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Édouard Pichon

Le rôle du complexe d’Œdipe dans le développement psychique de l’être humain

À l’aise dans la civilisation (1936). — Première Conférence

Date de mise en ligne : dimanche 12 février 2012

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Édouard Pichon, « Le rôle du complexe d’Œdipe dans le développement psychique de l’être humain », Première conférence de : À l’aise dans la civilisation, dans la Revue Française de Psychanalyse, Tome X, n° 1, Éd. Denoël, 1938, pp. 4-21.

À L’AISE DANS LA CIVILISATION
Trois Conférences pour l’Institut de Psychanalyse de Paris,
par Édouard PICHON [1].

I
Le rôle du complexe d’Œdipe dans le développement psychique de l’être humain
Conférence du mardi 24 novembre 1936.

SOMMAIRE

I

§ 1. Définition du complexe d’Œdipe. — § 2. Le complexe d’Œdipe est un stade normal de l’évolution du psychisme.

II

§ 3. Le domaine libidinal en général. Critique de l’emploi freudien du terme sexualité. — § 4. Lagnie, topolagnies. — § 5. Érotisme. L’objet. Captation, oblation. — § 6. Sexualité.

III

§ 7. L’acceptation du sexe. — § 8. Stade anérotico‑buccal. — § 9. Stade sadico‑anal. — § 10. Stade phallo‑œdipien du garçon. — § 11. Succession du stade phallique et du stade œdipien chez la fille.

IV

§ 12. Le complexe d’Œdipe et sa liquidation. — § 13. Rôle des frères et sœurs. — § 14. Le stade de décharnalisation. La double libération de la libido. — § 15. De l’évolution intellectuelle pendant le stade de décharnalisation. — § 16. De l’évolution morale pendant le stade de décharnalisation. Le stade de la honte et celui de la culpabilité ; leur chevauchement. — § 17. La libido et son utilisation anagogique.

V

18. Les stades métœdipiens chez le garçon. — § 19. Destinée du complexe d’Œdipe chez la fille.

VI

§ 20. Rareté des névroses sans complexe d’Œdipe. — § 21. Névroses masculines par liquidation imparfaite du complexe d’Œdipe. — § 22. Névroses féminines par accrochage au stade phallique. — § 23. Conclusions.

Ma conférence de ce soir doit rouler sur un sujet qui, pour les psychanalystes, est assez banal, mais que je voudrais vous présenter de façon à vous préparer au sujet des deux autres conférences que je dois faire ici cette année ; ces deux conférences porteront sur des sujets quelque peu plus élevés et plus difficiles.

À propos du rôle du complexe d’Œdipe dans le développement psychique de l’enfant vous allez voir comment s’accomplissent, d’une part, l’évolution vers l’amour et la moralité, d’autre part, l’évolution vers l’intellectualité humaine, et ceci vous disposera à entendre les conférences respectives sur le rôle du sexe dans la civilisation occidentale, d’une part, et, d’autre part, sur la façon dont la pensée prend corps et s’organise dans sa vie propre.

I

§ 1. — On donne le nom de complexe d’Œdipe à la disposition affective par laquelle un être humain est libidinalement attaché à son parent de l’autre sexe, cependant qu’il nourrit à l’égard de son parent du même sexe une altitude de rivalité chargée possiblement d’aversion.

Cet état d’esprit est connu déjà depuis très longtemps dans les mythes et dans la littérature, mais ce qui est le mérite original de M. Freud, c’est d’en avoir montré la valeur universelle ou quasi‑universelle ; et, cette valeur, maintenant que lui a su, le premier, la voir, crève les yeux du clinicien.

§ 2. — Pour qui voit des enfants, pour qui étudie leur psychologie et leur psychopathologie, il n’y a vraiment nul doute que l’organisation œdipienne ne soit qu’un stade normal de l’évolution psychique des enfants, au moins dans notre type de société. Je dois ajouter, d’ailleurs, que, chez les civilisés, l’élément aimant prend une plus grande importance que l’élément aversionnel ; mais, comme l’élément aversionnel ne peut pas être tout à fait supprimé, les poussées de cette aversion prennent un caractère moralement conflictuel, ce qui donne un caractère tout particulier au complexe d’Œdipe chez les civilisés.

II

§ 3. — Vous avez vu, Mesdames et Messieurs, que, dans la définition du complexe d’Œdipe, telle que je vous l’ai donnée tout à l’heure, il est parlé, d’une part, du parent de l’autre sexe, d’autre part, du parent du même sexe ; c’est vous dire que la notion de sexe intervient dans la constitution même du complexe d’Œdipe. Avant d’aller plus loin, il faut donc que nous nous expliquions sur la sexualité dans les doctrines de M. Freud.

Sur cette question de la sexualité, je ne m’éloignerai en réalité pas, dans la doctrine, de ce qu’enseigne M. Freud ; mais je m’en éloignerai dans la nomenclature, car je crois que, précisément, un certain nombre de malentendus sont provenus de ce que le maître viennois a choisi le mot « sexualité » pour exprimer quelque chose de très général qu’il y aurait peut-être avantage à désigner autrement ; il est vrai de dire que M. Freud écrivait en allemand et que nous n’avons pas le droit de juger l’usage qu’il faisait de cette langue, car, peut‑être, « sexualité », en allemand « Geschlecht », évoque‑t‑il quelque chose de plus général que ne le fait, en français, le même mot. Combien de mots, qui ont la même racine dans les langues classiques, peuvent acquérir des sens différents dans les différentes langues de l’Europe occidentale ! En conséquence, la critique que je fais s’applique beaucoup plus au premier traducteur de M. Freud qu’à M. Freud lui‑même.

C’est à tout le domaine libidinal que M. Freud donne le nom de « sexuel ». Qu’entendre par domaine libidinal ? Il y a trois notions à distinguer : la notion de lagnie, la notion d’érotisme, la notion de sexualité.

§ 4. ‑ Lagnie veut dire : tendance primitive qu’a l’énergie appelée libido à se consommer dans certains plaisirs dont M. Freud a marqué autrefois le caractère particulier avec peut‑être plus de netteté qu’il ne le fait aujourd’hui ; ces plaisirs sont les voluptés, plaisirs qu’on recherche pour eux‑mêmes sans utilité biologique intrinsèque ; de pareils plaisirs s’obtiennent sur toute la surface cutanée qui, vous le savez, est très sensible, par exemple aux caresses très superficielles, aux frôlements (papouilles) ; mais, ils s’obtiennent avec plus de facilité encore sur les surfaces muqueuses, d’où des topolagnies buccale, anale, uréthrale et enfin génitale ; c’est ce à quoi M. Freud et les psychanalystes donnent classiquement le nom d’érotisme buccal, anal, génital ; vous allez bientôt voir pourquoi je ne dis pas encore érotisme.

À la suite de l’emploi que M. Charles Odier a fait du mot hédonisme, j’avais adopté, moi aussi, ce terme pour désigner ce que j’appelle ce soir lagnie ; mais des philosophes m’ont fait observer qu’en philosophie le radical de « hèdonê » s’applique à tous les plaisirs [2] ; or, je crois que ce serait altérer la pensée de Freud et aussi la vérité clinique que de croire que tous les plaisirs rentrent dans ces voluptés dont je vous parlais tout à l’heure ; le plaisir physiologique de manger quand on a faim, l’exonération anale ou l’évacuation vésicale sont des plaisirs et, pourtant ils ne rentrent pas dans les plaisirs que M. Freud classe dans la sexualité ; ils ne rentrent pas [3] dans les plaisirs lagniques, lascifs.

En face de cela, au contraire, quand vous voyez un petit garçon qui fait de la rétention uréthrale et se trémousse pendant cinq minutes avant d’aller aux cabinets faire pipi, ou un petit bébé qui, lorsqu’il est en possession du mamelon maternel, donc sûr qu’il aura de quoi satisfaire sa faim, le mordille et le suçaille avant de le prendre, dans ces cas‑là vous avez précisément affaire aux plaisirs lagniques, aux plaisirs que Freud englobe dans ce que, lui, appelle, au sens général et le plus compréhensif du terme, « la sexualité ».

Vous retrouvez assez nettement des faits analogues chez les adultes, quand, par exemple, vous avez des patients qui, ayant encore une assez forte fixation topolagnique sur la bouche, usent du tabac, usent du chewing‑gum et autres bonbons à sucer pour exciter surtout la muqueuse en un plaisir proprement libidinal qui est véritablement quelque chose de tout différent non seulement du plaisir de l’alimentation, en tant que satisfaction physiologique, mais encore du plaisir gustatif en tant que sublimation esthétique. La localisation même de ces deux genres de plaisir les distingue cliniquement : le plaisir culinaire siège surtout à la partie postérieure de la bouche : les papilles gustatives sont sur le V lingual, l’odeur des mets et des boissons monte par le rhinopharynx et les choanes. Au contraire, le plaisir lagnique du suçottement et du picotement siège à la partie antérieure de la bouche, sur la muqueuse labiale, rétrolabiale, gingivale, prépalatale et de la pointe de la langue.

Les lagnies sont l’effet d’une disposition psychologique, la sensualité, qui interprète et utilise libidinalement les données sensorielles. Seule la lagnie génitale semble disposer d’appareils récepteurs un peu spéciaux, les corpuscules de Krause, dans le gland respectif de la verge et du clitoris. Mais ce qui donne à la zone génitale son rôle exquis, c’est que toute excitation cutanée, buccale, mamillaire, etc., peut, chez certains sujets, aboutir, par circuit psychique lagnique, à l’érection et à la décharge orgastique de la verge ou du clitoris.

Les plaisirs lagniques ont toutefois en eux‑mêmes une physionomie clinique assez particulière, et les tendances inhibitrices une force et une variété assez grandes, pour que nous n’exigions pas, comme le fait M. Dalbiez, qu’une excitation hédonique soit effectivement provocatrice d’une érection pour lui reconnaître le caractère lagnique.

§ 5. — Le second élément du domaine libidinal est l’érotisme. Je donne ce nom au phénomène qui se passe quand le plaisir lagnique se lie à un sentiment d’attirance envers un objet, objet d’amour, objet de plaisir. L’objet est d’abord conçu d’une façon captative : l’enfant cherche, en quelque sorte, à en incorporer la substance ; ensuite, au contraire, il est conçu d’une façon oblative, c’est‑à‑dire que l’enfant admet que cet objet prenne un caractère personnel et existe en dehors de lui.

§ 6. — Enfin, je parlerai de sexualité, au sens classique du terme en français, le jour où interviendra, dans les phénomènes que nous étudions, le partage de l’humanité en mâles et en femelles ; si vous le voulez bien, nous dirons donc que les phénomènes sont insexuels quand ils ne tiennent pas compte de cette différence, intrasexuels quand ils se produisent entre individus du même sexe, et intersexuels quand ils se passent entre individus de sexe différent [4].

III

§ 7. — Le sens de « sexualité » étant ainsi défini, on peut dire que le stade œdipien est le premier stade du développement affectivo‑pulsionnel où apparaisse nettement la sexualité ; c’est au cours de ce stade, et à partir de lui, que se développe cette notion capitale, et c’est cela qui est la clef de l’importance du stade œdipien dans le développement psychique.

Ici, Messieurs, nous autres psychanalystes émettons une assertion qui, pour beaucoup de gens paraîtra étonnante : c’est la difficulté qu’à un enfant à accepter d’être d’un sexe et d’un seul. La plupart des gens, lorsqu’on énonce cette vérité, la considèrent comme un paradoxe ridicule, et, pourtant, il n’est pas une chose que la clinique nous montre plus nettement.

La fille ne se résigne pas à ne pas avoir tant les organes extérieurs que les capacités sociales du garçon ; et le garçon lui‑même — nous en avons vu souvent des exemples — a besoin d’une grande dose de résignation pour accepter qu’il ne sera pas admis à enfanter et pour admettre qu’il devra, en tant que mâle, accepter certains risques sociaux dont la femme sera plus protégée.

Or, c’est à l’époque œdipienne que doit se faire cette acceptation du sexe qui, ainsi que nous le montre l’histoire des névroses, est quelque chose de capital. Mais les choses se passent différemment chez le garçon et chez la fille. En effet, avant le stade œdipien, quels sont les stades que les sexes ont connus ?

§ 8. — Ils ont connu d’abord un premier stade, un stade buccal qui est anérotique, dans le sens où j’ai employé érotique, tout à l’heure, c’est-à‑dire qui ne comporte pas d’objet ; la mère, là, est conçue, ainsi que le dit mon ami Laforgue, comme « la mère‑nourriture » ; elle est une sorte de dépendance de l’enfant, qui ne lui conçoit pas d’individualité propre.

Je n’insiste pas sur ce stade, dont je pourrais vous dire beaucoup de choses, mais qui n’est pas de mon sujet de ce soir.

§ 9. — Le second stade est, au point de vue de la topolagnie, à prédominance anale, et, au point de vue de l’érotisme, à prédominance sadique, ou mieux sado‑masochique : il commence à y avoir un objet, qui est, en général, la mère ; cet objet est aimé surtout d’une façon captative, en ce sens qu’on cherche à se l’asservir ; mais, néanmoins, c’est dans ce stade que nous voyons, grâce aux premiers efforts de l’éducation, les premières oblations de la part de l’enfant ; vous savez combien M. Freud a insisté notamment sur le fait que dans l’éducation à la propreté sphinctérienne l’enfant faisait, en quelque sorte, des cadeaux aux parents et commençait à leur offrir une sorte de sacrifice de sa personnalité.

Mais, à cette époque, l’objet principal de l’amour, c’est la mère, et la question sexuelle proprement dite ne se pose pas.

§ 10. — Ici, les sexes divergent : tous les deux vont arriver à l’organisation œdipienne, définie tout à l’heure, mais la fille y aura plus de peine. En effet, chez le garçon, il n’y a pas à changer d’objet : l’objet principal de l’attachement positif, c’est sa mère. Il commence à concevoir l’importance de cet organe phallique que les femmes n’ont pas, et à se sentir de plus en plus mâle ; il ressent un attachement libidinal pour la personne qui est, en quelque sorte, la première femelle, la femelle prototype, à savoir sa mère. On voit donc que, dans cette organisation œdipienne du garçon, les deux sexes prennent un rôle très différencié.

§ 11. — Mais, chez la fille, ce stade génito‑sexuel infantile, qui est un dans le sexe masculin, se divise en deux stades successifs, ainsi que l’a bien indiqué, dans ses travaux, Madame Marie Bonaparte ; c’est qu’il faut changer d’objet. L’objet premier, pour la fillette, c’était sa mère ; l’objet œdipien, ce doit être son père ; il s’intercale donc, chez la fillette, entre le stade sadico‑anal et l’œdipien, un premier stade génital appelé le stade phallique : la fille fait un faux‑départ de petit mâle. La topolagnie dominant chez elle est à ce moment‑là la tendance au plaisir clitoridien ; et ceci a une très grande importance dans ses effets, car la fixation à ce stade est une racine névrotique très fréquente pour la femme.

Puis, ensuite seulement, elle passe au stade œdipien, en adoptant son père pour objet d’érotisme.

IV

§ 12. — Sur le stade œdipien proprement dit, je ne vous dirai pas de choses bien nouvelles, puisque je l’ai déjà défini tout à l’heure ; c’est, je le répète, une organisation qui comporte un penchant vers le parent du sexe opposé, et des éléments aversionnels pour le parent du même sexe. Ces éléments aversionnels sont combattus par des conflits moraux et aussi par la tendresse qui existe par ailleurs vis‑à‑vis de ce parent.

Mais, ce qui nous importe encore plus que le complexe d’Œdipe lui-même, ce qui est le processus important pour la formation de la personnalité humaine, c’est la liquidation du complexe d’Œdipe, c’est‑à‑dire la façon dont on en sort, dont on peut en sortir, parce que c’est cette liquidation qui libère, d’une part, l’aimance utilisable intersexuellement, d’autre part, l’aimance utilisable pour les affections non charnelles, et, de troisième part enfin, l’énergie libidinale pouvant être sublimée et pouvant par conséquent contribuer au développement culturel de l’homme.

Mais, quand je vous dis que ce qui importe, dans le complexe d’Œdipe, c’est sa liquidation, il va de soi qu’il serait impossible de liquider ce qui n’aurait pas existé, et ceci vous montre quel est le rôle capital de l’organisation œdipienne pour préparer la suite du développement.

Les parents, en somme — les parents ou leurs substituts, car ceux qui jouent les rôles de Jocaste et de Laïus ne sont pas toujours ceux qui sont, par le sang, les parents, cela dépend de la façon dont s’est produite l’évolution sociale de l’enfant — les parents, dis‑je, ou leurs substituts, sont les modèles respectifs des deux sexes. L’importance de cette constatation est énorme, car, très souvent, les réactions que l’enfant aura toute sa vie, vis‑à‑vis de tel ou tel sexe, tiendront à telles ou telles qualités bonnes ou mauvaises, qui auront été remarquées chez les parents et qui auront été intégrées à la notion du sexe correspondant.

§ 13. — Je tiens à marquer aussi que les frères et sœurs jouent également, à l’échelle — si j’ose ainsi parler — un rôle important, en ce sens que, d’une part, ils apparaissent comme des sortes de réductions des images parentales, et que, d’autre part, ils constituent, avec le sujet lui‑même, une sorte de monde, de petite société qui s’oppose à la société des adultes et notamment aux parents. D’une part, ils sont, en quelque sorte, les analogues des parents, et pourtant, d’autre part, ils en sont aussi l’opposé, puisque ce sont eux qui, souvent, sont les premiers ferments autour desquels s’agglutinent les tendances de l’enfant à devenir indépendant par rapport à ses parents, parce qu’ils fournissent le premier noyau d’une société autre que celle constituée par les liens œdipiens qui attachent l’enfant à ses parents. À mon avis, même, le rôle des frères et sœurs n’a pas, jusqu’à présent, été étudié avec assez de profondeur par les psychanalystes. Mais vous savez que l’on ne peut pas avoir étudié toutes les questions et qu’en science, il reste toujours des domaines à explorer, heureusement pour les chercheurs !

§ 14. — Mais essayons de préciser : comment s’opère la liquidation du complexe d’Œdipe ? Elle s’opère lentement au cours d’une période que l’on appelle communément, en psychanalyse, la période de latence, de « latence sexuelle », « sexuelle » étant pris dans le sens freudien ; cette période s’étend entre l’âge de cinq et l’âge de douze ans environ. Pour moi, je vous avouerai que j’ai une certaine répugnance à parler de « latence » pour une période aussi capitale dans le développement humain ; et je dirai plutôt le stade de décharnalisation.

Ce stade de décharnahisation est caractérisé par une double libération de la libido. La libido, c’est‑à‑dire cette énergie affective dont nous supposons l’existence en psychanalyse se libère quant à son but et quant à son mode de consommation.

Elle se libère quant à son but en effet, dans les stades infantiles, la libido se trouve, semble‑t-il, nécessairement au service des lagnies ; elle ne se consomme que pour cette fin ; tandis qu’au contraire, au bout du stade de décharnalisation, c’est‑à‑dire au moment où vont commencer les stades progressifs qui vont aller véritablement vers l’organisation adulte, la libido est encore possiblement au service de ces topolagnies dont j’ai parlé, mais elle n’est plus forcément toute à leur service ; elle peut, par ailleurs, s’en détacher et aller nourrir, d’une part, des affections non charnelles, comme les affections filiales, désormais épurées de l’œdipodisme, comme les affections fraternelles, comme les affections amicales ; d’autre part, elle peut aller nourrir des voluptés intellectuelles et esthétiques suivant le processus que l’on appelle la sublimation. Telle est la libération quant au but.

Je dis aussi : libération quant au mode de consommation par rapport à l’objet. En effet, par rapport à l’objet, à côté du mode captatif, qui tend à l’incorporer, qui le considère, si j’ose ainsi parler, comme une chose, se développe, de plus en plus, le mode oblatif, dans lequel le sujet aimant fait des sacrifices pour l’objet, et laisse à celui‑ci la faculté d’exister, indépendamment, à titre de personne.

Il va de soi, Messieurs, que jamais une pareille évolution n’aboutit à un changement absolument complet ; de même que le fait que la libido puisse devenir purement affective ou se sublimer n’empêche pas que des quantités importantes de libido ne puissent rester au service de voluptés proprement charnelles, de même le fait que la libido puisse se consommer sous le mode oblatif n’empêche pas que des quantités importantes de libido ne se consomment encore sous le mode captatif, sans lequel le déroulement et la conservation même de la vie ne seraient, pour ainsi dire, pas possibles. Ces faits rentrent dans une grande loi que j’ai essayé de mettre en vedette dans un de mes livres [5] ; c’est la norme d’addition des possibilités : elle consiste en ce que, dans un développement psychique normal, les différents stades par lesquels l’individu passe doivent apporter chacun à son psychisme de nouvelles possibilités, mais ne doivent point lui enlever les possibilités que le stade précédent lui avait conférées.

L’oblation et la sublimation ne se plaçant pas sur le même plan, puisque l’une est un mode de consommation objectale, et l’autre une modification quant au but même de la libido, peuvent toucher les mêmes quanta de libido. Ainsi, chez l’homme adulte, par exemple, qui est arrivé au stade de l’amour parfait, le travail intellectuel, qui est un élément d’expansion personnelle et de prestige, fonctionnera à la fois comme une sublimation, quant à l’emploi de la libido, qui se dépense en voluptés intellectuelles, et comme une oblation vis‑à‑vis de la femme aimée, dans l’esprit de laquelle l’offrande amoureuse de ce travail est chargée d’entretenir le prestige de l’homme.

§ 15. — Au cours du stade de décharnalisation, nous voyons l’oblation et la sublimation jouer leurs rôles conjoints pour animer l’évolution intellectuelle. Le travail de développement de l’intelligence exige en effet, d’une part, une forte dose de libido sublimée. Mais, d’autre part, l’approfondissement de la sincérité introspective, par qui seule sont possibles la renonciation aux délusions et l’adaptation de la pensée au réel, est fonction de l’oblativité, qui permet à l’individu l’acceptation des réalités désagréables. Vous voyez donc combien cette double transformation, d’une partie importante de la libido est capitale pour l’évolution intellectuelle.

§ 18. — Quant à l’évolution morale, c’est également l’oblation qui y joue le rôle capital. Au début du stade de décharnalisation, l’enfant ne connaît que la honte, je veux dire par là que — et c’est une chose que les psychologues avaient aperçue dès le XVIIe siècle, et que Locke en particulier, avait déjà bien vue — la faute, pour lui, n’existe que lorsqu’elle est découverte. Au contraire, à la fin du même stade de décharnalisation, il en est arrivé à concevoir le vrai sentiment de culpabilité, la faute existant, alors, en elle‑même, dès qu’elle a été commise ; le sentiment de culpabilité c’est, en somme, la honte devant soi‑même, ou bien, en langage religieux, devant Dieu.

Passer de la première conception à la seconde implique donc la substitution d’un for intérieur au for extérieur parental, mais cela ne peut se faire que par le moyen de l’acceptation et de l’oblation. Avant d’imiter les jugements moraux parentaux au point d’en prononcer de semblables en soi‑même et sur soi‑même, il faut avoir accepté la légitimité de ces jugements, il faut ainsi avoir appris à faire offrande de ses bonnes actions aux parents aimés.

Mlle Anna Freud, dans son livre sur la psychanalyse des enfants, a longuement étudié ce problème de la constitution de la moralité chez l’enfant, et elle a mis en évidence un certain nombre de phénomènes intéressants.

Elle a montré, premièrement, que les premiers linéaments de ce for intérieur et de ce sentiment vrai de culpabilité étaient très anciens, mais, secondement, que leur constitution définitive était très tardive, c’est‑à-dire qu’il fallait très longtemps pour que la nouvelle organisation psychique se constituât pleinement. Bien des enfants, encore vers douze ans, vers treize ans, lorsque la tentation morale est trop forte, ont, pour se soutenir quand leur for intérieur vient à défaillir, besoin de l’image des parents, soit en tant qu’ils les craignent, soit en tant qu’ils veulent leur plaire, et c’est très tard qu’ils arrivent à pouvoir se passer absolument de cette aide. Il y a en somme un chevauchement entre les deux stades que je vous ai décrits : la constitution de la moralité indépendante est une chose très lente, mais dont les premiers débuts, les premières ébauches se font très tôt.

Je puis, justement, vous raconter, à ce sujet, une petite anecdote qui date d’aujourd’hui même ; le héros en est un bébé de quatre ans auquel ses parents défendent de gribouiller avec un crayon sur les marges des livres. Or sa mère l’a trouvé tantôt sur une chaise‑longue, serrant tendrement contre lui un lapin, un joujou lapin qui s’appelle Trottinot. Elle a demandé à l’enfant ce qu’il faisait :

« Oh ! c’est que Trottinot… Trottinot avait cru que j’avais fait des choses qu’il ne fallait pas faire !
 Comment, il avait cru que tu avais fait des choses qu’il ne fallait pas faire ?
 Oui, et il m’avait dit je vais te gifler !
 Il t’avait dit ça ? Pourquoi t’avait‑il dit ça ?
 Parce qu’il croyait que j’avais écrit sur le livre, sur le petit Babar. »

Entendant cela, la mère va regarder ce livre ; elle voit, en effet, qu’il y a de timides traits de crayon dans les marges du livre.

Somme toute, cet enfant commençait à constituer, sous la forme de Trottinot, une conscience morale, mais cette conscience morale trop jeunette, il a été heureux de l’appuyer ensuite sur l’autorité de sa mère, en racontant à celle‑ci comme quoi Trottinot avait cru qu’il voulait faire de petits gribouillages dans les marges du livre !

§ 17. — Dans cette conception énergétique qu’est la conception freudienne, une même énergie, la libido, originellement consommée en des plaisirs lagniques, charnels, anime l’intellectualité et la moralité.

Cette conception énergétique, à vrai dire, se justifie assez au point de vue clinique, car, s’il est une loi également générale du développement psychique, c’est la loi d’appétition, comme je l’appelle [6], c’est‑à‑dire celle qui exige une stimulation affective pour toute action humaine.

Mais — et voilà où je me permets de me séparer de l’orthodoxie freudienne — M. Freud, à mon avis, a eu tort de croire que cette explication génétique, qui, en tant qu’explication génétique, est extrêmement satisfaisante, avait une valeur métaphysique.

Sur le terrain intellectuel, celui de la connaissance du Vrai, M. Freud comprend fort bien que la réalité ne dépend pas de nous, et que, précisément, l’évolution ascendante de notre pensée consiste à chercher, malgré notre enclôture dans un observatoire animal, l’adéquation avec ce qu’il appelle le « principe de réalité ». Somme toute, il admet, et légitimement, le fameux nisi inlellectus ipse de Leibniz ; le fait que nous ayons une faculté cognitive reste transcendant au contenu de notre transvivance, de notre vie proprement dite ; c’est cette faculté cognitive qui utilise de l’énergie libidinale dans une direction anagogique, vers la connaissance la plus adéquate possible de la réalité. L’énergie qui nous est originellement donnée, nous l’élevons, en quelque sorte, vers des fins de plus en plus hautes, au fur et à mesure que nous recherchons la connaissance plus adéquate du réel.

Mais, M.. Freud n’a pas su voir que, sur le terrain moral, c’est‑à‑dire sur celui de la recherche du Bien, le problème se posait dans des termes tout à fait analogues. De même que l’intellect, la faculté que nous avons de porter sur nous‑mêmes des jugements de valeur est transcendante ; comme je l’ai déjà indiqué ailleurs, la psychanalyse nous explique le contenu des sentiments de culpabilité, mais elle ne nous explique pas la substance et l’essence de ces sentiments ; comme le dit fort bien M. Rolland Dalbiez dans un livre récent [7], elle explique la transmission des prohibitions morales, mais elle n’explique pas leur existence. Sur le terrain moral comme sur le terrain intellectuel, je crois que l’on peut admettre que la pensée humaine, toute murée qu’elle est dans le composé humain, utilise de l’énergie libidinale dans une direction anagogique ; cette direction, en matière morale, mène vers l’accolement le plus étroit possible à la voie du Bien, de même que sur le terrain intellectuel elle utilisait la libido pour la connaissance de plus en plus adéquate du réel.

V

§ 18. — Revenons, maintenant, aux questions proprement sexuelles. Je n’ai pas l’intention de conduire, dans cette conférence, le développement sexuel jusqu’à son terme ; je ne vous parle que du complexe d’Œdipe et de sa liquidation. Il y aurait encore, après cette phase génitalement négative, des phases positives, les phases qui se développent dans la puberté, l’adolescence, la jeunesse et qui mènent à la constitution de l’organisation amoureuse adulte. Je ne les étudierai pas ce soir.

Mais je veux marquer néanmoins que pour les questions purement libidinales, charnelles, il y a une différence entre les sexes. L’opposition entre les sexes n’est pas une opposition symétrique. Ne croyez pas que l’on puisse dire : je vais vous raconter ce qui se passe pour le garçon, vis‑à‑vis du sexe masculin et du sexe féminin ; puis, nous intervertirons les termes et nous aurons l’image du développement de la fille. Vous avez vu qu’il n’en était pas ainsi avant le complexe d’Œdipe, il n’en est pas non plus ainsi après lui.

En effet, le garçon, lui, normalement, liquide complètement son complexe d’Œdipe au cours de la période de décharnalisation ; il le liquide par cette libération dont je vous ai parlé ; et, très souvent, l’on peut observer une scission très nette entre le sentimental et le charnel, à cause de cette liquidation ; c’est au cours de la période de décharnalisation que nous voyons les grandes amours puériles ; tels garçons, depuis l’âge de cinq ans jusqu’à quinze ans, sont amoureux d’une petite fille et le sont d’une façon où l’élément charnel joue un rôle, mais un rôle souvent très minime ; et, à côté de cela, ils peuvent très bien avoir une histoire charnelle, constituée, en particulier, par de la masturbation secondo‑tertiaire, soit sans images, parce que refoulement et censure, soit avec des images de femme âgée, représentant plus ou moins la mère et n’ayant pas de rapport avec la petite fille sur laquelle s’est porté un amour beaucoup plus décharnalisé, mais déjà beaucoup plus viril socialement. Plus tard, un tel garçon refera progressivement, au cours de son évolution proprement sexuelle, la réunion du désir charnel et de la tendresse protectrice. Alors, il passera, dans des stades érotiques nouveaux, par des expériences amoureuses et, enfin, arrivera à une fixation convenant à la finalité amoureuse de son sexe, à une fixation active, dans laquelle il prendra finalement une femme, comme son père avait pris sa mère.

§ 19. — Chez, la fille, au contraire, se montrent deux phénomènes importants, caractéristiques du sexe féminin ; ils ont été bien vus par Madame Marie Bonaparte, qui, comme vous le savez, a particulièrement étudié l’évolution de la sexualité féminine.

D’une part, quant au côté charnel : au déclin du stade phallique, quand la volupté clitoridienne, tout en gardant le caractère spécifiquement exquis qui la caractérise physiologiquement, perd sa primauté psychique, la lagnie féminine manque de centre précis ; le centre précis où la femme localise ultérieurement le bonheur psychique d’être possédée, à savoir le vagin, ne se révèle, la plupart du temps comme véritablement lagnique, qu’au moment de l’exercice du coït mais, il y a, entre la période clitoridienne phallique, dont je vous ai parlé, et le développement de cette volupté vaginale une très grande lacune pendant laquelle il y a un manque de centre précis pour l’élément lagnique et où se développe, chez la femme, un narcissisme de tout son corps, une sorte de diffusion de l’élément lagnique et même de l’élément érotique ; et à ceci correspond un fait social, c’est que, dans nos sociétés occidentales la beauté qui, au moins pour les classes supérieures de la société, ne joue pas de rôle effectif en ce qui concerne la valeur de l’homme, joue au contraire un rôle capital en ce qui concerne la valeur de la femme.

Le second point caractéristique touche l’affectivité. À ce point de vue, la plupart du temps, le complexe d’Œdipe, chez la femme, ne se liquide pas complètement avant la défloration ; pour elle, la vie intellectuelle est moins une aventure personnelle qu’un reflet de l’activité paternelle.

Lors de la fixation, qui est la plupart du temps une fixation plus ou moins passive, lors de la défloration, lors de la possession par le mâle, ce mâle — appelons‑le le mari, puisque c’est ce qu’il est le plus normalement — succède directement au père ; et l’on peut dire que, chez la plupart des femmes non névrosées, dans la civilisation de chez nous, la liquidation véritable du complexe d’Œdipe, au point de vue affectif, ne s’effectue que dans les premiers mois du mariage, et si la personnalité du mari est suffisante. Et cela, à mon avis, est très important à savoir pour le psychanalyste au point de vue social, parce que cela explique quelles déconvenues on pourra avoir, au point de vue de la santé psychique de la femme, si elle se livre à un homme qui ne soit pas capable de prendre cette place paternelle. Par place paternelle, je n’entends pas la place d’un père, j’entends la place qu’effectivement le père de la femme considérée occupait dans le reliquat d’organisation œdipienne qui durait encore.

Vous voyez, par conséquent, que le développement sexuel de la femme ne comporte pas du tout cette phase intermédiaire que laissait le développement de l’homme, et qu’il n’y a pas, dans son développement normal, place pour cette phase de liberté sexuelle, de don‑juanisme provisoire attendant la fixation, qui au contraire est normale dans l’évolution psychique de l’homme.

VI

§ 20. — Si les idées que je viens de vous exposer là sont justes, elles auront une importance au point de vue de la statistique des genres de névroses.

Je suis beaucoup trop médecin pour ne pas savoir que tout est possible ; tous les accrochages, toutes les fixations, toutes les régressions sont possibles, et une variété infinie de cas concrets pourra, par conséquent, se rencontrer. Mais, au point de vue de la fréquence, vous aurez, tout de même, un certain nombre de groupes prédominants, et qui ne seront pas les mêmes dans les deux sexes.

Dans les deux sexes, il est vrai, les névroses qui se rattachent, non pas par régression, mais par fixation directe au stade buccal et au stade sadico‑anal, et que l’on appelle névroses sans complexe d’Œdipe, sont rares chez l’adulte, au point qu’autrefois les psychanalystes les niaient. Il y en a néanmoins, notamment un beau cas, étudié par mon ami, Charles Odier, dans la Revue de Psychanalyse, et dans lequel il persistait, dans les rêves et dans les fantasmes, une indifférence absolue sur le sexe des objets érotiques.

Il s’agissait d’un homme qui avait éprouvé une fixation de type anal, à la suite d’une invraisemblable histoire d’une vieille bonne, passant son temps à lui donner des lavements ; or, dans la névrose qui en était résultée, le sexe de la personne qui représentait cette vieille bonne n’avait aucune importance, et M. Charles Odier pense qu’on avait affaire, là, à une névrose pré‑œdipienne.

Mais il reste que ces névroses sont extrêmement rares.

§ 21. — Les types les plus fréquents, quels sont‑ils donc ?

Chez l’homme, la plupart des névroses procèdent de la liquidation imparfaite du complexe d’Œdipe.

Le complexe d’Œdipe a eu lieu avec la mère pour objet, comme normalement, mais il est imparfaitement liquidé et il en résulte ou bien une interdiction de la fixation, d’où le don-juanisme, ou bien une interdiction de l’activité sexuelle vis‑à‑vis de femmes ayant un rang suffisant pour représenter la mère ou les soeurs, d’où les collages, formariages et autres faits du même genre qui peuvent souvent détruire la vie d’hommes de valeur ; ou bien, enfin, dans les cas les plus graves, l’intrasexualité [8], quand le tabou contre l’inceste englobe le sexe féminin tout entier.

22. — Au contraire, chez la femme, il me semble que les névroses les plus fréquentes ne procèdent pas de la liquidation imparfaite du complexe d’Œdipe, mais elles remontent plutôt à l’accrochage de la patiente dans ce stade qui n’existe pas chez l’homme, à savoir le stade phallique pur, que je vous ai dépeint tout à l’heure comme existant entre les stades pré-sexuels infantiles et le stade proprement œdipien. Ce stade phallique est centré, je le rappelle, autour de la volupté clitoridienne ; la petite fille s’y considère comme un petit mâle ; quand la femme adulte n’a pas pu sortir de ce stade, cela constitue ce qu’on appelle le complexe de masculinité. Assez souvent, ce complexe de masculinité est immédiatement connexe, ce qui est tout naturel, d’une inversion du complexe d’Œdipe. Le père a été jugé indigne d’admiration ; dans le ménage parental, l’élément supérieur, l’élément directeur, était représenté par la mère. Deux éléments d’inacceptation constituent donc le type de névrose le plus ordinaire chez la femme : il s’agit de patientes n’ayant pleinement accepté ni le fait physique qu’elles étaient des femmes et que leur clitoris n’était pas un véritable phallus ; ni le fait social que le sexe masculin avait des droits à une certaine domination active.

§ 23. — En somme, vous voyez, Mesdames et Messieurs, et ce sont les points sur lesquels je voulais insister ce soir :

Premièrement, que le complexe d’Œdipe a une importance capitale, parce que c’est lui qui, dans le développement normal, est le stade où apparaît la notion de sexe, laquelle, comme je vous le dirai dans une autre conférence, joue un rôle absolument capital dans l’organisation de la civilisation de l’Europe occidentale ;

Secondement, que l’évolution des deux sexes, par rapport au complexe d’Œdipe, ne se révèle pas du tout comme parallèle ; et que ce manque de parallélisme amène des conséquences dans la psycho‑pathologie possible du sexe masculin et du sexe féminin ;

Troisièmement que, dans la période de décharnalisation, il se produit quelque chose sur quoi M. Jones d’une part, et M. Freud, d’autre part, ont insisté, à savoir que, chez l’homme civilisé, la génitalité a certainement une tendance à perdre une part de sa brutale importance. Conformément à leur nomenclature, M. Freud et M. Jones disaient tous les deux « sexualité » dans l’assertion que je viens de vous rapporter. Mais, c’est intentionnellement que je dis « génitalité », car je voudrais vous faire remarquer que la génitalité et la sexualité sont choses si différentes qu’à mon avis, dans notre civilisation, nous travaillons à atténuer la brutalité de la génitaillé, mais à exalter, au contraire, la différence entre les sexes, et que, plus cette différence est marquée, et a de rôle, plus il nous semble que nous nous approchons de l’idéal que poursuit notre civilisation : la pire chose qu’on puisse dire d’un homme c’est qu’il n’est pas mâle ; la pire chose qu’on puisse dire d’une femme c’est qu’elle n’est pas femme.

Quatrièmement enfin, j’ai voulu marquer que le complexe d’Œdipe avait, et surtout par sa liquidation, une importance capitale, puisque c’est au cours de cette liquidation que se dégagent et se transforment les quantités d’énergie libidinale qui sont nécessaires au développement culturel de l’homme dans le domaine intellectuel et dans le domaine moral.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article original de Édouard Pichon, « Le rôle du complexe d’Œdipe dans le développement psychique de l’être humain », Première conférence de : À l’aise dans la civilisation, dans la Revue Française de Psychanalyse, Tome X, n° 1, Éd. Denoël, 1938, pp. 4-21.

Notes

[1Seules la première et la troisième ont été effectivement prononcées. L’auteur s’est trouvé, pour raisons de santé, empêché de prononcer la seconde.

[2Le vocable […] qui signifie en grec « plaisir » se rattache à l’adjectif […], doux, agréable, homologue du latin suavis (vieux français souef), de l’anglais sweet, du haut-allemand süss. La disance philosophique française appelle hédonisme toutes les doctrines morales qui se ramènent en fin de compte à la recherche du plaisir ici‑bas.

[3Sous réserve de la possibilité d’une lagnisation secondaire.

[4J’appelle subsexualité la différenciation sexuelle imparfaite que les biologistes expérimentateurs désignent sous le nom confusionnel d’« intersexualité ».

[5Ed. Pichon, Le développement psychique de l’enfant et de l’adolescent, Paris, Masson, 1936 ; § 26.

[6Ed. PICHON, Op. cit., § 32.

[7R. DALBIEZ, La méthode psychanalytique et la doctrine freudienne, Paris, Desclée de Brouwer, 1936 ; t. II, p. 472.

[8Communément appelée homosexualité.

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