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Joseph DELBOEUF

Louise Lateau

Le magnétisme animal (1890) - Appendice

Date de mise en ligne : samedi 12 novembre 2005

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Je crois bien faire de reproduire ici textuellement, tel qu’il a paru dans le Journal de Liège du 22 décembre 1869, mon article sur Louise Lateau. Il contient l’histoire exacte, aujourd’hui un peu oubliée, de la pauvre fille, et coordonne les dates des apparitions des stigmates et des extases. Quand on rapproche le tapage universel que le clergé a fait autour de sa maladie et les millions qu’elle lui a rapportés, du silence mystérieux qui a entouré ses dernières souffrances et sa mort, on ne peut que flétrir une exploitation aussi éhontée des infirmités humaines et déplorer l’épaisseur et l’étendue des superstitions qui obscurcissent tant d’intelligences. Cet article présente encore un autre intérêt. Aujourd’hui même, je n’aurais pas à en retrancher une ligne. Il n’y a pas jusqu’à mes prédictions qui se sont réalisées - sauf celle qui a trait à la canonisation de Louise.

Louise Lateau

On vient de publier une brochure extraite de la Revue catholique, livraison d’octobre 1869. Elle est intitulée : Louise Lateau, de Bois-d’Haine. Étude médicale, par le Dr Lefebvre, professeur de thérapeutique à l’université catholique, membre titulaire de l’Académie royale de Belgique, médecin honoraire des maisons d’aliénés de Louvain. - 1°, 2° et 3° parties. - La 4° partie paraîtra incessamment.

Je n’ai pas cette 4° partie ; je ne connais donc pas encore les conclusions du docteur, et je n’ai, par conséquent, qu’à contrôler l’instruction de l’affaire [1].

En dépit de son titre, cette prétendue étude médicale est destinée aux gens du monde. Je n’en veux d’autre preuve que le soin que met l’auteur à donner au bas des pages une définition vulgaire de chaque mot de médecine ou d’anatomie qu’il est obligé d’employer. Ainsi, il nous apprend dans ces notes ce que c’est que le pharynx, ce que c’est qu’un eczéma, les muqueuses, l’épiderme, les affections herpétiques, etc., etc. [2].

En dépit de son titre encore, l’auteur de la brochure ne dissimule pas certaines préoccupations étrangères à la médecine ; car, dit-il, l’autorité religieuse s’était émue des faits qui se passaient au Bois-d’Haine : « C’était son droit et son devoir. »

Je commencerai par reconnaître entièrement la véracité du professeur. Je suis parfaitement convaincu de la réalité des faits qu’il affirme avoir constatés ou vérifiés. Mais je ne saurais aller plus loin, parce qu’a priori son jugement m’est suspect. Choisi - et non sans raison - par l’autorité religieuse pour examiner la jeune Louise, membre de l’enseignement dans l’université très catholique de Louvain, on ne saurait dire au juste jusqu’à quel point il lui serait permis ou possible de faire des raisonnements et de tirer des conclusions en opposition avec certaines croyances.

C’est ainsi que M. Lefebvre admet évidemment la possibilité du miracle. Il s’approche de Louise Lateau avec tout le respect qu’inspire une chose qui peut être sainte. Qu’au fond, il croie ou non à la possibilité du miracle, son point de départ lui était imposé. Il recherche s’il a devant lui des phénomènes miraculeux ou non. Son point de vue n’est donc pas rigoureusement scientifique. Et, en disant cela, je n’énonce pas purement des présomptions. J’ai entendu dire d’un témoin auriculaire qu’un collègue de M. Lefebvre, un des invités au Bois-d’Haine, racontait un jour en société qu’un de ses clients, affligé d’une loupe à l’une des paupières, je crois, loupe que l’art du médecin ne pouvait, selon lui, faire disparaître que par l’ablation, en avait été délivré à la suite d’un pèlerinage près du bienheureux Berchmans ! Il racontait aussi que le coeur de ce bienheureux, conservé à Malines, contient encore du sang liquide doué de toutes ses propriétés physiologiques. Je ne sais si M. Lefebvre était présent ; mais à coup sûr, à l’instar de ses autres collègues, il ne se serait pas permis le moindre sourire.

Ceci dit en manière de préambule, je n’éprouve aucune peine à confesser que M. Lefebvre a assez l’air d’être de bonne foi.

Quant aux faits eux-mêmes, je reconnaîtrai encore volontiers avec l’auteur qu’il faut écarter tout à fait l’hypothèse d’une supercherie. Ne fût-ce que l’impossibilité, pour ainsi dire absolue, où se trouve même le médecin, avec toutes les ressources de son art, de reproduire de semblables phénomènes, cela suffirait pour faire rejeter une pareille supposition. Ajoutons à cela la simplicité de la jeune fille, sa bonté bien connue, paraît-il, l’élévation relative de son caractère, et enfin les soins scrupuleux qui ont été pris pour éviter toute supercherie ; car M. Lefebvre a l’air de savoir que ce ne serait pas la première fois qu’on aurait aidé le bon Dieu à faire un miracle.

J’aborde maintenant le récit des faits extraordinaires. Naturellement, je les puise dans la brochure. Je ne ferai qu’établir certains rapprochements pour la clarté de l’exposition et les conclusions que je voudrais en tirer.

Ces faits sont de deux sortes : la stigmatisation, accompagnée d’écoulements périodiques, et les extases. Les premiers sont assez connus. Ce qui l’est moins, c’est que l’écoulement commença le vendredi 24 avril 1868 par le côté gauche ; le vendredi suivant, il se fit en outre par le pied gauche ; le troisième vendredi, pendant toute la nuit, le sang coula du côté gauche et des deux pieds ; puis vers 9 heures du matin, aussi des deux mains, par les deux faces. Ce fut le 25 septembre seulement que le sang suinta du front.

Les phénomènes extatiques, moins extraordinaires au fond, sont très remarquables. Ils ont commencé le vendredi 17 juillet 1868. Leur durée varie de 9 à 12 heures, depuis 8 ou 9 heures du matin jusque vers 6 ou 7 heures du soir. La jeune fille semble passer par une série d’émotions diverses, principalement la terreur et la pitié ; elle pleure, elle prie ; tantôt elle s’élève sur la pointe des pieds, comme si elle allait prendre son vol, tantôt elle tombe à genoux et semble se livrer à la contemplation la plus profonde ; puis, vers deux heures, la scène change : elle se précipite la face contre terre ; à trois heures, les deux bras s’étendent transversalement en croix et les deux pieds se croisent, le gauche sur le droit. Vers 5 heures, elle se relève d’un bond, se met à genoux dans la position de la prière, puis se rassied. L’attitude et la physionomie semblent révéler des impressions variables. « L’extase se termine par une scène effrayante : les bras tombent le long du corps, la tête s’incline sur la poitrine, les yeux se ferment, le nez s’effile, la face prend une pâleur morte, elle se couvre d’une sueur froide : les mains sont glacées, le pouls est absolument imperceptible, elle râle. » Cet état dure de dix à quinze minutes ; l’extatique se réveille et ne semble pas avoir souffert.

Louise se souvient parfaitement bien de ce qui se passe en elle pendant ses extases. [J’ai fait état de ce détail, p. 82.] On le devine aisément ; elle assiste aux différentes scènes de la Passion, dont elle mime dans sa dernière attitude, d’une façon si étrangement vraie, le dernier épisode.

L’extase chez Louise Lateau est accompagnée, comme presque toujours en pareil cas, de phénomènes très complets d’insensibilité et de quelques phénomènes imparfaits de catalepsie, c’est-à-dire que certains membres restent pendant un temps assez notable dans la position qu’on leur donne.

Ces phénomènes d’extase, d’insensibilité et de catalepsie partielle, ne présentent au fond, comme je le disais tantôt, rien de bien rare. Ils se sont manifestés très souvent dans tous les temps, chez tous les peuples, dans toutes les religions. Je ne citerai que les convulsionnaires de St-Médard. Actuellement encore, dans les maisons d’aliénés, on a bien des fois l’occasion d’assister à des scènes d’extase et de catalepsie ; les femmes hystériques y sont assez sujettes, et le somnambulisme réel ou artificiel s’y rattache par beaucoup de côtés. Il en est de même de l’illuminisme, dont, paraît-il, Louise Lateau avait offert certaines traces quelque temps avant la stigmatisation. Elle aurait, dit-on, parlé dans un langage élevé - elle, pauvre fille d’une intelligence peu cultivée - des choses saintes, de Dieu, du sacerdoce, de la pauvreté, de l’amour des souffrances et de la charité !

Les fanatiques et les persécutés ont eu de tout temps leurs illuminés et leurs prophètes. Je ne rappellerai que les paysans des Cévennes, lors des Dragonnades, après la révocation de l’édit de Nantes.

Mais ces phénomènes extatiques et le sujet de ces extases nous montrent pour ainsi dire à l’évidence que nous avons affaire à une imagination ardente et malade, nourrie dès son jeune âge, peut-être même à l’insu de son entourage, d’idées mystiques, religieuses et effrayantes. Cette remarque suffit-elle à expliquer aussi la stigmatisation ? Je le crois ; mais, en présence de faits si extraordinaires, le devoir de tout médecin observateur ne serait-il pas de rechercher avec le plus grand soin tout ce qui a pu agir sur ce cerveau faible et sensible ? Une fois engagé dans cette voie, rien n’est inutile.

Vous pensez, sans doute, que M. Lefebvre a porté ses investigations sur ces points-là. Pas le moins du monde.

Il nous apprend bien, en effet, que la maison où est née Louise Lateau, le 30 janvier 1850, est en jaune clair, que les volets sont verts, et le toit rouge ; que la pièce la plus large de la maison a cinq mètres de long sur quatre de large (il nous fait grâce des centimètres) ; que les murailles sont blanchies à la chaux et fort propres ; nous savons encore que Louise Lateau perdit son père de la petite vérole quand elle avait deux mois et demi et fut atteinte de la même maladie ; puis, tout à coup, nous la voyons placée, à l’âge de huit ans, chez une pauvre vieille femme impotente pour la soigner. Je conçois la difficulté de rechercher ce qui a pu agir sur l’esprit de l’enfant pendant ces huit années si importantes. Mais M. Lefebvre ne me semble pas avoir essayé de s’en enquérir.

La voilà chez la vieille femme ; qu’y fit-elle ? qu’y apprit-elle ? que lui racontait-on ? Nous n’en savons rien. Louise va à l’école pendant cinq mois, apprend le catéchisme (qui le lui a appris, et comment ?), un peu de lecture et d’écriture, fait à onze ans sa première communion, puis entre au service d’une grand’tante dont on nous dit l’âge, la fortune, la famille et la mort ; mais de ses idées, pas un mot. Est-ce une bigote ou une libre-penseuse ? une personne tolérante ou fanatique ? Nous n’en savons rien. Puis elle servit chez une autre dame « très respectable », puis chez un fermier, puis enfin elle rentre chez elle.

Mais, encore une fois, il eût été très intéressant de savoir quels étaient le genre d’esprit, le caractère, les sujets favoris de conversation de toutes ces personnes. Une servante, au point de vue religieux, est beaucoup ce que la font ses maîtres ; les curés n’ont garde de me démentir.

Avait-elle déjà alors une tendance au mysticisme ? Assistait-elle aux sermons, aux missions ? Allait-elle aux offices tous les jours ? Communiait-elle souvent ? etc., etc. - Silence complet.

Or, combien de fois arrive-t-il que les circonstances, les événements les plus insignifiants en apparence ont eu les conséquences les plus graves ? Une histoire de bonne d’enfants, ou une lecture faite imprudemment à haute voix par le père dans son journal, a quelquefois eu sur la vie subséquente de l’individu l’influence la plus décisive. On sait que parfois un seul sermon a déterminé la vocation religieuse ; que dis-je, un sermon ? un rêve même.

Chacun de mes lecteurs, en fouillant dans sa mémoire, trouverait facilement nombre de faits analogues. Aussi voyons-nous avec quel soin les prêtres tâchent de s’emparer de l’enfance. Ils savent que les impressions premières, si elles peuvent pendant un temps s’obscurcir, ne s’effacent cependant que très difficilement et finissent presque toujours par reparaître tôt ou tard. Et pour sortir des allusions religieuses, qui ne sait quel effroi ou quelle répugnance insurmontable peut inspirer à une personne raisonnable un cloporte, une grenouille, une souris, un lézard, même quand elle sait que ces animaux sont inoffensifs. C’est que la maman ou la bonne aura un jour crié à l’enfant, avec tous les signes de la terreur : « Prends garde ! sauve-toi ! c’est sale, ça mord, ça empoisonne ! » C’est fini, l’empreinte est faite. L’enfant s’en ressentira longtemps, sinon toujours.

Qu’est donc cette action fugitive, comparée à l’action de l’autorité religieuse, permanente, puissante, infatigable, agissant depuis le berceau jusqu’au lit de mort et frappant les âmes, par les discours, les images, les pompes et les sombres appareils ?

Donc M. Lefebvre ne nous donne à cet égard nul éclaircissement. Il se contente de quelques considérations générales sur les rapports du physique et du moral et sur notre âme immortelle dont nos organes sont les instruments, et il nous fait connaître son « appréciation personnelle » sur le caractère de Louise, sans articuler de faits bien précis. Nous y apprenons pourtant que Louise est sensible, charitable, dévouée et courageuse ; que lors du choléra en 1866, sa conduite fut au-dessus de tout éloge au milieu de la terreur que le fléau jette à son apparition. Quand des enfants même abandonnaient leurs parents au mal, Louise se présenta, resta seule pour soigner les malades et les ensevelir, et son zèle ne faiblit pas un seul instant. Il nous apprend encore que Louise a toujours été d’une piété exceptionnelle ; mais, ajoute-t-il, d’une piété simple, pratique et discrète. En un mot, si nous comprenons bien, Louise évite l’éclat et vit d’une vie intérieure. Le proverbe dit qu’il n’est pire eau que l’eau qui dort. Encore une fois, je connais les difficultés de ces sortes d’investigations ; mais l’auteur, malheureusement, ne sort pas des considérations vagues et insaisissables.

Avançons, cependant. Au commencement de 1867, Louise, âgée de 17 ans (et non de 16, comme le dit la brochure), devint languissante, l’appétit s’en alla, le sang s’appauvrit, et quelques affections plus ou moins graves vinrent compliquer cet état maladif. Notons que Louise Lateau n’avait pas encore ce qui fait la femme... Mais, vers le milieu du mois de mars 1868, Louise ressentit des douleurs névralgiques violentes, l’appétit se perdit complètement ; elle rejeta du sang par la bouche à plusieurs reprises ; elle dut passer un mois entier à la diète, et le 15 avril, on dut lui administrer les derniers sacrements. Toutefois, elle se remit promptement, au point que, le 21 avril, elle put aller assister à la messe dans l’église paroissiale, distante d’un kilomètre. Le 19, la fonction périodique s’était établie pour la première fois, et le 24 les stigmates apparaissaient. On sait le reste. C’est dans cet intervalle que trouvent place les illuminations et les discours élevés dont j’ai parlé plus haut.

Voilà, en peu de mots, comment sont relatés les faits et les dates dans la brochure de M. Lefebvre, et il n’ajoute aucune espèce de commentaire ou réflexion. C’est au lecteur à suppléer et à lire entre les dates. Or, en 1868, la fête de Pâques tombait le 12 avril. Le Carême avait donc commencé le 26 février. Louise avait 18 ans ; depuis un an, elle allait s’affaiblissant de plus en plus. Le retard que nous venons de signaler troublait tout son organisme. Louise est d’une piété exceptionnelle. Que fait-elle pendant le Carême ? Elle jeûne, sans doute ; elle fait pénitence ? Pas un mot sur ces points dans la brochure ; on ne sait pas même qu’on est en Carême. Elle assiste tous les jours aux offices ; elle fait le chemin de la croix ; elle s’agenouille et prie avec le prêtre devant ces enluminures aux vives couleurs représentant les scènes les plus douloureuses de la Passion, elle au coeur sensible et compatissant, au corps énervé, à la tête brûlante et fiévreuse ? - Je le répète, je fais là des inductions, car la brochure n’en dit rien.

Après trois semaines de ce régime, elle tombe malade ; faute d’appétit, elle passe un mois à la diète. Le 29 mars, elle vomit du sang, et elle en vomit jusqu’au 15 avril. Comment a-t-elle passé ce long mois ? A-t-elle, dès le premier jour, gardé la chambre, ou a-telle encore continué ses exercices de piété ? Ne s’est-elle pas préoccupée outre mesure de ne plus pouvoir les remplir ? N’a-t-elle pas, en imagination, refait tous les jours et plusieurs fois par jour le chemin de la croix et suppléé par l’attention intérieure à l’absence des réalités extérieures ? A-t-elle eu de la fièvre, du délire ? Rien ! Le savant professeur ne semble pas s’être même posé ces questions. Et cependant dans les extases, c’est évidemment le chemin de la croix que refait la pauvre fille : elle souffre, pleure, tombe avec le Christ ; on la cloue aussi sur la croix ; ses pieds se placent pour être attachés par le même clou. A-t-on examiné l’image correspondante dans l’église et vérifié si le Christ a les deux pieds attachés avec deux clous ou avec un seul ? Elle suit le funèbre cortège, voit les soldats, la foule curieuse, la Vierge sanglotante. Lui a-ton fait décrire les costumes pour juger de la part du souvenir dans ces hallucinations ? Enfin elle meurt et est mise au tombeau comme son divin maître, et la puissance de son imagination est telle que le corps obéit comme une matière souple à l’idée.

Ici le doute n’est pas possible. Il l’est tellement peu que M. Lefebvre nous en fournit à son insu une preuve pour ainsi dire palpable. Dans le dessein d’éprouver la sincérité de Louise, il lui demanda, au sortir de son extase, si le Sauveur parlait. - Non, répondit-elle. - Nous savons pourtant que, pendant sa passion, notre Seigneur a parlé tantôt aux apôtres, tantôt aux juifs. - je ne l’ai pas entendu parler. - Vous l’entendrez sans doute une autre fois, lui disait son observateur, pour voir si la vanité aurait accès dans cette jeune fille, objet de tant d’études. Et cette autre fois n’est jamais venue. C’est qu’en effet les images sont muettes, et que dans les prières qui accompagnent chaque station, on ne rappelle pas les paroles du Christ.

Si jamais une narration a équivalu à une démonstration, c’est bien ici le cas, sans doute. Un autre point encore. Louise aurait eu, vers le 15 avril, des illuminations ; elle aurait tenu des discours élevés, elle ignorante - quoique parlant cependant avec une certaine pureté le français. - N’y a-t-il pas eu alors des sermons spéciaux, une mission, que sais-je ? Souvent, dans des occasions solennelles, des religieux, récollets, carmes, dominicains, capucins, parcourent les villages et font une série de sermons où, par gradations insensibles, on passe des choses les plus simples aux images les plus fortes et les plus terribles. Comme le prédicateur n’apparaît que pour huit ou quinze jours et qu’il ne reviendra plus, il possède généralement très bien sa matière, qu’il ira ensuite débiter autre part - à la façon de certains conférenciers. Ces sermons, en général bien faits, bien gradués, bien écrits, sont débités avec assurance et font énormément d’effet, surtout à la campagne. Les jeunes filles principalement sont frappées de l’éloquence du saint prêtre, et quand il décrit les tourments de l’enfer, toutes tremblent, frémissent et sont prêtes à défaillir. Leur imagination est parfois tellement entreprise qu’il y a une dizaine d’années, à Engis, à la suite d’une mission analogue, une pauvre fille ignorante se mit aussi à discourir dans un langage très élevé. Il y eut de vives discussions : les uns dirent que c’était comédie, les autres y virent un miracle. Seulement, le bruit de l’événement ne dépassa pas un certain cercle ; la fille se guérit et l’on n’en parla plus.

Eh bien ! c’est là encore un point que j’aurais voulu éclaircir.

Voilà donc un phénomène expliqué à la façon dont l’homme explique toute chose, vu son impuissance à remonter aux causes premières. Je ferai cependant observer que cette puissance de l’imagination est incontestable, incontestée, et qu’il est conforme aux règles d’une psychologie profonde d’établir cette relation même entre le moral et le physique. Nous connaissons l’influence du physique sur le moral ; nous savons quel rôle immense jouent les impressions, les sensations, l’éducation sur le développement intellectuel de l’individu. Nous savons aussi par les faits que l’intelligence réagit à son tour sur les organes de relations, et le rêve et l’hallucination ne sont pour ainsi dire que les phénomènes habituels retournés, où la cause devient effet et l’effet cause. Jusqu’où peut aller ce rôle inverse ? Voilà la question. Une jeune fille, dit-on, en voyant saigner une de ses compagnes, fut tellement émue qu’elle sentit au bras un coup de lancette ; un condamné à mort, à qui on fit croire qu’on lui ouvrait les veines et qui crut entendre et sentir son sang couler, tomba en défaillance et mourut.

Dans certains cas exceptionnels et morbides, ne peut-il pas se faire qu’à la sensation éprouvée se joigne la modification organique correspondante, comme, par exemple, dans les deux cas précités, une hémorragie réelle ? Je crois qu’il serait téméraire et contraire aux notions que nous possédons sur les relations du physique et du moral de nier cette possibilité d’une manière absolue.

Or, que voyons-nous certainement dans le cas qui nous occupe ? La puissance de l’imagination portée à un degré très haut, à un degré, je ne crains pas de le dire, exceptionnel et très remarquable. Ne peut-on pas lui attribuer aussi la stigmatisation ? Récapitulons dans quelles circonstances cette stigmatisation se produit. La fonction la plus importante de la femme, après un long retard, va se déclarer en Louise ; elle est dans l’état d’affaiblissement que nous savons, avec une imagination surexcitée : les plaies du Sauveur sont devant ses yeux - et un vendredi son côté gauche se met à saigner. Notons en passant que l’on cite plusieurs cas chez les jeunes filles chlorotiques de ces suintements de sang par des parties quelconques du corps. M. Lefebvre, dans la 4° partie, résume toutes les maladies connues présentant quelque chose d’analogue. Ici il se trouve que le côté gauche est le point d’élection.

La jeune fille cache le fait - mais c’est le cas de dire qu’elle n’en pense pas moins. Lui a-t-on demandé si elle s’est plus ou moins préoccupée de ce qui surviendrait après ? Le vendredi suivant, le pied gauche devient lui aussi le siège de l’écoulement. - La jeune fille cache encore la chose, mais pourtant elle en parle à son confesseur. Que vous semble-t-il de cette détermination ? La jeune fille n’a-t-elle pas cru, en dépit de sa modestie, qu’elle était prédestinée à être une image vivante du Sauveur crucifié ? Le prêtre l’engage à ne rien dire, ce qui était bien encore la voie la plus sûre pour la faire réfléchir davantage [3]. Le vendredi suivant, la stigmatisation était complète ou peu s’en faut. Louise ne songea que plus tard à la couronne d’épines.

Reste la périodicité. Elle est ici plus explicable que dans les fièvres intermittentes, car ici l’organisme physique est pour ainsi dire soutenu par l’organisme moral. Je me suis demandé cependant si, dès le début de la maladie, on n’aurait pas pu troubler plus ou moins cette périodicité en trompant Louise - en lui faisant oublier le vendredi. - Si, par exemple, dans la supposition où on eût pu sans danger la tenir endormie pendant 24 heures supplémentaires, on n’eût pas par là altéré le phénomène. Jusqu’à quel point cela serait-il possible maintenant ? C’est tout au moins douteux, en présence d’une régularité établie depuis si longtemps.

Voilà ce que j’avais à dire sur cette première partie de la brochure du professeur de l’université catholique de Louvain. Elle ne nous fournit guère tous les éléments du problème, et passe même sous silence les plus importants, les seuls qui, à première vue, peuvent donner l’unique explication rationnelle, de ces faits remarquables. Explication rationnelle, dis-je, car cette même brochure, malgré ses dehors scientifiques, grâce à ses lacunes et à ses réticences, laisse une large place à l’interprétation miraculeuse, et, à l’occasion, Louise Lateau pourra revenir de nouveau au jour, et, au pis aller, être canonisée après sa mort.

P.-S.

Texte établi par Abréactions Associations à partir de l’ouvrage de Joseph Delbœuf, Le magnétisme animal, À propos d’une visite à l’école de Nancy, Éd. Félix Alcan, Paris, 1890.

Notes

[1Je me suis depuis procuré cette quatrième partie, qui ne sera pas, paraît-il, la dernière. - L’auteur y cherche à démontrer que le cas de Louise Lateau ne rentre dans aucune des maladies bien caractérisées connues jusqu’à ce jour. Notre article a donc toujours exactement la même raison d’être.

[2Par parenthèse, ces définitions ne sont pas toujours exactes. Ainsi, dans la seconde partie, M. Lefebvre regarde comme identiques l’hématosine et l’hématine, et dit que le sang de Louise Lateau ne contient en dissolution aucune trace d’hématine. C’eût été un véritable miracle qu’il en eût contenu, car l’hématine est insoluble. - C’est que l’auteur a oublié que l’hématine est un produit chimique qui peut se trouver dans les laboratoires, mais non dans le sang, si ce n’est de la même façon que la fuchsine se trouve dans la houille. (Voir Hermann, Grundriss der Physiologie. Berlin, 1867, p. 31).
Un peu plus loin, l’auteur dit que les mouvements réflexes trahissent la plus légère trace de sensibilité, et il donne à ce sujet une définition assez embrouillée des mouvements réflexes. Or, on développe des mouvements réflexes très facilement chez les animaux décapités - les grenouilles le savent bien ; - sont-ils encore sensibles ?

[3Ceci me rappelle le moyen ingénieux qu’on avait imaginé pour essayer de la soustraire à ses extases. Un religieux fut mis près d’elle, qui lui ordonnait d’y résister de tout son pouvoir.

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