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Sandor Ferenczi

Sur la technique psychanalytique

Revue Française de Psychanalyse (1929)

Date de mise en ligne : dimanche 19 décembre 2010

Langue de cet article : Deutsch > Zur psychoanalytischen Technik

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Sandor Ferenczi, « Sur la technique psychanalytique », traduit de l’allemand par Henri Hoesli, in Revue Française de Psychanalyse, Troisième année, T. III, n° 4, Éd. G. Doin et Cie, 1929, pp. 617-630.

Sur la technique psychanalytique
Par le Dr S. FERENCZI
(Traduit de l’allemand par Henri Hoesli)

Exposé fait au groupe hongrois de psychanalyse au mois de décembre 1918.

I
Abus de la liberté d’apporter des associations

Toute la méthode psychanalytique est basée sur la « règle fondamentale » de Freud qui consiste à obliger le patient à rapporter tout ce qui lui passe par l’esprit. Aucune circonstance ne justifie une dérogation à cette règle. Il faut que tout soit mis au jour sans indulgence. Aucune raison, si péremptoire qu’elle puisse paraître, ne peut autoriser le malade à escamoter quoi que ce soit. Mais le malade, une fois habitué, souvent au moyen de longs efforts, à la stricte observation de cette règle, arrive à ce que sa résistance s’empare précisé ment de cette règle fondamentale pour s’en servir comme arme contre le médecin.

Des névrosés obsessionnels recourent parfois à ce moyen d’investigation pour ne rapporter que des associations absurdes. On dirait qu’ils fournissent intentionnellement une fausse interprétation au conseil que leur a donné le médecin, savoir de rapporter tout, même les choses les plus insensées. On est souvent déçu dans ses illusions si l’on n’intervient pas, dans l’espoir qu’ils finiront par se lasser de ce procédé. On finit par se convaincre qu’ils tendent inconsciemment à mener le médecin ad absurdum.

Ils utilisent le plus souvent ce genre d’associations superficielles pour apporter une série ininterrompue d’associations verbales dont le choix laisse évidemment percer ce matériel inconscient que le malade écarte. Mais il est impossible de soumettre à une analyse approfondie de telles associations, car chaque fois que nous attirons leur attention sur quelque trait frappant, dissimulé, ils s’obstinent à nous fournir d’autres matériaux « absurdes » au lieu d’accepter ou de réfuter notre interprétation. Il ne nous reste qu’à avertir le malade de la façon tendancieuse dont il se livre, à quoi il ne manque pas, en général de nous reprocher en arborant un air de triomphe : Je ne fais que ce que vous me demandez de faire, je rapporte chaque absurdité qui me vient à l’esprit. Il lui arrive souvent de proposer en même temps qu’on renonce à l’observation stricte de la « règle fondamentale » et qu’on ordonne les entretiens d’une manière systématique. Qu’on lui pose certaines questions et qu’on recherche méthodiquement, à la rigueur même au moyen de l’hypnose, ce qui a sombré dans l’oubli. Il est aisé de répondre à cette objection. Certes, nous avons invité le malade à nous faire part de toute association, serait‑elle la plus absurde, toutefois sans lui demander de réciter exclusivement des absurdités incohérentes ; nous lui expliquons que ce comportement est précisément en contradiction avec cette règle psychanalytique qui condamne tout triage des associations. Le malade, ingénieux, objecte alors qu’il n’y peut rien si toutes ses associations sont absurdes et, contrairement à toute logique, il vous demande par exemple s’il doit désormais taire les absurdités. Qu’on se garde de s’en irriter, autrement le but du patient est atteint. Il faut l’encourager à continuer son travail. L’expérience montre que notre exhortation à ne pas abuser de l’association libre amène généralement le malade à ne plus se confiner dans les absurdités.

À ce sujet une seule mise au point suffit rarement. Si le malade se trouve de nouveau être en proie à des résistances contre le médecin ou le traitement, il retombe dans ces associations absurdes. Il lui arrive même de vous demander ce qu’il doit faire s’il lui vient à l’idée, non pas des mots entiers, mais des sons inarticulés, des cris d’animaux ou bien des mélodies. Nous invitons le malade à nous exprimer ces sons et mélodies tranquillement comme les associations ordinaires. Nous attirons cependant son attention sur la mauvaise intention que cachent ses scrupules.

On sait qu’une autre expression de la « résistance d’association » est le fait que rien ne vient à l’idée du patient. Nous devons nous attendre à cette éventualité. Mais dès que le malade se tait trop longtemps on peut le plus souvent en conclure qu’il dissimule quelque chose. Il faut donc considérer le silence soudain comme un symptôme « passager ».

Un silence prolongé est souvent provoqué par le fait que l’obligation de tout raconter n’est pas encore prise au pied de la lettre. Interroge‑t‑on le patient après une interruption prolongée sur les contenus psychiques.qui le préoccupaient pendant le silence, il répondra peut‑être qu’il a simplement regardé un objet se trouvant dans la pièce, ou bien éprouvé telle sensation ou telle paresthésie dans une partie de son corps. Il ne nous reste souvent pas d’autre moyen d’en sortir que d’inviter une seconde fois le sujet à nous rapporter tout ce qui se passe en lui, les perceptions sensorielles aussi bien que les idées, sentiments, impulsions. Mais comme on ne peut énumérer tout ce qui est susceptible de traverser l’esprit, le malade, s’il est de nouveau victime de la résistance, trouvera toujours la possibilité de rationaliser son silence et sa dissimulation. D’aucuns disent par exemple qu’ils se sont tus faute d’une idée nette, n’ayant disposé que de sensations vagues et indistinctes. C’est une preuve évidente qu’ils soumettent encore, en dépit de notre conseil, leurs associations à un triage critique.

Si l’on se rend compte que toutes les explications ne servent à rien, il faut en conclure que le patient ne tend qu’à nous engager dans de longues explications et commentaires pour entraver ainsi le travail. Le mieux dans de pareils cas c’est d’opposer au silence du malade son propre silence. Il arrive, ainsi que la plus grande partie de la séance se passe sans que ni le médecin ni le malade aient ouvert la bouche. Or, le malade supporte difficilement le silence du médecin. Il a l’impression que le médecin lui en veut, ce qui l’amène finalement à céder et à abandonner son attitude négative.

Même la menace de tel malade de s’endormir d’ennui ne doit pas nous déconcerter. Il est vrai que certains de mes malades se sont réellement endormis un moment, mais j’ai conclu de leur brusque réveil que le préconscient gardait même pendant le sommeil le contact avec la situation clinique. Le danger que le patient ne dorme pendant toute la séance n’existe donc pas [1].

Certains malades objectent contre la liberté d’association qu’il leur en vient trop d’idées à la fois et qu’ils ignorent lesquelles présenter les premières. Leur permet‑on d’arrêter eux-mêmes l’ordre des idées, ils vous répondent qu’il ne leur est pas possible de décider à quelle association donner la préférence. Je proposai, dans un pareil cas, à un patient de rapporter ses associations dans l’ordre dans lequel elles se présentaient à lui. Le sujet craignit qu’en poursuivant la première idée de la série il n’oubliât les autres. Je le tranquillisai en lui faisant remarquer que tout ce qui est important — alors même qu’il semble au premier abord oublié — réapparaît plus tard sans qu’on intervienne [2].

Des détails dans la présentation des associations peuvent avoir leur importance. Tant que le sujet fait précéder toute association par la phrase : « Je pense à ce que… », il nous montre qu’avant de rapporter ses perceptions il les soumet à un examen critique. Certains sujets aiment mieux présenter des associations sous la forme d’une projection sur le médecin. Ils vous disent par exemple : « Vous vous dites maintenant que j’entends par là… » on bien « Naturellement vous allez l’interpréter dans le sens… » Si nous leur demandons d’éliminer la critique il y a des malades qui nous répondent : « La critique est en définitive également une association ». Il faut le leur concéder sans restriction, toutefois on leur fera remarquer que si l’on observe strictement les règles fondamentales, il est impossible 1° de faire part des idées critiques avant de rapporter les associations ; 2° de remplacer par les idées critiques, les associations même.

J’étais obligé dans un de mes cas, quoiqu’en parfait désaccord en cela avec la règle psychanalytique, de prier le malade de finir chaque fois la phrase commencée, car je m’étais aperçu qu’au moment où la phrase prenait une tournure désagréable, il ne l’achevait jamais, mais glissait au milieu de la phrase par un « à propos » sur une chose sans importance, accessoire. Je lui expliquais que la règle fondamentale n’était certes pas de penser l’association jusqu’au bout, mais de dire jusqu’au bout ce qui avait été pensé.

Il arrive même à des patients très intelligents et généralement compréhensifs d’essayer de pousser la méthode de l’association libre jusqu’à l’absurde, en vous demandant : mais que faire s’il leur venait à l’esprit de se lever brusquement et de s’en aller ou encore de maltraiter l’analyste, de l’assommer, de briser des membres ? Si vous leur faites remarquer que vous ne les avez pas priés de faire tout ce qui leur vient à l’esprit, mais simplement de le dire, ils craignent de ne pas toujours savoir faire une distinction nette entre l’acte et la pensée. Nous pouvons apaiser leur excès de scrupules en leur faisant. comprendre que cette appréhension n’est qu’un souvenir de leur enfance où, en effet, ils n’étaient pas encore capables de faire une pareille distinction.

Certes, il y a des cas plus rares où les sujets sont littéralement dominés par une impulsion, de sorte qu’au lieu de continuer leurs associations, ils se mettent à exprimer leurs contenus psychiques par des gestes. Non seulement ils ne produisent des « symptômes passagers » à la place des associations, mais il leur arrive encore d’exécuter, tout en restant pleinement conscients, des actes compliqués, des scènes entières dont la nature de transfert et de répétition leur échappe complètement. Un jour par exemple un de mes patients se leva brusquement du divan à certains moments exaspérants de l’analyse, et arpenta la pièce en proférant des injures. Gestes et injures trouvèrent dans l’analyse ultérieure leur justification historique.

Une hystérique à qui j’avais réussi à faire abandonner ses pratiques de séduction enfantines (regard suppliant fixé continuellement sur le médecin, toilettes voyantes et exhibitionnistes) se livra un jour sur moi à une agression directe inattendue. Elle se leva d’un coup, désirant être embrassée et finit par passer aux voies de fait. Il va de soi que même en face de pareils incidents le médecin ne doit pas perdre ni son sang-froid, ni la patience indulgente. Il ne doit jamais perdre de vue le caractère de transfert de pareils actes : il restera toujours passif vis‑à‑vis d’eux. Il n’est pas plus indiqué d’opposer à un désir du malade un comportement dicté par l’indignation que de satisfaire ce désir. On peut alors constater que l’agressivité du malade se lasse rapidement et que le trouble, qu’il faut d’ailleurs analyser, disparaît promptement.

Dans un travail intitulé : « L’emploi de mots obscènes », j’ai déjà indiqué qu’il ne fallait pas épargner au malade l’effort nécessaire pour vaincre sa résistance à prononcer certains mots. Je ne saurais conseiller des facilités comme la permission de mettre par écrit certaines confidences ; de pareilles pratiques sont en contradiction avec les buts du traitement qui consiste précisément en ceci que le malade arrive, au moyen d’exercices rigoureux et continuellement progressifs à se rendre maître de ses résistances intérieures. Même dans le cas où le patient s’efforce de se rappeler quelque chose que le médecin connaît déjà, il ne doit pas intervenir inconsidérément s’il ne veut pas risquer de perdre éventuellement de précieuses associations complétives.

Il ne faut évidemment pas que la règle de non‑intervention du médecin soit suivie servilement. Si les exercices acrobatiques des énergies psychiques du malade nous importent momentanément moins, et si nous tenons davantage à hâter certaines explications, nous lui révélerons simplement les associations que nous supposons être en lui et qu’il n’ose pas exprimer. Nous l’engagerons ainsi dans la voie des aveux. L’attitude du médecin au cours de la cure psychanalytique rappelle souvent celle du médecin accoucheur, laquelle attitude reste autant que possible également passive. L’accoucheur en effet doit s’en tenir au rôle d’un spectateur devant un processus de la nature, prêt toutefois à intervenir avec les fers pour mener à bon terme l’accouchement qui refuse d’évoluer spontanément.

II
Interrogations formulées par les patients
Décisions à prendre au cours du traitement

C’est pour moi une règle, chaque fois que le patient me pose une question ou réclame un renseignement, de riposter par la question suivante : Comment êtes‑vous arrivé à me poser cette question ? Si je lui avais simplement répondu, ma réponse aurait écarté la tendance provoquant cette question. Nous attirons de cette façon l’intérêt du sujet sur les sources de sa curiosité et l’analyse de la question lui fait oublier le plus souvent d’insister pour avoir une réponse. Ceci nous montre qu’il ne tient en réalité nullement à ces questions et qu’elles n’importent qu’en tant que manifestations de l’inconscient.

Mais la situation devient particulièrement difficile quand le malade ne nous pose pas une question quelconque, mais nous prie de décider à sa place dans une affaire très importante, par exemple quand il se trouve devant une alternative. Le médecin doit toujours s’efforcer d’ajourner les décisions à prendre jusqu’à ce que l’assurance acquise par le traitement permette au patient d’agir en toute indépendance. On fait donc bien de ne pas croire aveuglément à la nécessité d’une décision immédiate sur laquelle le malade insiste. Il faut envisager la possibilité que de tels problèmes apparemment très actuels, aient peut‑être été inconsciemment mis au premier plan par le sujet même. La manière même dont il nous expose les faits qui l’obligeraient à prendre une décision peut nous faire saisir des matériaux analytiques. Peut‑être nous trouvons‑nous simplement en présence de résistances destinées à troubler l’analyse. Chez une de mes malades cette manière de procéder était si typique que je me vis forcé de lui expliquer, en me servant de termes de guerre très à la mode à cette époque que c’était au moment où toute issue lui faisait défaut qu’elle me criblait de ces problèmes comme de bombes gazées propre à me troubler. Il est évident que le malade se voit parfois au cours du traitement dans l’obligation de prendre réellement une décision dans une question capitale avec impossibilité de la remettre. Même dans ce cas il est préférable d’éviter autant que possible le rôle du guide spirituel à l’instar d’un « directeur de conscience », mais de se borner à celui d’un « confesseur » analytique qui met autant que possible en évidence les divers aspects de toutes les tendances (même celles dont le patient n’a pas conscience) en se gardant d’orienter ses décisions et ses actes dans une direction arrêtée. Sous ce rapport la psychanalyse est diamétralement opposée à toutes les psychothérapies pratiquées jusqu’aujourd’hui, aussi bien les thérapies agissant par suggestion que celles agissant par « persuasion ».

Il y a deux circonstances particulières qui obligent le psychanalyste à intervenir immédiatement dans la vie du patient. Premièrement quand il a la ferme conviction que les intérêts vitaux du malade dictent véritablement une décision urgente que celui‑ci est incapable d’assumer seul. Mais dans ce cas le médecin doit se rendre à l’évidence qu’il n’agit plus en psychanalyste, qu’il peut même résulter de son intervention certaines difficultés pour la suite de la cure, par exemple un renforcement inopportun du transfert. Secondement le psychanalyste doit, le cas échéant, faire appel à la « thérapeutique active » pour pousser le malade à vaincre son incapacité quasiment phobique de prendre une décision quelconque. Cette victoire sur les résistances modifiant les investissements d’affect il en escompte l’accès aux matériaux inconscients jusque là restés inaccessibles [3].

III
Un moyen d’investigation

Chaque fois que le patient apporte une généralité quelconque, soit une locution, soit une affirmation abstraite, il faut lui demander les associations particulières qui lui viennent à l’idée à propos de cette généralité. Cette question m’est devenue si familière que je la pose dès que le sujet en est arrivé à se perdre dans des remarques générales. La tendance à passer du général au particulier et toujours davantage au particulier est d’ailleurs le propre de la psychanalyse. Elle seule aboutit à la reconstitution aussi complète que possible de la vie du malade, à combler ses amnésies névrotiques. Il est donc tout à fait erroné de favoriser le penchant qu’a le malade à généraliser et de subordonner trop tôt les observations sur lui‑même à une thèse générale quelconque. La véritable psychanalyse laisse peu de place aux généralités morales et philosophiques. Elle est une suite ininterrompue d’observations concrètes.

Le moyen réellement approprié pour amener l’analyse du fait éloigné et sans importance aux réalités immédiates et essentielles est l’emploi de l’expression « par exemple ».

Une jeune malade m’en apporta la confirmation par un rêve. Le voici : « J’ai mal aux dents et une joue enflée ; je sais que tout cela ne guérira qu’à la condition que Monsieur X. (mon ancien fiancé) s’y frotte. Pour que la chose soit possible il me faut obtenir l’autorisation d’une dame. De fait, elle me donne cette autorisation et Monsieur X. me frotte la joue avec la main. Une dent en jaillit comme si elle avait poussée à l’instant même et avait été la cause de la douleur. »

Second fragment de rêve : « Ma mère s’informe auprès de moi sur la manière de procéder en psychanalyse. Je lui dis : On s’étend et on rapporte ce qui vous vient à l’esprit. — Mais que dit‑on alors ? me demande ma mère. — Mais précisément tout, tout, sans exception, ce qui vous vient à l’idée. — Mais qu’est‑ce qui vous vient à l’idée, insiste‑t‑elle. — Toutes sortes d’idées, mêmes les plus saugrenues. — Quoi donc, par exemple ? — Par exemple d’avoir rêvé que le médecin vous a embrassé et… — Cette phrase resta inachevée et je me réveillai. »

Je ne vais pas entrer dans le détail de l’interprétation et je ferai simplement remarquer qu’il s’agit ici d’un rêve dont la deuxième partie interprète la première. Cette interprétation se fait tout à fait méthodiquement. La mère qui prend visiblement la place de l’analyste, ne se contente pas de généralités par lesquelles le sujet espère pouvoir se tirer d’affaire. À sa question de savoir ce qui lui vient par exemple à l’idée, aucune réponse de sa fille ne lui paraît satisfaisante, si ce n’est celle qui donne l’unique interprétation sexuelle possible au rêve.

J’ai affirmé dans mon travail « L’analyse des comparaisons » que c’était précisément derrière les comparaisons en apparence négligemment conçues, que se dissimulait le matériel le plus important. Ceci est également vrai pour ces associations déclenchées chez le patient par notre question : « Quoi par exemple ? »

IV
La domination du contre‑transfert

La psychanalyse — à laquelle semble d’ailleurs être échue le rôle de détruire le mysticisme — réussit à déceler le déterminisme simple, on dirait volontiers naïf qui est à la base de la diplomatie médicale, fut‑ce la plus compliquée. Elle a découvert que le transfert sur le médecin était l’élément le plus efficace dans toute suggestion médicale, elle a constaté qu’un tel transfert reproduisait simplement les rapports érotiques infantiles qui jouaient vis‑à-vis des parents, la tendre mère et le père austère. C’est les influences accidentelles ou la disposition constitutionnelle qui déterminent à quel point le patient est plus accessible à tel mode de suggestion qu’à tel autre.

La psychanalyse a découvert que les névrosés étaient comme des enfants et désiraient être traités comme tels. Des hommes au talent médical intuitif s’en sont souvent rendu compte avant nous : ils agissaient au moins, comme si telle avait été leur idée. C’est la raison de la vogue de tel médecin de maison de santé « grossier » ou bien « aimable ».

Or le psychanalyste n’a pas le droit d’être à coeur joie ou doux et plein de pitié ou grossier et dur et d’attendre que le psychisme du malade s’adapte au caractère du médecin. Il faut qu’il sache doser sa sympathie ; même dans son for intérieur il n’a pas le droit de s’abandonner à ses affects, car le fait d’être dominé par des affects, ou par des passions même, constitue un terrain défavorable à la réception et à l’utilisation de données analytiques. Mais le médecin étant tout de même un homme, et comme tel exposé à des états d’âme, à des sympathies et des antipathies, voire à des impulsions, — car, si cette réceptivité lui faisait défaut, il n’aurait aucune compréhension des luttes qui se jouent dans le psychisme des malades — son travail analytique se dédouble continuellement : il faut qu’il observe le malade, qu’il examine ses confidences et se fasse une idée de son inconscient grâce à ses aveux et à son comportement. Il faut d’autre part qu’en même temps il contrôle continuellement son attitude envers le malade et la rectifie au cas où c’est nécessaire, c’est‑à‑dire qu’il domine le contre‑transfert (Freud).

Pour que le médecin soit à la hauteur de cette tâche il faut qu’il ait subi une analyse lui-même ; mais même analysé il peut être encore à la merci de singularités du caractère et de changements d’humeur momentanés : il ne peut donc pas se dispenser de surveiller le contretransfert.

Il est difficile de dire quelque chose de général sur la façon dont le contrôle du contre‑transfert doit s’effectuer, les possibilités en étant trop nombreuses. Si l’on tient à en donner une idée, le mieux c’est de demander des exemples à l’expérience.

Au début de l’activité analytico‑médicale, c’est naturellement des dangers qui menacent de ce côté dont on se doute le moins. On baigne dans l’atmosphère paradisiaque que crée le premier contact avec l’inconscient, l’enthousiasme du médecin se communique au malade, et le psychanalyste doit à cette assurance joyeuse des succès thérapeutiques surprenants. Ces succès sont évidemment de nature très peu analytique. Ils sont davantage de nature suggestive, bref des succès de transfert. Il comprend que dans l’atmosphère de la lune de miel analytique on fasse peu de cas du contre‑transfert et encore moins de la nécessité de le dominer. On succombe à tous les affects que peut créer le rapport du médecin avec le malade ; on se laisse toucher par les récits d’événements tristes que vous fait le malade et parfois même par ses rêveries. On est indigné contre tous ceux qui lui veulent et lui font du mal. Bref, on fait siens tous ses intérêts et on se voit tout étonné quand tel malade chez qui notre attitude a éveillé de vains espoirs se présente soudain devant nous avec des exigences passionnées. Il y a des femmes qui demandent à être épousées par le médecin, des hommes qui lui demandent de les entretenir. Ils tirent de vos propos des arguments pouvant justifier leurs prétentions. L’analyste réussit facilement à se rendre maître de ces difficultés ; il doit signaler au malade la nature de transfert de ses prétentions et s’en servir comme matériel analytique. Ce que nous venons de dire nous permet de nous faire une idée des cas où dans la pratique non‑analytique ou dans la psychanalyse non officielle le médecin est l’objet d’accusations ou même d’inculpations judiciaires : ce que les malades ont su deviner des tendances inconscientes du médecin, se trouve formulé dans leurs plaintes. L’analyste enthousiaste qui dans sa ferveur de guérir et d’élucider veut « sidérer » ses malades n’est pas frappé par les indices plus ou moins importants qui révèlent une fixation inconsciente au patient ou à la patiente. Ceux‑ci au contraire ne s’aperçoivent que trop bien des impulsions du médecin et ils en déduisent très justement la tendance qu’elles impliquent. Ils ne se doutent d’ailleurs pas que l’analyste n’en a pas conscience. Dans de pareils litiges il arrive donc — chose singulière — que les deux partis aient raison. Le médecin peut affirmer par serment que, consciemment, il ne visait que la guérison du malade. Mais le patient, lui aussi, a raison, car inconsciemment le médecin s’est érigé en protecteur ou en chevalier de son client, comme divers indices l’attestent.

Les explications psychanalytiques nous préservent évidemment de pareils déboires. Il arrive cependant que la prise en considération incomplète du contre‑transfert met le malade dans un tel état qu’il n’est plus possible de faire rétrograder cet état. Le malade l’utilise comme prétexte pour interrompre le traitement. Il faut se résigner au fait que tout essai d’une nouvelle règle de technique psychanalytique coûte au médecin un malade.

Quand le psychanalyste a fini par apprendre à connaître les symptômes du contre‑transfert et quand il a réussi à contrôler ses actes et ses propos, voire même ses sentiments, il est menacé du danger de tomber dans l’autre extrême et de se montrer au malade dans une attitude trop raide et trop défensive. Il risque ainsi d’entraver sinon de rendre impossible la réalisation du transfert, condition préliminaire de toute réussite psychanalytique. Cette seconde phase pourrait être désignée sous le nom de phase de la résistance au contre-transfert. L’excès de scrupules est, sous ce rapport, contraire à la véritable attitude du médecin et ce n’est qu’après avoir dépassé cette phase qu’on s’élève peut‑être à la troisième phase celle de la domination du contre‑transfert.

Ce n’est que lorsque on y sera parvenu, c’est‑à‑dire, quand on sera sûr que le gardien institué à ce propos nous préviendra tout de suite si les sentiments vis‑à‑vis du malade menacent de dépasser la juste mesure soit dans le sens positif, soit dans le sens négatif, ce n’est qu’alors que le médecin pourra « se laisser aller », conformément à ce qu’exige le traitement psychanalytique.

La thérapeutique analytique demande, comme nous le voyons, au médecin des lignes de conduite diamétralement opposées l’une à l’autre. Elle lui demande d’une part le libre jeu des associations et de l’imagination, le « laisser‑aller » de son inconscient, car Freud nous a appris que c’est seulement en procédant ainsi que nous arrivons à comprendre intuitivement les manifestations de l’inconscient du malade dissimulées dans les matériaux analytiques qu’il nous apporte. Il faut d’autre part que le médecin soumette aussi bien ses matériaux à lui que ceux du client à un examen logique et se fasse guider dans ses actes et dans ses propos exclusivement par les résultats de cette investigation intellectuelle. On finit à la suite de certains signes automatiques du préconscient par apprendre à interrompre le laisser‑aller et à lui substituer une attitude critique. Cette oscillation continuelle entre le libre jeu de l’imagination et celui d’un examen critique demande au médecin ce qui est exigé nulle part ailleurs : une liberté et une souplesse dans les investissements psychiques exemptes de toute inhibition.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article original de Sandor Ferenczi, « Sur la technique psychanalytique », traduit de l’allemand par Henri Hoesli, in Revue Française de Psychanalyse, Troisième année, T. III, n° 4, Éd. G. Doin et Cie, 1929, pp. 617-630.

Notes

[1Il arrive aussi que le médecin laisse échapper au cours de telle séance les associations du malade et qu’il ne sente se réveiller son intérêt qu’à partir de certaines manifestations du patient. Mais ceci ressortit au chapitre du « contre‑transfert ». Il se peut dans ces conditions que le médecin s’assoupisse pendant quelques secondes. Un examen ultérieur nous fait généralement apercevoir que c’est le vide et le manque d’importance des associations apportées par le malade qui ont détourné de lui notre attention consciente. La première association intéressant d’une façon ou d’une autre la cure du patient nous retrouve à notre poste. Le danger que le médecin ne s’endorme et n’omette d’observer le malade, n’est pas très grand. (Un entretien que j’ai eu à ce propos avec le professeur Freud confirmait pleinement cette observation).

[2Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de souligner expressément que l’analyste est tenu à éviter tout mensonge vis‑à‑vis du malade. Ceci aussi bien en ce qui concerne des questions se rapportant à la méthode qu’à celles se rapportant à la personne du médecin. Que l’analyste soit comme Epaminondas de qui Cornelius Nepos rapporte qu’il « nec joco quidem mentiretur ». Certes il faut que le médecin cache au début au malade une partie de la vérité, celle p. ex. que celui‑ci ne peut pas‑encore supporter, c’est‑à-dire il faut qu’il règle le temps des élucidations successives.

[3Voir mon exposé « Technische Schwierigkeiten einer Hysterieanalyse » (publiée dans mon livre Hysterie und Pathoneurosen, lnt. Psa. Bibl., vol III, 1919) et la conférence de Freud faite au cinquième Congrès international de psychanalyse à Budapest 1918 : « Wege der psychoanalytischen Therapie » (Œuvres complètes vol. VI).

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