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Alexandre Cullerre

Persécuteurs jaloux

Les frontières de la folie (Ch. V, §. III)

Date de mise en ligne : samedi 20 octobre 2007

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Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre V, §. III : « Persécuteurs jaloux », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 186-190.

CHAPITRE V
PERSÉCUTEURS

—  — —
III
JALOUX

Parmi les déséquilibrés persécuteurs, il faut faire une place à certains individus qu’un sentiment de jalousie absurde, injustifié et irrésistible pousse aux actions les plus coupables et les plus nuisibles.

Quelques jaloux ont conscience de leur état, témoin la lettre que recevait, en mai 1887, un commissaire de police de Paris : « Je vous prie, au reçu de cette lettre, y était-il dit, de venir constater mon décès. J’ai, pour mon malheur, épousé une femme trop belle, et, quoique je n’aie rien à lui reprocher, je ne puis endurer plus longtemps les tourments que me cause une jalousie que je ne puis -surmonter. »

Mais, le plus souvent, le sentiment exagéré de la jalousie n’est que la conséquence d’une mauvaise constitution psychique, et d’une tendance naturelle à la défiance. Que de drames conjugaux ignorés du public, parce que les acteurs, corrects dans le monde, ne s’abandonnent que dans l’intimité aux excitations de leur perversion affective.

D’abord accompagnée d’un excès d’amour, la jalousie ne tarde pas à se compliquer de haine, d’une haine aiguisée et investigatrice qui pousse les malheureux jaloux à rechercher jusque dans les détails les plus secrets de la vie des preuves de leur prétendue infortune. Ils les trouvent dans le parfum inusité d’un vêtement, dans l’expression d’un regard, dans l’inspection des parties les plus intimes du vêtement où ils croient retrouver les traces matérielles d’une odieuse infidélité. Les femmes, surtout, sont habiles à ces prétendues découvertes.

Enfin, cette passion devient tellement violente qu’elle en arrive à constituer un véritable délire.

M. J… [1] a trente ans. Il a épousé une jeune personne de vingt ans, d’une grande beauté, aimable, instruite et douée de talents agréables. Ni l’un ni l’autre ne manquent de fortune. Il y a là tout ce qu’il faudrait pour amener et pour fixer le bonheur ; oui, tout excepté la raison, sans laquelle il est impossible de bien acquérir et de bien conserver.

M. J… s’était déjà montré jaloux avant son mariage, mais on avait attribué sa jalousie à l’excès de son amour, et pensé que cette passion se dissiperait quand son affection serait satisfaite.

Il arriva tout le contraire. Quelques mois s’étaient écoulés à peine, qu’interprétant mal les hommages que recevait sa femme, M. J… ne voyait partout que des rivaux et des séducteurs. Élevée dans les principes et sous les exemples les plus sûrs, entourée des amis les plus honorables, aimant beaucoup son mari, ne se plaisant dans les salons qu’à côté de lui, ne sortant jamais seule, quelle mauvaise pensée madame J… pouvait-elle avoir, quel mal pouvait-elle faire ?

Au lieu de s’adresser à lui-même cette question, M. J… ne rentrait jamais sans faire à sa jeune femme les scènes les plus violentes. Si elle avait dansé, il avait remarqué que M*** un tel éprouvait grand plaisir à danser où à valser avec elle. Il avait vu plusieurs fois cet homme lui adresser la parole. Si elle s’était mise au piano, si elle avait chanté, les applaudissements mérités par elle troublaient la tête de son mari. « Quel droit, disait-il, peuvent donc avoir des étrangers d’applaudir ainsi ma femme ? »

Il ne sut pas contenir sa colère en public, et fit un soir une scène au milieu d’un salon. Il outragea un jeune homme et eut un duel, qu’on croyait être parvenu à empêcher ; mais il mit autant d’habileté que de réserve à paraître céder, pour mieux suivre sa pensée et marcher à son but. Il en fut quitte pour une légère blessure. La jeune femme, qui aimait les plaisirs de son âge, eut le courage d’y renoncer, mais ce rude sacrifice ne suffit pas pour apaiser la jalousie de son mari. Il fallut quitter Paris.

Cela fut fait avec la même douceur et sans plus de succès. L’année suivante, M. J… injuriait sa femme. Il lui donnait les épithètes les plus brutales, il prétendait qu’elle faisait cacher des amoureux dans toutes les parties de la maison. Il se relevait la nuit pour aller faire des recherches et revenait sans être satisfait. On avait pu, disait-il, profiter de son absence pour le tromper.

Cet état maladif fit de rapides progrès. Le jaloux en était venu à frapper sa pauvre femme, qui ne put supporter de pareils sévices et se sauva chez sa mère. Le malade en fut profondément affecté et devint plus calme, mais cette amélioration fut de peu de durée. Deux enfants étaient issus de ce mariage. Le père s’imagina tout à coup que l’un des deux, le plus jeune, ne lui appartenait pas, et dès lors il lui voua toute sa haine. Il annonça un jour à la mère qu’il le tuerait. On envoya les enfants dans la famille et la jeune femme entreprit un voyage avec son mari, dans l’espoir de le distraire et de le calmer ; mais elle le ramena plus agité que jamais et halluciné. Il entendait les amants de sa femme, cachés sous le sol, lui adresser des railleries et qualifier grossièrement la position ridicule qu’ils lui avaient faite. Toutefois, il paraissait n’avoir ses hallucinations qu’en présence de sa femme, et n’avait jamais qu’une seule fois rendu le public témoin de sa déraison. Il s’occupait de ses affaires, y mettait beaucoup d’ordre et n’était violent qu’en tête à tête avec sa victime. Sans la scène de la soirée racontée plus haut, personne n’eût soupçonné sa folie, et sa femme, si elle se fût plainte, eût pu rencontrer plus d’un incrédule ; peut-être eût-elle été elle-même soupçonnée de déraison.

Deux aliénés dans la famille.

Une jeune femme soignée par Trélat, qui comptait aussi deux aliénés dans sa famille et était sujette à des troubles nerveux névralgiques, manifesta aussitôt après son mariage une jalousie absurde et féroce contre son mari. Voici en quels termes ce dernier se plaignait au savant médecin du travers maladif grâce auquel sa femme lui infligeait tant de souffrances morales :

« Elle devint enceinte bientôt après le mariage [2]. Cette malheureux jalousie augmenta beaucoup. Alors, à partir de ce moment-là, elle n’existait plus, elle était toujours tourmentée par ses idées de femmes. Elle me suivait ou restait couchée toute la journée. Elle ne me faisait ni mon déjeuner ni mon dîner, ni même son ménage, ne s’occupant ni de mon linge ni du sien. Je lui faisais souvent honte de lui voir porter des bas troués. Enfin c’était une pauvre femme tout à fait désorganisée par son idée fixe, et Dieu sait que je ne lui ai jamais donné aucun motif ni prétexte. Si je voulais la distraire par une promenade les jours du beau temps, elle ne rencontrait encore que des femmes qui la narguaient, et enfin n’importe où j’allais, elle trouvait toujours à se plaindre ; même au théâtre elle prétendait que je regardais trop les actrices sur la scène. Jamais elle n’a voulu comprendre les sacrifices que je faisais pour lui ôter cette funeste idée qui la rendait si malheureuse et moi aussi. Je l’ai suppliée d’avoir confiance, en lui faisant donner toutes preuves nécessaires par mon patron, ses parents, nos amis, car toutes nos connaissances étaient tellement peinées de voir un pareil malheur qu’elles ont tout fait, et elle n’a voulu croire qui ce soit. Enfin, monsieur, j’espérais qu’après son accouchement tout cela changerait ; qu’elle travaillerait un peu, qu’elle ferait ce qu’il faut pour son enfant et pour elle ; mais rien de tout cela. Elle devint pire encore. C’étaient alors des scènes épouvantables à la maison. Elle me suivrait continuellement à mon atelier, m’accablait de sottises, ou, prenant le premier venu dans la rue, elle le priait d’aller me demander pour être bien sûre que j’étais là ; et quand je refusais de me présenter parce que cela prenait une mauvaise tournure (la patience se lasse à la fin) elle prétendait le soir quand je rentrais chez moi, que j’étais sorti par une porte de derrière. Comme vous le voyez, monsieur, elle n’occupait son esprit qu’à cela. Je ne sais pas ou elle allait prendre tout ce qu’elle me débitait. Vers la fin elle y mêla une très-grande méchanceté et alors il n’y avait plus moyen d’y tenir. Elle me réveillait la nuit pour me raconter tout ce qu’elle avait sur le coeur, et toujours, toujours la même chose. Quand je ne l’écoutais pas, elle devenait de plus en plus furieuse, et j’ai remarqué aussi que, quand ses méchancetés commençaient, elle cassait tout ce qu’elle trouvait sous sa main et sortait à moitié coiffée pour courir après des femmes qu’elle disait être mes maîtresses. Enfin elle en vint à se porter à des voies de fait qui n’étaient plus tolérables. Une chose que j’avais toujours à lui reprocher, c’était de trouver des romans dans chaque coin. Les jours qu’elle était le plus raisonnable et quand j’étais à travailler de mon côté, elle lisait ces romans et se montait l’imagination avec ces sortes de lectures.

Elle se croyait si bien trompée, et son exaspération monta à un tel point, qu’elle dit un jour qu’elle se vengerait en se faisant un amant, parce qu’elle savait me faire beaucoup de peine. Et pour cela elle fréquentait les derniers jours une jeune femme mariée qui se conduit très mal. Je doute fort qu’elle en fût venue là, mais pourtant, dans cette situation, quelqu’un de peu de délicatesse eût pu mettre le comble à mon malheur. »

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre V, §. III : « Persécuteurs jaloux », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 186-190.

Notes

[1Trélat, La folie lucide.

[2Trélat, loc. cit.

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