« Sacher-Masoch (1835-1895), naquit en Galicie, à Lemberg. Ascendances espagnole et bohémienne. Famille de fonctionnaires sous l’empire austro-hongrois. Son père fut directeur de la police de Lemberg. Le thème de la police hantera l’œuvre de Masoch. Mais surtout le problème des minorités (juive, petite-russienne, etc.) sera une de ses sources principales d’inspiration. Masoch participe de la grande tradition du romantisme allemand. Il conçut son œuvre, non pas comme perverse, mais comme générique et encyclopédique. Vaste cycle qui devait constituer une histoire naturelle de l’humanité, sous le titre général : Le Legs de Caïn. Des six parties prévues (l’amour, la propriété, l’argent, l’État, la guerre, la mort), il acheva les deux premières. Mais déjà l’amour, selon lui, ne se sépare pas d’un complexe culturel, politique, social et ethnologique. Les goûts amoureux de Masoch sont célèbres. Le muscle lui semble une matière essentiellement féminine. Il voulait que la femme aimée eût des fourrures et un fouet. La femme aimée n’est nullement sadique par nature, mais elle est lentement persuadée, dressée pour sa fonction. Il se voulait lié à elle par un contrat aux clauses précises ; une de ces clauses l’amenait souvent à se déguiser en domestique et à changer de nom. Entre lui et la femme aimée il souhaitait de toutes ses forces l’intervention d’un tiers, et la suscitait. La Vénus à la fourrure, son roman le plus célèbre, expose un contrat détaillé. Son biographe Schlichtegroll, puis Krafft-Ebing reproduisent d’autres exemples de contrats de Masoch (cf. Psychopatia Sexualis, p. 238-240). C’est Krafft-Ebing qui, en 1869, donna le nom de masochisme à une perversion : au plus grand déplaisir de Masoch lui-même. Sacher-Masoch ne fut pas un auteur maudit. Il fut honoré, fêté et décoré. Il fut célèbre en France (réception triomphale, légion d’honneur, Revue des Deux Mondes). Mais quand il mourut, il souffrait de l’oubli dans lequel était déjà tombée son œuvre. » (Gilles Deleuze, « De Sacher-Masoch au masochisme », Multitudes.samizdat.net).