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Horace Raison

Origine et étymologie du vieux dicton « Conter Fleurette »

Code Galant (1857)

Date de mise en ligne : samedi 11 février 2006

Horace Raison, « Origine et étymologie du vieux dicton “Conter Fleurette” », dans le Code Galant, ou Art de conter fleurette, Éd. Ollivier, Paris, 1857, p. 13-30.

En commençant ce petit livre, il y aurait, ce semble, ingratitude à ne pas consacrer quelques pages à raconter l’histoire touchante de la gentille enfant dont le nom a fourni à la fois le titre et le sujet.

L’origine et l’étymologie du vieux dicton conter fleurette sont d’ailleurs bien plus authentiques que celles consacrées chaque jour par la docte Académie, et ce n’est pas sans quelque plaisir que l’on relit la peinture naïve des premières amours de ce roi dont le nom seul réveille déjà des souvenirs de noblesse et de galanterie.

Henri IV avait à peine quinze ans lorsque Charles IX vint à Nérac pour visiter la cour de Navarre [1]. Le court séjour du roi fut marqué par des jeux et des fêtes où le jeune Henri se fit surtout remarquer par son élégance, son ardeur et sa dextérité.

Charles aimait à tirer de l’arc ; on s’empressa de lui en donner le divertissement, et l’on pense bien qu’aucun des courtisans, pas même le duc de Guise, qui excellait à cet exercice, n’eut la maladresse de se montrer plus adroit que le roi. Mais le tour d’Henri (que l’on appelait encore Henriot) vient de tirer : il s’avance, et du premier coup enlève avec sa flèche l’orange qui servait de but. Les lois de ce noble jeu veulent qu’un second but soit immédiatement placé et que le vainqueur le tire le premier : Henri s’apprête donc à tirer sa seconde flèche ; mais Charles s’y oppose et le repousse avec humeur ; Henri s’indigne, recule quelques pas, et, bandant son arc, dirige la pointe acérée contre la poitrine de Charles. Le prudent monarque se mit bien vite à l’abri derrière le plus gros des courtisans d’alors, et donna l’ordre qu’on éloignât de sa personne ce dangereux petit cousin.

La paix se fit : le tir de l’arc recommença le lendemain, mais Charles trouva un prétexte pour n’y point paraître. Cette fois, le duc de Guise enleva tout d’abord l’orange, qui se fendit en deux. On n’en trouvait pas d’autre pour replacer au but ; le jeune prince voit briller une rose sur le sein d’une des jeunes filles qui entourent la barrière, il s’en saisit et court la placer. Le duc tire le premier : son adresse est en défaut, il n’atteint pas ; Henri, qui lui succède, lance sa flèche au milieu de la fleur, dont il se saisit galamment, puis il court la rendre à la jolie villageoise, sans la détacher de la flèche qui lui sert de tige.

Un trouble naïf et touchant se peint sur les traits charmants de la jeune fille. Henri sent s’arrêter le battement de son cœur, un doux regard s’échange rapidement entre eux.

Henri, en retournant au château, apprend que cette aimable enfant s’appelle Fleurette et qu’elle habite avec son père, jardinier du château, un petit pavillon qui se trouve à l’extrémité du bâtiment des écuries [2].

Dès le lendemain, le jardinage est devenu la passion dominante de Henri ; il choisit un terrain de quelques toises aux environs de la fontaine de la Garenne, ou il sait que Fleurette se rend plusieurs fois chaque jour ; il l’entoure d’un treillage, y fait des plantations et travaille avec d’autant plus d’ardeur qu’il est aidé par le père de Fleurette et qu’il a vingt fois par jour l’occasion ou le prétexte de la voir.

Si, comme madame de Genlis, j’écrivais un roman historique, j’aurais beau jeu à arranger une série d’insignifiants détails ; mais je raconte une anecdote, et, pour établir l’étymologie de mon vieux dicton, il suffit, je pense, de rapporter les simples traditions du fait touchant sur lesquelles elle repose.

Depuis près d’un mois, le sensible Henriot en contait à Fleurette ; tous deux s’aimaient éperdument, sans trop savoir encore ce qu’ils se voulaient : ils l’apprirent un soir à la fontaine.

Fleurette s’y était rendue un peu tard ; l’air était pur ; le murmure de la source, le chant plaintif du rossignol, enchantaient le silence de la feuillée, et la lune éclairait de son jour touchant cette retraite où la nature est déjà la volupté. Que se passa-t-il dans cette soirée à la fontaine de la Garenne, entre le petit prince de quinze ans et la bergerette de quatorze ! plus est aisé de l’imaginer que de le dire ; toujours est-il qu’au retour de la fontaine, Fleurette avait pris le bras du prince de Béarn et que celui-ci portait allègrement la cruche sur sa tête. Ils se séparèrent à l’entrée du parc ; l’un retourna gaîment au château, l’autre pleurait en rentrant dans son modeste réduit.

Le père de Fleurette ne s’aperçut pas que sa fille, depuis ce jour, allait plus tard à la fontaine ; mais le précepteur du prince, le vertueux Lagaucherie, remarqua que son royal élève avait toujours un prétexte pour s’échapper durant la soirée, et que, par le plus beau temps du monde, la forme de son chapeau se trouvait mouillée au retour. Une fois sa prudence éveillée, il suivit de loin le jeune prince ; et, sans être vu, arriva assez près pour s’apercevoir qu’il était venu trop tard. Convaincu de cette vérité que la fuite est le seul remède à l’amour, il annonça au prince que le lendemain ils se mettraient en route vers Pau, pour, delà, se rendre à l’entrevue de Bayonne [3].

L’instinct de la gloire, peut-être aussi celui de l’inconstance, parlaient déjà au cœur de Henri ; cette nécessité d’une première séparation, qu’il courut en larmes annoncer à Fleurette, trouvait à son insu quelque adoucissement au fond de son âme ; mais comment peindre le désespoir de la naïve et sensible Fleurette ; dans les derniers instants d’un bonheur près de lui échapper, elle pressentait tous les maux de l’avenir.

« Vous me quittez, Henri, disait la tendre enfant, étouffée par ses pleurs, vous me quittez, vous m’oublierez, et je n’aurai plus qu’à mourir ! » Henri la rassurait et lui faisait le serment d’un amour éternel que Fleurette seule devait acquitter.

« Voyez-vous cette fontaine de la Garenne », disait-elle au moment où la cloche du château rappelait le prince pour le signal du départ : « absent, présent, vous me trouverez là ! ... Toujours là ! ... [4] »

Les quinze mois qui s’écoulèrent jusqu’au retour d’Henri au château d’Agen, avaient développé dans l’âme du jeune prince des vertus incompatibles avec l’innocence des premières amours, et les filles d’honneur de Catherine de Médicis s’étaient chargées du soin d’effacer de son souvenir l’image de la pauvre petite Fleurette. Elle, plus affligée que surprise d’un changement dont sa raison précoce l’avait dès longtemps avertie, ne lutta pas contre un malheur prévu, et ne songea qu’à s’y soustraire.

Plusieurs fois elle avait vu le prince de Béarn se promener dans les bosquets de la Garenne avec mademoiselle d’Ayelle : elle n’avait pu résister au désir de se trouver un jour sur leurs pas. La vue de Fleurette, plus belle encore de sa tristesse et de sa pâleur, réveilla dans le cœur du jeune Henri un tendre et cruel souvenir : il courut le lendemain matin au pavillon, et la pria de se trouver encore une fois du moins à la fontaine de la Garenne. « J’y serai à huit heures » répondit la jeune fille sans lever les yeux. Henri s’éloigna plein d’espoir, et attendit avec cette impatience du premier amour, que Fleurette d’un regard avait ranimée dans son sein, l’heure qui devait la lui rendre. Huit heures sonnent : il s’esquive du château, il traverse le taillis du parc et arrive à la fontaine. Fleurette ne s’y trouvait pas. Il attend quelques minutes : le plus léger bruissement des feuilles fait tressaillir son cœur ; il va, vient, s’arrête... Mais il aperçoit près de la fontaine une petite baguette fichée sur l’endroit même où tant de fois il s’est assis près de Fleurette. C’est une flèche : il la reconnaît : la rose fanée y tient encore ; un papier est attaché à la pointe ; il le prend, essaie de le lire ; mais le jour s’est éteint. Palpitant, troublé, il vole au château, ouvre le fatal billet... le voici : « Je vous ai dit que vous me trouveriez à la fontaine : j’y suis. Peut-être êtes-vous passé bien près de moi. Retournez-y, cherchez mieux... Vous ne m’aimiez plus... il le fallait bien... Mon Dieu ! pardonnez-moi !... »

Henri a compris le sens cruel de ce billet : des valets munis de flambeaux courent sur ses pas à la Garenne...

Le corps de l’adorable enfant fut retiré du fond du bassin où s’épanchent les eaux de la fontaine, et déposé entre les deux arbres que l’on y voit encore. Des regrets déchirants, une douleur poignante, furent du moins la punition de Henri.

Fleurette fut, de toutes les maîtresses du Béarnais, la seule qui l’ait aimé sincèrement, la seule qui lui resta fidèle. Mais la pauvre petite ne fit pas des ministres, ne travailla pas avec des confesseurs, ne donna à la France ni bâtards, ni légitimés ; aussi l’histoire ne fait-elle aucune mention de Fleurette, et nul éditeur ne s’avise d’annoncer pompeusement ses Mémoires. Par une heureuse compensation toutefois, la galanterie a pris son joli nom sous ses auspices et s’est chargée de perpétuer la gracieuse mémoire de la jolie et tendre enfant, à qui l’on ne saurait se défendre de donner un doux souvenir, chaque fois que l’on tente de conter fleurette.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage d’Horace Raison, « Origine et étymologie du vieux dicton “Conter Fleurette” », dans le Code Galant, ou Art de conter fleurette, Éd. Ollivier, Paris, 1857, p. 13-30.

Notes

[1En 1566.

[2Ce pavillon existe encore ; il sert à renfermer des instruments aratoires.

[3Où fût résolu le massacre des protestants.

[4Notice sur Nérac, par M. le comte de Villeneuve-Bargemont.

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