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L’inconscient et le Livre noir (V)

Narcisse et narcissisme primaire, secondaire et anobjectal (Dionysiaque)

Texte de l’intervention au Café « Lounge Bar » (23 février 2006)

Date de mise en ligne : samedi 25 mars 2006

Auteur : Guy MASSAT

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Texte de l’intervention de Guy Massat au Café le « Lounge Bar » (1, bd de la Bastille), le jeudi 23 février 2006.

Elisabeth Roudinesco vient de publier un ouvrage contre le Livre noir. Je vous le recommande. Il est intitulé : Pourquoi tant de haine ?. J’eusse préféré qu’il s’intitulât : Pourquoi tant d’amour ?.

Parce que la haine, nous dit Freud, naît de l’érotisme. Le conflit oedipien est un conflit entre « un amour bien fondé et une haine non moins justifiée » (I., S., A).

Tant que l’amour ne sait pas compter jusqu’à trois, tant qu’il n’inclut pas le vide, le rien qui permet la parole, il sera aussi conflictuel, contradictoire et monstrueux que dans le mythe de Psyché que nous avons vu la dernière fois. Si l’on fait parler les mots et les lettres, nous remarquons que le m d’amour a une patte de plus que le n de haine. Est-ce pour signifier que la triplicité de la parole inconsciente précède la dualité de tous les nombres ? En tout cas, c’est comme pour l’art et l’argent. L’argent a besoin de l’art mais l’art n’a pas besoin de l’argent pour montrer ce qu’il montre : « La rose est sans pourquoi. Elle ne se soucie pas d’elle-même. Elle ne demande pas si on la regarde, elle fleurit parce qu’elle fleurit », comme l’inconscient. Quoi qu’il en soit Mme Roudinesco est une historienne, autrement dit, une disciple de Clio, une clitoridienne. Ce n’est pas son moindre pouvoir. Les Narcisses de la conscience voudraient l’empoisonner, mais elle fleurit par delà. La plus grande historienne de la psychanalyse, de Freud et de Lacan, frappe mortellement avec ce petit ouvrage, les auteurs du Livre noir au cœur même de leurs intentions destructives, de leurs intentions érotico-maladroites, et de leur intégrisme.

Bien sûr, les techniques du conscient sont acceptables, valables, souvent utiles, mais elles ne sont pas celles de l’inconscient. Elles ne s’exercent pas dans la même dimension de l’humain, dans la même dimension de la parole. C’est qu’à partir du moment où l’inconscient est dévoilé, toutes les couleurs se modifient et il existe une histoire vraie, celle du sujet parlant. C’est ce que révèle notre historienne. Le fait est assez rare pour être admiré.

Vous avez aussi vu la crise internationale provoquée par des caricaturistes danois qui ont représenté le visage de Mahomet. Remarquons bien que ce ne sont pas les dessins qui ont déclenché la violence, ce n’est pas l’image, mais d’abord ce qui en a été dit. Sans la parole il n’y a pas d’image. Les caricaturistes ont dits : « c’est Mahomet ». S’ils avaient dit : « Ce n’est pas Mahomet », c’est « Iz no good », rien sans doute ne se serait passé. C’est le langage qui donne le sens. Caricature vient de « char », transport, transfert. La caricature relève de l’inconscient comme le trait d’esprit. Le narcissisme pathologique est un investissement pulsionnel de mots sur des images. Le résultat est un état subjectif relativement fragile et facilement menacé dans son équilibre. C’est ce que Freud appelle les psychonévroses narcissiques. Nous assistons dans cette affaire à un nouveau conflit entre le conscient et l’inconscient, pareil à celui du Livre noir, entre la logique formelle et l’inconscient.

L’inconscient n’est pas l’ensemble, répétons-le, l’ensemble de ce dont je n’ai pas conscience. L’inconscient est langage, langage tactile, olfactif, gustatif, auditif, visuel chimique... et toujours réductiblement verbal en sa tonalité et sa pulsation. L’inconscient disparaît au moment même qu’il apparaît, comme l’expression continuelle du devenir dissolvant les choses en permanence et les métamorphosant sans interruption.

L’inconscient est irremplaçable comme la case vide du pousse-pousse qui seule, permet que toutes les autres lettres qui le composent, soient, elles, interchangeables.

A est A dit le principe d’identité, ou c’est blanc ou c’est non blanc. Mais pour circuler de A à non A, de Blanc à non Blanc, ou si vous préférez du corps à l’esprit, il faut nécessairement passer par une passe qui n’est ni A ni non A, ni Blanc ni non Blanc, ni corps ni esprit. Cette passe est l’inconscient autrement dit, la case vide, le rien. L’inconscient est « la passe dont la porte est le rien ». Du passé le plus passé qu’on puisse penser, par exemple, le chaos qui a précédé l’atome narcissique du Bing-Bang ; de l’avenir le plus avenir qu’on puisse convenir, par exemple le moment où la terre et le soleil auront disparu, c’est-à-dire dans quelques cinq milliards d’années ; ou du présent le plus pressant que l’on puisse présenter, la parole est ce qui nous permet de voyager librement dans toutes les formes du temps.

La parole parle, nous dit Heidegger. Et personne d’autre. Quel intérêt y a-t-il à faire parler les paroles en les séparant de leurs sens et en séparant les sens de leurs signifiants pour les renouer librement et à notre fantaisie ? Rien d’autre que la liberté libre et sans limite. Ce dit, le « dit peut » (l’Œdipe est la loi du langage inconscient), ce « dit peut » nous délivrer des situations les plus difficiles. Ce dit de la parole est plus puissante que toutes les situations même les plus dures, les plus plates, les plus ratées, et les plus désespérées. Ce dit des paroles sont des quanta verbaux, des bombes à fragmentations temporelles. Ce dit de la parole précède la cervelle. Qui n’a pas remarqué, même distraitement, qu’entre les bois des cerfs que l’on voit dans les grottes préhistoriques et les photos des neurones et des synapses du cerveau humain, il y a une analogie frappante, confirmée par le fait que le mot cerveau qu’on utilise à tout va, a pour étymologie cerf ?

Par ailleurs la scène originaire qui a produit notre cervelle a inévitablement été précédée par des paroles. Il a bien fallu que nos pères disent à nos mères : « Bonjour Mademoiselle, vous marinez toujours chez vos harengs, ça vous direz pas de boire un verre chez moi ? » Ou quelque chose de guère mieux, pour que votre phosphore cérébral puisse enfin apparaître.

Que dit ce dit du devenir ? Il dit : je suis ton océan de puissances et de jouissances. Tu ne peux me saisir que sous les masques de Dionysos.

Quand Freud se moque du « sentiment océanique » de Romain Rolland, c’est que ce dernier l’attribue à la conscience. La conscience, comme l’atome est narcissique. Ce qu’il y a d’étonnant dans l’inconscient, dans le dit de la parole, c’est l’éternel retour du même qui est le même de ne jamais être le même. Quand le même est toujours le même c’est qu’il s’est enfermé, aliéné dans sa coquille narcissique. L’être n’existe pas, l’être n’est qu’un moment, un mot qui ment. Arrêtons de refouler le temps jusqu’à le réduire fantasmatique-ment à une chose parmi les autres. Voyons, au contraire, que les choses dans leur miroitement n’existent qu’en étant pas, elles forment une rotation sans personne. Vous voyez une chose ? Bon, c’est un trou, un abîme, un trou abyssal. Le surgissement du temps n’est pas refoulable par quelque mesure, quelle qu’elle soit. Il ne se mesure pas, il démesure. Tout arrive, donc tout mérite d’arriver. Mettons-nous à l’avenir. Cassons par la parole notre coquille de moule narcissique. Accédons à la parole de l’inconscient. Ces paroles se rapprochent, se différencient, s’effacent, reviennent, se transforment en substances moins éphémères les unes que les autres, mais sachons que ce ne sont que des moments et des ruses.

C’est seul ce dit des paroles qui nous permet de circuler librement dans le temps. Le dit de la parole est le nombre d’or qu’est l’objet petit a. Allez, allez par delà, allez ensemble par delà. Tout est nouveau. Et de nouveau encore nouveau. Laissons venir à nous le hasard. Le hasard, ou l’inconscient, est une espèce de dé qui en roulant fait apparaître les figures du désir. C’est le hasard qui produit la nécessité des visages du désir. Le comique c’est que ce désir va jusqu’à prétendre qu’il n’y a pas de hasard. Mais, « le hasard et la nécessité s’enchaînent toujours », nous dit Freud.

« Dé » est un phonème épatant car il désigne en même temps que le cube à six faces, la séparation, la direction en sens opposés, le contraire et la négation. Mais, concernant la négation, il désigne la négation en son suprême degré qui est le contraire du non terrifié des consciences qui disent non. « Jamais un coup de dé n’abolira le hasard ». Plus elles refoulent l’inconscient plus les consciences voient leurs ennuis de près et c’est justement ce qui les change. Les profondeurs sans fond de l’inconscient brillent de rires flottants et d’énigmes réjouissantes. Le devenir de la parole est notre seul contemporain. Jusqu’ici l’inconscient s’était trop peu réjoui mais il va désormais se réjouir, c’est ce qu’annonce Freud. Nous allons quitter la fausseté pour aller à la vérité. L’inconscient est une autre saisie du temps, sa saisie verticale.

N’écoutez plus la conscience, la vérité est ailleurs. La souffrance est du langage figé en images narcissiques, et le langage en mouvement, la délivrance de la souffrance. L’esprit ne peut pas transformer la matière, l’inconscient oui puisqu’il transforme aussi l’esprit. Fin du débat métaphysique, des superstitions de l’esprit comme du matérialisme. Les morales sont mauvaises et les sciences insuffisantes. Voilà qu’avec Freud se révèlent des forces cachées, méconnues, entrevues, refoulées, niées, jamais complètement explorées, et qui sont l’éternel retour du dit de l’inconscient. Voilà qu’il y a place désormais pour une contre-histoire de toutes choses.

Autrefois les Indes disaient Om et l’occident Surom. Aujourd’hui l’occident est « occidé », oxydé. Ses électrons (qui n’ont pas de substance selon Pauli) sont, pour ainsi dire, encore voilés. Mais l’inconscient freudien va en déchirer les voiles.

Qu’est-ce que la souffrance psychique ?

On la nomme sans indiquer d’où elle vient, du conscient ou de l’inconscient ? Pour Freud tout le psychisme est inconscient, pour les psychologues le psychisme reste du conscient, il relève de l’esprit. L’esprit se forme à partir des événements d’une histoire, mais c’est la parole de l’inconscient qui ordonne leur sens. La parole est une pulsion qui produit un signifiant qui décide d’un sens à partir d’un autre signifiant. La psychanalyse fonde sa valeur sur la liberté du langage inconscient qui rend le sujet responsable de son destin. Ainsi Œdipe se découvre-t-il responsable de « la peste qui tombe sur Thèbes », c’est-à-dire de ses propres malheurs. Il meurt. Il se quitte lui-même en faveur du langage inconscient. Et c’est la prospérité. C’est aussi exactement, mais dans une autre dimension du discours, les métamorphoses de Narcisse, mais d’un Narcisse dionysiaque, anobjectal.

La souffrance d’origine psychique produit celle du corps et celle de l’esprit. La psychanalyse est la méthode qui permet à chacun de faire parler et de débloquer sa parole inconsciente, de devenir ce que l’on est et d’accoucher rapidement de soi-même en parlant. Tout peut se guérir par la parole et l’interprétation des rêves. Pourquoi j’en suis si sûr ? Le psychanalyste est naturellement autre chose qu’un savant, bien qu’il soit immanquablement aussi un savant, même si c’est à son insu.

Ma preuve objective c’est que les savants ont découvert qu’en parlant on produit de l’ocytocine. L’ocytocine est une hormone connue depuis longtemps pour favoriser les contractions des parturientes, mais la science vient de découvrir qu’elle est produite par la parole. On savait déjà que la parole produisait des décharges d’adrénaline, la molécule des systèmes nerveux. La cytosine, quant à elle, favorise la confiance en soi et la sexualité. Ce serait un puissant antidépresseur, qu’on qualifie maintenant d’hormone du bien-être. Après leur naissance, les enfants augmentent leur taux d’ocytocine par les seuls contacts physiques qui sont des paroles tactiles, avec leur mère. L’ocytocine se libère pendant l’amour, elle est sécrétée pendant l’orgasme et... c’est scientifique : par la parole. Voici donc la preuve biologique, matérielle et savante de l’importance de la psychanalyse comme guérison par la parole. Antiphon de Corinthe avait donc raison quand il prétendait guérir toutes les maladies par la parole et l’interprétation des rêves.

De même que les efforts physiques produisent de l’endomorphine, la parole produit de l’ocytocine. Il y a la parole ordinaire, la parole savante et la parole inconsciente qui précède les deux autres. C’est cette parole qui est le moteur producteur d’ocytocine et qui passe dans les deux autres expressions de la parole, phonématique et savante, sous forme de pensées. Naturellement dans ce lieu unique qu’est le cabinet du psychanalyste et qui est le seul endroit au monde où l’on peut dire n’importe quoi sur soi et tout le reste, sans se préjuger ni se juger, la production d’ocytocine est favorisée. Ocytocine vient du grec, Okus, rapide, et de tokos, accouchement, rapide accouchement de soi-même.

Mais le mot ocytocine sonne aussi comme occitoxine, ce qui occit les toxines. La parole de l’inconscient occie les toxines. Mais il y a aussi des paroles ordinaires et savantes qui produisent des toxines narcissiques. Naturellement certains savants, qui voient les choses à l’envers, fabriquent synthétiquement de l’ocytocine. Cette production ouvrirait des perspectives intéressantes destinées à réduire certains syndromes caractérisés par l’inhibition, les méfiances exagérées et la peur. Mais la manipulation commerciale qu’on pourrait en faire pour modifier le comportement des populations interrogent les économistes, les philosophes et sociologues. Car si tout le monde a confiance, si personne ne doute, c’est comme si on voulait supprimer la troisième étape de l’histoire d’Œdipe : le doute.

Descartes, en mettant tout en doute, même que deux et deux fassent quatre, trouva qu’il ne doutait pas du doute : Il trouva la confiance à partir du langage. Ce qui engendra nécessairement une production d’ocytocine naturelle, considérable et communicative. Puisque, comme dit Lacan, sans Descartes il n’y aurait pas eu Freud.

L’ocytocine artificielle va-t-elle remplacer la parole ?

Rassurons-nous en remarquant simplement que pour remplacer la parole il faudra toujours et nécessairement de la parole. C’est comme pour le temps. Toute suppression du temps implique un autre temps. Toute la mythologie raconte ça depuis la profondeur des âges.

C’est que devenir est le temps, le temps réel, non le temps chronologique auquel on le réduit. Ce temps précède ses bords qui forment des phénomènes à durée variable. Plus les phénomènes sont brefs plus ils dégagent de l’énergie. Des énergies se combinent et produisent d’autres phénomènes plus complexes dans leur durée. Le temps insubstantiel, insaisissable, indéterminable est le vide.

En faisant parler les paroles nous remarquerons que curieusement le mot vocare, « appeler », est en latin une variante de vacare, « être vide ou être libre », nous dit Le Robert historique de la langue française. Vocare, « être vide, être libre » et vocare, « appeler, nommer », sont donc homophones. Ce sont des verbes du premier groupe qui se conjuguent sur le modèle de amare, aimer : Vaco, je suis vide, je suis libre, dit le verbe et coextensivement, j’appelle, je nomme. Voco, vocas, vocat, vocamus, vocatis, vocant, c’est-à-dire tu es vide, tu es libre, tu appelle, tu nommes, il est vide, il est libre, il appelle, il nomme, nous sommes vides, nous sommes libres, nous appelons, nous nommons, vous êtes vides, vous êtes libres, vous appelez, vous nommez, ils sont vides, ils sont libres, ils appellent, ils nomment.

Le mot personne, qui signifie masque, désigne non seulement le masque mais encore la parole qui résonne à travers les masques. Suivant ces homophonies nous sommes parlés par le vide. Mais par quels mots sommes-nous parlés ? Le vide n’est-il que le désir qui parle ? Si c’est le vide qui parle, si nous sommes parlés par le vide, nous sommes du même coup infiniment libres de parler. Nous pouvons en tirer cette l’équation étrange :

Vide = Temps = inconscient et langage

Si vous avez des questions...

N comme Narcisse

Ce qui commence dans Narcisse et dans narcissisme c’est le N, la quatorzième lettre de l’alphabet. (Un et quatre évoquent la première et la quatrième étape du cycle œdipien. Le « un » c’est l’abandon et le « quatre », vous vous souvenez, c’est le refus du destin). La lettre N a pour étymologie serpent, l’animal qui figure le devenir parce qu’il ne vit qu’en changeant de peau. De nombreuses traditions placent le serpent à l’origine du monde.

Vous connaissez la devinette, plus profonde qu’elle en a l’air :
 « Je suis au fond du jardin, je suis au milieu du monde, je commence la nuit je finis le matin , qui suis-je ? »
 La lettre N !

Le h minuscule ressemble à la lettre n. C’est l’h de n, la première lettre de haine. La hache de la haine. La lettre N a la même sonorité que haine. La haine est avant toutes choses, dit Freud, évoquant Empédocle. Haine se dit Neikos en grec. Une contrepétrie du mot Neikos fait entendre « nie l’écho » Ce qui tombe juste puisque Narcisse nie la nymphe Echo. Il avait bien raison de rejeter Echo, Narcisse, car l’écho justement dédouble les images. Dans la quatorzième olympiade de Pindare, une histoire nous montre qu’en rejetant Echo, Narcisse tue également son père car Echo était aussi chargée d’un message où le père demandait secours à son fils.

Acculée à la solitude par l’indifférence de Narcisse, la nymphe Echo s’amaigrit progressivement jusqu’à mourir et se transformer en ce phénomène sonore de réflexion qui est resté dans le langage sous son propre nom : Echo.

Une autre version mythologique rapporte que Narcisse était aimé par un jeune chasseur nommé Aménias. Narcisse le repoussait sans cesse. À la fin, et pour qu’il ne l’importune plus, Narcisse lui fit envoyer une épée afin qu’il se donna la mort. Et comme Aménias aimait Narcisse il se soumit à son désir : Il se tua devant la porte de Narcisse mais non sans invoquer la vengeance des dieux. Aussi, quelque temps après cette tragédie, Narcisse, désirant se désaltérer à une source, fut stupéfié par le reflet de sa propre image, stupéfié jusqu’à vouloir s’en saisir et finalement se noyer.

La haine nous a dans le nez

N est un son nasal qui bien que consonne ne sonne avec personne. N, avec un point, N., nous dit Larousse, est employé pour désigner quelqu’un dont on ignore le nom. Le nom mais pas l’image. Tant qu’on ne se voit pas on vit dans une certaine jubilation dionysiaque. Dès qu’on se voit naissent, en même temps que l’image, le ressentiment et l’hostilité contre ce qui n’est pas cette image. Que me veut l’autre, demande Narcisse enfermé dans une île imaginaire ? Sinon mon humiliation, ma soumission et ma mort ! Parce que j’aime mon image plus que tout, je hais automatiquement les autres.

Narcissisme, haine et agressivité sont coextensifs. La conscience de soi se voit comme conscience d’elle-même. Elle figure Narcisse et ne supporte personne. Le narcissique est lourd et psychorigide. Narcisse fait de son image une carapace, comme un crâne, comme la coquille d’un œuf ou d’un mollusque, à l’intérieur de laquelle il s’endort, il s’abrutit. Le sommeil (hypnos) se croit un remède contre la servilité de la mort (thanatos, son frère jumeau). Le mot Narcisse vient de narké, nous dit Plutarque ; narké signifie engourdissement, torpeur. Narcisse est narcos. C’est un narcotique qui nous fait vivre un présent qui est aux dépens de l’avenir.

Les problèmes de drogue et d’addiction relèvent du Narcissisme et toutes les îles sont narcissiques, quelles que soient leur possibilité, comme l’a montré Houellebecque dans son livre La possibilité d’une île.

Narcisse toxique

Curieusement le bulbe de la fleur appelée Narcisse est toxique. Il produit le tétanos. Le tétanos est une maladie caractérisée par une rigidité générale. Dans ses moindres effets, l’oignon du Narcisse agit comme purgatif ou comme vomitif. (On peut remarquer que lorsqu’il se sent blessé dans l’image qu’il a investie sans pouvoir s’en délivrer, le sujet narcissique vomit ou fait dans sa culotte). Les médecins de l’antiquité connaissaient la nocivité du bulbe du Narcisse. Ils recommandaient de prendre garde en les manipulant d’avoir les mains indemnes d’écorchures pour éviter tout empoisonnement.

Le mot Narcisse a pour anagramme arsenics. L’arsenic est un poison très violent. C’est le poison qui fut longtemps le plus employé par les criminels, parce qu’il a l’aspect de la farine, ne répand aucune odeur et que son goût est pratiquement imperceptible.

Narcisse thérapie

Si l’oignon du Narcisse est un poison, sa fleur au contraire est dotée de propriétés thérapeutiques. Voilà qui montre que le mal produit le bien. La médecine antique utilisait la fleur du narcisse comme antispasmodique. On trouve ça chez Hippocrate. Encore aujourd’hui on considère que cette fleur est calmante et sédative, efficace contre la coqueluche et diverses affections nerveuses.
 Voici pour ceux que ça intéresserait, la recette, anti stress des fleurs du Narcisse : En infusion, 1 à 2 gramme de fleurs par verre d’eau bouillante. À absorber dans la journée par cuillerée à soupe.

Le Narcisse d’Ovide

Au début de notre ère, le poète Ovide a raconté, et pour toujours, le mythe de Narcisse. Ici encore nous constatons combien la découverte de l’inconscient, de l’inconscient freudien a permis de nous introduire dans la mythologie et de la rendre, pour ainsi dire, vivante, en tout cas utile et éclairante pour nos propres conflits d’hommes contemporains.

Narcisse, nous dit Ovide, est le fils du dieu Céphise, un dieu remarquable pour sa fécondité, et de la nymphe-rivière Liriopé. Donc, Narcisse naît de la fécondation des eaux d’une rivière. Freud, dans « La vie sexuelle » (p. 17), rapporte une anecdote illustrant cet imaginaire de notre origine aquatique. À la question d’où viennent les enfants ? On répondait autrefois c’est la cigogne qui est allée les chercher dans l’eau... « Je connais une enfant de trois ans, rapporte Freud, qui ayant obtenu cette explication, avait disparu, au grand effroi de sa nourrice, jusqu’à ce qu’on le retrouva au bord du grand étang du château où il s’était dépêché d’aller pour observer les enfants qui naissaient de l’eau ».

Ovide poursuit : dès que Narcisse fut né, la jeune nymphe-rivière Liriopé alla interroger le fameux devin Tirésias pour connaître le destin de son enfant. La figure de Tirésias hante l’histoire d’Œdipe. Il sait tout sur Œdipe mais, pareil à l’analyste, il ne parle pas, tant qu’Œdipe n’est pas sur le point de découvrir ce qu’il refoulait. Comme dit Lacan : « le maître n’enseigne pas ex cathedra une science toute faite, il apporte la réponse quand l’élève est sur le point de la trouver ».

Quelques mots sur Tirésias. - Pourquoi le voyant est-il aveugle ?

Tirésias joue dans le cycle thébain le même rôle que l’autre célèbre devin, Calchas, dans le cycle troyen. Tirésias avait découvert le savoir des serpents. Ce qui lui permettait de pouvoir lire aussi bien dans le passé que dans le présent et l’avenir. Cependant dans l’histoire d’Œdipe il est aveugle. C’est Héra qui lui a arraché les yeux, explique-t-on. L’arrachage de ces témoins essentiels que sont les yeux est équivalent dans l’inconscient, à la castration. La castration dans l’inconscient est ce qu’il y a de plus créateur, alors que dans le conscient perdre un membre ou un organe est désavantageux, c’est le moins qu’on en puisse dire.

Voici les détails de cette affaire de castration créatrice :

Un jour Zeus et Héra se disputaient pour savoir qui de l’homme ou de la femme éprouvait le plus de jouissance. Ne pouvant se mettre d’accord, ils allèrent consulter Tirésias. Sans hésiter le voyant, qui avait vécu autrefois comme femme et qui vivait à cette époque en tant qu’homme, leur répondit sans hésiter : quand l’homme jouit une fois la femme jouit neuf fois. Si la jouissance se compose de dix parties, l’homme n’a droit qu’à une seule et la femme emporte les neuf autres. (Neuf marque dans l’histoire d’Œdipe le fameux moment où « la peste tombe sur Thèbes »). C’est ce sur quoi repose l’histoire des mâles et des femelles.

L’histoire, Clio, et l’organe, clitoris, ont la même étymologie. Tout les corps et leurs parties sont érogènes mais elles présentes toutes plusieurs fonctions. Le clitoris est le seul organe humain qui ne sert qu’à la jouissance. C’est la femme qui le possède. Héra n’a pas arraché les yeux (ou les testicules) de Tirésias par colère, contrairement à ce que rapportent des commentateurs superficiels (chrétiens ou communistes) mais pour que Tirésias redevienne femme. C’est-à-dire ce qu’il y a de mieux. Ce geste figure la castration merveilleuse que fit Freud entre l’inconscient et le conscient. Certes, le désir secret de la femme est de castrer l’homme mais c’est pour l’améliorer. Car c’est toujours la femme qui améliore l’homme, soit comme éducatrice, soit comme inspiratrice. Et l’angoisse inconsciente de l’homme, fondée sur son narcissisme, n’a pour cause que cette peur de la castration. Il ne veut pas devenir femme, femme dans l’inconscient, parce que comme l’a dit Lacan : « la femme n’existe pas », dans l’inconscient. Ce qui fonde sa supériorité en toute dimension.

En tout cas, Zeus pour remercier Tirésias de ses explications lui accorda la faculté de vivre neuf fois plus que n’importe qui.

Mais, pour revenir à Narcisse, qu’annonça Tirésias à la nymphe-rivière Liriopé qui l’interrogeait sur le destin de son fils ? Il lui annonça que son enfant vivrait neuf fois plus que n’importe qui, mais sous la condition expresse « qu’il ne se regardât pas ». C’est-à-dire qu’il ne se dise pas « cette image, c’est moi ».

Il est vrai, en effet, que nous vivons très bien tant qu’on ne se regarde pas. La rose est sans raison, elle fleurit et ne se regarde pas. Un fou qui se prend pour un roi est un fou. Mais un roi qui se prend pour un roi en est encore plus fou. Dès que le mouvement de la libido s’arrête pour s’investir sur une image, la créativité du devenir est comme frappée d’impuissance. Le miroir hideux, le miroir de paroles, dans lequel on se reflète, comme dans le regard de la Méduse, nous transforme en objet.

Mais nous remarquerons, pour sortir du cercle vicieux qu’est le narcissisme, que si nous pouvons bien voir notre image dans un miroir, nous ne pouvons jamais voir précisément notre propre regard.

Même si je pouvais désorbiter un de mes yeux de manière à ce qu’il voit l’autre bien en face, je ne verrais pas mon regard mais seulement un objet, un globe oculaire. Et dès que je prends cette image pour mon regard, les ennuis commencent. Si je ferme le trou qu’est le regard par une image, cette image, nous dit Freud, introduit l’aliénation et la méconnaissance. Elle va constituer un voile de croyances et de certitudes sous lesquelles l’individu se métamorphose en objet. « T’as de beaux yeux, tu sais », dit Gabin à Michèle Morgan dans Quai des Brumes. Heureusement qu’elle répond : embrasse-moi, et qu’il l’embrasse - ce qui produisit de l’ocytocine - sinon le héros disparaîtrait dans les brumes narcissiques de ses propres fantasmes. C’est toute l’histoire du film.

Dès l’âge de seize ans, poursuit Ovide, Narcisse, qui était très beau, fut l’objet de passion d’un grand nombre de jeunes filles, de jeunes gens et de nymphes. Une nymphe, en particulier qui s’appelait Echo était si amoureuse de lui qu’elle répétait tout ce qu’il disait.

Narcisse dit un jour à sa propre image : Cocamus, ce qui signifie « réunissons-nous ». L’image représente, en effet, le premier lieu d’accrochage des signifiants maternels : re-réunissons-nous ! - Cocamus, rétorqua aussitôt Echo, croyant que Narcisse l’invitait à l’amour et à bon droit puisque cocamus signifie aussi coïtons. Hélas, au moment où la nymphe voulut enlacer Narcisse, celui-ci la repoussa avec violence, dans un mouvement de mépris absolu. Echo désespérée se retira alors au fond d’une forêt et cessa de manger jusqu’à ce qu’il ne restât plus d’elle que ses os qui se transformèrent en rochers. Quant à sa voix, elle devint ce phénomènes de réflexion qui se répète quand il est renvoyé par un obstacle, et qu’on appelle désormais l’écho.

Ainsi des paroles peuvent-elles se perdre dans des angles morts où elles se transforment en objet. « Quand le moi adopte les traits de l’objet, commente Freud, il s’impose au ça comme objet d’amour. Il cherche à remplacer ce qu’il a perdu en disant : “Tu peux m’aimer moi aussi, vois comme je ressemble à l’objet” (« Le moi et le ça », p. 242).

Voilà où l’amour conduisit Echo : à se métamorphoser en un objet sonore.

Devant ce destin tragique les autres nymphes en appelèrent à Némésis « la vengeance qui condamne les abus ». - Qu’est-ce qu’une nymphe ? Une nymphe est une fée. Fée vient de fabula, parler. Elles précèdent généralement les divinités qu’elles annoncent. - Alors, la déesse Némésis fit en sorte que Narcisse veuille se saisir de cette image de lui qu’il plaçait au-dessus de tout. Et, que dans cette extase impossible et mortelle il se noie.

Voilà le narcissisme primaire, il consiste à prendre l’image de soi pour soi-même comme objet d’amour.

Le Narcissisme secondaire

Pausanias, le géographe, rapporte une autre version du mythe de Narcisse qui illustre un des aspects du narcissisme secondaire.

Dans le narcissisme secondaire, l’investissement se fait sur un idéal, un idéal du moi formé à l’extérieur de nous. Ici le culturel gagne sur l’imaginaire, et l’idéal du moi sur le moi.

Pausanias raconte que Narcisse avait une sœur jumelle. Les deux jeunes gens étaient très beau et s’aimaient beaucoup. Un jour hélas la jeune fille mourut et Narcisse en ressentit une insupportable douleur. Un jour où Narcisse regardait dans l’eau d’une rivière il crut voir le visage de sa sœur et cela apaisa sa souffrance. L’image de sa sœur constituait son narcissisme secondaire. Ainsi prit-il l’habitude pour se consoler de regarder dans les rivières jusqu’à ce qu’il vit sur leurs bords apparaître les fleurs qu’on appelle Narcisse. La mélancolie est une maladie narcissique. C’est dans la relation imaginaire à l’autre comme idéal du moi que s’exprime ce qu’on voulait sans le savoir.

N comme narine

N est un son nasal. En tant que son nasal, N évoque le nez, anagramme de zen, et début de névrose. Le nez, ce sont les odeurs. Freud nous dit dans « L’homme aux rats, névrose obsessionnelle » : « D’une façon générale, on peut se demander si l’atrophie de l’odorat chez l’homme, consécutive à la station debout, et le refoulement du plaisir organique qui en résulte, ne jouerait pas un grand rôle dans la faculté de l’homme d’acquérir des névroses ».

« Si toutes les choses devenaient fumée, dit Héraclite, dans son fragment 7, le nez les discernerait ». Pour Nietzsche, « le nez est l’instrument le plus délicat que nous ayons à notre service : il est capable d’enregistrer des différences minimes dans un moment que même un spectroscope n’enregistrerait pas ».

Narcisse se mirant dans l’eau confondait-il son odeur avec celles des algues ? Le génie est dans les narines. Les narines sont érinyques, pourrait-on dire. Les Erinyes, en effet, sont nées du sperme d’Ouranos tombé sur la terre. Elles en connaissent l’odeur. Les Erynies ont pour fonction de nous protéger des exagérations de la conscience essentiellement déodorante.

Le mot mot, si vous lui mettez une tête, c’est-à-dire un r (r a pour étymologie tête), c’est la mort. Inversement la mort, vous lui ôtez la tête, c’est le mot. La tête est narcissique et le mot nous délivre de la tête. Par les paroles nous pouvons nous délivrer de la coquille du narcissisme et la métamorphoser en fleur thérapeutique.

La lettre N désigne en physique, le newton, unité de force qui communique à un corps de un kilo une accélération de un mètre par seconde au carré. La vitesse par laquelle Narcisse s’enfonce dans l’eau du lac pour atteindre son image pourrait donc être mesurée. Cela te perd. « Oh, cela te perd, répéta l’écho ». « Oh cela te perd » et « répéta l’écho » forment un palindrome.

Les métamorphoses de Narcisses par Dali

C’est à Londres, en 1938, que sur l’insistance de Stéphane Zweig, Freud reçut de Dali en personne le fameux tableau Les Métamorphoses de Narcisse. Ce tableau produit sur Freud une profonde impression. Il retrouvait là, en image, exactement ce qu’il avait écrit sur le Narcissisme. Ici, la représentation narcissique du narcissisme en révélait plus que son interprétation. On raconte que Freud fut littéralement conquis. Dans sa « Correspondance avec Stéphane Zweig » (Paris, Rivages, p. 123 et 129) nous pouvons lire son appréciation : « Vraiment, dit Freud, il faut que je vous remercie d’avoir amené chez moi le visiteur d’hier, car j’étais jusque là enclin à considérer les surréalistes, qui semblent m’avoir choisi pour Saint patron, comme des fous absolus ».

Si vous avez des questions...

Le narcissisme ce qu’il y a de plus profond en nous-mêmes

Généralement on avance que dans la mythologie comme dans l’œuvre de Freud le personnage de Narcisse et son concept arrivent pour ainsi dire en dernier. Ni Hésiode ni Homère (7e siècle av. J.-C.) n’en parlent. Il faut attendre Pindare (5e siècle av. J.-C.) puis le poète Ovide (1er siècle av. J.-C.), le géographe Pausanias (2e ap. J.-C.), le sophiste Philostrate (3e ap. J.-C.) pour que le personnage de Narcisse en tant que tel, apparaisse. C’est que pour l’inconscient comme pour l’archéologie, ce que l’on trouve en dernier est ce qu’il y avait en premier. Cependant, il semble bien qu’on puisse pousser beaucoup plus avant les origines de Narcisse.

C’est en 1914 que Freud publie « Pour introduire le Narcissisme ». Depuis lors le concept de Narcisse est devenu extrêmement utile pour expliquer et résoudre nos difficultés subjectives.

Le narcissisme est l’investissement des pulsions nécessaires à la vie subjective, nous explique Freud. C’est-à-dire une donnée non pas pathologique mais essentielle à la dynamique de l’inconscient. Freud imaginait un narcissisme anobjectal qu’on peut différencier aujourd’hui du narcissisme primaire.

Le narcissisme anobjectal

Où commence le narcissisme primaire ? Freud parle du narcissisme primaire comme antérieur à la constitution du moi, au premier état de la vie. Il dit que la vie intra-utérine en serait le début. Mais où commence la vie ? Ne pourrait-on pas dire à l’acide désoxyribonucléique, qu’on ne connaissait pas du temps de Freud ?

L’acide désoxyribonucléique est le support de l’hérédité, le plan de nous-mêmes en double spirale dans chacune de nos cellules. Les généticiens nous disent qu’il s’agit d’un langage parce les quatre bases de cet acide - Adénine, Cytosine, Guanine, Thymine -, se lisent par trigramme comme une écriture. Il suffit de trois lettres pour faire un sens. Ce langage chimique qui nous personnalise est résumé par l’acronyme bien connu : ADN. Si on fait parler librement ces lettres on peut en faire les initiales de Amour, Dionysos et Narcisse. Amour, Eros en grec, désigne la force qui délivre et apaise tous les êtres. Dionysos est la pulsion de bonheur, et Narcisse la pulsion de conservation.

À l’époque de Freud on n’avait évidemment pas découvert la désatomisation, la désubstantialisation de l’univers physique ni l’acide désoxyribonucléique. Cela créait une difficulté : pouvait-on parler de stade anobjectal du narcissisme, c’est-à-dire de pulsions sans objet autres quelles-mêmes et qui seraient insubstantielles.

Dès qu’il y a de l’objet, fusse la spirale désoxyribonucléique, nous ne sommes pas, en toute rigueur, dans une aire anobjectale. C’est pour ce genre de raisons que le narcissisme primaire en tant qu’anobjectal fut rejeté par bon nombre de psychanalystes comme impossible. Ils soutenaient que le stade anobjectal est mythique. Or justement la mythologie n’est que de la parole, que de la pulsion. Ce sont des mots transformés en figures fantomatiques.

Dans cette perspective, nous verrons que le narcissisme anobjectal de Freud est parfaitement recevable. Le découvreur de l’inconscient ne se référait-il pas continuellement à la mythologie ?

Les mythes ont des versions multiples et toutes leurs versions font partie de la trame du même mythe, nous a montré Lévi-Strauss. Les mythes sont des événements éternellement vrais, mais qui n’ont jamais réellement eut lieu nulle part. « Les pulsions, nous dit Freud, sont des être mythiques, formidables dans leur imprécision. - Je cite. - Ces êtres mythiques nous frappent par leur plasticité, leur capacité de changer de but et par leur faculté de se faire représenter ». L’inconscient n’est qu’un lieu-dit, c’est-à-dire le dit qui forme les lieux.

Suivant cette piste nous remarquerons avec intérêt qu’Ovide, Pausanias et divers auteurs nous ont parlé d’un Narcisse-Dionysos dont l’histoire diffère du Dionysos d’Hésiode et d’Euripide.

Dionysos-Narcisse

Ce Dionysos-Narcisse remonte au poète Onamocrite (6e siècle av. J.-C.). Dans cette version du mythe, Dionysos n’est pas le fils de Sémélé et de Zeus. (Rappelons que Sémélé est la fille de Cadmos, le fondateur de Thèbes, donc à l’origine du mythe Œdipien).

Ce Dionysos-Narcisse est ici le fils que Zeus a eu incestueusement avec sa mère Rhéa. D’autres versions en font le fils qu’il a eu incestueusement avec sa fille Perséphone, ou encore avec sa sœur Déméter. Le mythe d’Orphée qui, reprend ces versions, rapporte que Dionysos fut immobilisé un jour, tel Narcisse, devant un miroir que lui présentait une femme agenouillée devant lui. Profitant de ce moment d’absorption, les Titans tuèrent Dionysos, le dépecèrent et le firent bouillir pour le manger. Mais la mort de Dionysos, comme on le sait, est irrémédiablement suivie de sa résurrection. La mythologie rapporte deux versions intéressantes de cette résurrection.

L’une raconte que le cœur de Dionysos avait été épargné par les Titans et qu’ils l’avaient enterré sous le temple d’Apollon à Delphes où il continue de battre (Clément d’Alexandrie, 2,18). C’est-à-dire qu’il y a un narcissisme dionysiaque, anobjectal, dissimulé sous le narcissisme secondaire figuré par Apollon. L’autre version du mythe rapporte que le corps de Dionysos fut reconstitué et rendu à l’existence par sa propre force vitale. Les deux récits font de Dionysos la puissance à la fois vitale et de résurrection (thème qui sera absorbé par le Christianisme). C’est la figuration de l’éternel retour du même, c’est-à-dire du devenir. La volonté de puissance et l’éternel retour sont synonymes, avance Nietzsche. L’œuvre de Nietzsche commence d’ailleurs par Dionysos et finit par Dionysos.

Ce Dionysos-Narcisse figure donc par sa volonté de puissance et son éternel retour, le Narcissisme freudien des pulsions anobjectales. C’est l’inconscient comme béatitude.

Le génie de l’inconscient peut donc se nommer Dionysos. L’inconscient serait alors l’éternel retour du même : des millénaires condensés en un instant, en cet instant. L’éternel retour c’est l’éternité vécue.

Si l’on considère que le mot éternité est l’anagramme d’étreinte et que vécue est la contrepétrie de cuvée, nous pouvons dire qu’il s’agit de l’étreinte (de la meilleure) cuvée du narcissisme. Il y a un photo de Dali le montrant sortant de l’eau avec des fleurs de narcisse au bout de ses moustaches.

Le mot Dionysos est composé de Zeus, Dio (Dio est le génitif de Zeus) et de Nysa. Nysa désigne l’Asie. Dionysos est le dieu qui vient de l’extérieur du monde Grec pareil en quelque sorte aux pulsions qui viennent de l’extérieur du conscient, comme la fleur de Narcisse vient de l’extérieur des eaux où séjournent ses bulbes empoisonnés.

Ce Dionysos remonte à l’âge préhellénique. Si l’historien Hérodote le compte parmi les divinités les plus récentes c’est parce que ce dieu ne s’est imposé à l’égal des Olympiens qu’après le grand réveil dionysiaque qu’on situe vers les 9e et 7e siècles, et qui fut propagé surtout par les femmes, nous dit Bailly. À compter du 6e siècle, quoique le moins politique et le moins familial de tous les dieux, ce fils de Zeus a fait régner ses rites sur l’ensemble du monde hellénique.

Dionysos est le dieu du bonheur. Quand Nietzsche dit bonheur il dit Dionysos :

« Au-delà du nord, de la glace, de la mort - notre vie, notre bonheur... Nous avons découvert le bonheur, nous connaissons le chemin, nous avons trouvé l’issue de ces milliers d’années de labyrinthe. » Ce qui illustre ce qu’affirme Lacan à savoir que : « le sujet de l’inconscient est heureux ». Il y a un sujet dionysiaque de l’inconscient qui est essentiellement heureux.

Peut-on aujourd’hui rencontrer des sujets vivant dans ces dimensions sublimes du narcissisme anobjectal ?

« L’écrivain et l’artiste, disait Freud, ont de tout temps été les précurseurs des sciences et de la psychologie ». Sans craindre de me tromper je vous propose le livre tout récent de Philippe Sollers intitulé : Une vie divine.

Voici ce qu’en dit la critique d’un autre grand écrivain Patrick Besson : Dans ce livre « Sollers explose de contentement de soi. Chacune de ses pensées le ravit et tous ses raisonnements l’enchantent. Quant à ses phrases, il est tellement content de les avoir écrites qu’il doit se faire, la nuit, pleins de bisous sur les mains. » Ici, question, réplique Philippe Sollers, comment Patrick Besson a-t-il eu connaissance de ce détail intime ? Ai-je été trahi par une de mes anciennes amies, surprise de me voir soudain, à trois heures du matin, m’embrasser les mains avec effusion ? Non, Besson est seulement un bon écrivain, donc il a un don de voyance. C’est vrai, je l’avoue, je me fais souvent des bisous sur les mains la nuit. Elles le méritent, ces pauvres mains de forçat de la littérature. C’est ma petite prière dans les ténèbres, ma pilule de philosophie ».

On ne peut pas lire Une vie divine sans voir assimilé « Pulsions et destins des pulsions » de Freud et pensé à son narcissisme anobjectal, c’est-à-dire dionysiaque.

Dionysos est deux fois né. Pour peu que nous cessions de mentir et que nous ôtions nos masques nous trouvons Dionysos, le narcissisme anobjectal. On devient ce Dionysos comme la fleur de narcisse sort, dans le tableau de Dali, de l’œuf narcissique pour devenir le médicament souverain et contraire au poison de ses bulbes.

Il y a du narcissisme chez Œdipe et de l’Œdipe chez Narcisse. Le père est la métaphore de la loi du langage et la mère la métonymie de la culture, toujours implacable. Nous tuons métaphoriquement notre père chaque fois que nous transgressons une loi et nous épousons métonymiquement notre mère chaque fois que nous apprenons quelque chose. Étape cinq de l’Œdipe : Meurtre du père, une loi, n’importe laquelle, est transgressée, autrement dit : « Je tue ce vieux con, et à moi la déesse ». Étape six : le sphinx et l’examen vital, une réussite. J’ai bien répondu mais je n’ai rien compris. D’ailleurs il n’y a jamais eu de question. C’est nous qui, de tous temps, sommes à la fois les questions et leur solutions. Étape sept : Œdipe épouse sa mère, la culture. Jocaste dans Œdipe roi dit à son fils :
 « Ne redoute pas l’hymen d’une mère ; bien des mortels dans leurs rêves ont déjà partagé le lit maternel. Celui qui attache le moins d’importance à de pareilles choses est celui qui supporte le plus aisément la vie ». Voilà ce que dit la culture.

Jocaste est une aristocrate. Œdipe ne doit rien à sa généalogie (il ne la connaît pas) ni à sa richesse, c’est un vas nus pieds.

Étape dix : la culpabilité. Si on n’est pas capable de voir comment on est coupable, et au sens propre déchiré comme Dionysos par les Titans de notre propre bêtise, on ne peut accéder à la critique (la capacité de différencier). On reste incapable de changer. On ne lit jamais la même phrase. Quand on la prend pour la même nous sommes dans un délire frigide.

La sortie de l’Œdipe c’est savoir utiliser les douze étapes du mythe, faute de quoi c’est lui qui nous manipule. Ces douze étapes permettent à quiconque de revisiter sa vie en détail jusqu’à toutes ses formes de narcissisme et trouver enfin, par la parole, le narcissisme anobjectal de sa propre vie. On appelle ça, en langage nietzschéen, « la Grande Santé ».

En résumé il y a trois sortes de narcissisme :

Le narcissisme primaire qui prend pour objet d’amour l’image de son corps. Le narcissisme secondaire qui s’investit dans un idéal du moi. Le narcissisme anobjectal enfin qui s’investit sur le langage.

Ceux qui connaissent le nœud borroméen peuvent classer les trois narcissismes selon 1) le Réel (anobjectal), 2) l’Imaginaire (narcissisme primaire) et 3) Symbolique (narcissisme secondaire) et en tirer toutes sortes d’utiles associations.

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