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Benjamin Ball

Du délire des persécutions

Du délire des persécutions ou maladie de Lasègue (1ère leçon)

Date de mise en ligne : samedi 28 février 2004

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Avant-propos

Les discussions nombreuses dont le délire des persécutions a été récemment l’objet, m’ont engagé à publier les conférences, que j’ai faites sur cette question dans le courant de la dernière année scolaire. On y trouvera, je l’espère, sous une forme concise, mais substantielle, l’exposé de l’état actuel de la science à cet égard. J’ai eu surtout pour but de rendre justice à la mémoire de Lasègue, dont le rôle semble avoir été visiblement amoindri par quelques-uns de ses successeurs.

Première leçon
Du délire des persécutions

Depuis la fondation de cette chaire, nous avons dû passer en revue la plupart des sujets qui relèvent de la médecine mentale ; et parmi les questions qui, dans le cours de notre enseignement, ont successivement attiré notre attention, le délire des persécutions tient assurément l’un des premiers rôles.

Plus d’une fois nous en avons abordé l’étude devant vous, plus d’une fois nous avons développé devant vous les considérations qui s’y rattachent ; et cependant c’est précisément ce sujet que nous avons choisi pour inaugurer, cette année, la série de nos leçons.

C’est qu’en effet, s’il existe des sciences, comme l’anatomie descriptive, qui semblent avoir presque atteint la perfection des langues mortes, et dont les lignes fondamentales ne sauraient plus, varier, il en est d’autres qui, semblables aux langues vivantes, trahissent par leurs variations incessantes les incessantes fluctuations de l’esprit humain.

La clinique est de ce nombre, et voilà pourquoi, sans jamais vieillir, elle se répète toujours.

Depuis deux ans, une discussion des plus animées est venue donner un relief nouveau à la question qui va nous occuper. Les opinions les plus opposées s’y sont successivement fait jour ; le débat n’est pas encore terminé.

J’entre donc en pleine actualité, en reprenant aujourd’hui l’étude de ce problème si souvent discuté devant vous, et je me propose de l’envisager sous toutes ses faces, afin de lui donner tout le développement qu’il mérite.

Mais, vous le savez, c’est d’un cours de clinique que je suis chargé, et j’ai, par conséquent, adopté le principe de faire pivoter chacune de mes conférences autour de l’observation d’un malade.

Celui dont je veux aujourd’hui vous parler ne présente point cette brillante éloquence, cette physionomie originale et ces côtés dramatiques, qui donnent tant de saveur à l’histoire de certains persécutés. Il n’en réalise que mieux le type de la maladie telle que Lasègue l’a décrite pour la première fois. C’est un modeste ouvrier dont l’histoire un peu terne pourra vous être rapidement présentée ; elle n’en est pas moins digne d’intérêt, et vous y retrouverez les principaux caractères de la maladie, que je me propose d’étudier maintenant avec vous.

Un homme de quarante-quatre ans, de taille moyenne, d’aspect vigoureux, est amené à la clinique de Sainte-Anne au mois d’avril 1881. Détail curieux, le certificat de la préfecture est signé Lasègue, et ce malade présente précisément le type du délire auquel Lasègue a le plus spécialement attaché son nom.

Marié deux fois, il vivait avec sa seconde femme, lorsqu’en 1873, éclata le délire pour lequel nous le traitons aujourd’hui. Il y a donc quinze ans qu’il est malade.

Ouvrier lithographe apprécié par son patron, aimé de ses camarades, il travaillait un jour dans son atelier, lorsque, tout à coup, il entendit des voix qui lui disaient que sa femme le trompait. Ses hallucinations se sont souvent répétées, et pendant longtemps le délire est resté fixe et identique à lui-même. L’infidélité supposée de sa femme était le point de départ, le pivot de son aberration mentale. C’est seulement en 1880, sept ans après le début de sa maladie, qu’il a commencé à devenir plus actif et à se plaindre vivement de ses persécuteurs. Les ouvriers de son atelier, non contents de l’insulter, lui faisaient des misères ; on dérangeait ses outils, on l’empêchait de travailler. Bref, il quitte la maison où depuis de longues années il était employé. Il entre dans deux autres ateliers, il trouve les mêmes misères. Enfin, l’hallucination prend un empire absolu sur lui. Les illusions s’y joignent. Tous les bruits se transforment en voix humaines, et toutes ces voix l’insultent. Un menuisier, qui travaille dans une pièce voisine, lui parle à coups de marteau ; s’il y a trois coups, il entend pé-dé-raste ; s’il y en a deux, co-quin. Les ronflements de son père se transforment en paroles, qui deviennent des reproches au sujet de son oisiveté. Enfin, les voix deviennent impératives ; elles lui défendent de travailler, elles lui donnent à chaque instant des ordres qu’il est forcé d’exécuter.

Un jour, qu’il se trouvait dans un dénuement absolu, il crut entendre la voix de sa tante qui lui disait : Va chez le boucher, montre lui tes trois, il te donnera à manger. Il est inutile de chercher un sens à cette phrase d’aliéné ; toujours est-il qu’il va chez le boucher, répète ce qu’on lui a dit, et provoque une scène tragi-comique qui aboutit à des violences, dont la conséquence finale a été son arrestation. Depuis longtemps, d’ailleurs, cet homme se laissait emporter à des voies de fait contre son père, sa mère et son enfant. Un jour, il faillit tuer sa mère qui l’injuriait, dit-il, c’est-à-dire que ses hallucinations la portaient à croire que cette femme lui adressait des injures.

Il est à la clinique depuis sept ans aujourd’hui, et une sobriété forcée a fait disparaître chez lui toute trace d’alcoolisme. Il est devenu réticent ; il faut lui arracher les renseignements qu’il donnait autrefois avec une certaine exubérance et une certaine animation. On apprend, à force de questions, qu’on injuriait sa femme, on l’accusait de mauvaise tenue et de mauvaises mœurs. On disait que ses jupons traînaient dans la boue. On lui faisait entendre ces paroles par un appareil céphalétique ou échostique. Vous trouvez ici les néologismes familiers à ce genre d’aliénés. D’autres fois il paraît avoir eu des hallucinations psychiques. Tantôt on lui envoie des pensées dans la tète ; tantôt il entend les voix comme si tous lui parliez. Il ne sait pas qui lui envoie ces voix ; il n’a pas de persécuteur en ce moment.

Il est modeste, il ne s’attribue pas de qualités extraordinaires ; il peut gagner, quand il travaille, dit-il, sept francs par jour. Il s’accorde une instruction très élémentaire, celle que peut avoir un simple ouvrier. Il dit cependant qu’il a fait des inventions en lithographie (ce qui, d’ailleurs, est parfaitement possible et peut être vrai). Il accuse ses persécuteurs de lui voler ses inventions en surprenant sa pensée. On me fait mon bien, dit-il, ce qui veut dire : on me vole mes inventions.

En somme cet homme, déjà malade de depuis quinze ans, n’est pas encore un ambitieux : il le deviendra peut-être. Et c’est peut-être sur la pente des inventions qu’il glissera plus tard. Mais, en ce moment je ne saurais découvrir aucune trace de mégalomanie.

Ajoutons ici qu’il jouit d’une très bonne santé et ce fait négatif me paraît de la plus haute importance.

C’est qu’en effet le persécuté est habituellement un malade bien portant, malade d’esprit mais sain de corps. Nous voyons ici un frappant contraste avec la manie et surtout avec la mélancolie dans laquelle les troubles somatiques (amaigrissement, perte d’appétit, insomnie) se joignent presque toujours aux troubles psychologiques. Le persécuté, au contraire, est souvent un homme d’une vigoureuse santé et d’un esprit robuste ; il semble destiné à vivre de longs jours, il ne verse que difficilement et tardivement dans la démence à laquelle il échappe souvent malgré la longue durée de sa carrière. On voit souvent des persécutés dont l’intelligence est encore intacte à l’âge de soixante-dix ou quatre-vingts ans, bien que leur délire soit toujours resté identique à lui-même.

Le délire des persécutions est donc une vésanie, c’est même le type des vésanies vraies. C’est un trouble de l’intelligence avant tout, et l’on ne s’étonnera pas de voir qu’il ait été décrit pour la première fois, à titre de maladie spéciale, par un grand psychologue, Emmanuel Kant.

Sans doute, il y a toujours eu des persécutés et nous trouvons, chez les historiens, des types bien manifestes de ces déviations mentales. Les médecins du dix-septième et du dix-huitième siècle en ont donné des observations très concluantes. On en trouve un exemple très remarquable dans le livre de Pinel. Enfin, dans son chapitre des monomanies, Esquirol rapporte plusieurs exemples très bien observés, mais sans en faire les éléments d’un groupe spécial ; et, parmi les médecins, personne, avant Lasègue, n’avait songé à grouper ces faits épars et à créer ainsi une véritable maladie mentale sous le nom de délire des persécutions. Il a véritablement fait œuvre de créateur, et tous ceux qui sont venus après lui, n’ont fait que modifier, transformer, élargir la conception primitive à laquelle, le premier, il a donné l’existence.

Les développements si considérables de cette idée primitive nous obligent, au point où nous en sommes aujourd’hui, à distinguer plusieurs types du délire des persécutions. Ce sont :

1° Le type décrit par Lasègue, le vrai persécuté.
2° Le persécuté avec idées ambitieuses : type Morel, Foville et Falret.
3° Les persécutés persécuteurs : type Lasègue, type Falret.
4° Les idées de persécution, qui se développent chez beaucoup de sujets, sans constituer une maladie à part. On les rencontre chez les paralytiques généraux, chez les alcooliques, chez les séniles, chez les faibles d’esprit ; et il est très important de distinguer ces malades des vrais persécutés.
5° La folie à deux, qui, le plus souvent, se rattache au délire des persécutions.
6° Les persécutés en liberté.

Commençons d’abord par étudier, le malade type, celui dont l’état mental a été si magistralement décrit par Lasègue.

Si l’on remonte à l’origine de l’histoire d’un persécuté, presque toujours on trouve, au début, un caractère bizarre, défiant, inquiet, soupçonneux, qui déjà renferme en soi le germe du délire, qui éclatera plus tard. Il m’a été donné de rencontrer sur les bancs du collège des prédestinés, qui déjà m’avaient frappé par des tendances dont je ne savais pas alors apprécier la portée, et qui ont amené plus tard l’explosion d’un délire, dont j’ai pu suivre toutes les phases pendant une période de plus de trente ans.

Ce qui caractérise essentiellement tous les persécutés, ce qui domine toutes les différences individuelles, c’est l’autophilie [1], c’est l’hypertrophie du moi, c’est la tendance à considérer tout par rapport à soi-même, et à se regarder comme le centre du vaste univers.

Il est l’axe du monde et lui permet d’aller.
A. De Musset.

Il résulte de cette disposition d’esprit une susceptibilité morbide, une tendance à tout prendre de travers, à considérer les événements sous un point de vue tout particulier, et à se croire toujours victime.

Et cependant, au printemps de la vie, ces sujets ont souvent un caractère aimable en apparence, enjoué, spirituel et délicat. Ils font illusion aux autres, comme ils se font illusion à eux-mêmes ; mais une intimité prolongée, une connaissance plus complète du sujet, finissent toujours par démontrer à l’observateur le moins prévenu que, sous les apparences les plus flatteuses, le caractère du sujet est bien ce qu’il sera toujours, incurablement égoïste, parce qu’il rapporte tout à soi.

Mais, au premier abord, on trouve souvent, chez les sujets de cette espèce des qualités vraiment remarquables, un esprit très alerte et une conversation vraiment intéressante.

Les persécutés sont, en effet, les plus intelligents des aliénés, contrairement à l’assertion de Legrand du Saulle qui leur attribue une intelligence généralement au-dessous de la moyenne. La vérité, c’est qu’on trouve dans leurs rangs des esprits des calibres les plus divers, depuis le simple ouvrier sans instruction jusqu’aux esprits les plus littéraires, les plus raffinés et les plus aptes à jouer un rôle éminent, soit dans les lettres, soit dans les sciences, soit dans la politique ou dans l’administration. Pendant longtemps ils peuvent remplir dans la société un rôle honorable, et quelquefois éminent.

Mais enfin, il vient un jour où le persécuté franchit la barrière qui sépare la raison de la folie, pour entrer sur le terrain de la pathologie mentale. Ce début, comme l’a dit Lasègue [2], peut s’opérer brusquement quelquefois, mais, le plus souvent la marche de la maladie, à cette époque, est graduelle et progressive.

I. La première étape est marquée par un état d’inquiétude, de malaise et d’agitation ; c’est ce que j’appellerais volontiers la période de défiance. C’est le délire des soupçons des auteurs anglais.

Un malade promène autour de lui des regards inquiets et recueille avec anxiété des indices de malveillance dans les incidents les plus futiles. Mais cette période, comme l’a fait très justement observer Morel, se présente très souvent sous l’aspect de l’hypocondrie. Tandis que les persécutés ordinaires portent leurs préoccupations sur tout ce qui les entoure, les persécutés hypocondriaques portent leurs préoccupations presque entièrement sur l’état de leur santé. Ils entrent par la porte de l’hypocondrie dans la voie qu’ils suivront parallèlement aux autres.

II. Au sortir de cette première étape le malade entre dans la période des interprétations délirantes. Il discute, il analyse tous les événements qui attirent son attention ; il les interprète au profit de son délire, qui recevra bientôt un commencement d’organisation.

Un phénomène des plus importants marque ordinairement le début de cette période : c’est l’hallucination.

Sans doute il peut exister des hallucinations dès le début, mais elles sont, à cette période, moins intenses et moins fréquentes. Elles sont surtout moins facilement acceptées comme des réalités par le malade.

Fait d’une importance capitale, le sens de l’ouïe joue ici le premier rôle, et les hallucinations auditives prédominent, non seulement par leur fréquence, mais aussi par leur intensité. Il ne faut point s’en étonner ; le sens de l’ouïe est en effet le plus intellectuel de tous, le plus directement en rapport avec les conceptions de l’esprit, et c’est à lui seul que nous devons la connaissance des idées abstraites. Aussi, sans les vésanies pures, les hallucinations auditives joueront-elles le premier rôle ; tandis que dans les délires toxiques, ainsi que dans ceux qui se rattachent plus directement aux lésions somatiques, on voit prédominer d’autres troubles sensoriels.

Toutefois, d’autres hallucinations peuvent également entrer en jeu chez les persécutés. Citons d’abord et en première ligne les hallucinations du goût et de l’odorat, qui portent souvent les malades à croire q’on tente de les empoisonner ; puis les hallucinations génitales, si fréquentes chez les personnes du sexe féminin et qui servent de base à tant d’accusations insensées ; enfin, les hallucinations tactiles. Les malades se plaignent d’être pincés, piqués, brûlés, électrisés surtout. Certains sujets sont frappés violemment par des agresseurs invisibles.

Les hallucinations de la vue sont ici les moins fréquentes de toutes, et lorsqu’on les observe chez un persécuté, on peut affirmer, presque à coup sûr, qu’il est alcoolique.

On ne saurait assez insister sur l’importance de ces troubles sensoriels. Les hallucinations ont une influence énorme sur la marche du délire ; elles modifient les idées du persécuté, et lui suggèrent des conceptions délirantes. Aucun observateur impartial ne saurait contester cette vérité qui, cependant, a été récemment mise en doute par des auteurs plus soucieux d’échafauder un système que de rendre hommage à la vérité scientifique.

Ce sont aussi les hallucinations, et surtout celles de l’ouïe, qui rendent le persécuté dangereux. Elles peuvent lui suggérer, au moment où l’on s’y attend le moins, une agression soudaine que rien ne faisait prévoir. Elles peuvent aussi devenir l’origine d’un crime commis après une longue préméditation.

III. La période de systématisation succède à celle des interprétations délirantes. Le malade commence à se forger un système ; il crée un roman plus ou moins ingénieux, suivant les ressources de son esprit. Il organise enfin, si l’on peut ainsi parler, son système de défense. Mais ce n’est point du premier jet qu’il arrive à la perfection ; c’est après un long travail de rédaction, d’arrangement et de critique. Il prévoit les objections, il prépare ses réponses, et voilà pourquoi l’on est souvent surpris de la profondeur de ses réflexions et de la vigueur de sa logique ; c’est qu’on est en présence d’un travail préparé de longue main, et non pas d’une simple improvisation.

C’est surtout à la période de systématisation qu’il faut rapporter les néologismes si fréquents chez ces malades. Ils inventent des expressions souvent bizarres, et s’étonnent de n’être pas immédiatement compris. Notre malade est convaincu qu’on lui fait entendre ses voix au moyen d’un appareil céphalétique, échostique. Un autre, qui prétend frapper ses ennemis à distance, se dit foudroyantissimeur. Un troisième, qui prétend poursuivre et démasquer les fraudes commises par l’administration, dit : "Je n’aime pas ces causes prévaricationnelles."

Cette tendance aux néologismes est presque spéciale aux persécutés ; on ne la rencontre presque jamais au même degré chez les autres fous.

Signalons aussi la manie des écrits et des correspondances. Les malades rédigent de volumineux manuscrits, écrivent sans cesse aux autorités et ne se lassent jamais de ressasser leurs plaintes. Un homme d’esprit proposait d’appeler cette phase de leur délire, la période des petits papiers.

Les déplacements, les déménagements, les changements de domicile, appartiennent plutôt à la période hallucinatoire. Le malade croit échapper à ses ennemis en changeant d’atelier, en quittant sa résidence, en entreprenant un voyage ; et comme il n’obtient jamais satisfaction, ses déplacements continuent toujours. Les aliénés migrateurs de Foville sont surtout des persécutés, comme nous le verrons plus tard.

Beaucoup de persécutés ne dépassent jamais la période de systématisation, qui est pour eux une situation définitive.

Mais il importe de noter que, comme beaucoup d’autres maladies, le délire des persécutions a des périodes d’exacerbation et de rémission, pendant lesquelles l’attitude du malade est absolument différente. Est-il en période d’excitation ? Il s’agite, il se démène, il se répand en discours et en écrits : c’est alors que le persécutés dévoile tout son système ; c’est à ce moment surtout qu’il devient dangereux. Est-il, au contraire, dans une période de rémission ? C’est alors qu’il devient réticent ; c’est alors qu’il dissimule son délire ; c’est alors qu’il devient presque impossible de lui arracher les aveux dont il était si prodigue au moment de sa crise.

La défiance prend alors le dessus, et c’est à ce moment qu’on entend cette parole si caractéristique, cette réponse à toutes les questions adressées au malade sur l’origine de ses tribulations : Vous le savez mieux que moi.

Quand la réticence est au premier degré, le malade ne parle pas de son délire ; à un degré plus élevé, il cherche à le dissimuler ; à un degré plus élevé encore, il le nie effrontément.

Il sait, en effet, par une douloureuse expérience, que c’est pour avoir exprimé trop ouvertement ses idées qu’il a été séquestré. Désormais, il les cachera soigneusement jusqu’au jour où une nouvelle période d’excitation viendra mettre le feu aux poudres, et lui rendre son attitude primitive.

C’est aussi pendant les périodes d’excitation que le persécuté franhit une nouvelle étape, quand il doit le franchir ; c’est alors qu’il fait le choix de ses persécuteurs, et qu’il arrive au point culminant de son délire.

Cette transformation, vous le savez, n’est pas nécessaire, et plus d’un de ces malades reste indéfiniment dans le vague, entouré d’une atmosphère de malveillance, sans désigner ses ennemis.

Le vrai persécuté, disait Lasègue, n’a point d’ennemis : on le persécute, on lui en veut ; mais il ne peut désigner personne.

Ceux qui ont, au contraire, choisi les objets de leur ressentiment, sont immédiatement transformés par cette évolution redoutable, en passant au rang des fous les plus dangereux. Nous consacrerons une leçon tout entière à cette catégorie de malades.

Jetons maintenant un coup d’œil sur le malade arrivé à la période de la cristallisation.

Dans le cours monotone de son existence souvent si longue, et qui peut dépasser les limites ordinaires de la vie humaine, le persécuté tend à s’isoler de plus en plus. Le délire ne change point, mais il s’intensifie, et ses progrès ont bientôt fait disparaître tout ce qu’il pouvait y avoir d’aimable dans un pareil caractère. Le malade s’enveloppant de plus en plus étroitement de ses idées comme d’un vêtement dernier qu’il ne doit jamais quitter, trahi de toutes parts, accablé d’injustices, s’enfonce dans le désert, comme le Misanthrope, et cherche à fuir ses semblables.

La défiance s’accroît tous les jours ; elle s’étend aux moindres détails, elle empoisonne toute l’existence du persécuté, et le plonge dans un abîme de désespoir, dont rien ne saurait plus le tirer.

La marche des événements n’est pas toujours aussi régulière ; à des périodes de rémission succèdent des crises d’excitation qui, dans beaucoup de cas, paraissent résulter de congestions cérébrales passagères. Il est certain que plusieurs de ces sujets meurent d’hémorragie cérébrale. Mais en dehors de cet accident, ils jouissent en général d’une bonne santé physique, et n’arrivent que très lentement à la démence à laquelle plusieurs d’entre eux n’aboutissent jamais.

Il est à remarquer que le suicide est moins fréquent ici qu’on ne pourrait le croire ; nous verrons bientôt pourquoi. Il nous faudra maintenant aborder un autre sujet, il faut vous parler des persécutés ambitieux dont l’histoire depuis longtemps, a, depuis quelques années, si vivement attiré l’attention. Ce sera l’objet de la prochaine conférence.

Mais il me reste un dernier mot à dire, un dernier devoir à remplir. Vous m’avez souvent entendu prononcer le nom de Lasègue, et vous l’entendrez souvent encore, au cours de ces conférences. C’est qu’en effet Lasègue marche à la tête de la phalange d’observateurs qui ont parcouru le terrain du délire des persécutions, et sans méconnaître la valeur des efforts de ses contemporains et des travaux de ses successeurs, on doit le regarder comme le véritable créateur du délire des persécutions. Ce n’est donc pas sans un étonnement mêlé de douleur que j’ai vu s’élever des prétentions qui tendent à le faire descendre de la place qu’il occupe, au profit de ceux qui ont suivi ses traces. Pour rendre justice aux vivants, faut-il dépouiller les morts ? Pour moi, fidèle au respect des ancêtres, je ne permettrai jamais, tant qu’il me restera un souffle de vie, qu’on vienne profaner le souvenir de leurs œuvres, et contester les droits qu’ils se sont acquis à l’admiration et à la reconnaissance de la postérité

Voir en ligne : Deuxième leçon : « Persécutés ambitieux »

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Benjamin Ball, Du délire des persécutions ou Maladie de Lasègue, Asselin et Houzeau, Paris, 1890.

Notes

[1Ce mot que j’ai créé, il y a dix ans, me paraît répondre très exactement à l’état d’esprit que je cherche à dépeindre. Non seulement le persécuté est un être subjectif qui rapporte tout à lui-même, mais encore il est pénétré d’une vive affection pour sa propre personne, affection qui rayonne sur tous ses actes et se manifeste dans toutes ses paroles. Autophilie me paraît donc plus exact qu’automanie.

[2Certains individus, d’après Lasègue, éprouvent brusquement un vertige, un malaise cérébral, un trouble matériel qui dure quelque temps et sort de préface au délire hypocondriaque ou au délire des persécutions. Je dois avouer qu’il ne m’a jamais été donné d’assister à ce mode d’évolution, mais plusieurs aliénistes distingués, parmi lesquels je citerai M. Jules Falret, en ont observé des exemples absolument démonstratifs.

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