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L’inconscient et le Livre noir (VII)

Diogène, Gorgias, Freud et Lacan

Texte de l’intervention au Café « Lounge Bar » (27 avril 2006)

Date de mise en ligne : samedi 20 mai 2006

Auteur : Guy MASSAT

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Texte de l’intervention de Guy Massat au Café le « Lounge Bar » (1, bd de la Bastille), le jeudi 27 avril 2006.

Pulsions invoquantes

« La pulsion freudienne n’a rien à voir avec l’instinct... Sa couleur sexuelle, si formellement maintenue par Freud est couleur de vide, suspendue dans la lumière d’une béance » (Écrits, p. 851), nous dit Lacan.

Remarquons que le latin Vocare : appeler, nommer, désigner par un nom et vocare : être vide, être libre, sont homophones.

Puisqu’on parle de grammaire des pulsions, on peut s’autoriser à considérer les mots comme des pulsions, des pulsions invoquantes, (étymologie vox, la voix). Freud divise la pulsion en quatre parties : la source, la poussée, l’objet et le but. La source est le corps, dit-il : or le mot aussi a une matérialité sonore ou visuelle. La poussée est l’intensité : le mot a aussi une certaine intensité, une certaine poussée. Le but est la satisfaction : le mot également vise à la satisfaction. L’objet est le moyen par lequel on obtient la satisfaction. Ce moyen est interchangeable jusqu’à ce qu’il permette d’atteindre à la satisfaction. Les mots utilisent aussi les signifiés, tels des moyens plus ou moins adéquats, pour atteindre la satisfaction.

Ce qui montre ce que souligne toujours Lacan : « la dissociation du but et de l’objet ». Certes, un versant de la parole s’articule au vécu sensoriel kinesthésique et cœnesthésique (mouvement et sensations internes). Mais ceci ne nous empêche nullement de rapporter le destins des mots aux destins des pulsions :
 Refoulement : un mot peut refouler ou être refoulé.
 Activité- passivité : un mot peut être actif ou passif.
 Retournement sur soi : un mot peut se retourner sur lui-même.
 Inversion en son contraire : un mot peut s’inverser en son contraire.
 Sublimation : un mot peut sublimer ou être sublimé.

De plus, puisque l’inconscient est langage la mère se réduit au signifiant et le signifié au père. Il n’y a ni père ni mère dans l’inconscient, seulement des mots. La barre qui les sépare est le rien, c’est-à-dire nous-mêmes, sans cette barre du rien on ne différencierait pas une chose d’une autre.

Les signifiés changent et les signifiant ne sont pas identiques à eux-mêmes. Il y a le monde des choses et le monde des mots. Le passage du monde des choses au monde des mots par le rien, cela s’appelle la castration. À partir de cette coupure transformatrice le monde des mots crée le monde des choses.

Nous allons aborder aujourd’hui deux mots fondamentaux de la psychanalyse : le phallus et la castration et en nous servant de la mythologie grecque.

Pourquoi s’intéresser à la mythologie ? Freud le conseillait fortement. Il recommandait aux psychanalystes d’être les familiers de la mythologie. « La mythologie est parvenue à quelque chose dans le genre de la psychanalyse » (Encore, p.104), faisait aussi remarquer Lacan. Peut-on être psychanalystes sans être hellénistes et peut-on être hellénistes sans être psychanalystes ? Aujourd’hui certainement pas.

L’inconscient étant d’abord intolérable, les figurations de nos pulsions inconscientes par la mythologie les rendent beaucoup plus acceptables que l’inconscient lui-même. Ainsi nous intéresser à la mythologie peut nous fait gagner du temps, du temps pour comprendre le langage de l’inconscient. Il ne s’agit pas de revenir à la mythologie à la manière de Jung pour qui le désir se rattache à des force vitales métaphysiques et pour lesquelles les mythes gardent leurs dimensions religieuses. Mais bien plutôt s’intéresser à la mythologie parce que c’est d’une part la moins religieuse de toutes et que d’autre part, il nous faut prendre au sérieux le mot mythologie comme ne relèvant que du langage : muthos et logos sont deux mots qui signifient parole. Le mythe, contrairement au dogme, est fait pour être discuter. Il entraîne la dialectique.

L’Œdipe est donc un discours. Le dit peut. Il peut quoi ? Il peut nous sortir de nos difficultés simplement parce que les savants comme les ignorants sont manipulés par des mots. L’inconscient est un langage . Que fait ce langage ? Il écoute et transforme.

Ne veux-tu rien sa voir du destin que te fais l’inconscient ? Non ? Alors, bienvenue dans le labyrinthe de l’Œdipe. Le labyrinthe abyssal des mots aussi impénétrables que des murailles et le labyrinthe terrifiant des choses qui nous enlisent dans leur présence comme dans leur absence. Bref, bienvenue dans toutes les formes de névrose qui comme l’hydre de Lerne fait surgir deux autres têtes à la place de celle qu’on a réussi à lui trancher.

Bien sûr, personne n’a eu véritablement envie dans son histoire consciente de tuer son père et d’épouser sa mère. Ce qui pourrait nous faire accroire que cette histoire de nous concerne pas. Mais redisons-le : l’Œdipe ne relève que de l’inconscient.

Or, l’inconscient est du langage. Et ceci nous oblige à traduire autrement ce qu’est notre père et notre mère, ces honorables géniteurs. La mère est ici la parole. La mère n’est qu’un mot et le père en est un autre, qui marque le sens. Signifiant sur signifié, comme dit Lacan qui privilégie le signifiant. Du coup épouser sa mère c’est se servir d’un axiome, c’est-à-dire d’une vérité indémontrable, c’est prendre une place à partir de laquelle on gouvernerait tout, pareil à Œdipe Roi, pareil à l’enfant installé sur les genoux de sa mère comme à sa meilleure place. Tuer son père se réduit à changer le sens d’un mot. Dès que nous ouvrons un dictionnaire pour chercher le sens d’un mot, son étymologie, c’est comme si nous débattions avec maman et papa. Dès que nous utilisons un mot on en change le sens, simplement parce que les mots ne sont jamais identiques à eux-mêmes. Conclusion : puisque nul n’échappe au langage, bien obligés de constater que nul ne peut éviter l’Œdipe.

« Chaque nouvel arrivant dans ce monde est mis en devoir de venir à bout de son Œdipe ; celui qui n’y parvient pas est voué à la névrose », résume Freud.

Vous vous souvenez que nous avons divisé en douze mythèmes l’histoire d’Œdipe. Hé bien entraînez-vous à analyser, approfondir toujours davantage chacune de ses étapes car elles nous accompagnent comme notre ombre. L’Œdipe est semblable à un oignon : dès qu’on en enlève une peau on en trouve une autre dessous jusqu’à ce qu’on comprenne qu’il ne s’agit que de mots. Notre vie inconsciente est infiniment plus riche et plus intéressante que notre vie consciente . Freud n’appelait-il pas sa fille Anna : « mon Antigone » ? Ce qui montre qu’il ne craignait pas de s’identifier à Œdipe. Mais il n’en était pas la victime.

Tant que l’Œdipe n’est pas sublimé on en est toujours la marionnette. Entre chacun des douze mythèmes de cette histoire nous devons considérer qu’il n’y a rien. On ne doit pas y faire rentrer d’infinités décimales, sinon on ne les distinguerait pas l’une de l’autre, on ne distinguerait pas le devenir d’une étape à une autre.

1) Le premier mythème est l’abandon. L’abandon, combien de fois a-t-on été abandonné ? Combien de fois nous sommes-nous abandonnés nous-mêmes ? Et combien de choses, d’êtres et d’actions avons-nous abandonnés ? La déréliction (le fait d’être laissé en arrière, abandonné), est bien, tout compte fait, le caractère le plus net de notre existence.

2) L’aide du roi de Corinthe. Certes, il y a des autres et nous avons été aidés, mais combien de fois, ne pouvant compter que sur nos propres forces, avons-nous dû être à nous-mêmes et pour nous-même à la fois le roi de Corinthe et la reine Péribée. Combien de fois aussi avons-nous été nous mêmes pour d’autres ingrats des Polybe, des rois de Corinthe, ou des reine Péribée ?

3) Troisième mythème : Le doute. Jusqu’où sommes-nous été capables de pousser le doute ? Faisons-nous aider par Descartes. Il pensait que peut-être deux et deux ne faisaient pas quatre, qu’un malin génie lui faisait croire à des vérités qui n’étaient que des erreurs, que les gens qu’ils voyaient n’étaient peut-être que des mannequins habillés et coiffés de chapeaux ? Qui est-on ? Qu’y a t- il ? Rien ?

4) Le destin. - Qui suis-je ? demande Œdipe qui incarne l’extrémité du doute que nous sommes à nous-mêmes. - Tu demandes qui tuer, reprend la Pythie, « qui tuer » ? eh bien, tue ton père, et tu trouveras ta place. Car tu n’est rien d’autre que ce que te fais le langage. Mais combien de fois avons-nous voulu changer de destin sans nous coltiner au langage de l’inconscient et répéter, tel Sisyphe, nos propres défaites.

5) Cinquième mythème : Tuer son père. Tuer son père (tu es son père) c’est changer le sens d’un mot, sans le savoir. Combien de fois avons-nous changer le sens des mots violemment sans même savoir ce que nous faisions ni daigner nous en rendre compte. Fatalité figurée dans le meurtre de Laïos par Œdipe à un carrefour tragique.

6) La question du sphinx. Combien de fois répondons-nous juste à des questions de sphinx sans vraiment comprendre ce que nous disons et déclenchant, comme l’apprenti sorcier, des choses surprenantes que nous ne maîtrisons pas. Une variante de la rencontre avec la sphinge rapporte non sans humour qu’Œdipe ne trouvant pas la réponse se gratte le front. La sphinge croyant qu’il se désigne lui même croit qu’il a trouvé et se tue. Qui a tetrapous, dipous, tripoux ? Oedipous !

7) Septième mythème : Le mariage avec la mère. Épouser sa mère c’est trouver sa place. Comme dit Homère : si la Terre (la mère) a le dessus sur le héros, il meurt ; si le héros prend le dessus sur sa mère, il jouit de son pouvoir sur la terre qui lui appartient. Œdipe est roi.

8) Les quatre enfants. Quatre c’est l’accès à un savoir faire. C’est comme si l’on avait compris qu’il y a quatre directions et qu’on peut donc s’orienter, à droite, à gauche, en avant, en arrière et que tout peut s’inverser dès qu’on se retourne. Dès qu’on a trouvé sa place il nous faut montrer notre savoir faire.

9) La peste tombe sur Thèbes. C’est l’adversité imprévue qui surgit comme venant de nulle part. Combien de fois en avons-nous subies des coups du sort surgissant de conjonctures extérieures ?

10) Dixième mythème : La culpabilité. Un jour ou l’autre nous arrivons à comprendre que tout ce qui nous est advenu de pire dans notre existence n’avait pour cause que nos désirs inconscients. Nous ne voulions pas les exprimer, les faire parler. Nous sommes coupables de ne pas entendre nos désirs inconscients, de les refouler, de les transférer déformés sur la réalité, et de les répéter pour des bénéfices illusoires.

11) La mort. Mourir c’est se séparer de notre corps et de notre esprit pour s’absorber, ou être absorbé, dans les délices et les richesses de l’inconscient. C’est sortir de la solitude du corps et de l’esprit.

12) douzième mythème : La prospérité. Sortir de la solitude du corps et de l’esprit fait prospérer le langage créateur de l’inconscient. Diviser, séparer, est le même mot que deviser, raconter. Sortir de la solitude de l’être fait accéder aux richesses du devenir. Et ceci n’est pas une vaine parole.

En bref : Déréliction, aide, doute, changer le sens des mots, répondre à des questions, trouver sa place, acquérir un savoir faire, rencontrer des épreuves extérieures, culpabilité, mort et prospérité par utilisation du langage inconscient. Voilà, en substance, la vraie signification de l’Œdipe.

Donc, autorisons-nous à nous demander : Veux-tu vivre intensément chaque instant, avoir la sensation de donner le meilleur de toi-même en toutes circonstances ? Veux-tu réaliser tes rêves, harmoniser ta vie privée, pécuniaire, sexuelle, sentimentale et professionnelle ? Veux-tu atteindre plus rapidement tes objectifs, vaincre aisément les difficultés, relever avec succès de nouveaux défis ? Veux-tu cesser de vivre par procuration et exister enfin selon ton propre désir ?

Voici le moyen : Laisse parler librement ton inconscient sur le divan du psychanalyste. C’est ce que Diogène appelait la paressia. Et ne cède pas jusqu’à obtenir ta propre satisfaction sans limite ni raison.

Cela guérit toutes les maladies, les faiblesses, les peurs et les angoisses, seulement par la parole et un regard toujours renouvelé, l’interprétation des rêves, des lapsus, des actes manqués, et l’exposés des symptômes. Les discours irrationnels de l’inconscient produisent des effets plus rationnels que toute raison. C’est ce que pratiquaient déjà Antiphon de Corinthe et Héraclite « en isolant les mots et en mettant à jour ce qu’ils renferment » (frag. 1), comme il disait.

Diogène, le Cynique

On se trompe encore sur l’enseignement de Diogène le Cynique. Il n’enseignait pas la pauvreté, il enseignait à vivre selon son propre désir, à ne pas céder sur son désir, à ne pas vivre par procuration. Aimer ce qu’il advient, ne pas se perdre dans le passé ou le futur.

On connaît Diogène par des anecdotes qui nous conduisent directement au centre nucléaire de son enseignement. Elles sont plus éloquentes que de longues démonstrations théoriques. Par exemple celle-ci :

Alors que Diogène prenait le soleil à Cranéion, survient Alexandre qui lui dit en se tenant devant lui :
 « Demande-moi ce que tu désires ».
 « Seulement que tu t’écartes de moi, répondit Diogène, car ton corps me cache le soleil... »

Celui qui s’est placé sur son désir n’a rien d’autre à désirer. Alexandre devint l’ami de Diogène. Il disait : « Si je n’avais pas été Alexandre, j’aurais voulu être Diogène ».

Diogène pratiquait la « paressia », la liberté de langage qui correspond à la règle fondamentale de la psychanalyse : tout dire, manier les mots sans pudeur et sans limites, même si cela semble sans intérêt, inconvenant, illogique ou absurde.

« Quelle est la chose la plus importante dans l’existence ? » demandait-on à Diogène :
 « La liberté de langage », répondait-il.

Sa dialectique lui permettait d’avoir gratuitement les faveurs de Laïs qui passait pour la plus belle et la plus chère des courtisanes.

Un jour, ayant été pris comme esclave, le marchand qui le proposait à la vente lui demanda ce qu’il savait faire. Diogène répondit : « je sais parler et exercer l’autorité ; tiens, vends-moi à cet homme qui passe là, il a besoin d’un maître ! ».

Cet homme était un certain Xéniade, qui acheta Diogène et le proposa, à cause de son éloquence, à la charge de ses enfants. Peu après il lui confia même la direction de sa maison. Diogène l’administra si bien que Xéniade affirmait partout : « Un bon génie est entré dans ma maison ».

Diogène mourut à quatre vingt dix ans en retenant volontairement sa respiration.

Si d’aventure vous avez envie de vous suicider, essayez donc la méthode de Diogène. Si vous y arrivez c’était que votre désir de mort était bien votre désir. Si vous reprenez votre respiration c’est que vous voulez vivre.

Diogène est le plus illustre représentant de l’école cynique. On reprochait aux cyniques de parler sans pudeur ni limites et de se comporter comme des chiens (cynos, chien en grec). Le cynique, tel que Lacan en parle, ne connaît qu’une loi celle de son désir, mais contrairement aux canailles il ne tente pas de l’imposer aux autres et contrairement au débile pavlonisé, il ne se laisse pas soumettre à la pensée unique, aux modes ou aux discours officiels. Le cynique consacre toute son énergie à ne pas céder sur son désir. En se servant du Borroméen on peut dire que le moi est débile, le ça est cynique et le surmoi une canaille. Ce sont les trois catégories où se déplace inévitablement le sujet, non pas pour juger les autres mais pour mieux pratiquer son analyse.

Diogène pratiquait la paressia - « le tout dire » freudien - sur les marchés et les places publiques. Ce qui avait le plus souvent de fâcheuses conséquences comme on peut l’imaginer. Platon disait de lui qu’il était « un Socrate devenu fou ». Ce n’est que tardivement qu’on le considéra comme un modèle de sagesse et de thérapie pour atteindre « la grande santé ».

Tout dire à quelqu’un qui vous écoute n’est plus possible aujourd’hui que chez le psychanalyste. Toute société nous oblige à refouler. La question est de savoir jusqu’à quel point cela est possible sans succomber à des retours de refoulé plus tragique et pervers les uns que les autres. Si la règle fondamentale de la psychanalyse consiste « à tout dire », il nous est impossible de le faire à la manière de Diogène. Le seul lieu où l’on peut s’y exercer aujourd’hui et de manière la plus profonde c’est chez le psychanalyste, le dernier lieu de la liberté d’expression, contraire à l’intolérance.

La castration

En psychanalyse la castration est d’abord la castration de la mère. De quoi s’agit-il ? Il s’agit du fait que l’enfant doit cesser de se prendre pour le phallus de la mère, phallus qui permettrait à la mère d’être un tout parfait, une entéléchie, en quelque sorte, un acte accompli et la perfection de cet accomplissement.

Le phallus est donc d’abord ce à quoi l’enfant s’identifie dans son imaginaire pour remplacer le manque de pénis de la mère. La psychanalyse nous délivre de ce modèle infantile.

Mais nous retrouvons ce drame inconscient et sa nécessaire solution, décrits par Freud et Lacan, mis en scène dans la mythologie telle que nous la rapporte Hésiode. Voici le texte d’Hésiode :

« Tout d’abord fut Chaos, l’abîme, dit-il (v. 116), puis terre aux larges flancs... (Donc la terre, notre mère à tous, sorti directement de l’abîme. Ce que confirme, à sa façon, la physique moderne quand elle démontre que la matière vient du vide). Puis Terre enfanta d’abord un être égal à elle-même, capable de la couvrir toute entière, Ouranos, le Ciel Etoilé » (v. 126).

Terre et Ciel forment donc le premier couple de l’histoire et c’est un couple incestueux : mère-enfant.

Le Ciel incestueux faisait des enfants à la terre, sa mère. Mais, poursuit Hésiode, « à peine étaient-ils nés qu’au lieu des les laisser monter à la lumière, Ouranos les enfonçait tous dans le sein de la terre, et tandis que le Ciel se complaisait à cette œuvre mauvaise, l’énorme Terre en ses profondeurs étouffait et gémissait » (v.156) .

Terre chargea alors Chronos de la délivrer de ces souffrances. Comme l’a vu Freud c’est bien la mère qui menace d’abord de la castration. Vous allez voir :

« Terre imagina une ruse perfide et cruelle, nous dit Hésiode, Elle créa rapidement le métal blanc acier. Elle en fit une grande serpe, puis s’adressa à ses enfants, et, pour exciter leur courage, leur dit, le cœur indigné : Enfants issus de moi et d’un furieux, si vous m’en croyez, nous châtierons l’outrage criminel d’un père, tout votre père qu’il soit, puisqu’il a le premier conçu œuvres infâmes. Elle dit, la terreur les prit tous, et nul ne dit mot. Seul sans trembler, le grand Chronos aux pensées fourbes répliqua en ces termes à sa noble mère : C’est moi, mère, je t’en donne ma foi qui ferai la besogne. D’un père abominable je n’ai point de souci, tout notre père qu’il soit (ce père, remarquons le, est aussi son frère : Ouranos est le fils de la Terre et Chronos leur enfant). Il a le premier conçu œuvres infâmes, dit Chronos et l’énorme Terre en son cœur sentit une grande joie. Elle le cacha, le plaça en embuscade, puis lui mit dans les mains la grande serpe aux dents aiguës et lui expliqua tout le piège. Et quand le grand Ciel vint, amenant la nuit, pour envelopper la Terre, tout avide d’amour, s’épanchant en tous sens, le fils à son poste, étendit la main gauche, tandis que de la droite, il saisissait l’énorme, la longue serpe aux dents aiguës, et brusquement, il faucha les bourses de son père pour les jeter ensuite, au hasard, derrière lui » (v. 160).

Ouranos et Chronos nous montrent le refoulement et le retour du refoulé, et la castration. Vous voulez refouler ? Le retour du refoulé vous castrera.

La castration porte sur le phallus en tant qu’il est imaginé par l’enfant comme un objet ou comme un être. C’est pourquoi Lacan n’envisage pas le concept de castration de façon opposée à partir du sexe de l’enfant. L’enfant, fille ou garçon, veut absolument être le phallus pour capter le désir de la mère.

La castration implique donc de renoncer à l’être ou l’avoir.

Dès lors qu’on se révèle soumis aux lois du langage, c’est-à-dire dès lors que le phallus n’entre plus en jeu cette fois qu’en tant que signifiant, qu’en tant que mot, qu’en tant que parole, le corps physique phallique, auquel s’identifiait l’enfant, est imaginairement tranché.

Ainsi, le phallus, comme concept fondamental de la théorie psychanalytique n’appartient qu’à l’ordre du langage. Il est donc indifférent à la particularité des sexes. C’est ce qui permet de comprendre ce que Freud décrit de la libido : elle est essentiellement phallique. Le phallus est le principal opérateur de puissance non dans le corps mais seulement dans le langage.

Si toute signification renvoie au phallus, c’est, explique Lacan, dans la prise en compte de la barre qui sépare le signifiant du signifié.

Le phallus est la notion centrale de la psychanalyse à la condition, montre-t-il, de le comprendre en ses trois dimensions : réelle, imaginaire et symbolique, dimensions qui seules forment sa consistance. Cette consistance phallique est figurée par le nœud borroméen. Le nœud borroméen qui est fait, vous vous souvenez, de trois trous. Trois trous qui ne sont noués que par leurs bords, qui sont en mouvement. Le phallus devient fonction phallique avec la consistance du nœud borroméen.

Le passage du phallus corporel, en ses catégories de l’être et de l’avoir, se métamorphose en la catégorie du faire par le langage.

Le mythe d’Apollon et de sa sœur jumelle Artémis met en scène ce processus.

Qui sont Apollon et Artémis ?

Artémis et Apollon sont les enfants jumeaux des amours de Zeus et de Léto, une splendide divinité de la nuit.

Jalouse et humiliée par cette passion illégitime, Héra, l’épouse de Zeus, interdit alors à tous les lieux de la terre ferme de donner asile à Léto pour son accouchement. Elle ordonna que Léto ne puisse accoucher en aucun endroit sur lequel brillerait le soleil.

Ainsi Léto dût-elle se réfugier sur une île flottante, appelée Ortygie, l’île aux cailles. Là, Poséidon, le frère de Zeus, soulevant les flots de la mer, fit une sorte de voûte liquide au-dessus de l’île flottante.

Ainsi, abritée du soleil sur cette terre fluctuante, Léto put mettre ses enfants au monde, en contournant les vindictes de la femme de Zeus.

Un jour sept, comme on dit en mythologie, Artémis et Apollon naquirent. Artémis naquit la première et aida sa mère à mettre au monde son frère Apollon. Au moment où naissait Apollon des cygnes sacrés (kukos, en grec qui signifie cercle) firent sept fois le tour de l’île, pour leur assurer une éternelle protection.

Les deux enfants étaient doués d’une force invincible et d’une beauté radieuse. Zeus leur demanda de ce rendre aussitôt à Delphes, le centre du monde, sur un char volant attelés de sept cygnes.

La première chose que firent Artémis et Apollon en arrivant au centre du monde, fut de tuer le serpent Python. Le serpent python était un dragon femelle né de la Terre. Il représentait le phallus maternel. Sa destruction représente la castration symbolique et le passage à la fonction phallique du langage. Apollon et Artémis instituèrent alors les jeux pythiques, de la poésie, de la musique, du théâtres et du sport.

Puis, dans le sanctuaire de Thémis, la justice, ils consacrèrent le trépied. C’est sur un trépied que les Pythies rendront désormais leurs oracles dans le temple de Delphes. Ces oracles devinrent les plus importants du monde méditerranéen. Ils exprimaient les lois du langage inconscient. Ils eurent une influence politique considérable car ils arrivaient à réguler les abus sociaux soit des tyrans soit des démocraties.

Apollon régnera à Delphes et Artémis à Ephèse. Le temple d’Artémis à Ephèse était dit-on la plus belle des sept merveilles du monde. C’est là qu’Héraclite déposa son livre sur le logos et le devenir qui eut une portée considérable sur tout le monde grec et dont il ne nous reste plus aujourd’hui que des fragments.

Artémis

Artémis (artémes) veut dire en grec « bonne santé ». Elle incarne « la grande santé », celle de l’inconscient par rapport à la santé du corps et de l’esprit. Artémis est la déesse de la castration créatrice.

On a cru que les statues d’Artémis que l’on trouve encore à Ephèse représentaient trois rangées de seins. Mais les spécialistes constatèrent rapidement qu’il s’agissait en réalité de trois rangées de testicules de taureau. Les testicules de taureau témoignent de ce que le taureau, figure de la force et de la virilité, a été castré.

De plus, on remarque que les statues d’Artémis sont parsemées d’abeilles. Or le mot abeille dérive de la racine Dbr en phénicien qui signifie parole (d’où le prénom de Déborah qui est toujours utilisé de nos jours). Les prêtresses du temple d’Artémis à Ephèse étaient d’ailleurs nommées « abeilles ». L’abeille symbolise l’éloquence, la poésie et l’intelligence. On raconte par exemple que des abeilles s’étaient posées sur la bouche du poète Pindare, le poète grec auteur des Pythiques, lorsqu’il était enfant pour inspirer sa parole.

Artémis figure donc la castration de l’imaginaire en faveur de la parole. C’est cette opération symbolique qui bâtit la structure subjective de tout être humain. Pour Lacan, l’assomption, la prise en charge de la castration, n’est autre que celle d’un désir qui cesse dès lors d’être soumis à l’idéal paternel.

Comme dit Freud : « la culture a inauguré le détachement d’avec l’état originaire d’animalité » (L’avenir, p. 10).

Tout est langage

Tout est langage, ordinaire, savant ou inconscient. Tout est langage, et qui plus est, le rien n’en est pas moins langage. Le rien fait partie du langage, il est la coupure qui permet de distinguer une chose d’une autre. D’où son importance dans l’objet petit a.

Certes nous sommes entourés d’objets qui ne parlent pas. Mais ce sont des objets qui ont été construits. Ils ont donc pour origine le langage. C’est du langage passé, pourrait-on dire. Mais, protesterez-vous, la terre, l’eau le feu et l’air, personne ne les a conçus, ils étaient là avant que nous parlions. Certes, mais ces quatre éléments se transforment perpétuellement les uns dans les autres et constituent par là même un langage. Dans la perspective de l’être le langage est limité, dans celle du devenir tout est langage. Le langage inconscient, celui qui est refoulé par les autres, et pourtant celui dont s’originent les autres formes de langage. Solide, liquide, air, feu et devenir correspondent aux cinq éclats de l’objet petit a (cause du désir) : les fèces, c’est le solide, le regard c’est le feu, la voix c’est air, le sein c’est le liquide et le rien le devenir.

Le langage inconscient (rêves, lapsus, actes manqués, oublis, symptômes) constituent la matière de la psychanalyse. Freud et Lacan ont insisté sur l’expression sonore des mots, faite d’allitérations et de rythmes par lesquels s’expriment le langage de l’inconscient.

Par exemple, Jean Tardieu dans « Un mot pour un autre » s’en sert dans ce passage où tout le monde comprend ce dont il s’agit bien qu’aucun mot ne soit conforme au discours ordinaire. Cela en tout cas suscite le rire. Et le rire est le propre de l’inconscient.

La bonne annonce :
 « Madame, c’est madame de la Perleminouse »

Madame :
 « Ah ! Quelle grappe ! Faites là grossir ! »

La bonne fait entrer la comtesse.

Madame :
 « Chère, très chère peluche ! Depuis combien de trous, depuis combien de galets n’avais-je pas eu le mitron de vous sucrer ! »

Mme de Perleminouse :
 « Hélas ! Chère ! J’étais moi-même très vitreuse ! »

Tout le monde comprend la pièce bien qu’aucun mot de soit adéquat. « L’inconscient a à faire avec la grammaire » nous dit Lacan (Le savoir, p. 13). C’est pourquoi les fautes d’orthographe font partie du matériel analytique.

Les mots ont des corps qui sont faits de lettres, lesquelles représentaient autrefois des animaux et de choses. A, c’était la vache, B, le maison, C, le chameau etc. Jusqu’à ce que les Grecs leur fassent subir une castration fondamentale en séparant les images des sons. Cette castration phonématique permit à toutes les langues du monde de pouvoir s’écrire facilement seulement à partir de deux douzaine de sons et phonèmes : A, B, C, D, etc., qui n’ont plus rien à voir avec vache, maison, chameau, porte etc. L’ordre des lettres à l’intérieur d’un mot n’a que peu d’importance, révèle une étude de l’Université de Cambridge. La seule chose importante est que la première et la dernière soient à la bonne place ; les lettres du milieu du mot peuvent être dans le désordre vous pourrez lire le mot sans difficultés. Vous pouvez très bien lire le passage suivant : « Sleon une édtue de l’Uvinertisé de Cmabrigde l’odrre des ltteers dans un mot n’a pas d’ipmrotncae.... »

L’ordre intérieur des lettres d’un mot n’a pas d’importance pour le conscient, l’important c’est que la première et la dernière lettre soient justes. Cependant le désordre interne des lettres va nous révéler toutes sortes de signifiés inconscients. La première lettre c’est la mère la dernière c’est le père et l’entre deux c’est nous-mêmes.

L’invention de l’alphabet phonématique par les Grecs constitue la castration la plus féconde de l’histoire des êtres humains. Le temple d’Apollon et celui d’Artémis, la plus belle des sept merveilles du monde, en étaient les témoins.

Les sophistes avaient compris que la perspective du devenir était plus féconde pour l’individu que la perspective de l’être qui le refoule, et que toujours le devenir vient castrer l’être d’une manière ou d’une autre. L’œuvre de Gorgias est aujourd’hui à revoir dans la perspective de l’inconscient.

Gorgias

Gorgias est l’auteur du Traité du non-être : « Traité de la nature ou du non-être ». C’est-à-dire que la nature n’existe pas, ou plus précisément qu’elle n’est que du langage. Il n’y a pas de matière autre que le langage. Einstein nous dit la même chose : « En supprimant la matière, nous croyions qu’il resterait l’espace, mais en supprimant la matière nous nous sommes aperçu que nous avions aussi supprimé l’espace ». Ne reste donc que le discours.

Les propositions de Gorgias nous délivrent de tous les narcissismes mortels. Il nous fait sortir de la solitude de l’être en faveur de l’abondance et des richesses du devenir.

Les arguments de Gorgias nous sont parvenus grâce à Sextus Empiricus dans son ouvrage Contre les Dogmatiques. Il s’agit bien avec Gorgias de propos anti-dogmatiques, contre tout dogme physiques ou spirituels. Nous dirions avec Lacan imaginaires ou symboliques.

Gorgias est né en Sicile en 487 av. notre ère. Il est mort en 380. C’est-à-dire qu’il vécut 103 ans. Il devint très riche en donnant des leçons de rhétorique, sa thèse étant comme celle de la psychanalyse, qu’il n’y a que le langage. Il enseignait l’art de triompher par le langage. Triomphe, a pour étymologie Triambos, qui signifie « hymne à Dionysos ». Triomphus signifiait chez les Romains, la pénétration solennelle à Rome d’un général victorieux. Victoire en français se dit en grec Niké. Niquer (« posséder sexuellement », nous dit le Robert) laisse entendre que le langage débloquerait aussi l’inhibition sexuelle et les problèmes de pénétration.

Les leçons de Gorgias sur l’importance du langage permettaient à ses élèves de réussir dans les affaires comme dans les procès. Il mourut heureux, entouré d’amis et d’œuvres d’art dans une maison splendide et non pas comme Socrate qui allait pieds nus vêtu d’un pauvre manteau et qui fut condamné à boire la ciguë par un tribunal imbécile. Comme l’a diagnostiqué Lacan : Socrate était hystérique.

Gorgias avait eu pour Maître Empédocle d’Agrigente si estimé de Freud. Selon Empédocle d’Agrigente (Sicile), les choses sont crées par la combinaison de quatre éléments : l’eau, la terre, le feu et l’air. Leur mélange et leurs échanges sont régis par deux principes : l’attraction et la répulsion. Voici ce que dit Freud dans son Abrégé de Psychanalyse (p. 8) :

« Nous allons au-delà du domaine de la vie jusqu’à la paire d’opposés qui règne dans le monde anorganique : attraction et répulsion. Le philosophie d’Empédocle d’Agrigente, poursuit Freud, avait déjà adopté cette façon de considérer les forces fondamentales, ou pulsions, opinion contre laquelle tant d’analystes s’insurgent encore. »

Gorgias dans son traité du non-être, montre que « rien n’est ». Le rien intéressent les psychanalystes puisqu’il est un de cinq éclats de l’objet petit a cause le désir.

« Nihil est sine ratione », dit Leibnitz, ce que Heidegger traduit - non pas comme d’habitude, par « rien n’est sans raison » mais -, par rien est, nihil est, sine ratione, sans raison. Rien est sans raison. Le devenir est sans raison.

Mallarmé dans son célèbre « Un coup de dé jamais n’abolira le hasard » soutient lui aussi que : « Rien n’aura donc eu lieu ».

Platon dans son Gorgias a jeté un discrédit total sur la pensée de Gorgias et l’a ridiculisée au point qu’aujourd’hui encore le terme de sophisme désigne, dans le monde entier, un raisonnement faux.

Pourtant, avec l’inconscient freudien l’argument peut s’inverser. Nous pouvons considérer que ce que Platon fait dire à Socrate se résume à de « l’erreur fuyant dans la tromperie et rattrapée par la méprise » (Séminaire I, p. 302).

Ce que l’on a pas vu et qui n’apparaît qu’avec l’inconscient freudien, c’est que Platon parle selon le conscient alors que Gorgias défend et soutient le discours inconscient. Ce qui pourrait mettre tout le monde d’accord.

C’est dans cette perspective que les propositions de Gorgias sont beaucoup plus importantes que le discours socratique. Gorgias soutient « le rien » à partir duquel toute chose est possible. Son traité du non-être est le traité du rien. (On trouvera chez Lacan la théorie du manque d’objet dans La relation d’objet).

Le Traité du rien en trois argumentations

Première argumentation

Il n’y a rien, assure Gorgias, car s’il y avait quelque chose ce serait soit de l’être soit du non-être. Or le non-être n’est pas puisque s’il était, il faudrait qu’il soit en tant que non-être. Il ne pourrait pas alors se distinguer de l’être, ou alors il faudrait que l’être ne soit pas. Or comme il est impossible pour l’être que l’être ne soit pas il résulte que le non-être n’est pas.

Y a-t-il pour autant de l’être ? poursuit Gorgias.

S’il y a de l’être il faut qu’il soit quelque part, dans l’espace ou dans l’esprit, en tant qu’infini ou en tant que fini.

Prenons l’être infini. Si l’être infini est, il lui faut être quelque part, dans l’espace ou dans l’esprit. Mais le contenant étant nécessairement plus grand que le contenu, l’être infini ne peut pas être quelque part pour la raison qu’il serait obligatoirement contenu dans quelque chose qui, elle, serait plus grande que lui. Rien n’étant plus grand que l’infini, l’être infini ne peut donc pas être quelque part. Ne pouvant être quelque part il n’est pas possible qu’il soit.

L’être est-il donc fini ? Si l’être est fini, il a un commencement et une fin. Toute fin a un commencement qui l’a engendré et par lequel il commence. L’être fini doit nécessairement avoir un commencement d’où il a été engendré. Mais pour engendrer il est nécessaire d’être ce qui engendre. Donc si l’être fini était il faudrait qu’il existe avant qu’il soit engendré puisque pour engendrer il faut être.

Quant à être à la fois fini et infini les deux propositions s’annulent l’une l’autre.

Ensuite, Gorgias montre que l’être ne peut être ni un ni multiple :

Si l’être était un, il lui faudrait être une quantité ou un continu, ou une grandeur ou un corps ; or tout cela est divisible. Le un étant divisible l’être n’est pas un. Mais l’être ne peut pas non plus être multiple puisque le multiple est constitué par des unités qui justement ne le sont pas.

Donc l’être ne peut être ni un ni multiple.

L’être et le non-être peuvent-ils exister ensemble ?

L’être et le non être ne peuvent exister ensemble car dans ce cas ils seraient une seule et même chose, étant cela qui est. Mais si nous disons qu’ils sont l’un et l’autre il ne sont donc pas la même chose. Donc l’être et le non-être ne peuvent exister ensemble.

En conclusion : comme il ne peut y avoir rien qui soit en dehors de l’Etre, du Non-Etre ou des deux ensemble, il suit de là que rien n’est. [Voir chez Lacan « les trois formes du manque d’objet » (p. 25)].

Comme dit Lacan : « la béance de l’inconscient est pré-ontologique » (Ni être ni non-Etre, Séminaire XI, p. 31) et « s’il n’y avait pas le verbe être il n’y aurait pas d’être du tout » (Les non-dupes errent). Puisque rien n’est, il n’y a donc que du « parlêtre ». L’art qu’il convient de cultiver n’est pas la vaine science de l’être mais la science du discours (logos). La valeur du langage n’est jamais sous l’entière dépendance d’une réalité objective.

Deuxième argumentation

Même s’il y avait quelque chose, soutient Gorgias, elle serait inconnaissable. [Comme dit Freud « la réalité demeurera à jamais inconnaissable » (Abrégé, p. 71)]. Lacan nous dit la même chose : « Il n’y a pas de connaissance qui ne soit d’illusion ou de mythe » (Radiophonie, p. 84).

Si les choses qui sont pensées ne sont pas des êtres, l’être n’est pas pensé, soutient Gorgias.

En effet, si la pensée est la chose même, il fut que celle-ci ne soit jamais pensée qu’avec les qualités qu’elle a réellement, toujours pensée comme blanche si elle est blanche, et jamais avec une couleur qu’elle n’a pas. De plus, si les pensées sont des êtres, tout ce qui est pensé sera tel qu’il est pensé. Si par exemple quelqu’un pense qu’un homme vole dans l’air, cet homme vole en effet, s’il pense à des chars courant sur la mer, ces chars courent sur la mer. Inversement si les êtres et les pensées coïncident, les choses qui n’existent pas, n’étant pas des êtres, ne seront pas pensées ; or Charybde (un monstre d’une voracité insatiable), Scylla (une femme monstre dont la partie inférieure est constituée de six chiens féroces qui dévorent tout ce qui est à leur portée), la Chimère (avec sa tête de lion, son corps de chèvre et sa queue de serpent), etc., sont des choses qui ne sont pas et qui cependant peuvent être pensées.

Les choses visibles sont tenues pour existantes par le seul fait qu’elles sont vues, les choses sonores sont tenues pour existantes par le seul fait qu’elles sont entendues ; et l’on ne s’avise pas de dire que les choses visibles n’existent pas en raison de qu’on ne les entend pas, ni que les sons n’existent pas parce qu’ils ne sont pas vus. Dès lors et pour la même raison, il ne suffit pas de dire que Charybde, Scylla et la chimère n’existent pas parce qu’elles ne sont ni vues ni entendues et qu’elles sont simplement pensées. Il s’en suit 1) que l’être n’est pas la pensée, 2) que nous pouvons penser des choses qui ne sont pas 3) qu’il n’est pas vrai que ce qui est pensé soit.

Conclusion : l’être ne peut être, ni saisit, ni pensé.

Troisième argumentation

Même s’il était perçu (saisi par l’esprit ou par les sens) l’être ne serait pas communicable à autrui.

En effet si les choses qui sont à l’extérieur sont vues et entendues et communément perçues, et si parmi ces choses celles-là seules qui sont visibles sont vues et celles qui sont capables d’être entendues sont seulement entendues, et non pas réciproquement puisqu’on ne peut pas, au sens strict des mots, entendre ce que l’on voit et voir ce que l’on entend ; comment ces choses là pourraient-elles être signifiées à quelqu’autre ? Car ce que nous signifions est le discours et le discours n’est pas la chose. Nous ne communiquons pas les choses à autrui mais seulement un discours, lequel est différent des choses. De même que ce qui est visible ne pourrait devenir ce qui est sonore et réciproquement ; ainsi, par le fait que cela est au dehors, cela ne pourrait devenir réellement notre discours. Et si cela n’est pas notre discours les choses ne peuvent être communiquées à autrui.

Le discours est formé d’un ensemble de perceptions, d’un ensemble de choses qui viennent du dehors et auxquelles nous sommes sensibles : de la rencontre avec le liquide résulte pour nous le discours relatif à cette qualité. Et de l’incidence de la couleur ce que nous disons de la couleur. Mais s’il en est ainsi, le discours n’est pas ce qui communique ce qui est au dehors, c’est ce qui est ailleurs qui donne au discours sa signification.

Si le discours a une existence propre il diffère des choses sensibles et intelligibles. Ainsi, donc le discours ne communique pas les choses.

Comme dit Lacan : « le langage n’est pas réductible à la communication. » Dans « Fonction est champ de la parole et du langage » (Écrits), Lacan précise ce que dit Gorgias en substance : « C’est le monde des mots qui crée le monde des choses » (p. 276).

Dans Le savoir du psychanalyste (p. 29) : c’est d’être parlant - excusez-moi du premier être - qu’il vient à l’être, enfin qu’il en a le sentiment. Naturellement il n’y vient pas, il rate ». « C’est du langage que nous tenons cette folie qu’il y a de l’être » (Silicet, 6/7, p. 49).

Et c’est donc ce que Gorgias nous dit depuis 2500 ans.

Guinomai en grec, le devenir, s’oppose à l’être einai, l’être immuable, selon Platon.

Le devenir est désir, dé (manque) et sir, S.I.R. (Symbolique, Imaginaire et Réel). Désir physique, désir mental et le désir d’extinction de tout désir est encore désir. Le devenir est inextinguible.

« Ne pas céder sur son désir » signifie ne pas voir peur du devenir. « L’univers n’est que dans la cause du désir » (Lacan, L’étourdi, p. 30). « La seule chose dont on puisse être coupable c’est d’avoir cédé sur son désir » (L’Éthique, p. 370). « As-tu agis en conformité avec ton désir ? » (L’Éthique, p. 359) 

L’objet a

L’objet a relève du nombre d’or. L’étoile étant une représentation du nombre d’or on peut s’en servir pour classer les cinq éclats figurant cet objet.

Le sein et les fèces évoquent l’oral et l’anal, les deux orifices qui nous constituent. C’est un tuyau à deux ouvertures, entrée et sortie, mais ces deux ouvertures se confondent topologiquement en un seul anneau, un tore. Comment distinguer le bon (le sein) du mauvais (les fèces). Ce qui est bon devient mauvais et ce qui mauvais devient bon. En profondeur nous ne savons pas distinguer le bon du mauvais car il ne sont pas en soi. Comme on ne se voit pas d’où l’on se regarde, on peut dire qu’on ne s’est jamais vu. On est en quelque sorte invisible. On ne s’est jamais vu. Comme la parole véritablement vraie n’est pas la parole exprimée, on n’a jamais vraiment parlé. On est sans voix. De sorte qu’à y bien penser on est rien et pas même rien puisque nous sommes paroles. C’est à partir de ce jaillissement, ob-jet, jet devant, petit a, parce que l’a est le commencement, que le désir parle. L’objet petit a est ce jaillissement qui cause du désir : oral, anal, regard, voix et rien

L’être est dit le lettré. Les livres sont plein de lettres pour nous faire croire à l’être. Or l’être n’est qu’un moment du devenir.

Dans devenir il y a venir et qui marque la séparation, la division. Le langage est engagé dans un processus qui aboutit à un changement d’état. C’est le passage d’un moment à l’autre. Le langage est le devenir. Il y a devenir d’un moment à l’autre. Il y a devenir de l’enfant à l’homme, de l’homme au vieillard, du vieillard au cadavre, du cadavre au non-être, du non-être à l’apparition, de l’apparition à la naissance, de la naissance à l’enfant.

Pour devenir il ne faut pas être. Pour devenir quelque chose il faut cesser d’en être une autre. Il n’y a pas de place pour l’être dans le devenir ! Ce qui est ne devient pas. Donc pour le mouvement il n’y a pas de place dans l’être. Le mouvement est du côté du devenir. Ceux qui parlent d’être immuable nient le mouvement. Pour eux il n’y a pas de mouvement. Heureusement Diogène nous prouvait le mouvement... en marchant.

Y-a-t-il quelque chose qui serait et qui ne deviendrait pas ? On peut toujours le dire mais jamais le prouver. Tandis que le devenir est beaucoup plus commode à comprendre puisque tout change, surgit et disparaît. Le Réel, autrement dit l’inconscient, n’est pas totalisable parce que toujours en devenir. C’est d’être parlant que le sujet vient à l’être, enfin qu’il en a l’impression. « Naturellement il n’y vient pas, il rate » ; car : « c’est du langage que nous tenons cette folie qu’il y a de l’être » (Silicet, 6/7, p. 49).

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