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Les Signifiants de la Psychanalyse

Psychisme

L’appareil psychique

Date de mise en ligne : jeudi 19 décembre 2002

Auteur : Christophe BORMANS

Mots-clés :

Si le psychisme conscient des philosophes est soumis au principe de rationalité, l’appareil psychique de la psychanalyse freudienne est lui régit par un tout autre principe : le principe de plaisir. Ce principe est indéniablement l’un des premiers à avoir été mis en évidence par Freud, et ce dès l’élaboration de sa première topique. Toutefois, même si Freud y restera toujours fidèle, il l’enrichira considérablement par la suite, notamment en 1920, dans son "Au-delà du principe de plaisir", au moment même de construire sa seconde topique.

Le plaisir correspond, selon Freud à un abaissement de tension ou d’excitation. La métaphore utilisée est ici une métaphore économique. La dépense d’énergie psychique supplémentaire afin de prendre en charge une excitation, qu’elle soit d’origine organique interne, ou bien d’origine externe, est l’archétype du déplaisir. L’économie d’une telle dépense d’énergie supplémentaire équivaut au plaisir psychique. En outre, Freud insiste sur le fait que cette hypothèse fondamentale est bien directement issue des résultats des observations quotidiennes de la psychanalyse :

"C’est en nous efforçant de décrire et d’expliquer les faits de l’observation quotidienne dans notre domaine que nous sommes parvenus à de telles hypothèses spéculatives. Le travail psychanalytique ne recherche pas la priorité et l’originalité, et les données qui nous fondent à poser le principe de plaisir sont si évidentes qu’il n’est guère possible de ne pas les voir" [1].

Le déplaisir correspond donc à une élévation de la quantité d’excitation présente dans la vie psychique et le plaisir à une diminution de cette quantité. Concrètement, le principe de plaisir est le principe qui régit l’appareil psychique lorsqu’il guide et prend en charge toute excitation, afin de donner à celle-ci "une direction telle, que son résultat final coïncide avec un abaissement de cette tension" [2].

À l’instar de ce qui se passe durant le rêve ou l’état de sommeil quasi-permanent du nouveau né, l’appareil psychique régit par son principe de plaisir a pour vocation première de maintenir à distance toute excitation ou stimulus interne ou externe. Afin de satisfaire le principe de plaisir, toute excitation externe ou interne est prise en charge par l’appareil psychique, qui l’élabore en lui faisant faire une sorte de "détour de production", de manière à ce que la quantité de déplaisir qui est associée à cette excitation s’atténue progressivement sur ce chemin.

La notion de "détour de production" est empruntée ici à l’économiste et homme politique autrichien E. Böhm-Bawerk (1851-1914), qui fût le ministre des finances de l’Autriche de 1895 à 1898, puis de 1900 à 1905, date à laquelle il fût nommé professeur à l’Université de Vienne, soit trois ans après Freud.

La métaphore originelle de Böhm-Bawerk, laquelle illustre le mieux sa notion de "détour de production" [3], est celle du campagnard qui, comme tout homme, a régulièrement besoin d’eau potable. La source la plus proche se trouve cependant à bonne distance de sa propre maison. Il peut alors choisir, soit d’aller y boire chaque fois qu’il a soif, soit d’économiser du temps aujourd’hui, afin de construire un système de canalisation rudimentaire, lequel lui permettra dans l’avenir de boire autant qu’il le souhaite à moindre effort.

Si pour Böhm-Bawerk, le détour de production est une perte initiale de temps ou une abstinence, qui sera à l’avenir récompensée par un profit, pour Freud cependant, ce type de raisonnement signe lui-même l’échec de l’adaptation au principe de réalité et ne constitue rien d’autre que l’échec de la science à définitivement surmonter le principe de plaisir. Certes, le raisonnement d’ordre économique convient parfaitement à la description du phénomène que l’on se propose d’étudier, mais pour être conforme au fonctionnement réel de l’appareil psychique que Freud observe quotidiennement dans sa pratique, le raisonnement de Böhm-Bawerk doit être inversé :

" Une tendance générale de notre appareil animique, que l’on peut ramener au principe économique de l’épargne de dépense, semble se manifester dans l’opiniâtreté avec laquelle on s’accroche aux sources de plaisir disponibles et dans la difficulté avec laquelle on renonce à celles-ci " [4].

Assouvir sa soif ou tout autre besoin naturel doit être saisi comme une excitation organique interne et constitue d’abord, d’un point de vue psychique, un déplaisir, que le principe de plaisir qui régit l’appareil psychique va prendre en charge et guider jusqu’à l’abaissement de la quantité de déplaisir qui lui est associé. En élaborant une construction psychique capable, tout comme l’aqueduc rudimentaire du paysan de Böhm-Bawerk, d’économiser la dépense d’énergie nécessaire à la satisfaction immédiate de cette excitation organique interne, le principe de plaisir conduit l’appareil psychique à halluciner ou rêver d’une satisfaction à cette excitation organique interne. Le rêveur qui a envie d’uriner, rêve qu’il urine, le nourrisson, dans sa léthargie, commence par halluciner le sein.

C’est seulement à la suite de la "déception" dit Freud, c’est-à-dire de l’échec du principe de plaisir à éconduire définitivement l’excitation et la répétition du déplaisir, que le nourrisson se met à hurler et est progressivement conduit à abandonner "cette tentative de satisfaction par voie hallucinatoire", pour progressivement reconnaître l’existence d’un autre principe se heurtant au principe de plaisir premier de l’appareil psychique, le principe de réalité. Or, comme Freud le souligne, "cette instauration du principe de réalité s’avéra être un pas lourd de conséquences" [5].

Car le principe de plaisir n’ayant pas dit son dernier mot, et régissant toujours activement l’appareil psychique, les constructions et élaboration de ce dernier furent, à la manière des aqueducs de Böhm-Bawerk, de plus en plus long, sinueux et, les détours de production visant à économiser les dépenses d’énergie occasionnées par les excitations, de plus en plus ingénieux.

La conscience, l’attention, la mémoire et le jugement viennent remplacer les autres mimiques et manifestations d’affect enfantines, pour constituer autant d’adaptations de l’appareil psychique servant à abaisser les excitations et les déplaisirs tout en satisfaisant, mieux que ne le faisait l’hallucination, au principe de réalité. Dans cette optique, il faut bien entendre le raisonnement et le psychisme conscient, comme un aqueduc exactement du même type que l’aqueduc hallucinatoire premier, à la différence près, peut-être, que le style de son architecture nous est aujourd’hui plus familier.

Néanmoins, ce qu’il est crucial de comprendre surtout, c’est que si ces constructions psychiques, aussi abouties qu’elles puissent nous paraître aujourd’hui, viennent désormais à la place de l’hallucination première, pour soulager l’appareil psychique des surcroîts de déplaisirs, elles ne sauraient effacer purement et simplement la déception première et l’échec du principe de plaisir qui, comme la trace d’une répétition, est rejeté dans le refoulement corrélatif d’un tel processus.

Ainsi, le sommeil et les hallucinations nocturnes constituent, aujourd’hui, les ruines de notre appareil psychique de nourrisson, ruines que nous visitons toutes les nuits sans nous en rendre compte, en rêvant. En outre, il ne doit faire aucun doute, comme Freud l’a toujours soutenu, que nous puissions appliquer ce schéma logique de l’élaboration des processus psychiques à l’apparition de la parole et du langage lui-même :

" Le penser ne reçut de nouvelles qualités perceptibles pour la conscience que par la liaison aux restes de mot " [6]

Pour conclure, résumons le point de vue freudien sur l’appareil psychique en précisant que celui-ci est d’abord régi par le principe de plaisir, lequel force en retour l’appareil psychique à élaborer des constructions de plus en plus complexes afin de s’épargner des déplaisirs d’origine internes ou externes, tout en satisfaisant au mieux au principe de réalité. Il en découle logiquement que premièrement, la conscience et la raison ne sont que des constructions psychiques quelque peu plus élaborées que celle de l’hallucination, mais surtout, deuxièmement, que tout comme l’hallucination, elles ont pour corollaire le refoulement qui peut à tout moment faire retour, en raison même de la fragilité due à la complexité de telles constructions rationnelles et conscientes.

Dans cette optique économique, la psychanalyse peut être saisie comme un procédé thérapeutique visant à permettre à l’analysant, par la voie de la libre association et de l’analyse des rêves, lapsus, actes manqués, etc., de repérer les blocages qu’il rencontre dans l’inconscient par manque, ou défaut antérieur, d’élaboration psychique des excitations organiques internes ou externes, le plus souvent d’origines sexuelles. C’est là le premier temps de l’analyse. Dans un second temps, et toujours par la voie de la libre association et au travers du transfert, de trouver une voie nouvelle d’élaboration psychique, réconciliant l’incontournable principe de réalité avec le non moins incontournable principe de plaisir. Ce travail est certes long, mais il est d’un intérêt, et abouti à un succès, incomparable dans aucune autre discipline. Sur cette voie, l’analysant peut en outre être assuré, en raison même de la conception psychanalytique de l’appareil psychique ci-dessus exposée, qu’aucun jugement d’ordre moral n’est porté par le psychanalyste sur le matériel psychique qu’il soumet à l’analyse.

Notes

[1FREUD Sigmund, "Au-delà du principe de plaisir", [1920], Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 1981, p. 43.

[2Au-delà du principe de plaisir, p. 43

[3BOHM-BAWERK Eugen, Théorie Positive du Capital, [1888], Éd. Giard, Paris, 1929.

[4FREUD Sigmund, "Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique" [1911], Œuvres complètes, volume XI, PUF, Paris, 1989., p. 16.

[5Formulations sur les deux principes, p. 14.

[6FREUD Sigmund, "Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique" [1911], Œuvres complètes, volume XI, PUF, Paris, 1989.

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