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Sigmund Freud

Sur les transformations des pulsions particulièrement dans l’érotisme anal

Revue Française de Psychanalyse (1928)

Date de mise en ligne : dimanche 17 juin 2012

Langue de cet article : Deutsch > Über Triebumsetzungen, insbesondere der Analerotik

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Sigmund Freud, « Sur les transformations des pulsions particulièrement dans l’érotisme anal », traduit de l’allemand par Édouard Pichon et Henri Hoesli, in Revue Française de Psychanalyse, Tome II, n° 4, Éd. Doin et Cie, 1928, pp. 609-616.

Sur les transformations des pulsions particulièrement dans l’érotisme anal
Par S. FREUD
(Traduit de l’allemand par Éd. Pichon et H. Hoesli)

Guidé par les observations psychanalytiques, j’ai émis, il y a quelques années, l’hypothèse que, quand un même sujet était à la fois soigneux, parcimonieux et têtu, la rencontre de ces trois traits de caractère indiquait un renforcement de la composante érotico‑anale dans sa constitution psychique. Ces modes de réaction particulièrement chers au moi du sujet se développeraient, au cours de l’évolution de celui‑ci, par consommation de l’érotisme anal.

Je ne tenais, à cette époque, qu’à faire connaître une relation réellement établie cliniquement ; sa justification théorique m’importait peu.

Que l’avarice, la méticulosité et l’obstination aient toutes trois leurs sources instinctives dans l’érotisme anal — ou, pour m’exprimer plus prudemment et plus complètement, qu’elles tirent des éléments importants de cet érotisme —, c’est une conception qui a été partout admise, osé‑je croire. Les cas auxquels l’association de ces trois traits de caractère conféraient un aspect particulier (formant le « caractère anal ») n’étaient que des exemples extrêmes qui laissaient deviner, même à une observation superficielle, la relation ci‑dessus indiquée.

Quelques années plus tard, ayant acquis une expérience analytique particulièrement instructive, je pus inférer, d’abondantes impressions cliniques, la donnée suivante : il faut admettre dans l’évolution de la libido humaine une organisation prégénitale précédant la phase de la primauté génitale ; et dans cette organisation prégénitale, le sadisme et l’érotisme anal jouent les premiers rôles.

Il était dès lors impossible de ne pas se demander ce que devenaient les pulsions érotico-anales, après que la réalisation de l’organisation génitale définitive les avait privées de leur rôle dans la vie sexuelle ? Continuaient‑elles à exister comme telles, mais refoulées ; s’éteignaient‑elles par sublimation, ou par consommation sous forme de traits de caractère ; ou bien étaient‑elles admises dans la nouvelle organisation sexuelle, à primauté génitale ? À vrai dire aucune de ces éventualités ne doit probablement enclore à elle seule la destinée de l’érotisme anal ; la question sera donc mieux posée comme suit : dans quelle mesure et de quelle façon les différentes conjonctures décident‑elles des destinées de cet érotisme anal, dont les sources organiques ne peuvent pas être taries par l’avènement de l’organisation génitale ?

On pourrait croire qu’il ne manque pas de matériaux pour répondre à ces questions, puisque le processus d’évolution et de transformation dont il s’agit ici a dû s’effectuer chez tous les sujets que l’on a à psychanalyser. Mais ces matériaux sont si obscurs, le grand nombre et la relative similitude des impressions cliniques recueillies sont si déconcertants qu’aujourd’hui encore je ne puis apporter une solution complète du problème, mais de simples contributions à sa solution.

Je ne me priverai pas, si l’occasion s’en présente, de citer d’autres transformations de pulsions, ne concernant pas l’érotisme anal. Enfin, il est à peine nécessaire d’indiquer que les processus évolutifs que je vais exposer n’ont pu être décelés — ici comme partout ailleurs — que grâce à la régression névrotique.

Que les productions de l’inconscient — associations, phantasmes, et symptômes — distinguent mal entre les excréments (argent, cadeaux), l’enfant et le pénis, et remplacent tacitement chacun de ces éléments par l’un des deux autres, voilà une notion qui peut servir de point de départ aux considérations ci‑dessous. À la vérité nous nous rendons bien compte qu’en nous exprimant ainsi nous avons tort de transposer dans l’inconscient des dénominations convenant à d’autres domaines de la vie psychique, et que nous nous laissons séduire par la commodité qu’apporte cette comparaison. Redisons donc, sous une forme cette fois irréprochable, que ces éléments sont souvent traités dans l’inconscient comme s’ils s’équivalaient et pouvaient être changés sans aucun inconvénient.

C’est pour la relation enfant‑pénis qu’on remarque cela le plus facilement. Dans le langage symbolique du rêve et de la vie quotidienne, ces deux notions peuvent s’exprimer par un symbole commun : tant l’enfant que le pénis s’appelle das Kleine (la petite chose) [1]. C’est un fait que le langage symbolique se dispense souvent de distinguer entre les sexes. L’expression « la petite chose » se rapportant primitivement au membre viril, a pu être employée ensuite pour désigner les parties génitales de la femme.

En pénétrant plus avant dans les névroses des femmes, il n’est pas rare d’y découvrir, de la part de la malade, le désir refoulé de posséder un pénis à l’instar de l’homme. Ce désir infantile, que nous rangeons, sous la désignation d’envie du pénis, dans le complexe de castration, s’est vu réactivé par une infortune accidentelle dans la vie génitale de la malade, cette infortune n’étant d’ailleurs bien souvent elle‑même que la conséquence d’une disposition fortement masculine. La régression de la libido fait de ce désir infantile le facteur principal des symptômes névrotiques.

Chez d’autres femmes, rien ne témoigne de ce désir d’avoir un pénis ; c’est celui d’avoir un enfant qui s’y substitue. Si ce dernier désir n’est pas réalisé dans la vie, une névrose peut se déclarer. Tout se passe comme si ces femmes avaient compris — ce qui pourtant ne saurait être — que la nature leur eût donné l’enfant en place de cette autre chose qu’il fallait qu’elle leur refusât.

D’autres femmes encore nous apprennent qu’elles ont, dans le cours même de leur enfance, éprouvé successivement les deux désirs : désir du pénis d’abord, désir de l’enfant ensuite.

On ne peut pas douter que des facteurs accidentels de la vie infantile, tels que l’existence ou le manque d’un frère, la naissance d’un autre enfant à un moment propice, ne soient la cause de cette diversité, de sorte que le désir du pénis serait au fond tout de même identique à celui d’avoir un enfant.

Il nous est possible d’indiquer ce que devient le désir infantile d’avoir un pénis quand l’écoulement ultérieur de la vie ne réalise aucune condition pathologique névrosante. Le désir qu’a la fillette du pénis se change chez la femme en désir de l’homme : dans cette transformation, le mâle est accepté comme un accessoire du pénis. Une tendance primitivement dirigée contre la fonction sexuelle féminine devient, par ce détour, favorable à cette fonction même. Une vie amoureuse de type masculin est ainsi permise à la femme, à côté de celle purement féminine issue du narcissisme. Or nous avons déjà appris d’autre part que, souvent, l’enfant seul rendait possible le passage de l’amour narcissique à l’amour objectal. L’enfant apparaît là aussi comme équivalent au pénis.

J’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de me faire conter des rêves faits par des femmes après leurs premières cohabitations. Or ces rêves décelaient, sans aucun conteste, un désir de garder le pénis qu’elles avaient senti en elles. Ils correspondaient donc, abstraction faite de l’explication libidinale, à une légère régression : l’objet du désir, en effet, n’était plus l’homme : il redevenait le pénis. Rationnellement, le désir que la femme a de l’homme tend certainement à se ramener à celui qu’elle a de l’enfant, car il faut bien qu’elle comprenne tôt ou tard qu’il n’y a pas d’enfant possible sans l’intervention de l’homme. Mais il est plus probable qu’en réalité la femme désire l’homme indépendamment de son désir de l’enfant, et que quand, pour des raisons bien compréhensibles qui appartiennent à la psychologie du moi, ce désir du mâle se manifeste, le désir archaïque du pénis s’y associe comme un renforcement libidinal inconscient.

L’importance du processus étudié ici réside en ceci qu’il change une partie de la virilité narcissique de la jeune femme en féminité, et la rend de ce fait inoffensive pour la fonction sexuelle féminine.

D’autre part, une portion de l’érotisme de la phase pré‑génitale peut désormais être utilisée dans la phase de primauté génitale. L’enfant est et reste considère comme un « loumf » (voir l’analyse du petit Hans), comme quelque chose qui se sépare du corps par le rectum ; une partie de l’investissement libidinal attaché an contenu du rectum peut être étendu ainsi sur l’enfant, sorti du rectum. Un témoignage linguistique de l’identité entre enfant et excréments est conservé dans la locution « ein Kind schenken » (faire cadeau d’un enfant). Les excréments sont le premier cadeau : c’est une partie de son corps dont le nourrisson ne se sépare que grâce aux encouragements de la personne aimée, et au moyen de laquelle il lui témoigne, même spontanément, sa tendresse : il ne souille en général pas les étrangers. (Noter que des réactions analogues, mais toutefois moins intenses, existent pour l’urine). Dans la défécation, l’enfant est obligé de choisir une première fois entre l’attitude narcissique et l’amour objectal. Ou bien il cède les excréments sans difficulté, les sacrifie à l’amour ou bien il les retient pour en tirer des jouissances érotiques, et plus tard pour affirmer sa volonté. L’entêtement, l’obstination ont donc leur origine dans une fixation narcissique à l’érotisme anal.

Il est probable que l’étape suivante de l’intérêt porté aux excréments est celle où ils prennent la signification de cadeau et non pas celle d’or et espèces monnayées. L’enfant ne connaît pas d’autre argent que celui qu’on lui donne. Il ignore l’argent gagné par le travail, ou hérité. Les excréments étant son premier cadeau, il reporte facilement son intérêt pour ceux‑ci sur l’argent, qui lui apparaît comme un cadeau important dans la vie. Si l’on doute de cette interprétation, l’on n’a qu’à consulter son expérience psychanalytique, tant quant aux cadeaux qu’en qualité de médecin on a pu recevoir des malades, que quant aux tempêtes de transfert qu’on a pu provoquer par les cadeaux qu’éventuellement l’on a offerts à ses malades.

Une partie de cet intérêt pour les excréments est ainsi continuée par l’intérêt pour l’argent ; l’autre partie se change en désir d’avoir un enfant. Une pulsion érotico‑anale et une autre génitale (l’envie du pénis) s’associent dans ce désir d’avoir un enfant.

Mais le pénis a encore une signification érotico‑anale indépendante de l’intérêt pour l’enfant. La relation entre le pénis et le canal muqueux empli et excité par lui se trouve déjà pré-figurée à la phase sadico‑anale, phase prégénitale. Le boudin fécal — ou le bâton d’excréments, suivant l’expression d’un malade — est pour ainsi dire le premier pénis ; il excite une muqueuse celle du rectum. Il y a des personnes chez qui l’érotisme anal est resté fort et intact jusqu’à l’âge prépubéral (dix à douze ans) ; ces personnes nous apprennent que, dès la phase prégénitale, elles constituaient, dans des phantasmes ou des jeux pervers, une organisation analogue à celle de la phase génitale, le pénis et le vagin étant seulement remplacés respectivement par le bâton fécal et le rectum. Chez d’autres — les névrosés obsessionnels —, on peut constater le résultat d’une régression de l’organisation génitale : or, il se manifeste par ce fait que tous les phantasmes conçus primitivement sur le mode génital prennent un caractère anal ; le bâton fécal prend la place du pénis, le rectum celle du vagin.

Quand l’intérêt pour les excréments subit sa diminution normale, l’analogie que nous avons mise en évidence joue de telles sorte que cet intérêt se reporte sur le pénis. Que si les recherches sexuelles amènent ultérieurement le sujet à croire que l’enfant naît du rectum, l’enfant devient l’héritier principal de l’érotisme anal ; mais, en cela comme ailleurs, le pénis aura été le prédécesseur de l’enfant.

Embrasser dès maintenant d’un coup d’oeil les diverses relations entre les excréments, le pénis et l’enfant, je suis convaincu que c’est impossible ; je vais essayer de pallier à cette imperfection en représentant graphiquement ces relations, pour pouvoir rediscuter les mêmes données dans un ordre différent. Malheureusement cet artifice n’a pas assez de souplesse pour se plier à toutes nos intentions, ou tout au moins nous n’avons pas encore appris à nous en servir comme il le faudrait. N’exigeons donc pas trop du schéma ci‑joint.

Provenu de l’érotisme anal, l’entêtement constitue, au service du narcissisme, une réaction importante du moi contre les exigences d’autrui. L’intérêt pour les excréments devient l’intérêt pour le cadeau, et ensuite pour l’argent.

Avec l’entrée du pénis en ligne de compte naît chez la jeune fille l’envie dudit, envie qui se transforme plus tard en désir du mâle, possesseur de pénis. Mais, déjà auparavant, le désir du pénis s’est changé en désir d’avoir un enfant. Une analogie organique entre le pénis et l’enfant (ligne pointillée) se traduit par le fait que tous deux ont un symbole commun (la petite chose). Par voie rationnelle (ligne double), l’aspiration vers l’enfant aboutit à l’aspiration vers l’homme. La signification de cette transformation de pulsion a déjà été étudiée.

Dans le sexe masculin, le problème nous présente un aspect beaucoup plus net. Quand les recherches sexuelles du petit garçon lui font découvrir le manque de pénis chez la femme, il se met à considérer de ce fait le pénis comme quelque chose qui peut se séparer du corps, et qui par conséquent est analogue aux excréments, la première partie de l’organisme à laquelle il ait fallu renoncer. La vieille obstination anale trouve ainsi place dans le complexe de castration dès que celui-ci se constitue. L’analogie organique suivant laquelle, chez la femme, le contenu du rectum représentait par rapport au rectum, dans la phase prégénitale, l’archétype de ce que serait ultérieurement le pénis par rapport au vagin, ne peut pas, ici, entrer en ligne de compte comme motif physiologique réel ; mais cette lacune trouve dans les recherches sexuelles une compensation psychique.

Quand, dans l’entourage d’un sujet, naît un nouvel enfant, les recherches sexuelles du sujet le lui font considérer comme un « loumf ». Il est donc investi d’un puissant intérêt érotico-anal. Le désir d’avoir un enfant reçoit un second renforcement, de même origine, le jour où la vie vient à faire comprendre au sujet que l’enfant peut être considéré comme une preuve d’amour, un cadeau.

Le bâton fécal, le pénis et l’enfant sont tous trois des corps solides qui par leur entrée ou leur sortie excitent un canal muqueux : savoir le rectum, et le vagin, qui, selon l’heureuse expression de Mme Lou Andréas‑Salomé, lui est pour ainsi dire pris à loyer. L’investigation infantile saisit uniquement que l’enfant prend un chemin qu’elle croit le même que celui du bâton fécal ; elle ne découvre généralement pas la fonction du pénis. Mais il est intéressant de voir qu’une concordance organique réapparaît, après tant de détours, dans le domaine psychique, à titre d’identité inconsciente.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article original de Sigmund Freud, « Sur les transformations des pulsions particulièrement dans l’érotisme anal », traduit de l’allemand par Édouard Pichon et Henri Hoesli, in Revue Française de Psychanalyse, Tome II, n° 4, Éd. Doin et Cie, 1928, pp. 609-616.

Notes

[1Il nous a été impossible de traduire adéquatement ce passage en français : « Das Kleine » signifie proprement le petit, mais au neutre. Cette nuance ne peut pas être rendue dans la langue française, qui ne possède pas de neutre, et où les choses ne figurent jamais que sous une image masculine ou féminine. Pour une expression française analogue à celle signalée par M. Freud, cf. : l’expression le petit frère, et l’expression enfantine la petite bête. (Note des traducteurs.)

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