Psychanalyse-Paris.com Abréactions Associations : 8, rue de Florence - 75008 Paris | Tél. : 01 45 08 41 10
Accueil > Bibliothèques > Livres > Psychologie des foules > Les foules dites criminelles

Psychologie des foules

Les foules dites criminelles

Diverses catégories de foules (Livre III - Chapitre II)

Date de mise en ligne : vendredi 13 février 2009

Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Éd. Baillière et Cie et Félix Alcan, Paris, 1895.

CHAPITRE II
Les foules dites criminelles.

Les foules dites criminelles. — Une foule peut être légalement mais non psychologiquement criminelle. — Complète inconscience des actes des foules. — Exemples divers. — Psychologie des septembriseurs. — Leurs raisonnements, leur sensibilité, leur férocité et leur moralité.

Les foules tombant, après une certaine période d’excitation, à l’état de simples automates inconscients menés par des suggestions, il semble difficile de les qualifier dans aucun cas de criminelles. Je ne conserve ce qualificatif erroné que parce qu’il a été consacré par des recherches psychologiques récentes. Certains actes des foules sont assurément criminels si on ne les considère qu’en eux-mêmes, mais alors au même titre que l’acte d’un tigre dévorant un Hindou, après l’avoir d’abord laissé un peu déchiqueter par ses petits pour les distraire.

Les crimes des foules ont généralement pour mobile une suggestion puissante, et les individus qui y ont pris part sont persuadés ensuite qu’ils ont obéi à un devoir, ce qui n’est pas du tout le cas du criminel ordinaire.

L’histoire des crimes commis par les foules met en évidence ce qui précède.

On peut citer comme exemple typique le meurtre du gouverneur de la Bastille, M. de Launay. Après la prise de cette forteresse, le gouverneur, entouré d’une foule très excitée, recevait des coups de tous côtés. On proposait de le pendre, de lui couper la tête, ou de l’attacher à la queue d’un cheval. En se débattant, il donna par mégarde un coup de pied à l’un des assistants. Quelqu’un proposa, et sa suggestion fut acclamée aussitôt par la foule, que l’individu atteint par le coup de pied coupât le cou au gouverneur.

« Celui-ci, cuisinier sans place, demi-badaud qui est allé à la Bastille pour voir ce qui s’y passait, juge que, puisque tel est l’avis général, l’action est patriotique, et croit même mériter une médaille en détruisant un monstre. Avec un sabre qu’on lui prête, il frappe sur le col nu ; mais le sabre mal affilé ne coupant pas, il tire de sa poche un petit couteau à manche noir et (comme, en sa qualité de cuisinier, il sait travailler les viandes) il achève heureusement l’opération. »

On voit clairement ici le mécanisme indiqué plus haut. Obéissance à une suggestion d’autant plus puissante qu’elle est collective, conviction chez le meurtrier qu’il a commis un acte fort méritoire, et conviction d’autant plus naturelle qu’il a pour lui l’approbation unanime de ses concitoyens. Un acte semblable peut être légalement, mais non psychologiquement, qualifié de criminel.

Les caractères généraux des foules dites criminelles sont exactement ceux que nous avons constatés chez toutes les foules : suggestibilité, crédulité, mobilité, exagération des sentiments bons ou mauvais, manifestation de certaines formes de moralité, etc.

Nous allons retrouver tous ces caractères chez une des foules qui ont laissé un des plus sinistres souvenirs dans notre histoire : celle des septembriseurs. Elle présente d’ailleurs beaucoup d’analogie avec celles qui firent la Saint-Barthélemy. J’emprunte les détails du récit à M. Taine, qui les a puisés dans les mémoires du temps.

On ne sait pas exactement qui donna l’ordre ou suggéra de vider les prisons en massacrant les prisonniers. Que ce soit Danton, comme cela est probable, ou tout autre, il n’importe ; le seul fait intéressant pour nous est celui de la suggestion puissante que reçut la foule chargée du massacre.

La foule des massacreurs comprenait environ trois cents personnes, et constituait le type parfait d’une foule hétérogène. À part un très petit nombre de gredins professionnels, elle se composait surtout de boutiquiers et d’artisans de tous les corps d’états : cordonniers, serruriers, perruquiers, maçons, employés, commissionnaires, etc. Sous l’influence de la suggestion reçue, ils sont, comme le cuisinier cité plus haut, parfaitement convaincus qu’ils accomplissent un devoir patriotique. Ils remplissent une double fonction, juges et bourreaux, mais ne se considèrent en aucune façon comme des criminels.

Pénétrés de l’importance de leur devoir, ils commencent par former une sorte de tribunal, et immédiatement apparaissent l’esprit simpliste et l’équité non moins simpliste des foules. Vu le nombre considérable des accusés, on décide tout d’abord que les nobles, les prêtres, les officiers, les serviteurs du roi, c’est-à-dire tous les individus dont la profession seule est une preuve de culpabilité aux yeux d’un bon patriote, seront massacrés en tas sans qu’il soit besoin de décision spéciale. Pour les autres, ils seront jugés sur la mine et la réputation. La conscience rudimentaire de la foule étant ainsi satisfaite, elle va pouvoir procéder légalement au massacre et donner libre cours à ces instincts de férocité dont j’ai montré ailleurs la genèse, et que les collectivités ont toujours le pouvoir de développer à un haut degré. Ils n’empêcheront pas d’ailleurs — ainsi que cela est la règle dans les foules — la manifestation concomitante d’autres sentiments contraires, tels qu’une sensibilité souvent aussi extrême que la férocité.

« Ils ont la sympathie expansive et la sensibilité prompte de l’ouvrier parisien. À l’Abbaye, un fédéré, apprenant que depuis vingt-six heures on avait laissé les détenus sans eau, voulait absolument exterminer le guichetier négligent, et l’eût fait sans les supplications des détenus eux-mêmes. Lorsqu’un prisonnier est acquitté (par leur tribunal improvisé), gardes et tueurs, tout le monde l’embrasse avec transport, on applaudit à outrance, » puis on retourne tuer les autres en tas. Pendant le massacre, une aimable gaieté ne cesse de régner. Ils dansent et chantent autour des cadavres, disposent des bancs « pour les dames » heureuses de voir tuer des aristocrates. Ils continuent aussi à faire preuve d’une équité spéciale. Un tueur s’étant plaint, à l’Abbaye, que les dames placées un peu loin voient mal, et que quelques assistants seuls ont le plaisir de frapper les aristocrates, ils se rendent à la justesse de cette observation, et décident que l’on fera passer lentement les victimes entre deux haies d’égorgeurs qui ne pourront frapper qu’avec le dos du sabre, afin de prolonger le supplice. À la Force on met les victimes entièrement nues, on les déchiquette pendant une demi-heure ; puis, quand tout le monde a bien vu, on les finit en leur ouvrant le ventre.

Les massacreurs sont d’ailleurs fort scrupuleux, et manifestent la moralité dont nous avons déjà signalé l’existence au sein des foules. Ils refusent de s’emparer de l’argent et des bijoux des victimes, et les rapportent sur la table des comités.

Dans tous leurs actes, on retrouve toujours ces formes rudimentaires de raisonnement, caractéristiques de l’âme des foules. C’est ainsi qu’après l’égorgement des 12 ou 1500 ennemis de la nation, quelqu’un fait observer, et immédiatement sa suggestion est acceptée, que les autres prisons, celles qui contiennent de vieux mendiants, des vagabonds, des jeunes détenus, renferment en réalité des bouches inutiles, et dont il serait bon, pour cette raison, de se débarrasser. D’ailleurs il doit y avoir certainement parmi eux des ennemis du peuple, tels, par exemple, qu’une certaine dame Delarue, veuve d’un empoisonneur : « Elle doit être furieuse d’être en prison ; si elle pouvait, elle mettrait le feu à Paris ; elle doit l’avoir dit, elle l’a dit. Encore un coup de balai. » La démonstration paraît évidente, et tout est massacré en bloc, y compris une cinquantaine d’enfants de douze à dix-sept ans, qui, d’ailleurs, eux-mêmes auraient pu devenir des ennemis de la nation, et dont par conséquent il y avait un intérêt évident à se débarrasser.

Au bout d’une semaine de travail, toutes ces opérations étant terminées, les massacreurs purent songer au repos. Très intimement persuadés qu’ils avaient bien mérité de la patrie, ils vinrent réclamer aux autorités une récompense ; les plus zélés allèrent même jusqu’à exiger une médaille.

L’histoire de la Commune de 1871 nous offre plusieurs faits analogues à ceux qui précèdent. Avec l’influence grandissante des foules et les capitulations successives des pouvoirs devant elles, nous sommes appelés à en voir bien d’autres.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Éd. Baillière et Cie et Félix Alcan, Paris, 1895.

Partenaires référencement
Psychanalyste Paris | Psychanalyste Paris 10 | Psychanalyste Argenteuil 95
Annuaire Psychanalyste Paris | Psychanalystes Paris
Avocats en propriété intellectuelle | Avocats paris - Droits d'auteur, droit des marques, droit à l'image et vie privée
Avocats paris - Droit d'auteur, droit des marques et de la création d'entreprise