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Benjamin Ball

Persécutés ambitieux

Du délire des persécutions ou maladie de Lasègue (2ème leçon)

Date de mise en ligne : samedi 13 mars 2004

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Le délire des persécutions tel que je l’ai décrit dans la conférence précédente peut être considéré comme le type complet d’une maladie mentale, d’une vésanie évoluant à travers plusieurs faits successifs, et se terminant par une période de cristallisation à partir de laquelle peu de changements se déclarent, l’état intellectuel du malade restant indéfiniment le même, car son siège est fait, son système de défense est complet, la rédaction de son roman psychologique est achevée.

Mais il est des sujets chez lesquels un nouveau chapitre vient s’ajouter au précédent, chez lesquels une nouvelle phase vient transformer le délire et lui donner un caractère nouveau sans effacer les traces du passé : je veux parler de la période ambitieuse qui, pour n’être pas constante chez tous les persécutés, n’en est pas moins assez fréquente et assez importante pour mériter la plus haute attention.

À partir de cette dernière étape, le délire, disent certains auteurs, est vraiment stéréotypé, et sauf quelques variations insignifiantes, il ne changera jamais. Cette proposition, vraie au fond, est trop absolue dans la forme, car beaucoup de persécutés, même ambitieux font, de temps en temps, des additions à leur délire et ajoutent quelques ornements au tableau ; mais enfin les idées d’ambition sont le développement le plus complet de cette autophilie, de cette hypertrophie du moi que je vous ai signalée dès le début de ces leçons comme le caractère essentiel de cette perversion de l’intelligence. La persécuté n’est pas toujours ambitieux, mais il est toujours subjectif, toujours préoccupé de lui-même, toujours pénétré du sentiment exagéré de sa propre importance.

C’est donc à tort qu’on a considéré autrefois le délire ambitieux comme un trouble surajouté aux autres ; mais, depuis les travaux d’observateurs plus récents, on le regarde avec raison comme une partie intégrante de la maladie.

Messieurs, je touche ici à un point délicat, à une question vivement controversée ; mais, avant d’aller plus loin, je veux vous mettre de nouveau en contact avec la réalité, et vous présenter une malade qui vous offrira le tableau vivant de cette forme de délire dont je vais plus tard vous montrer les caractères, vous montrer l’évolution et vous indiquer les origines.

J’aurais aimé vous montrer la succession régulière des états morbides parcourus par un esprit malade, mais il ne saurait en être ainsi. Par un hasard regrettable, la persécutée ambitieuse dont j’ai à vous entretenir nous est absolument inconnue quant à ses antécédents. Abandonnée par sa famille et ses amis, elle ne reçoit point de visites, et son état mental ne permet pas de tenir compte de ses récits, en ce qui concerne son histoire antérieure.

Il eût été fort important sans doute de vous montrer l’évolution de la maladie ; mais il faut se contenter d’étudier l’état actuel de son intelligence, qui présente, d’ailleurs un très vif intérêt.

La femme qui va vous être présentée est un type remarquable de la forme ambitieuse du délire de la persécution ; son histoire, telle que nous la connaissons, est assez courte. Elle s’est rendue, un beau jour, chez le commissaire de police de l’Île Saint-Louis, pour réclamer une fortune qu’on lui avait dérobée, et se plaindre de ses persécuteurs. Au moment de son internement, elle offrait des hallucinations de l’ouïe et du goût ;on l’insultait à chaque instant, on lui adressait la parole en termes grossiers, mais elle ne daignait pas toujours y répondre. On a jeté bien souvent des impuretés dans ses aliments, mais ses empoisonneurs en seront pour leurs frais. Elle est un trop grand personnage pour que le poison ait quelque action sur elle. Une femme ordinaire aurait sûrement péri.

Elle souffre des mauvaises odeurs qui l’incommoderaient fort, si elle n’était presque Dieu. Ces odeurs viennent des comprimateurs qui ont des tuyaux cachés dans l’épaisseur des murs et qui lancent leurs émanations tantôt d’en haut, tantôt de côté.

La sensibilité générale paraît également troublée ; elle dit être brutalisée, agacée, et ne pas pouvoir dormir. La sensibilité génitale est troublée aussi ; elle ne veut être ni dégradée, ni déshonorée ; elle fait allusion, d’une manière vague et demi réticente, à des personnages dont elle subit les approches pendant la nuit.

Au milieu de ce désordre des impressions sensorielles, il est très remarquable de constater qu’elle n’a point d’hallucinations de la vue. Jamais il ne lui a été possible d’apercevoir les conspirateurs, qui, pour la poursuivre se cachent dans les ténèbres.

Avec la facilité qu’ont les aliénés de cette espèce à créer des néologismes, ou des phrases spécialement à leur usage, elle résume la situation en ces mots : “Je n’ai point de visions visibles”.

Elle offre cependant quelques-uns de ces troubles que, faute d’un meilleur mot, on appelle des hallucinations psychiques. On espionne toutes ses pensées. On sait qu’elle a est la reine, et il y a dans son propre corps une conspiration intérieure, qui veut l’empêcher de régner.

Comme persécuteurs, elle signale surtout les médecins qui l’ont soignée. Mais ce qui domine surtout chez elle, c’est la mégalomanie.

Dans toutes ses conversations, ce sont les idées ambitieuses qui se détachent sur le fond du tableau : “Je suis, dit-elle, reine de France et de l’univers. - Je ne veux pas être subordonnée. - Je suis pour moi et pour ma liberté. - Je suis la République française. - Je ne reconnais que Dieu, et encore j’en ferai ce que je voudrais ; je suis moi, moi seule.”

Ce délire ambitieux s’est incontestablement développé ou affirmé à l’asile. Au début, elle ne parlait que d’une fortune dont on l’avait frustrée. Aujourd’hui c’est positivement le délire des grandeurs qui prédomine. C’est l’exaltation du moi ; remarquons d’ailleurs que cette femme est toujours en état d’agitation, toujours animée contre ses persécuteurs, et que, suivant une expression vulgaire, elle “ne décolère pas”.

Je dois enfin vous faire remarquer qu’elle ne présente absolument aucun des symptômes physiques de la paralysie générale, que la parole est parfaitement nette et bien articulée, quoiqu’elle parle avec une grande rapidité, et que ses idées de grandeur n’ont aucun des caractères habituels, qu’on rencontre chez les paralytiques ; point de millions, point de milliards, point de conceptions niaises et surtout point de ces défaillances par lesquelles ces malades abandonnent de temps en temps leur rôle pour tomber dans des contradictions ridicules. Notre malade est une véritable ambitieuse. Elle n’abandonne jamais ses prétentions et maintient toujours sa fière attitude. Elle est, en outre, une vraie persécutée ; elle se plaint de tout la monde et n’a pas encore, à proprement parler fait choix d’un persécuteur.

Messieurs, la présence des idées de grandeur chez les fous persécutés a été notée par les auteurs bien longtemps avant qu’on eût conscience de la portée de ce fait ; mais, sans parler des anciens, c’est Morel qui, le premier, après avoir constaté le phénomène, en a signalé toute l’importance, au point de vue de l’évolution. Ses premières remarques datent de 1860 [1] ; il est vrai qu’il parle surtout des hypocondriaques, mais il est évident, d’après la texte, qu’il avait en vue certains persécutés chez qui l’hypocondrie joue un rôle prépondérant. Foville, dans son célèbre mémoire sur le délire des grandeurs [2], est venu consacrer ses observations, lui apporter l’appui de son expérience. Enfin avec Falret et Legrand du Saulle, nous entrons dans la série des observateurs plus modernes. Je n’ai pas besoin de vous rappeler les travaux de M. Magnan et de ses élèves, dont je vous ai si souvent signalé l’importance.

Par rapport aux cas individuels, l’origine et la date du délire ambitieux sont souvent difficile à préciser. Souvent les deux délires semblent se développer parallèlement. Mais plus souvent encore on ne constate cet élément morbide qu’un certain temps après le début de la folie.

Il est incontestable que les tendances ambitieuses peuvent débuter sans prodrome, ou du moins se manifester d’une façon subite.

Un malade s’éveille brusquement au sortir d’un rêve. Il demeure convaincu qu’il est le prince de Joinville. Un autre éprouve une hallucination qui le jette subitement sur la voie du délire. Un troisième est frappé par la lecture d’un journal où se révèle un fait qu’il avait ignoré jusqu’alors [3]. Enfin l’on a volontiers invoqué la genèse logique, la filiation des idées. On a supposé qu’un homme se croyant en butte à des persécutions formidables s’imagine qu’il doit être un grand personnage pour être l’objet de tant d’inimitiés. Cette idée, complaisamment développée par Foville et Legrand du Saulle, a été reprise par certains observateurs modernes ; nous croyons cependant que la véritable évolution du délire est tout autre. Les conceptions ambitieuses sont le résultat direct d’un état morbide de l’intelligence, ou, si l’on veut d’un fonctionnement morbide du cerveau. Elles se produisent spontanément par l’effet d’une évolution nécessaire, comme l’éruption pustuleuse de la variole, comme l’élévation de la température dans les maladies infectieuses. En un mot, c’est d’une manière indépendante et spontanée que se développe le délire ambitieux. La logique n’intervient ici que pour plâtrer les malversations de l’intelligence, et pour fournir une justification plus ou moins plausible à des prétentions insensées.

Une fois le délire déclaré, il peut porter sur une foule de points et revêtir les formes les plus diverses. Les uns sont tentés par la puissance ; ils sont rois, empereurs, présidents ; les autres sont attirés vers la richesse : ils sont millionnaires, ils sont inventeurs, ils ont trouvé des secrets qui doivent les enrichir, et que naturellement on cherche à leur dérober. Beaucoup d’entre eux sont tentés par les grandeurs mystiques. Ils s’élèvent dans la hiérarchie céleste et s’approchent plus ou moins de la Divinité.

Mais, fait important à noter, leur délire ambitieux verse toujours dans le sens de la persécution. S’ils ont de la fortune, on cherche à la leur enlever. On leur fait des procès injustes. On les enferme pour les empêcher de faire valoir leurs droits. S’ils sont dieux, réformateurs oit prophètes, toujours l’esprit du mal est là pour les combattre, et l’iniquité des hommes les rends sourds à leurs avertissements, indociles à leurs paroles.

Ainsi, vous le voyez, l’idée du malheur et la préoccupation de l’injustice hantent toujours le cerveau d’un persécuté. Ce sont les ronces et les épines qui poussent naturellement sur ce sol ingrat. Jamais la persécuté n’est content, jamais il n’est satisfait, jamais il n’est tranquille, jamais il n’est résigné. L’orientation naturelle de son esprit le porte au désespoir, aux récriminations, à la douleur. On a vu des persécutés parvenus aux plus hautes positions et jouissant de toutes les satisfactions que la vie peut offrir, se plaindre toujours de leurs ennemis et vivre au sein d’une défiance perpétuelle. L’histoire nous présente des types célèbres de cet état d’esprit qui cadrent assez exactement avec les dispositions que la légende attribuait aux tyrans [4].

Bien différent est le simple ambitieux proprement dit, bien différent est le paralytique général qui se complait dans ses honneurs imaginaires. Il goûte une satisfaction puérile à énumérer ses titres. L’idée du ridicule ou de la contradiction ne traverse jamais son esprit. Un paralytique de mon service se vantait devant moi d’être le propriétaire de toutes les maisons de prostitution de Paris. Voilà bien certainement une idée qui n’aurait jamais traversé l’esprit d’un ambitieux persécuté.

Enfin il est des mystiques qui sont heureux de leurs visions, qui se complaisent dans le monde fantastique où ils sont transportés, qui sont heureux enfin, bien heureux même, dans le paradis imaginaire qu’ils habitent. Le vrai persécuté ne peut être jamais heureux nulle part :

Le chagrin monte en croupe et galope avec lui.

Ainsi donc, malaise, irritation, désespoir, désappointement, colères concentrées, tantôt masquées dans une période de réticence, tantôt éclatant au dehors par une poussée irrésistible pendant une période d’excitation.

Il est hors de doute que ce caractère se rencontre souvent dans la vie ordinaire, car tous les persécutés ne sont pas dans asiles. D’ailleurs, les prédestinés manifestent souvent ce pli de l’esprit, longtemps avant de mériter une séquestration définitive. Tels sont les caractères du vrai persécuté.

Une fois l’ambition développée, le malade est entretenu dans ses préoccupations douloureuses par le contraste entre ses prétentions et la réalité. Un Roi qui ne peut pas régner se plaint amèrement des misérables qui lui barrent le chemin ; un prophète qui n’est pas écouté tonne contre les incrédules. Ce contraste si pénible entre le rêve et les faits réels se manifeste quelquefois par des lamentations grotesques. Je suis Dieu, s’écriait un de nos malades, je suis Dieu, et l’on ne veut pas me donner des œufs pour mon déjeuner !

Il est une manie commune à tous les aliénés, mais qui prédomine surtout chez les persécutés, et plus encore chez les persécutés ambitieux. Nous voulons parler de la manie d’écrire, du besoin de noircir le papier. Presque toujours, à un moment quelconque de leur évolution, ces sujets se lancent dans la correspondance ; ils s’adressent de préférence aux journaux politiques, aux autorités, aux gens en vue, au pape, aux évêques, au président de la République, au préfet de police, aux magistrats. C’est ce qu’on a spirituellement appelé la manie des petits papiers, car on trouve des écrits partout, sur tous les meubles et dans tous les coins, chez certains persécutés. Tantôt ils écrivent à leurs correspondants pour réclamer leur protection, tantôt pour leur signaler des abus, tantôt enfin pour les sommer de donner leur démission, afin de leur céder la place. Il s’en faut de beaucoup que leurs élucubrations soient toujours absurdes. L’abbé Paganel écrivait avec beaucoup de talent, et la fortune du journal l’Opinion nationale fut fondée par l’avocat Sandon qui mourut, comme on le sait, avec sept foyers hémorragiques dans le cerveau. Il était donc atteint manifestement d’une lésion organique des centres idéateurs, et pourtant, il ne manquait ni de logique, ni d’imagination, ni d’éloquence ; il lui fut enfin donné d’exercer une grande influence sur son époque, influence dont nous ressentons encore les effets, même au point de vue législatif.

En somme, le persécuté ambitieux est surtout un malade en état de surexcitation, dont l’intelligence est souvent plus active que chez les autres, et qui présente à un degré plus élevé que les autres les caractères typiques de la maladie. Aussi est-ce surtout chez les sujets de ce genre que se recrutent les persécuteurs, dont j’aurai à vous entretenir dans la conférence prochaine.

Mais ici se présente une question capitale, qu’il est impossible de laisser sans réponse.

Beaucoup de persécutés deviennent ambitieux, mais tous les persécutés sont-ils fatalement destinés à le devenir ?

Jusqu’à une époque récente, les aliénistes auraient tous répondu par la négative ; mais on sait avec quelle ardeur l’affirmative a été soutenue, il y a quelque temps, par M. Magnan et ses élèves [5].

Sous le nom singulièrement impropre de délire chronique, on a décrit une maladie mentale caractérisée par quatre phases successives, qui se suivraient dans un ordre invariable et toujours le même : la période d’invasion, la période de persécution, la période d’ambition, et enfin la période de démence. Le point cardinal de cette conception, erronée à notre avis, c’est l’affirmation dogmatique que ces quatre stades se suivent fatalement dans un ordre régulier, et que le troisième stade succède invariablement au second. C’est ce point spécial que je vous demande la permission de discuter. Il vient d’alimenter de longues controverses ; il est donc impossible de passer la question sous silence.

L’expérience de tous les jours nous apprend qu’il est de vieux persécutés qui meurent dans l’impénitence finale, après avoir passé dans un délire stéréotypé dix, quinze ou vingt ans de leur existence, sans jamais passer par la phase ambitieuse ; d’autres tombent de la persécution dans la démence, sans traverser aucune autre modification psychologique. Nous ajouterons que la grande majorité des persécutés appartiennent à ce type primitif, et ne présentent jamais d’idées de grandeur. Une statistique, relevée à la clinique par M. le docteur Pichon, établit une proportion de deux ambitieux sur neuf persécutés. Mais une question semblable ne peut être résolue que par des recherches étendues et prolongées, et doit reposer sur une statistique internationale. C’est là, sans doute, un des résultats dont nous auront à remercier le classement statistique récemment adopté au congrès de Paris, et qui permettra de résumer, dans des tableaux réguliers, les faits observés dans tous les pays.

Mais nos adversaires mettent en avant un argument pour le moins singulier. La durée de la seconde phase ou de persécution est souvent très longue, disent-ils, et l’on doit longtemps attendre avant de pouvoir se prononcer. Forts de ce raisonnement, ils ne craignent pas d’affirmer que tous les persécutés deviennent ambitieux. Mais combien de temps faut-il attendre pour pouvoir affirmer que, dans un cas donné, la transformation n’a pas eu lieu ? Suffit-il d’attendre dix ans, quinze ans, vingt ans ? Attendez encore, nous dit-on. Mais dans des conditions pareilles, la vie entière de l’observateur suffira-t-elle à formuler une conclusion ? Car quel est le médecin qui peut se flatter d’observer un aliéné pendant plus de trente ans ? Et la mort de l’observateur ou du malade ne risque-t-elle pas de mettre un terme à cette expérience ?

Quant à prétendre, comme on l’a fait, que toutes les observations contraires à l’hypothèse du délire chronique sont des erreurs de diagnostic, c’est raisonner en théologiens, et non pas en hommes scientifiques ; c’est formuler une doctrine, pour chercher ensuite des arguments en sa faveur, en se réservant le droit de condamner comme hérésies (c’est-à-dire comme erreurs de diagnostic) toutes les observations régulièrement prises, qui déposent en sens contraire.

Un état d’esprit semblable n’a rien de commun avec l’impartialité qui doit guider tout savant qui s’occupe des sciences naturelles, parmi lesquelles nous n’hésitons pas à ranger la psychiatrie.

Ce point réglé, voyons ce qui reste à l’actif des créateurs du prétendu délire chronique.

Le mot. Lasègue, ce grand maître des ressources de la langue française, avait trouvé du premier coup une expression saisissante, pittoresque et parfaitement exacte : le délire des persécutions ; nous n’en dirons pas autant de ses contradicteurs posthumes, qui semblent ne pas comprendre la portée des termes dont ils font usage.

Esquirol avait dit : “La folie est une maladie chronique, ordinairement sans fièvre.” C’est qu’en effet l’immense majorité des maladies mentales est de très longue durée. Dès lors, le mot de délire chronique ne répond à rien de spécial et s’applique au plus grand nombre des perturbations pathologiques de l’esprit. Rien n’est plus contraire à la logique et à la grammaire que d’appliquer une qualification banale à un fait particulier lorsqu’on veut le définir. Aussi M. Garnier a-t-il préféré le mot de psychose systématique progressive à celui de délire chronique, expression condamnée par ses propres inventeurs, bien qu’ils s’obstinent encore à en faire usage.

Nous choisirions plus volontiers le terme de délire systématisé primitif, créé par Morselli, qui s’applique également au délire ambitieux proprement dit. Mais pourquoi renoncer à cette expression si claire et si précise, le délire dés persécutions ? Les illettrés eux-mêmes en comprennent immédiatement le sens, et les savants y trouvent, en trois mots, une description graphique.

Le fait. La maladie qui nous occupe, observée depuis des siècles, a été spécialisée et limitée par Lasègue, étudiée et décrite par cent observateurs après lui. La psychologie de ces malades et l’organisation de leur délire ont été admirablement analysées par Jules Falret.

La transformation ambitieuse a été signalée par Morel en 1860, par Foville, par les deux Falret et par Legrand du Saulle, qui, dans un style un pou lourd, a signalé le fait avec une prolixité de détails qui ne laisse aucune place à l’équivoque.

La filiation logique, telle que la comprennent les partisans de la nouvelle doctrine, repose sur une conception psychologique erronée, comme nous l’avons démontré plus haut.

Que reste-t-il donc aux inventeurs du prétendu délire chronique ? Il leur reste la paternité d’une erreur ; et la postérité, dans sa justice saura certainement récompenser chacun selon ses mérites et mettre chacun à la place qui lui est due [6].

Voir en ligne : Troisième leçon : « Persécutés persécuteurs »

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Benjamin Ball, Du délire des persécutions ou Maladie de Lasègue, Asselin et Houzeau, Paris, 1890.

Notes

[1Traité des maladies mentales, 1860, p. 714 et suivantes.

[2Mémoire couronné par l’Académie de médecine, 1869.

[3Esquirol cite le cas d’un malade qui, après la lecture d’un journal qui faisait allusion au faux Dauphin, fut immédiatement convaincu qu’il était le fils de l’héritier de Louis XVI. (Des Maladies mentales, Paris, Baillière, 1838, p. 338.)

[4J.-J. Rousseau, parvenu au faîte de la gloire, se plaisait à considérer comme des insultes les marques de déférence qu’on lui prodiguait. Un jour, il arrive à Amiens ; les autorités veulent lui offrir le vin d’honneur ; Rousseau s’indigne ; il ne voit que des intentions ironiques dans cet hommage rendu à ses talents et à ses idées. Voilà bien le type du persécuté, incapable d’interpréter, dans un sens favorable, les marques les plus évidentes de bienveillance et de respect.

[5Gérenle, Délire chronique. Thèse de Paris, 1883.

[6M. le docteur Garnier, dans sa thèse inaugurale (Des idées de grandeur dans le délire des persécutions, Paris, 1877, s’exprime en ces termes :
 “C’est à M. le professeur Lasègue que revient l’honneur d’avoir mis en relief cette forme d’aliénation mentale... Les travaux ultérieurs n’ont pas fait perdre au premier tableau ses lignes si caractéristiques et sur lesquelles on veut toujours jeter les yeux, alors qu’on désire se pénétrer des traits vraiment saillants de ce désordre psychique”.

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