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Zen et Psychanalyse

Pourquoi n’y a-t-il rien et non pas quelque chose ?

Conférence du mercredi 20 avril 2011

Date de mise en ligne : mardi 3 mai 2011

Auteur : Guy MASSAT

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Guy Massat, « Pourquoi n’y a-t-il rien et non pas quelque chose ? », Conférence Zen et Psychanalyse du mercredi 20 avril 2011.

Pourquoi n’y a-t-il rien (wu, 無)
et non pas quelque chose ?

La psychanalyse et le Zen ont en commun le zéro. Zéro, en chinois, se dit Ling et son calligramme représente la pluie, c’est-à-dire jouissance et abondance. L’intérêt du zéro est qu’il peut tout zéroïser et se zéroïser lui-même comme l’ensemble vide de la théorie des ensembles. Le zéro est aussi le processus de la multiplication, ou de « l’élément absorbant », comme disent les mathématiciens. Le zéro c’est aussi l’écriture topologique des nœuds de Lacan qui est l’écriture de l’inconscient. Le zéro c’est le nirvana et la psychanalyse est en quelque sorte l’art de nirvaniser. Autrement dit c’est l’« Alchimie du verbe » comme l’énonçait Rimbaud : « J’ai fait la magique étude du bonheur que nul n’élude… Que comprendre à ma parole, il fait qu’elle fuit et vole ». En tout cas le réel ou le zéro, « est toujours à la même place » (Écrits, p. 25). Il est là depuis quand ? Depuis Lacan ? Le zéro ou l’impermanence est toujours à la même place. Il n’y a pas d’endroit où elle ne serait pas. Comme disent les gens du Tchan « le Bouddha est toujours en train de montrer une fleur sur le Pic des Vautours ». C’est là que commence le Tchan, enseigne-t-on, sans qu’aucune preuve historique n’ait jamais pu étayer l’événement.

Les historiens dans leurs recherches ne peuvent attester aucun « Pic des Vautours », et encore moins le moment où Bouddha aurait dit à ses disciples : « je vais faire monstration du secret le plus décisif de mon enseignement ». Tout le monde se rassembla face à lui. Ce qui, on l’imagine, devait se faire fréquemment. Mais cette fois le Bouddha ne prononça aucune parole. Il éleva seulement une fleur devant ses auditeurs. Personne ne comprit. Seul Avalokitésvara sourit. « Avalokitésvara, dit alors Bouddha, tu peux désormais enseigner à ma place ». Ce moment historial serait la première transmission du Tchan. « Une transmission spéciale, en dehors des écritures » comme le définit « la transmission de la lampe ». Bodhidharma dira plus tard que le Tchan relève du « sans écrit » buliwenzi, 不立文字. Ce geste de Bouddha est à l’inverse de la question métaphysique occidentale « pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas plutôt rien ? » C’est dire, pour l’exprimer en mots : « Pourquoi n’y a-t-il rien 無 et non pas quelque chose ? » La réponse, contenue dans le Wu, 無, est : « pour que se multiplient et s’épanouissent les phénomènes comme autant de fleurs. C’est l’exemple même de « l’élément absorbeur », diraient les mathématiciens. Ce qui tombe bien puisque Tchan vient de Tchanna qui vient de Djhanna qui signifie absorption.

Dans la mythologie grecque Calliope, l’éloquence, ou la manière de dire, précède l’histoire, Clio. Et Clio nous dit que les plus belles histoires ne font que passer comme « passent les roses ». À chose disparue, poursuit Lacan dans Télévision, « le nom de partout convient aussi bien que celui de nulle part. C’est pourtant chose fort précise » (p. 15). Reste à savoir comment parle une fleur ou ce que dit une fleur tout en ne parlant pas comme nous ? La fleur est à la fois symbole de l’impermanence et, coextensivement, celui des diversités de la beauté. Baudelaire l’explique : « Heureux qui s’en effort connaît le langage des fleurs et des choses muettes » (Elévation). On appelle fleur la beauté indéfinissable de tout ce qui s’épanouit dans l’expansion de l’impermanence. Si tout est impermanent il n’y a pas d’être permanent. Tous les monothéismes vieillissent et disparaissent, celui d’Akhenaton comme les autres. « Comment, feignait de s’étonner Nietzsche, 2000 ans et pas de nouvelle religion ? » Toutes les philosophies périclitent et disparaissent. Tous les écrits s’effacent dans la parole du vide, autre nom de l’impermanence, qui est le nom archaïque de l’inconscient. Il y a des balayeurs chinois qui écrivent sur les trottoirs avec leur balai et de l’eau des caractères savants qu’on voit s’évaporer très esthétiquement. « Tout est vide depuis le commencement » dira Houei neng « où la poussière pourrait-elle tomber ? »

Aujourd’hui, le vide est le domaine de la physique quantique. Non seulement Zen signifie « absorption » (tchanna, du pâli Djhana) mais il désigne aussi l’infinitif présent de Zao, Zen, vivre, en grec.

La vie est le vide, phénomène d’absorption en expansion infinie. L’inconscient est pareil, en quelque sorte, à la fameuse « énergie noire » des physiciens, énergie « qui accélère l’expansion de l’univers ». Ne cherchez-vous pas vous-même votre propre expansion ? Alors pourquoi n’entreprenez-vous pas une analyse ? « Deux forces opèrent principalement dans l’univers, explique Michel Cassé, astrophysicien, un “rassembleur de matière” et un écarteur d’espace ». Le premier est la force de gravité, celui qui explique la chute des corps (et des esprits, permettons-nous d’ajouter). L’existence du second n’a été établie que depuis une quinzaine d’années, c’est la fameuse énergie noire qui accélère l’expansion de l’univers » (Philosophie Magazine, hors série, p. 59, février-mars 2011).

Absorption, expansion, impermanence, dissolution. Dissolution, c’est le dernier séminaire de Jacques Lacan, le n° 27, de 1980 qui vient juste après La topologie et le temps (1979). Ce qui montre bien la cohésion du discours lacanien depuis le premier séminaire où il compare la psychanalyse au Tchan jusqu’au dernier séminaire Dissolution, autrement dit absorption ou Tchan. Unbewusst, « l’inconscient », Lacan le traduit phonétiquement, comme il se doit, par « une bévue », c’est-à-dire une erreur. En quoi l’erreur est-elle supérieure à l’exactitude ? En quoi le zéro est-il supérieur au un ? C’est que le zéro peut utiliser toutes les possibilités du un sans en être l’esclave. Le zéro est le contraire du fanatisme obsessionnel. Les non-dupes, qui croient à l’être, errent. Ils sont malheureux parce qu’ils s’identifient à leurs objets toujours éphémères. Ils sont dans ce que la psychanalyse appelle une mauvaise relation d’objet.

Pour mieux comprendre la différence entre le non-être antérieur et le nihilisme, ou non être postérieur à l’être, nous avons, comme paradigme, la célèbre rencontre du maître de l’école du nord Oluan et de Houei neng le maître du subitisme de l’école abrupte, rapportée par Suzuki (Essais sur le Bouddhisme Zen, première série, p. 265). Le premier affirme : « Moi Oluan je sais un procédé pour effacer intégralement toutes mes pensées. Le monde extérieur ne vient plus exciter mon esprit. En moi l’illumination mûrit chaque jour ». — À quoi rétorque immédiatement Houei neng : « Ce n’est pas ça ! Ce que vous décrivez conduit à l’asservissement. Ecoutez plutôt : Moi, Houei neng je ne connais nul procédé. Mes pensées ne sont pas supprimées. Le monde extérieur excite mon esprit. À quoi sert de faire mûrir l’illumination ? ». L’éveil au non-être n’a rien à faire avec les progrès dans la dimension de l’être, comme l’explique, en quelque sorte depuis toujours, Bodhidharma à l’empereur des Liang. Ne savez-vous pas qu’on ne se beigne jamais deux fois dans la même rivière ? Ne savez-vous pas que l’illumination dans le Tchan c’est l’extinction ? Le nirvana ? C’est-à-dire l’extinction de toute constante ? Comment l’éveil serait-il quelque chose ?

L’inconscient n’est pas le conscient. Le réel n’est pas la réalité. Freud, qui distingua l’inconscient du conscient, disait qu’un cigare pouvait ne pas être un symptôme mais seulement un cigare. C’est l’éveil qui fait apparaître les phénomènes qui murissent et disparaissent et non l’inverse. Comme dit Héraclite l’impermanence personne ne l’a créée, « c’est un feu toujours vivant s’allumant et s’éteignant en changeant à son gré de mesure » (frag. 30) « La caractéristique de l’inconscient est de se révéler comme le lieu d’une pensée foisonnante » reprendra Lacan dans Ornicar. Autrement dit, Houei neng , Lacan et Héraclite (quand il n’est pas mal traduit) tiennent le même discours, un discours dont la physique quantique donne de nos jours un écho étonnant : Le non-être est à l’origine des univers et des multivers.

En Chine au troisième siècle de notre ère le taoïste Wang Bi écrivait que le non-être, le non-avoir étaient l’origine de toutes choses. Le conscient c’est le corps et l’esprit. Nous sommes par conscience d’être .Nous fonctionnons sur le principe d’identité. Le préconscient c’est le monde intérieur, la mémoire, l’affect, les sentiments, les représentations de mots et de choses, la mythologie, l’imaginaire. L’inconscient c’est encore au-delà, montre la première topique de Freud. L’inconscient c’est le non-être, non-être antérieur au préconscient et à la conscience. C’est le domaine de la vraie psychanalyse comme celui du Tchan et du Taoïsme.

L’écriture de l’inconscient c’est la topologie des nœuds. C’est « le nécessaire qui ne cesse pas de s’écrire » explique Lacan dans « Joyce le symptôme ». Cette écriture relate la guerre du non-être et de l’être dans le système inconscient. Elle décide du destin de nos comportements et ne se soumet qu’aux trois dimensions de la parole interprétative. À quoi sert Le Borroméen ? À analyser la parole de l’Unbewusst. Prenons par exemple la phrase : « Connaissez-vous le théorème d’Archimède ? » Réponse : « Oui, tout corps plongé dans un fluide reçoit de la part de ce fluide une poussée verticale dirigée du bas vers le haut, égale au poids du volume de fluide déplacé ». C’est parfait. Nous montrons dans cette phrase que nous savons qui est Archimède, qu’est-ce qu’un théorème et de quel théorème il s’agit. Tout est identifié. Nous sommes dans le conscient. Maintenant entrons dans la bévue. Démontons là proposition selon le Borroméen RSI : « Connaissez-vous le théorème d’Archimède ? Admettons que nous répondions : Parfaitement, le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des deux carrés construit sur les autres côtés ! » Énorme et ridicule bévue, nous venons de confondre Pythagore et Archimède, et l’identité des théorèmes, c’est une bavure imaginaire (I sur le borroméen). Même si pour notre défense nous soutenons qu’avec 2500 ans de distance les images des Grecs peuvent se confondre, c’est bien une bévue.

Reposons la question : « Connaissez-vous le théorème d’Archimède ? » Supposons alors que notre réponse soit : « Tout corps plongé dans le liquide d’une baignoire ressort plus propre qu’il n’était en y entrant ». Le sens est ici fusillé sans procès. La bévue est aussi ridicule que la première mais cette fois elle concerne un renversement de sens, c’est-à-dire le rond du Symbolique sur le borroméen.

Reposons une troisième fois la question : « Connaissez-vous le théorème d’Archimède ? » Supposons que notre réponse s’appuyant sur le Réel phonétique de l’Unbewusst soit alors : « Non, je n’ai pas pris le thé au harem d’Archi Amed ».

Les trois réponses du I, du S et du R sont des bévues. Mais, il y a pire. Nous ferions une autre bévue, et beaucoup plus conséquente que les autres, en croyant que la réponse consciente est la seule valable des quatre. Ce ne serait vrai que pour la réalité relative. Mais le réel n’est pas la réalité, il l’absorbe, quelle soit symbolique ou imaginaire. Dans cette perspective, disait Héraclite : « le plus bel ordre du monde n’est qu’un tas d’ordure disséminé au hasard » (frag. 124). En fait ces quatre versions sont nouées les unes aux autres comme le nœud borroméen à quatre ronds de la topologie lacanienne, appelé aussi nœud du symptôme. Chacune proposition dans ce nouage réunis les trois autres sans qu’on puisse dire laquelle est la plus importante. Elles sont aussi pareilles à l’histoire de Rashomon d’Akutagawa : Un crime a été commis mais les deux témoins de la scène en rapportent des versions qui ne coïncident pas. L’assassin est retrouvé, mais il raconte lui aussi une toute autre version. On fait appel à un chaman qui interroge le fantôme de la victime laquelle raconte encore une histoire différente des trois autres. Impossible de décider ce qui s’est vraiment passé. Comme disent les astrophysiciens de nos jours : Le chaos est en expansion accélérée.

P.-S.

Prochaine conférence le mercredi 4 mai 2011 à l’Espace 62 :
 62, rue Saint Honoré — 75001 Paris.

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