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Un tramway nommé... Érotisme anal

À propos de l’érotisme anal selon Joseph Eisler

Date de mise en ligne : samedi 1er avril 2006

Auteur : Paul PAPAHAGI

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Texte ayant servi de base à l’intervention de Paul Papahagi au cartel sur la « Jouissance féminine et mystique » (séance du 16 mars 2006).

I. - En guise d’introduction, une certaine fraîcheur

L’auteur du présent récit de cas, Mickaël Joseph Eisler, appartient à la première génération d’analystes et son propos n’est pas dépourvu de fraîcheur même s’il tient le cas qu’il expose pour une illustration de l’érotisme anal. Du reste, érotisme anal et homosexualité latente reviennent en leitmotiv à qui mieux mieux.

Il a fallu à Lacan beaucoup cheminer pour se détacher de ce lourd fardeau des origines, du reste son texte de 1938 sur les complexes familiaux en garde des traces.

À lire attentivement, cette scrupuleuse observation où le souci de clarté ne le cède en rien aux tendances spéculatives du théoricien de la première heure, on peut facilement passer de l’émerveillement à un certain agacement.

Où l’auteur est-il allé chercher ce fameux érotisme anal qui, tel un tramway, revient à chaque pas dans son texte ? Tout d’abord dans une revue qui se veut exhaustive de la littérature analytique, mais aussi dans sa propre structure qu’il semble royalement méconnaître ; ce qui ne peut que rappeler les psychiatres de l’âge classique se perdant eux-aussi dans d’interminables récits de cas, tout en se croyant extérieurs à ce dont ils parlaient. Pas étonnant que deux éminents experts aient trouvé les sœurs Papin normales car un fou ne peut pas réussir aussi bien son acte. Ça reste d’une grande actualité à ne s’en tenir qu’au procès d’Outreau...

Alors que notre scrupuleux psychologue hongrois ne va pas jusqu’à conclure que son patient souffrait d’une névrose obsessionnelle et alors que l’hystérie est tellement patente qu’il ne peut pas éviter de l’évoquer, tout de même il va jusqu’à citer un article de Jones qui s’intitule : « La haine et l’érotisme anal dans les névroses obsessionnelles » ; ce qui explique le lapsus de Lacan - qui n’en était peut-être pas un - qui l’appelle Hasler, ce qui en traduction libre pourrait donner quelque chose comme « Le Haineux ».

En revanche les nombreuses déformations que l’on retrouve dans le texte de Lacan peuvent témoigner de son irritation à lire le texte. Et quand l’un des élèves de Lacan, Jean-Jacques Gorog, pour qui L’hystérie masculine pose problème du fait du réel de la différence anatomique des sexes, qui conclu face à cette observation à un diagnostic de névrose obsessionnelle, en récusant le diagnostic de Lacan, mon étonnement est à son comble.

Voilà un obsessionnel qui souffre de douleurs lancinantes, perte de connaissance et un vilain fantasme de fellation, preuve incontestable de son homosexualité passive et latente. Je caricature à peine.

I. - Le cas

Je ne peux que rappeler le livre de Jean-Pierre Winter, Les errants de la chair. L’auteur aborde l’hystérie masculine en lacanien et fait référence à Charcot et à ses cas d’hystérie masculine.

Cet employé des tramways, un wattman, comme on les appelait dans la Miteleuropa de Freud, souffre de crises douloureuses après être tombé de son tramway roulant à pleine vitesse.

Scrupuleusement, l’auteur note que les crises surviennent environ toutes les deux semaines et durent quatorze à seize heures.

Le patient a été radiographié ce qui lui a fait la plus vive impression. Il a été déçu de ne pas avoir été opéré ensuite, mais pour enlever quoi ?

À l’hôpital on a conclu à un diagnostic d’hystérie traumatique, tellement le cas paraît typique. Toutefois, le diagnostic est, par Eisler, tenu pour trop superficiel. Il faut chercher en profondeur, il faut fouiller à la recherche d’un trésor caché, l’érotisme anal, ce dont témoigne le rêve n° 1, produit en fin d’observation. Quant au vieil homme avec sa canne, il situe la position de l’analyste dans le transfert, non sans un certain don de prophétie qui aurait sûrement plu à Jung - de l’avènement d’un certain Jungien nommé « Jacques Lacan » qui, contrairement à Jung, ne récuse pas son transfert à Freud, réussissant même à tenir en analyse avec Loewenstein, pendant 6 ans à raison de 5 séances par semaines de cinquante minutes très précises, ce qui à du être pour le jeune et très fougueux Lacan, je te l’accorde Christophe, une vraie torture.

Les deux actes symptomatiques dont nous entretient l’auteur qui vont de « l’attitude démente » à « l’attitude homosexuelle passive » se concluent par un accès de vertiges orientant vers un érotisme anal certissime. Même chose pour un rêve où il est mordu par un lion (bouche à la place de l’anus) ou un autre où un jeune frère le menace d’un fusil (peur d’une pénétration per ano par le jeune frère donc = homosexualité passive - quelle délicieuse ironie !). Nous sommes dans « l’archaïque mythique » comme s’exprime l’auteur.

Le patient s’accommode sans trop de problèmes à la situation analytique, même si, nous fait remarquer l’auteur, il est porteur d’une « forme particulière de renfermement ».

Des rêves de vol - pas de chapardage mais - de flottaison mettent Eisler sur la piste d’un narcissisme exacerbé.

Mais voici comment nous est présenté ce porteur d’érotisme anal exacerbé :

« Le patient donne l’impression d’un homme ayant confiance en lui, qui sait ce qu’il veut et qui s’occupe avec soin de consolider sa situation... il se montre très modéré dans ses opinions dont il sait convaincre ses camarades » : pas de traces d’hésitation, inhibition ou rituels lassants.

Conclusion, je cite :

« C’est de cette manière qu’il a su sublimer et compenser une grande partie de sa libido homosexuelle. »

On comprend pourquoi Lacan pouvait faire preuve d’une grande sympathie pour certains patients et d’un grand agacement à l’égard de certains psychanalystes (« je ne suis pas un homme compréhensif », avait-il coutume de dire).

Plus loin Eisler ajoute :

« Par ailleurs le patient manifeste une soif insatiable de culture ». Nous retrouvons là l’amour de savoir qui manque rarement dans l’hystérie.

Mais revenons à nos Eisler(s) :

« L’érotisme anal sublimé qui transparaît ici, se trahit par ailleurs, en un vif intérêt pour les mécanismes matériels de la vie. »

On ne peut pas accuser cet auteur de manque de clarté mais peut-on parler dans ce cas de défusion de la pulsion de mort comme dans la névrose obsessionnelle ?

Si l’on veut rester Freudien strict on peut seulement dire, mais j’anticipe, que le refoulement porte sur la pulsion orale, j’y reviendrai en temps voulu.

Le patient a, nous a dit l’auteur, un vif désir de se faire reconnaître. Il est le fils aîné d’un couple de paysans qui a eu quatorze enfants dont huit sont encore en vie. Beaucoup de morts dans la fratrie et beaucoup d’accouchements de la mère ont été le lot de ce patient. Jalousie fraternelle, rivalité, rien de bien extraordinaire. Ses grands-parents (paternels) vivaient avec la famille.

Il nous est dit que grand-père et père s’illustraient par un grand sens de la justice.

L’auteur signale des changements fréquents d’emploi : boulanger, laborantin, conducteur de tramway et contrôleur témoignant d’intérêts et peurs restent compatibles avec la structure hystérique. Du reste l’auteur lui-même l’évoque mais sans s’attarder, occupé qu’il est, par l’érotisme anal du sujet, qui pour faire plaisir à l’analyste apporte un matériel plutôt conséquent sur son érotisme anal ; d’autant plus que, comme je le faisais remarquer, le refoulement est ailleurs.

Nous apprendrons par la suite que le facteur déclenchant de la névrose n’a pas été le trauma lui-même mais l’examen radiologique. Du reste nous aurons l’occasion de proposer une interprétation fortement suggérée par le récit du fantasme de ce patient un peu plus tard, car il y a un lien logique entre le fantasme du patient et la demande itérative d’examens radiologiques. Il y a là du refoulement tout ce qu’il y a de plus typique. Alors que dans une névrose obsessionnelle le refoulement reste problématique.

Même occupé qu’il est par l’érotisme anal du patient, l’analyste ne peut pas ne pas s’apercevoir que la crise mime un accouchement (pantomime hystérique). Alors que la seule pantomime dont un obsessionnel est capable est de faire le mort.

Qu’est-ce que le patient pouvait attendre d’autre de l’examen radiologique sinon la preuve qu’il avait un bébé dans son ventre et le geste chirurgical qui devait suivre ne pouvait consister en rien d’autre qu’une césarienne pour extraire le fruit.

Même si anatomiquement ceci est impossible, il y a une différence entre fantasme et délire, et du fait que tout délire est partiel, un délire est compatible avec la présence d’un fantasme à côté de lui.

Sur ce, Eisler revient à son intérêt de prédilection - vous l’avez deviné - l’érotisme anal qui le passionne : tubage gastrique, constipation opiniâtre, voilà de quoi occuper notre cher psychanalyste.

Là encore, il est question « d’hystérie mono-symptômatique », mais retour à l’érotisme anal via le sadisme et la pitié réactionnelle.

Le patient a épousé une femme qui avait eu un enfant illégitime que le patient accepte, mais il en résulte de la jalousie narcissique (là encore intérêt pour le séducteur donc homosexualité passive inconsciente). Et le vœu d’avoir un enfant mâle devient la preuve, je cite, d’un « énorme amour propre narcissique ». Encore un enfant excrémentiel et donc tout se tient dans ce cher érotisme anal qui contient l’ensemble du fantasme de grossesse selon la logique : puisque c’est un homme il s’agit d’érotisme anal comme si dans les théories sexuelles infantiles l’enfant intestinal n’était pas aussi présent chez les filles.

La radiographie elle même est reliée à la « grande sensibilité homosexuelle » du patient au cas où on l’aurait pas remarqué, ça saute aux yeux, voyons... Elle aura déséquilibré « sensiblement les aspirations libidinales du patient »

Je vais m’en tenir là de mes commentaires sur le cas pour vous dire quelque chose sur un autre aspect du cas.

III. - Choix de l’hystérie pour l’homme

Une confusion à la vie dure parmi les analystes, à savoir femme = hystérie. On oublie volontiers que l’hystérique fait l’homme. Je vous disais plus haut que les cas d’hystérie masculine se ramènent pour certains analystes et non des moindres à des psychoses. L’auteur lui-même met en parallèle son cas au Président Schreber, alors que pour Lacan c’est une bonne raison d’illustrer la différence entre paranoïa et hystérie, la confusion pouvant venir du caractère de l’hystérique pas toujours commode.

Je rappelais il y a peu que l’hystérique se situe côté homme et cela n’empêche que la grossesse soit, dans la vie de l’hystérique vécue comme un moment de complétude narcissique, un moment de phallicisme exacerbé. Alors qu’est-ce qui empêcherait un homme d’avoir un fantasme de grossesse tout en restant un homme ? Le fait que le signifiant est féminisant, répond Lacan. Mais le fantasme tout en étant déterminé par le signifiant reste du côté imaginaire. C’est une fenêtre sur le réel nous dit Lacan. Le phénomène de la couvade est décrit chez beaucoup d’hommes. Est-ce un moment hystérique de la vie de tout homme ?

Mais tout homme ne se reçoit pas un coup de couteau dans la tête par sa propre mère en gardant ça pour lui ; et c’est pourtant là un trauma qui, se combinant avec la scène de l’accouchement chez la voisine, avec l’enfant en morceaux dans une « mangeoire en bois », paraît suffisant pour avoir précipité une hystérie chez un homme.

C’est oh paradoxe ! cette hystérie qui, moyennant des symptômes qui ont rendu nécessaire une psychanalyse, a permis à cet homme (par ailleurs à la virilité plutôt triomphante - leader syndical qu’il était devenu) de ne pas tomber dans les travers propres à son sexe, à savoir la normopathie obsessionnelle, qui elle, paradoxalement, se situe côté femme dans les schémas de la sexuation, donc du côté du trait unaire et de la répétition.

Avec son fantasme de grossesse il est devenu un homme d’exception et cela lui a valu le privilège d’entrer dans l’histoire par le truchement d’un nommé Jacques Lacan.

Mais avant d’arriver à lui une brève incursion dans le truc de l’analyste :

IV. - L’érotisme anal est-il un truc de l’analyste ?

Il y a dans le titre de cette communication une perle juxtaposée à une connerie, celle de l’analyste bien entendu. Son truc est une connerie qui ne l’a pas empêché de produire une perle.

Je commence par la perle. Sous le tableau d’une hystérie traumatique un fantasme de grossesse chez un homme.

Une seule objection à cette perle : le traumatique est un pléonasme parce que toute hystérie est traumatique.

C’est donc une hystérie à n’en pas douter alors pourquoi nous avoir embarqué dans cette connerie qu’il introduit non sans emphase : « contribution clinique à propos de l’érotisme anal ». Tout simplement parce qu’à l’époque l’érotisme anal était à la mode. C’était pas le truc de l’analyste mais de Freud et autres Jones de service.

Alors en élève appliqué Eisler a fait le tour de force d’assaisonner une hystérie masculine à la sauce obsessionnelle et Freud a trouvé le résultat tout à fait valable là où un Ferenczi aurait poussé des hauts cris.

Encore un point avant que je n’en vienne à Lacan. Notre Eisler nous parle de pulsion olfactive. Évidemment il ne va pas jusqu’à faire une pulsion partielle, comme la pulsion orale et anale mais quand même. Je le cite : « la pulsion olfactive n’a pas besoin d’être reprise dans ce contexte puisque sa corrélation avec l’analité est presque générale ».

Mais s’agit-il de pulsion au sens où une pulsion rate toujours son objet (l’objet a de Lacan) ? Et s’agit-il d’un objet du corps de l’Autre ? Force est de constater que l’objet odorant n’est pas toujours un objet du corps de l’Autre même si la mère peut tout à fait faire usage d’un parfum comme artifice sexuel. En second lieu il est facile de réfuter le fait que l’odorat soit une pulsion car un « ne » (cf. Le Parfum de Suskind) ne rate jamais son objet

Maintenant que l’odorat comme fonction puisse être investi par une pulsion partielle qui vient perturber la fonction cela va de soi. Et que l’odorat puisse faire le jeu de la pulsion anale pourquoi pas ? Dans Le Parfum de Suskind nous voyons l’odorat se mettre au service de la pulsion de mort si elle existe et s’il est possible de la séparer de l’Eros. Lacan le pense dans un premier temps puis se ravise pour considérer qu’Eros et Thanatos sont les deux forces de cette monnaie nommée pulsion.

V. - L’éclairage apporté par Lacan

Dans son séminaire sur Les Psychoses Lacan n’accorde à l’observation d’Eisler que « tout juste » la place qu’elle mérite. Après un éclairage qui élimine la psychose, « pas de trace d’éléments hallucinatoires » voici comment Lacan parle de l’auteur :

« ... Joseph HASLER, un psychologue de l’école de Budapest... » et un peu plus loin : « L’homme participe de la première génération analytique, il voit des phénomènes avec beaucoup de fraîcheur, les explore de long en large cette observation... participe déjà de l’espace de systématisation qui commence à frapper... l’observation et la pratique... qui mettra l’accent sur l’analyse des résistances. Hasler est déjà extrêmement impressionné par la nouvelle psychologie de l’ego... il s’intéresse beaucoup au moi du sujet, à son style de comportement, etc. »

Avant de voir comment Lacan reprend à son compte les propos de l’auteur concernant le sujet je vous propose de faire retour au point de vue structural avec lequel Lacan aborde le cas d’Eisler. Je le cite :

« Je vous ai parlé de l’Autre de la parole, en tant que le sujet s’y reconnaît et s’y fait reconnaître. C’est là dans une névrose, l’élément déterminant, et non pas la perturbation de telle relation orale, anale, voire génitale. Nous ne savons que trop combien nous embarrasse la maniement de la relation homosexuelle, puisque nous en mettons en évidence la permanence chez les sujets dont la diversité est grande sur le plan des relations instinctuelles [1]. Il s’agit d’une question qui se pose pour le sujet sur le plan du signifiant, sur le plan du to be or not to be, sur le plan de son être ».

Je pense, à présent, revenir sur le sujet de l’observation, le bon wattman, dans les propos de Lacan, je cite :

« Ce sujet est assez bien adapté. Il a avec ses camarades des relations qui sont celles d’un syndicaliste militant, un peu leader, et qui s’intéresse beaucoup à ce qui le lie solidement à eux » ; et un peu plus loin : « vous voyez qu’Hasler essaie de trouver les traits du caractère anal... »

C’est là où s’arrête ce qu’on pourrait tenir pour un lapsus de Lacan si ce n’était pas une allusion subtile au « truc » de lui, que l’analyste glisse dans son observation, truc qui serait un pousse à la névrose obsessionnelle. Dans ce qui suit dans le propos de Lacan le nom d’Eisler est orthographié correctement. Je cite : « regardons de plus près cette observation. Le déclenchement de la névrose dans son aspect symptomatique, qui a rendu nécessaire l’intervention de l’analyste, suppose sans doute un trauma qui a du réveiller quelque chose. Dans l’enfance du sujet, des traumas nous en trouvons à la pelle... Eisler ne manque pas de marquer qu’à ce moment là, quelque chose de décisif a du se produire, puisqu’au gré de la tradition familiale il aurait, après cet incident, commencé à sucer son pouce. [2]. Vous voyez castration-régression. On en trouve d’autres. Seulement, il y a un petit malheur (souligné par moi), c’est qu’on s’aperçoit avec la sortie du matériel, que ce qui a été décisif dans la décompensation de la névrose n’a pas été l’accident, mais les examens radiographiques [3].

Ça mérite deux commentaires :
 avec le retour du vrai nom de l’auteur c’est son propre propos qui est, par Lacan trahi ;
 ce n’est pas le réel de l’accident mais quelque chose qui est attendu dans l’Autre (cf. supra) qui précipite la décompensation.

Dans la suite Lacan peut ponctuer :

« On peut reconnaître la relation anale, ou homosexuelle, ou ceci, ou cela, mais ces éléments sont pris dans la question qui est posée - suis-je ou non quelqu’un capable de procréer [4], cette question se situe évidemment au niveau de l’Autre... en tant que symbolique, et non pas réactivée comme imaginaire... » C’est donc une question qui précipite « la décompensation de la névrose ».

Dès lors, Lacan peut avancer un nouveau pion dans son propos, je cite :

« De plus le caractère féminisé du discours du sujet [5] est si immédiatement saisissable que lorsque notre analyste fait part au sujet des premiers éléments, il obtient de lui cette remarque : que le médecin qui l’a examiné a dit à sa femme : “Je n’arrive pas à me rendre compte de ce qu’il a. Il semble que s’il était une femme je le comprendrais bien mieux”. »

C’est le discours du sujet qui est féminisé et non pas le sujet lui-même. Quant à la remarque du médecin elle constitue une clé et Lacan ajoute :

« Quand on a cette clé, toute la vie du sujet se ré-ordonne dans sa perspective. On parle par exemple de ses préoccupations anales. Mais autour de quoi joue l’intérêt qu’il porte à ses excréments ? Autour de la question s’il peut y avoir dans les excréments des noyaux de fruits encore capables de lever une fois mis en terre ».

De ce qui précède, nous constatons que pour Lacan, une analyse consiste en un frayage dans le symbolique à la recherche de clés qui, dans l’après-coup, réordonnent le matériel produit par la « tâche analysante », pour utiliser un terme d’un Lacan plus tardif (cf. L’acte psychanalytique).

Lacan va boucler comme il se doit son incursion sur le terreau de cet homme de la campagne, par le commencement, le dernier accident, je cite :

« Terminons par où nous avons commencé, le dernier accident. Il tombe du tramway qui est devenu pour lui un appareil significatif, il choit, il s’accouche lui-même. Le thème unique du fantasme de grossesse domine mais en tant que quoi ? En tant que signifiant, le contexte le montre, de la question de l’intégration à la fonction virile, à la fonction du père. »

L’allusion à la jeune homosexuelle de Freud est, me semble-t-il assez transparente.

VI. - en guise de conclusion : la question de l’hystérie et le nœud Bo

La question de l’hystérique constitue pour Lacan un fait de structure en tant que, comme toute structure, elle est à situer sur un bord.

Au terme de ce voyage en tramway, il devient pensable que le patient d’Eisler ne cède en rein à ces « bouches d’or », les hystériques, femmes ou hommes plus rarement auquel(le)s Lacan aura rendu hommage.

Il ne me reste plus qu’à faire quelques remarques au sujet de stécriture de l’hystérie sur le nœud Bo.

Comme il appert du schéma ci-dessous, l’hystérie court sur le bord symbolique entre deux coupures du réel. Ce bord traverse d’abord le champs de l’imaginaire où par l’opération du refoulement, l’inconscient se constitue.

L’inconscient va entraîner l’ouverture du rond de l’imaginaire qui contient le champs de l’inconscient. Le bord symbolique où se situe l’hystérie va ensuite faire le tour du champs du symbolique que Lacan désigne comme étant celui de la mort, et avant la deuxième coupure par le réel ce bord traverse le champs du phallus symbolique, autrement dit du nom du père.

Il est à remarquer que l’hystérie, le sadisme et la schizophrénie se situent sur le même bord, mais que de la schizophrénie comme du sadisme, elle est séparée par les deux coupures du réel.

Pour la schizophrénie le bord symbolique traverse le champs du réel et subit le bombardement de ce champs de mines. Les mots deviennent des choses.

En revanche, le bord imaginaire traversant le même champs jouit d’une véritable immunité diplomatique du fait de la prééminence de l’imaginaire sur le réel.

Mais pour le symbolique le réel est un véritable champs de mines.

L’hystérique, dont la bouche fertilise le champs imaginaire et récolte les fleurs de sa séduction. Mais du fait du trauma qui la constitue toute sa vie se passera « au bord de la mort », et à l’âge mur un deuxième trauma la guette, le retour d’âge. Divisée entre amour du savoir et horreur du savoir entre ce refoulement et son retour, l’hystérique est bien placée pour produire du savoir nouveau.

Une dernière chose. Qu’est-ce qui rend possible stécriture des structures cliniques sur le Nœud Bo du transfert ? Quel est le plus petit dénominateur commun entre névrose, psychose et perversion ? La réponse est freudienne ou elle ne le sera pas. Il y a du refoulement dans les trois structures freudiennes : névrose, psychose et perversion à ceci près que dans la psychose s’y ajoute la forclusion du nom du père, dans la perversion un démenti du réel du sexe. Dans la névrose obsessionnelle s’ajoutent l’isolation et les formations réactionnelles. Dans la phobie le ratage du refoulement aboutit à la création d’un symptôme qui n’évite pas la libération de l’angoisse, tout comme dans la névrose obsessionnelle. Seulement dans l’hystérie la réussite du refoulement aboutit à la création d’un symptôme qui évite au sujet l’angoisse. Mais si le refoulement réussit, c’est la métaphore paternelle qui rate. Il y va de ce ratage pour la constitution du symptôme, qui est indissociable de la constitution du sujet.

Qu’il y ait du refoulement qui rate dans les trois structures freudiennes c’est la possibilité de retrouver des formations de l’inconscient quelque soit le structure clinique du sujet. Donc l’inconscient dans la psychose n’est pas-tout à ciel ouvert et, enfin, le sujet pervers n’est pas sans inconscient, car il rêve, fait des lapsus et des actes manqués comme tout un chacun. Le refoulement est donc un mécanisme universel.

Voir en ligne : Lire l’article de Michaël Joseph Eisler sur le site de Liliane Fainsilber : « Le Goût de le psychanalyse »

P.-S.

On peut lire la traduction française du texte de Michaël Joseph Eisler, « Sous le tableau d’une hystérie traumatique un fantasme de grossesse chez un homme. Contribution clinique à l’érotisme anal », sur le site de Liliane Fainsilber : « Le Goût de le psychanalyse » (cf. lien hypertexte ci-dessous).

Texte allemand :
 Michaël Joseph Eisler, »Eine unbewuste Schwangrschaftsphantasie bei einen Manne unter dem Bilde einer traumatischen Hysterie (klinischer Beitrag zur Analaerotic)« (Budapest).

Texte anglais :
 Michaël Joseph Eisler, « A Man’s Unconscious Phantasy of Pregnancy in the Guise of Traumatic Hysteria », The International journal of psycho-Analysis (Vol. II, Sept.-déc 1921, Part 3/4)

Ce texte est commenté par Jacques Lacan dans son séminaire sur Les Psychoses, au cours de la séance du 14 mars 1956.

Notes

[1Souligné par moi.

[2Souligné par moi.

[3Souligné par moi.

[4Souligné par Lacan.

[5Souligné par moi.

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