Freud aggrave-t-il le cas d’Onfray ?

Freud aggrave-t-il le cas d’Onfray ?

Selon Freud le système inconscient parle, pense, agit, jouit et se réjouit. Il ressent et s’organise avant et indépendamment de la conscience. Il est autonome et non pas relatif à elle. C’est l’inverse chez les philosophes. Pour eux l’inconscient ne peut s’inférer qu’à partir du conscient. Il ne peut se concevoir qu’après elle. Pour peu qu’on interprète les concepts de la psychanalyse du point de vue de la philosophie la psychanalyse devient le champ privilégié du contresens et Freud le contraire de ce qu’il dit. C’est comme si le sel perdait sa saveur. Si par hasard le sel perdait sa saveur il se réduirait à une substance sans intérêt. Il en va de même pour les végétaux, les animaux et les hommes. Par exemple, si on lui ôtait son aptitude à écrire des symphonies Beethoven ne serait qu’un homme ordinaire, qui plus est malentendant. Si on supprimait sa voix à Dalida, elle ne serait plus qu’une petite femme un peu bigleuse. Inversement si on retirait à Hitler ce que tout le monde sait, il apparaîtrait comme un paisible écologiste, anti-tabac, végétarien, artiste, aimant les animaux et la nature. Cette rhétorique relève de la bouffonnerie.

C’est pourtant la méthode qu’utilise Michel Onfray concernant la psychanalyse. Il castre Freud de sa définition de l’inconscient, et à partir de cette opération paralogique il juge les vivants et les morts. Il annonce, tel Hegel, « la fin de l’histoire » (de la psychanalyse). Soit dit en passant la psychanalyse ne prendra fin que lorsque les hommes s’arrêteront de parler.

L’humoriste normand Alfonse Allais expliquait déjà qu’à part sa découverte de l’Amérique Christophe Colomb n’était qu’un espagnol sans grand intérêt. Onfray, qui est de la même région qu’Alfonse Allais, fait de même avec Freud. En lui supprimant sa découverte de l’inconscient, il le réduit à n’être qu’un juif émigré parmi les autres avec tous les défauts que leur attribue la doxa et qui plus est avec un cancer à la mâchoire.

Que Le Point présente Michel Onfray comme le spécialiste de Freud, on peut le comprendre, car cet auteur est très médiatique. Il s’agit de faire audience. L’ennui c’est que si les autres rubriques relèvent du même sophisme, on en viendra à douter de tout ce que cet hebdomadaire annonce et même de ses publicités. Céline disait : « donnez moi une lettre de n’importe qui et je vous le ferai pendre ». Le grand écrivain dénonçait cette pratique. Onfray l’a fait sienne et la mise au point.

Au Point ? « Faire le point » est une métaphore maritime. Il s’agit d’un terme de marine servant à diriger convenablement un navire. Quel navire ? Le Titanic ? La nef des enragés, ou le radeau des énervés de Jumièges ? Si c’est ça, on va hésiter à s’abonner. Michel Onfray (deux points) : Freud aggrave son cas. Les deux points peuvent signifier soit une citation soit une conséquence. S’agit-il de Freud qui aggrave le cas de l’humoriste Onfray ou de l’humoriste qui aggrave le cas de Freud ? Qui incarne ce qu’il dénonce ? Qui pratique le contraire de ce qu’il théorise ? Le journal ne faisant pas le point sur la question, il ne mérite pas sérieusement son titre. En tout cas pas pour cette fois. Pas plus qu’Onfray et sa lecture de Freud.

Mais ce n’est bien sûr qu’un point de vue. Le mien. Celui d’un psychanalyste qui en artisan appliqué travaille modestement chaque jour depuis plus de trente ans sur ce qu’on appelle dans le métier « le retour à Freud », c’est-à-dire à l’inconscient psychanalytique, plus nécessaire que jamais, me semble-t-il pour échapper à tous les ors des enfers idéologiques…