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Sophie Morgenstern

Symbolisme et valeur clinique des créations imaginatives chez l’enfant

Psychanalyse infantile (Introduction)

Date de mise en ligne : dimanche 29 septembre 2013

Sophie Morgenstern, Psychanalyse infantile. Symbolisme et valeur clinique des créations imaginatives chez l’enfant, Éditions Denoël, Paris, 1937.

PSYCHANALYSE INFANTILE
Symbolisme et valeur clinique des créations imaginatives chez l’enfant

INTRODUCTION

En envisageant les créations imaginatives de l’enfant sous l’angle du symbolisme et de leur valeur clinique, nous leur attribuons en même temps une base morbide et un but libérateur. Cependant nous nous rendons bien compte que l’enfant crée un conte ou fait des dessins seulement pour s’amuser. En nous occupant ici des productions imaginatives des enfants névrosés ou des enfants souffrant de troubles du caractère, nous aborderons en premier lieu la question de la névrose infantile. En étudiant les névroses infantiles, nous avons trouvé qu’elles ont les mêmes origines, la même structure et le même but que les névroses des adultes.

La différence se présentait dans le manque plus ou moins grand de refoulement. Les conflits et les problèmes qui sont à l’origine des névroses ou des troubles du caractère de l’enfant sont en principe plus facilement accessibles que ceux des adultes, n’ayant pas encore été plonges dans les couches profondes de l’inconscient. Il existe cependant une autre difficulté, à laquelle on se heurte en psychanalyse. infantile, c’est l’entrée en contact avec l’enfant en général et avec un enfant névrosé en particulier.

Comme nous avons déjà indique, en examinant la pensée magique chez l’enfant, celui‑ci a tendance à se retirer dans une tour d’ivoire, c’est‑à‑dire à créer un monde à lui, dans lequel il s’enferme, car en s’exprimant par les mêmes paroles et les mêmes formules que l’adulte, il peut exprimer tout de même des idées bien différentes. C’est presque un langage chiffré dont il se sert et qui souvent ne peut même être utilisé comme moyen de communication avec un autre enfant, n’ayant souvent de valeur que pour celui qui s’en sert. Nous pourrions dire, sans grande erreur, que le langage de l’enfant représente une monnaie qui n’a pas cours en dehors du monde de son possesseur. C’est la raison pour laquelle Piaget rapproche la pensée de l’enfant à celle du schizophrène et pour laquelle il parle de l’autisme chez l’enfant. Il faut connaitre les problèmes et les complexes du schizophrène pour comprendre son langage et ses actes apparemment bizarres et incompréhensibles, mais chargés d’un sens caché sous des symboles d’habitude peu transparents.

À la base de cette mascarade de la pensée et du comportement se trouve un événement douloureux, un échec ou un traumatisme affectifs. L’individu frappé de ce traumatisme s’éloigne de la réalité et s’enferme dans un monde qui lui permet des réalisations magiques. Ce sont ces réalisations qu’il exprime par son langage bizarre et par ses actes incompréhensibles au prime abord.

Bleuler, le génial créateur de la formule schizophrénique, a donné le nom d’autisme à la pensée et au comportement du schizophrène-autisme — cela veut dire dirigé par l’élément affectif, par le désir et par l’instinct ; dernièrement, il remplaça le nom d’autisme par celui de « déreïsme » pour souligner l’éloignement de la pensée schizophrène de la réalité.

Nous n’exagérons pas, si nions disons que le travail que demande la compréhension de cette pensée et de ces actes ressemble au travail qu’il faut faire pour déchiffrer des hiéroglyphes. Il faut une connaissance approfondie de la personnalité décousue du schizophrène, de ses moyens de s’exprimer, pour le comprendre.

Nous trouvons la même orientation affective dans les pensées et les actes de l’enfant. Souvent les grandes personnes accusent l’enfant de mensonge ou de mauvaise volonté, quand il ne s’agit en réalité que d’une orientation de la pensée et des actes dissemblable de celle de l’adulte — orientation d’après une constellation affective. Les mêmes faits sont vus par l’enfant et par l’adulte sous deux angles divers. Dans certains cas il n’y a même pas moyen de se comprendre, c’est comme si on parlait deux langues différentes. Il n’est pas toujours facile de trouver le sens réel des dires et des actes de l’enfant, car il n’est pas toujours capable d’expliquer les motifs qui l’ont poussé à prononcer telles paroles ou commettre tel acte. L’intuition des parents et des éducateurs les aide à pénétrer dans ce monde, si lointain de celui de l’adulte. Chacun de nous a traversé cette époque de sa vie et a été probablement préoccupé dans une mesure plus ou moins grande des mêmes conflits et des mêmes problèmes. Mais comme il existe une amnésie pour la période de notre vie sexuelle de la plus jeune enfance, il est probable qu’avec l’évolution de nos mécanismes intellectuels et affectifs, nous abandonnons leurs stades antérieurs, auxquels nous ne retournons que soit dans la démence sénile, soit dans d’autres états de diminution de nos forces intellectuelles. Ce procédé se trouve en pleine concordance avec la loi de Jackson selon laquelle la dissolution suit une voie inverse de l’évolution, que la destruction atteint d’abord nos mécanismes les plus élevés, le plus tardivement acquis. Pour approcher ce monde infantile, il faut en premier lieu se familiariser avec l’expression de ses créations imaginatives, il faut tâcher de connaître leur symbolisme.

Nous voulons dans ce travail étudier le symbolisme des créations imaginatives de l’enfant, sous les formes du jeu, des rêves, des contes créés par l’enfant même ou choisis par lui parmi ceux qui existent, enfin et surtout du dessin infantile. Nous étudierons ces créations surtout auprès de l’enfant névrosé, de l’enfant en difficultés avec son entourage dues aux troubles du caractère. Nous avons choisi cette voie d’étude car nous comprenons mieux nos propres manifestations psychologiques et celles de notre entourage après avoir acquis la connaissance des mécanismes psychologiques du névrosé et même de l’aliéné.

Plus nous pénétrons dans ce monde étrange, mieux nous nous apercevons d’une étroite parenté entre la pensée du névrosé, du primitif et de l’enfant. Le lien qui existe entre ces différentes pensées est l’élément métalogique, l’élément affectif, magique, qui permet de réunir l’un à côté de l’autre des faits et des qualités qui en réalité sont ou très éloignés les uns des autres, ou qui s’excluent complètement. Pour comprendre le sens de ces pensées et de ces actes, il faut être familiarisé avec la valeur et le sens du symbole et de l’élément affectif. Ce sont eux qui dirigent la vie du névrosé, du primitif, de l’enfant. Ce rapprochement deviendra encore plus évident si nous comparons des exemples de la pensée et des actes de ces trois catégories de l’être humain.

Une schizophrène, que Jung a étudiée à fond, dit d’elle‑même : « Je suis les grues d’Ibycos. Je suis la Suisse. » Cette même malade abîma une robe neuve en la découpant pour ajouter à cette robe une longue traîne. Les pensées et l’activité de cette malade nous apparaissent incompréhensibles et insensées. Et cependant entre ses phrases existe un lien très étroit et même logique, si nous acceptons leurs prémisses, et son acte bizarre a un sens précis, si nous connaissons ses motifs.

Elle se croyait dans son délire un être exceptionnel, la reine des reines, qui domine tous les êtres humains et qui possède un pouvoir sans bornes. Elle était comme les « grues d’Ibycos, sans peur et sans reproche » et elle voulait quitter la clinique, c’est‑à‑dire vivre en liberté. Les grues d’Ibycos avaient aidé à découvrir la vérité sur le crime commis par ses assassins, d’autre part elles volent dans l’air, elles sont libres.

La Suisse est pour elle le symbole de la liberté. En s’identifiant aux grues d’Ibycos et à la Suisse en même temps, elle exprimait qu’elle était sans peur et sans faute comme les grues d’Ibycos et qu’elle avait aussi comme elles, mais aussi commue la Suisse, qu’elle représentait, le droit à la liberté, le droit de quitter la clinique.

Comme reine elle est obligée de porter, aux grandes occasions, une robe à longue traîne, mais de profession elle était couturière. Dans sa nouvelle orientation pragmatique, la même personne peut être investie de deux professions qui n’ont rien de commun, comme celle d’une reine et celle d’une couturière. Sans se sentir diminuée dans sa majesté, elle manie les ciseaux et l’aiguille et arrange sa robe neuve d’après son complexe de grandeur. Après ces renseignements, ni les pensées de notre malade ni son comportement ne sont plus pour nous bizarres et incompréhensibles. Ses pensées et ses actes sont dirigés par l’élément affectif — le désir de comparaître dans son rôle d’une reine, et le désir de quitter la clinique. Il lui suffit d’exprimer ses pensées, d’abîmer sa robe pour arriver à ses fins, car la réalité ne compte pas pour elle, qui en a perdu le sens. Elle rentrait de ses promenades en ville à l’asile avec son port majestueux et n’a jamais fait l’essai de rester en liberté. Sa pensée et ses actes sont restés de purs symboles.

Que fait le primitif pour la réalisation d’un désir difficile ou impossible à atteindre ? Il exécute une série d’actes symboliques et il attribue à ces actes une réalité. Ainsi, pour obtenir la pluie après une période de sécheresse, il exécutera, caché sous un masque, les danses de la pluie qui ont, d’après lui, le pouvoir de la faire venir. Pour devenir fort, puissant et courageux, un jeune guerrier met le masque d’un grand guerrier mort. Pour se venger d’un ennemi, le primitif exécutera des actes magiques destructifs sur les ongles, les cheveux ou un bout de tissu du costume de son ennemi et croira que le mal qu’il a fait à ces objets se transmettra à leur propriétaire. L’acte symbolique remplace pour lui l’acte réel.

Nous avons rapproché la pensée infantile de celle du schizophrène et nous avons donné comme base de l’autisme un événement douloureux, un traumatisme affectif qui a pour effet chez celui qui en était frappé l’éloignement de la réalité. On est peut‑être étonné d’apprendre que l’enfant subit dans sa vie parmi les adultes de multiples traumatismes affectifs. Il est probablement tout le temps humilié vis‑à‑vis de l’adulte. Le fait d’être commandé, d’être obligé d’exécuter les ordres des adultes, de ne pas être en état d’accomplir les mêmes actes que les grandes personnes, ce sont des drames continuels qui se jouent dans l’âme infantile. Ces traumatismes sont adoucis par l’amour que l’enfant ressent de la part des parents et qu’il a lui‑même pour ses parents ou surtout pour l’un d’eux, ou pour ses éducateurs.

L’enfant fait entre les événements des rapprochements qui rappellent ceux du primitif et du schizophrène. Ainsi, un jeune garçon de six ans, Michel D…, accusait sa mère, souvent en présence d’autres personnes, d’avoir donné, il y avait un an, des arrhes pour un costume de marin commandé pour lui, mais qu’elle n’était jamais allée chercher. La mère se rappela avoir été un an auparavant, une seule fois, dans un magasin très éloigné de son quartier et qu’elle y avait acheté des chaussettes pour ses enfants, mais il n’était pas question d’un costume de marin.

L’enfant me raconta qu’il désirait beaucoup avoir un costume de marin et qu’il en avait vu dans ce magasin ; il crut que l’argent que sa mère avait donné au marchand était des arrhes pour son costume. Quand sa mère lui avait acheté dernièrement un costume en velours, il crut qu’elle avait oublié l’autre. La mère nous confirme que dans le magasin en question il y avait des costumes de marin tout faits. Pour cet enfant, le désir de posséder un costume de marin était si fort que, quand sa mère lui acheta un costume de velours, il crut qu’elle s’était trompée, car elle n’avait qu’à retourner dans l’autre magasin pour lui apporter le costume tant désiré ; pour lui l’argent payé pour les chaussettes s’était transformé dans des arrhes pour un costume.

Le raisonnement de notre petit malade a un caractère autistique, comme nous avons eu l’occasion de l’apprendre chez la malade qui s’identifiait avec les grues d’Ibycos on chez le primitif qui, ayant exécuté un acte magique sur l’effigie de son ennemi, s’imagine l’avoir tué. Nous avons choisi un exemple très simple pour démontrer le mécanisme de la pensée chez l’enfant. Nous aurons dans la suite l’occasion de nous familiariser avec des manifestations plus compliquées et plus significatives pour la connaissance de la valeur clinique et pour l’influence thérapeutique des créations imaginatives chez l’enfant.

Nous avons déjà indiqué la difficulté qui se présente pour entrer en contact avec l’enfant, mais nous voudrions indiquer surtout deux obstacles qui s’y opposent, celui de la méfiance de l’enfant à l’égard des grandes personnes, et celui du besoin qu’a l’enfant d’entourer tout ce qui a trait à sa vie affective du plus grand secret, d’un mystère. Il faut se considérer comme très privilégié si l’enfant nous confie ses projets d’avenir souvent fantastiques ou s’il nous admet comme partenaire dans ses jeux.

Voir en ligne : Psychanalyse infantile > Chapitre I > Le jeu infantile

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage original de Sophie Morgenstern, Psychanalyse infantile. Symbolisme et valeur clinique des créations imaginatives chez l’enfant, Éditions Denoël, Paris, 1937.

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