, le rejet par l’orifice buccal d’un organe qui a fait partie du corps entre en analogie avec l’accouchement et, par la suite, l’image de la dent qui tombe s’associe à la parturition. « Chaque enfant coûte une dent » dit un proverbe populaire et certains auteurs mentionnent que les rêves de dent arrachée chez les femmes se rapportent généralement à la maternité [2].

À ce sujet, nous avons en traitement depuis huit mois, au moment où nous écrivons ces lignes, une femme atteinte de l’obsession que ses dents pourraient s’abîmer et qu’il pourrait devenir nécessaire de les arracher. Cette idée s’accompagnait d’une angoisse intense qui lui rendait la vie absolument intolérable. Sans qu’il nous soit possible ici de donner des détails, il est apparu clairement, dès le début de l’analyse, que cette obsession équivalait à une peur intense de la grossesse et lui servait de substitut conscient. L’origine de la maladie pouvait être rattachée à l’intervention d’un dentiste qui avait arraché une dent de lait avec un davier, vers l’époque de la puberté. D’autre part la malade se rappelait qu’après un accouchement laborieux, pour un frère plus jeune, sa mère avait dit : « J’aimerais mieux qu’on m’arrache toutes les dents que de recommencer ». Tant que l’analyse resta limitée aux préoccupations sexuelles et aux craintes qui y étaient attachées, la malade n’éprouva qu’une amélioration partielle. Plus tard l’arrachement des dents se montra sous l’aspect d’un désir de punition, avec sentiment de culpabilité lié à une fixation paternelle et l’obsession se mit à disparaître. L’analyse put remonter jusqu’aux étapes du sevrage. À ce moment, un symptôme accessoire d’anorexie persistante, plus ou moins négligé jusque‑là, se mit à disparaître à son tour. La malade comprit pourquoi elle aimait tant rester au lit des journées entières et se faire apporter par sa vieille bonne une nourriture généralement liquide ; elle réalisa le désir archaïque de renoncer aux dents pour éviter le sevrage et à partir de ce moment l’amélioration fut totale. Actuellement, l’analyse n’est pas encore terminée mais il y a plus d’un mois que la patiente se trouve dans un état absolument parfait et nous avons tout lieu de penser que celui‑ci se maintiendra.

En résumé, il nous semble que les phénomènes de la dentition présentent des rapports importants avec l’évolution des instincts, spécialement en ce qui concerne la transformation de la libido digestive, captative, introvertie, en libido sexuelle, oblative, extravertie, et l’origine du sadisme. Il y a donc lieu d’attacher une importance considérable à l’image de la chute des dents dans le symbolisme des rêves, du langage, des légendes, des associations d’idées. Il s’agit là d’une fuite devant les responsabilités ou des efforts à venir, d’un certain masochisme en rapport chez l’homme avec l’idée de punition, de castration, chez la femme avec les idées connexes d’accouchement et de viol. Ceci nous‑paraît si important qu’on pourrait décrire un véritable complexe dentaire.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article original de René Allendy, « Éléments affectifs en rapport avec la dentition », Revue Française de Psychanalyse, Première année, T. I, n° 1, Éd. G. Doin et Cie, 1927, pp. 82-86.

Notes

[1FREUD. Trois Essais sur la Sexualité, Paris 1923, p. 98.

[2FRINCK. Morbid fear and compulsions, New‑York, s. d..

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