« Quant aux grands mythes, déjà, il les a incorporés à la petite vie d’où ils sont issus. Il faut que les dieux, les demi-dieux, les personnages fabuleux sortent de leurs gaines minérales, insensibles et tabou. Voici qu’Hermaphrodite a quitté le marbre où depuis plus de deux mille ans son corps unique et double demeurait frigorifié. Le voici rendu à l’âge, à la vie, le voici devenu vieux, devenu père et mère, maintenant.
Parce que, seule, l’intuition permet aux seuls poètes de s’y retrouver dans le dédale des créations mythiques ou semi-mythiques, parce que l’inspiration seule sait trouver le lien qui unit les inspirations les plus étrangères en apparence et en fait communiquer librement, de plain-pied, les parties les plus éloignées les unes des autres dans le temps et l’espace, c’était bien à Dali de nous présenter ce vieux principe mâle, ce vieux principe femelle, ce vieil Hermès, cette vieille Aphrodite, l’Hermaphrodite de jadis, aujourd’hui métamorphosé en Guillaume Tell. Dans le Guillaume Tell de Dali, il nous faut reconnaître, sous son aspect le plus hallucinant, la “mère fantastique”, c’est-à-dire selon ce qu’ont su nous en apprendre les psychanalystes, la mère saillie par le père. Et voilà pourquoi Dali a décoré son Guillaume Tell de tout ce que l’un et l’autre sexe ont de spécifiquement saillants : pénis et seins de femme » (René Crevel, Nouvelles vues sur Dali et l’obscurantisme).