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Dimitry Stefanowsky

Le Passivisme

Archives de l’Anthropologie criminelle (1892)

Date de mise en ligne : jeudi 31 janvier 2008

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Dimitry Stefanowsky, « Le Passivisme », Archives de l’Anthropologie criminelle et des sciences pénales, Éd. Storck, Lyon, 1892, pp. 294-298.

LE PASSIVISME
Par DIMITRY STEFANOWSKY
Substitut du procureur impérial à Iarosawl (Russie)

Chaque lecteur des Confessions de J.-J. Rousseau se souvient sans doute de son étrange aventure avec Mlle Lambercier, du singulier résultat d’une correction reçue des mains d’une demoiselle. Comme il le raconte lui-même : « Tourmenté longtemps, sans savoir de quoi, je dévorais d’un oeil ardent les belles personnes ; mon imagination me les rappelait sans cesse, uniquement pour les mettre en oeuvre à ma mode et en faire autant de demoiselles Lambercier. Être aux genoux d’une maîtresse impérieuse, obéir à ses ordres, avoir des pardons à lui demander, étaient pour moi de très douces jouissances. »

M. Binet dans une excellente étude sur le fétichisme dans l’amour, a clairement exposé le phénomène dont je parle, mais il n’a pas assez compris sa signification intime. Je me propose de l’expliquer ici sommairement et de montrer que cette étrange perversion sexuelle, à laquelle j’ai donné le nom de passivisme, doit constituer une forme à part de la folie érotique, à côté du sadisme, dont elle présente justement le contraire.

Selon moi le passivisme consiste en une complète et absolue abdication de la volonté d’une personne au profit d’une autre personne, dans un but érotique. Dans cette étude je ne parlerai que du passivisme chez l’homme. Alors je puis le définir comme abdication volontaire de sa volonté faite par un homme au profit d’une femme, avec désir immense d’être abusé et maltraité par elle.

C’est dans cet abus de mauvais traitements que consiste la volupté suprême d’un passiviste. Ce sont les humiliations, les invectives, les coups reçus d’une femme qu’il désire avec avidité, parce que c’est le seul moyen pour produire une excitation sexuelle et le plonger dans un orgasme érotique.

Le type du passiviste a été bien souvent décrit dans plusieurs nouvelles et romans. La scène fameuse entre Nana et de Muffat dans le roman de M. Zola a un pendant complet dans une tragédie anglaise d’Otway intitulée La Venise sauvée (Venice preserved). L’auteur y introduit le sénateur Antonio et sa courtisane Naki. Le vieux sénateur fait auprès de sa courtisane toutes les singeries d’un vieux débauché impuissant et hors du bon sens. II contrefait le taureau et le chien, il mord les jambes de sa maîtresse, qui lui donne des coups de pied et des coups de fouet.

Même dans les beaux-arts existent diverses expressions du passivisme, tel est le tableau Circé d’un peintre de génie, M. Levy qui était exposé au Salon de 1889. À propos de ce tableau M. Armand Sylvestre dit : « Le plaisir du martyr me semble supérieur même à celui du bourreau. L’anéantissement sous le pouvoir infini de la Beauté est une impression voluptueuse entre toutes. Qui donc n’envierait le sort d’Antoine vaincu, mais expirant dans les bras de Cléopâtre, par qui cependant lui était venue la mort ? »

J’ai déjà dit que le passivisme est le contraire et l’opposé du sadisme. Ce sont deux extrêmes qui se touchent. Le sadisme aime à infliger la douleur, le passiviste jouit quand il éprouve cette douleur. La volupté du premier, c’est la volupté d’un bourreau ; la volupté du second, c’est la volupté d’un martyr. Qu’on ne s’étonne pas de telle volupté, certes elle existe et nous eu avons des milliers d’exemples. Tarnowsky a publié une observation qui parait ressembler beaucoup au cas de Rousseau. Il s’agit d’un homme, d’un honnête père de famille, qui, à des époques fixes, quitte sa demeure et va passer un certain temps chez plusieurs prostituées, louées d’avance, qui, selon un programme, le soumettent à des humiliations, des flagellations et à d’autres corrections physiques d’une grande violence (cité par Binet).

Les phénomènes du passivisme sont très variés et divers. On pourrait les diviser magistralement en deux classes : le passivisme moral et le passivisme physique.

I. — Le passivisme moral consiste surtout en humiliations et avilissements devant une femme. On y doit mentionner aussi les goûts pervers pour les sécrétions du corps féminin, les cunnilingus, les stercoraires (Taxil, La prostitution contemporaine), les renifleurs (Tardieu), etc. Je connais un vieux négociant russe qui venait souvent dans une maison publique et largement régalait les filles, qui devaient cracher dans un verre, après quoi il avalait ces crachats avec énorme plaisir. Il arrive quelquefois que le passivisme est accompagné de l’inversion du sens génital. Alors le malade adore non plus une femme, mais un homme. En ce cas, le passiviste devient un fellateur, comme dit Tardieu : « Congnomine, pompeur de dard, sive, de nœud (id est turpissima penis significatio designantur ii qui labia et oscula obscœnis blanditis prœbent. » Le Dr Luiz, dans un livre intitulé Les fellatores. Moeurs de la décadence, Paris, 1888, Union des bibliophiles, a merveilleusement décrit cette variété des passivistes, dont le plus grand plaisir consiste dans une humiliation inouïe et presque incroyable. Je renvoie le lecteur à cette étude du Dr Luiz, à laquelle je puis ajouter deux exemples de ma connaissance, d’un officier et d’un gentilhomme russe qui prodiguaient ces sales caresses à des nouveaux conscrits et à de jeunes paysans.

II. — Le passivisme physique est évident dans le cas de Rousseau, comme dans celui du Dr Tarnowsky. Le Dr Cox, à Colorado, en Amérique, a communiqué un fait du même genre, (Voir Alienist and Neurologist, 1883, April, p . 345.) Il raconte qu’il a observé un certain individu, heureux père de famille, qui fréquente chaque semaine une maison publique, et après avoir choisi deux ou trois filles, les plus fortes et les plus lourdes, ôte sa chemise, se couche à la renverse sur le plancher et ordonne à ces filles de le fouler et de l’écraser avec les pieds. Après deux ou trois heures de pareils tourments et humiliations il se lève et s’en va.

Les faits de ce genre nous démontrent que la flagellation passive, un moyen bien connu et pratiqué par tous les débauchés, agit surtout psychiquement et pas du tout physiologiquement. Ou a toujours cru que cette flagellation augmente l’afflux du sang aux fesses et y produit une surexcitation nerveuse des nerfs dorsaux et cruraux. Selon moi, cette surexcitation est produite par l’idée seule de dépendance, de la suggestion absolue devant nue femme irritée. Le passiviste fait abdication de sa volonté au profit du sujet aimé ; il veut devenir son esclave, sa chose. Il veut être employé à des plus viles besognes, il veut qu’on le batte, le fouette. Il ne trouve d’ordinaire que des prostituées mercenaires qu’il achète avec son argent, mais son rêve, son idéal suprême serait de trouver une femme sadiste qui le tourmenterait pour son propre plaisir. Il serait heureux de trouver un bourreau véritable, pas fictif, qui éprouverait une volupté en lui infligeant la douleur ; il s’adonnerait corps et âme à un pareil marquis de Sade féminin.

Parmi les romanciers allemands modernes il existe un écrivain, M. de Sacher-Masoch, qui nous présente le plus parfait type du passiviste qu’on pourrait imaginer. Dans tous ses romans et nouvelles, ce sont les passiviste sous diverses formes. Le plus célèbre de ses romans, La Vénus en fourrure, nous montre un jeune homme élégant et spirituel qui est devenu volontairement le laquais d’une cruelle maîtresse. Il reçoit des coups de pied, de cravache, de fouet. Il éprouve une étrange volupté à la vue d’un rival qui a obtenu les faveurs de sa belle. Loin d’être jaloux il continue à recevoir des soufflets, des fustigations même de la main de son heureux rival, et il y trouve un mélange voluptueux de douleur et de joie. C’est a cause de cela que le célèbre professeur viennois, M. de Krafft-Ebing, a donné à cette perversion le nom étrange du Masochisme. Mais, sans préjudice aucun de découvertes scientifiques du célèbre maître, je crois que ce nom bizarre ne dit rien et n’a aucun sens intrinsèque ; en outre, il couvre d’ignominie le malheureux auteur allemand, et, de son vivant. M. Krafft-Ebing me dit dans une lettre qu’une pareille nomination ne saurait être attentatoire à l’honneur de M. Sacher-Masoch, de même que le nom d’une certaine anomalie optique, du daltonisme, ne porte aucun préjudice au célèbre physicien Dalton, qui l’avait découverte. Mais je crois la différence énorme, parce que l’anomalie dont il est question, c’est-à-dire le passivisme, se rapporte à des fonctions sexuelles qui constituent la partie la plus intime d’une existence humaine. Voilà pourquoi je propose le mot de passivisme, d’autant plus que je suis le premier qui ai fait attention à cette étrange perversion, après M. Binet, qui avait fait mention de ce thème seulement en passant, dans son excellente étude du fétichisme. C’est en novembre 1888 que j’ai prononcé un discours dans la Société juridique à Moscou ; je voulais décrire une certaine perversion morale, que j’ai nommé tyrannisme, et dont le sadisme n’est qu’une variété, parce que sous le nom de tyrannisme je comprends tous les phénomènes de la cruauté pathologique sans but et sens quelconque. Alors le sadisme ne saurait être que la forme érotique du tyrannisme. Pendant les débats dans la Société, j’avais fait attention à une autre perversion, le passivisme. Tout ceci est imprimé dans les protocoles de la Société (séance du 28 novembre 1888). C’est seulement deux ans plus tard, en octobre 1890, que M. de Krafft-Ebing a publié ses Recherches nouvelles dans le domaine de la psychopathie sexuelle. Quant à moi, je n’ai pu faire publier mon étude sur le passivisme que cette année. (V. Archives de Psychiatrie du prof. Kowalewsky-Charkow, 1892, n° 1 sq.) Je ne prétends nullement rivaliser avec le grand maître viennois, d’autant plus que je ne suis qu’un simple psychologue amateur, mais je crois que mon terme passivisme a une meilleure raison d’être que le terme inventé par M. de Krafft-Ebing.

Après avoir exposé ma théorie du passivisme il faut faire attention de ne pas le confondre avec d’autres faits du même genre. L’adoration de l’objet aimé existe aussi dans l’amour normal ; un amoureux fait aussi des sacrifices, mais ce n’est pas du passivisme. L’anomalie pathologique commence lorsque ces sacrifices sont faits sans cause et sans but, lorsque l’amoureux veut subir des humiliations inutiles, des fustigations et des coups dans le seul but d’exciter sa sensualité. Ce n’est pas pour le bonheur de sa bien-aimée qu’il renonce à sa volonté ; il est en général indifférent pour ce bonheur ; il n’aime plus aucune femme. II s’adresse aux prostituées, il lui faut un bourreau quelconque ; il devient heureux lorsqu’il trouve une vile mercenaire qui consent pour de l’argent à jouer avec lui cette avilissante comédie du passivisme, faire de lui son esclave, son chien, sa chose !

Il reste à expliquer la cause de cette étrange anomalie. M. Binet croit que pour la comprendre il faut avoir recours à la loi de l’association des idées et des sentiments (v. ses Études de psychologie, p. 61-62). Mais ce qui explique le fétichisme érotique n’est pas suffisant pour expliquer le sadisme et le passivisme, parce que l’observation montre que ces goûts pervers apparaissent dans la plus tendre jeunesse, sans aucune association (v. l’ouvrage cité de Krafft-Ebing). Quant à l’explication de M. Krafft-Ebing, je crois qu’il est dans le vrai quand il dit que ce n’est autre chose qu’une exagération pathologique du caractère sexuel de la femme. Mais le savant professeur n’a pas remarqué le rôle de l’hérédité psychique dans les phénomènes de l’amour morbide. Dans ce cas, il faut revenir toujours à nos ancêtres : le combat entre les mâles et la cour faite par les mâles aux femelles nous donnent l’explication nécessaire. Tandis que le sadisme a sa source dans les sentiments du combat pour décider de la possession des femelles, le passivisme pourrait être expliqué comme exagération pathologique de la cour faite aux femelles pour gagner leurs faveurs. Et selon la judicieuse remarque de M. Tillier, le combat et la cour qui précède, suit ou accompagne le combat, semblent avoir pour but et pour résultat de produire sur les animaux qui vont s’accoupler (et chez l’homme aussi, ajouterai-je) une surexcitation sexuelle favorable sans doute à la fécondation. C’est ici, selon moi, qu’il faut chercher le dernier mot de l’énigme.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article de Dimitry Stefanowsky, « Le Passivisme », Archives de l’Anthropologie criminelle et des sciences pénales, Éd. Storck, Lyon, 1892, pp. 294-298.

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