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René Crevel

Mais si la mort n’était qu’un mot

Le Disque Vert (1925)

Date de mise en ligne : vendredi 2 février 2007

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René Crevel, « Mais si la mort n’était qu’un mot », Le Disque Vert, 4e série, n° 1, janvier 1925.

MAIS SI LA MORT N’ÉTAIT QU’UN MOT

Orgueil ou paresse — les deux peut-être — l’intelligence à l’état de veille prétend domestiquer les énigmes. Ainsi, du temps et de l’espace, nos jours ont fait des animaux dociles. Quant aux notions de vie ou de mort qui ne se laissent guère apprivoiser, pour fuir leur angoisse essentielle (angoisse qui, d’ailleurs, me semble seule capable de donner l’indiscutable sensation d’être) chaque minute essaie quelque nouveau suicide. À qui parie de la mort ou du geste qui la peut donner, le paradoxe est facile, mais comment ne point noter que déjà fut un suicide la vie de tel ou tel. Barrès destructeur ne se détruit que le jour où, arbitrairement, il construit. Au contraire, le Romain de la décadence, s’ouvrant les veines, me semble si naturel que j’ose à peine parler de suicide ; car le sénateur romain s’ouvrant les veines ne renonçait pas à lui-même mais, au contraire, avait un dernier geste logique pour s’affirmer. J’entends que les hommes intelligents, trop intelligents (c’est l’esprit critique, assassin des possibilités, qui nous tue), usent et ont raison d’user contre eux-mêmes, de la corde, du poison, du revolver, etc., tout comme les nerveux prennent du Dial Cyba le soir, avant de se coucher, pour mieux dormir. Or sommeil, dont nous disons qu’il est l’image de la mort, réserve aux esprits inquiets les douloureuses surprises des rêves. Je ne puis croire que les intelligences supérieures aux préoccupations terrestres et qui s’en voulurent à jamais délivrer aient brisé, par le geste appelé suicide, la parabole d’une ascension. Au contraire, ceux dont on constate qu’ils s’étourdissent ou se tuent de travail me paraissent des faibles, car le travail, l’activité humaine sont des stupéfiants qui n’ont même point, pour séduire, telle ou telle petite note pittoresque (bien discutable quant à sa qualité, d’ailleurs) mais qu’il est impossible de n’accorder point à d’autres stupéfiants. La plupart dés hommes qui marchent et respirent ne méritent guère, dans notre civilisation occidentale, l’éloge d’hommes vivants puisqu’ils ne marchent et respirent que pour éviter la compagnie de ces problèmes qui, au reste, finiront toujours par venir les reprendre ou jour de leur agonie, li me faut donc déjà conclure : le mouvement est simulacre ; il est une forme du suicide, le suicide des lâches, puisque, laissant des possibilités pour l’avenir, il calme à la fois la peur de l’au-delà et l’ennui de vivre. Mais les calculs sont toujours faux. Le mensonge de l’activité spontanément se dénonce.

Oiseaux du mystère, oiseaux qui chantez au plus silencieux de moi-même, pour vous avoir entendus après le départ des autres hommes, je sais que, seule, la solitude permet quelque espoir de vérité. Certaine sensation d’âme trop bien enracinée pour que j’en puisse triompher, me force à confondre vie et vérité. Si la mort existe (la mort que les esprits forts ont, de tout temps assimilée au néant), elle m’apparaît illogique. Certaine forme d’activité me semblant dénuée de raison valable, nul ne s’étonnera donc de me la voir, je le répète, considérer comme une forme de la mort. L’agitation emprisonne le corps, l’intelligence. Qu’on parle de filet ou de murs, le corps et l’intelligence sont emprisonnés, voilà le fait. Volière tyrannique, sous leurs ailes, dans la captivité de plomb devenues, meurent nos oiseaux de mystère. Mais vienne la nuit. Le grillage des simulacres ne résiste plus. Vogue comme un ciel et comme un ciel indéniable, une certitude secrète spontanément domine les constructions de nos jours. La moindre secousse est tremblement de terre. Tours écroulées, les oiseaux rient dans nos rêves et, par vengeance, épanouissent l’éventail de leurs plus belles et plus terribles plumes. Par les rues des villes, mon corps qui se croyait éveillé fut somnambule, Dans sa maison endormie (la paix ! mes yeux, ma poitrine, mes bras, mes jambes, mon sexe), oui, dans sa maison endormie, mon esprit retrouve sa sérénité. La vie, la mort ? Mon esprit ne permet à mon corps de continuer à vivre que par certain masochisme bien illogique.

Au réveil, je me souviens mal. Tout de même, je ne puis oublier que tel rêve avait le goût de la vie, tel autre le goût de la mort, aussi précisément que tel plat avait le goût du sucre, tel autre, le goût du sel. C’est pourquoi, je me demande à quoi bon protéger de la mort mes jours ?

La recherche des causes finales, comme une vierge consacrée à Dieu, est stérile, écrivait Bacon. Or, il faut beaucoup de frivolité pour préférer à cette vierge stérile ses soeurs fécondes. La recherche des causes qui ne sont pas finales vaut juste un divertissement. Faute de mieux, à l’égal des autres divertissements (voyages, dancings, essais sexuels), elle ne peut qu’aider à tuer le temps. Tuer le temps ? Mais si je commence à vouloir tuer le temps, l’ennui devenant plus fort à mesure que j’en désire triompher, je me trouve contraint à de perpétuelles surenchères. Pour qui se refuse au terrible secours des problèmes essentiels, bien vite il n’y a d’autre possibilité que le geste ultime le suicide.

Ainsi qui veut prendre des chemins frivoles et se soustraire à toute angoisse, n’en est pas moins obligé d’envisager l’idée de mort. Une telle nécessité, forçant à la douleur les plus médiocres, prête toujours une beauté tragique aux fêtes des hommes.

Mais, dira-t-on, certains se couchent sans avoir agi, sans avoir bu, sans avoir dansé, qui ne feront même pas l’amour avant de s’endormir. Supposons un de ceux-là en paix avec lui-même. Ii pense que sa journée fut bonne, car rien ne s’y trouva désiré ou accompli qui pût choquer des soucis moraux intimes non plus que des conventions. Notre homme en paix se laisse glisser dans ses draps, se réjouit du sommeil à venir, se souhaite une bonne nuit, glousse d’aise, s’écoute glousser d’aise et s’endort.

Belle catastrophe ! Voilà qu’un premier rêve le prend, le prolonge dans la nuit, l’empêche de croire à l’oubli, au sommeil, à la mort. Il se dit que, s’il a tué le temps, dévoré l’espace, c’est qu’il voulait se tuer avec le temps, se dévorer avec l’espace. Une volonté d’anéantissement était à la naissance de tous ses actes. Il désirait prendre une notion des choses pour perdre celle qu’il allait prendre de lui-même. Il pensait que chaque réussite devait être une victoire contre soi bien plus qu’une victoire contre les autres. Il a mesuré le temps, l’espace, pour que ne viennent plus le hanter les notions de Dieu, d’absolu, de vie, de mort. Mais, hors du temps et de l’espace, il reste lui et il sait que sa vie, sa mort ne sauraient être confondues avec la vie, la mort des kilos de viande qui le désignent aux sens des autres. Le sommeil de son corps n’est pas son sommeil. Lui-même, il ne peut se mesurer. Alors, à quoi bon les bornes kilométriques, les montres ? Il a fait comme s’il savait où allait le chemin, combien valait l’heure. Il a marché, il a compté. En fait, il a continué d’ignorer la route, le nombre.

Économie, lâcheté, impuissance. Vaines sont les consolations offertes à sa curiosité, à l’inquiétude de son âme, consolations qu’il baptisait pompeusement : vérités relatives.

La vie est-elle constituée de l’ensemble des phénomènes bien connus ? Notre homme aime-t-il la vie ? Si oui, ayant mis dans cette vie toutes ses complaisances, son amour de la vie, s’il use de quelque logique, va le contraindre à se donner la mort, car, en vérité, si tant de moines vécurent vieux, aimant et désirant la mort, les jouisseurs des villes intelligentes se tuent jeunes, aimant et désirant la vie. N’est-ce pas Pétrone ? En effet, l’amour qui se veut justifier ou se trouve dans l’obligation de se vouloir justifier, critiquera ce dont justement il est né.

C’est de cette critique que sort l’activité dont l’ensemble est égal à la somme de ce que nous appelons suicides provisoires.

Mais, puis-je imaginer qu’à la suite de ces suicides provisoires, un geste définitif me permettra d’achever à jamais une vie que j’aime lorsque je la crois précaire et que j’exècre dès qu’elle me semble la simple projection terrestre d’un moment de marche éternelle ? L’intelligence pousse au suicide. Mais j’ai parlé de certaine sensation d’âme. Cette certaine sensation d’âme, qui n’est ni la peur ni la joie, me force à poursuivre ce que J’ai entrepris.

Au reste, la hantise du suicide n’est-elle pas le meilleur remède contre le suicide ?

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article de René Crevel, « Mais si la mort n’était qu’un mot », Le Disque Vert, 4e série, n° 1, janvier 1925.

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