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Jacques-Joseph MOREAU (de Tours)

Excitation, dissociation des idées, etc.

Du Hachisch et de l’aliénation mentale (Chapitre I - § III)

Date de mise en ligne : samedi 13 août 2005

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§ III. - Deuxième phénomène : Excitation, dissociation des idées, etc.

Quand un écrivain assiste à la représentation d’un drame ou de toute autre pièce scénique dont il est l’auteur, ses inquiétudes, son attente anxieuse, se concentrent sur certaine partie de son œuvre, à laquelle le succès est attaché, parce qu’elle est la pierre angulaire de l’édifice. C’est le cas où nous nous trouvons, au moment de rendre compte du phénomène psychologique qui fait le sujet de ce paragraphe. Nous savons tous ce qu’il faudrait de talent pour le décrire ; mais nous ne pouvons non plus nous dissimuler que, quoi que nous fassions, nous serons toujours au-dessous de la haute importance qui s’y rattache. Ce phénomène, en effet, est comme le point culminant ou central auquel se relient presque toutes les parties de ce travail. C’est le fait primordial que nous avons annoncé en commençant, et qui est la source nécessaire, essentielle, de tout désordre de l’intellect.

La cause la plus légère peut troubler l’exercice de nos facultés intellectuelles ; et Pascal a dit quelque part que le vol d’une mouche suffisait pour déranger les plus profondes combinaisons du génie. Dans l’état régulier ou normal, lorsque nous voulons penser à quelque chose, méditer sur un sujet, c’est-à-dire l’envisager sous ses divers points de vue, il arrive presque toujours que nous en sommes distraits par quelque idée étrangère. Mais cette idée ne fait que traverser notre esprit, sans laisser de traces, ou bien il nous est facile de l’écarter, et la série de nos pensées n’est point interrompue.

Un des premiers effets appréciables de l’action du hachisch, c’est l’affaiblissement gradué, de plus en plus sensible du pouvoir que nous avons de diriger nos pensées à notre guise, là où nous voulons et comme nous voulons. Insensiblement nous nous sentons débordés par des idées étrangères au sujet sur lequel nous voulons fixer notre attention. Ces idées, que la volonté n’a point évoquées, qui surgissent dans votre esprit, on ne sait ni pourquoi ni comment, qui viennent on ne sait d’où, deviennent de plus en plus nombreuses, plus vives, plus saisissantes. Bientôt on y prête plus d’attention ; on les suit dans leurs associations les plus bizarres, dans leurs créations les plus impossibles et les plus fantastiques... Si, par un effort de votre volonté, vous reprenez le fil interrompu de vos idées, celles que vous venez d’écarter, retentiront encore dans votre esprit, mais comme dans un passé déjà éloigné, avec la forme fugitive, vaporeuse, des rêves d’une nuit agitée.

En poursuivant nos recherches, à chaque instant j’aurai occasion de ramener l’attention du lecteur sur le fait psychologique que je viens de signaler. Je dois me contenter d’insister sur les expressions dont je me suis servi pour le caractériser.

Ces idées, en effet, ou plutôt ces séries d’idées auxquelles vous vous laissez aller par moments, sont bien des rêves, de véritables rêves, si vous en croyez du moins le sens intime, qui ne saurait absolument taire la moindre distinction entre ceux-ci et ceux que procure le sommeil naturel. Les uns et les autres vous arrivent de la même manière, et, pour ainsi dire, par la même porte, celle du sommeil.

À ce propos, et à l’appui de cette opinion, je rappellerai que Cabanis ne faisait aucune différence entre le sommeil artificiel et le sommeil naturel ; que, pour lui, assoupissement et sommeil étaient synonymes. C’est, disait-il, le reflux des puissances nerveuses vers leur source, ou la concentration des principes vivants les plus actifs qui les constitue et les caractérise ; soit qu’ils arrivent « par le besoin du repos dans les extrémités sentantes et dans les organes moteurs, par la simple action périodique du cerveau, qui rappelle spontanément dans son sein le plus grand nombre des causes de mouvement... », soit par l’application de l’air frais, l’audition d’un bruit monotone, le silence, l’obscurité, les bains tièdes, les boissons rafraîchissantes, soit enfin par l’ingestion de « boissons fermentées, dont l’effet est d’exciter d’abord l’activité de l’organe pensant, et de troubler bientôt après ses fonctions, en rappelant dans son sein la plus grande partie des forces sensitives destinées aux extrémités nerveuses ; de narcotiques, qui paralysent immédiatement ces forces, et qui jettent encore en même temps un nuage plus ou moins épais sur les résultats intellectuels, par l’afflux extraordinaire du sang qu’ils déterminent à se porter vers le cerveau... »

Les inductions de la physiologie s’accordent donc avec l’observation intime pour reconnaître que le sommeil naturel et le sommeil provoqué artificiellement représentent une modification organique analogue, et dont les résultats intellectuels, pour me
servir de l’expression de Cabanis, sont identiques.

Pour ramener la question sur ceux qui sont particuliers au hachisch, nous ferons remarquer que les idées ou séries d’idées qui se constituent dans l’esprit à l’état de rêve, mêlant ainsi bizarrement l’idéal et la réalité, se rapportent bien plus au passé qu’au présent. Vous oubliez les choses qui, présentement excitent le plus votre intérêt, et même remuent le plus vivement vos passions, absorbent toute votre attention quand vous êtes dans votre état ordinaire, pour ne songer qu’à celles pour lesquelles il y a, en quelque sorte, prescription dans votre esprit. La mémoire est la source à laquelle les nouvelles idées s’alimentent, et la vivacité, l’éclat, la multiplicité des images et des tableaux excitent puissamment l’imagination qui les associe, et à son tour enfante de nouveaux produits.

Nous vivons dans le présent par un acte de la volonté qui dirige notre attention vers des objets qui ont pour nous un intérêt actuel.

Par la mémoire, nous vivons dans le passé ; par elle nous pouvons, en quelque sorte, recommencer notre existence dès le point précis où elle a commence avec la conscience de nous-mêmes.

Par l’imagination, nous vivons dans l’avenir ; par elle nous pouvons nous créer un monde nouveau et, si j’osais employer une expression dont la justesse excusera peut-être la barbarie, une nouvelle extériorité. Par elle, réagissant sur lui-même, le moi semble pouvoir se transformer, comme elle modifie, change à son gré les choses, les personnes, les temps et les lieux.

L’action du hachisch venant à affaiblir la volonté, la puissance intellectuelle qui domine les idées, les associe, les relie entre elles, la mémoire et l’imagination prédominent, les choses présentes nous deviennent étrangères, nous sommes tout entiers aux choses du passé et de l’avenir.

La conscience apprécie diversement ces effets, suivant le degré de violence du trouble intellectuel soulevé par l’agent modificateur.

Tant que le désordre n’a pas dépassé certaines limites, on reconnaît facilement l’erreur où l’on est momentanément entraîné, non pas au moment même où elle vous domine, ce qui impliquerait contradiction, au moins quant aux erreurs de l’intellect ou fausse conviction, mais immédiatement après que, rapide comme l’éclair, elle a traversé l’esprit. Il en résulte alors une succession non interrompue d’idées fausses et d’idées vraies, de rêves et de réalités, qui constitue une sorte d’état mixte de folie et de raison, et fait qu’un individu peut être, sinon absolument parlant, du moins quant aux plus spécieuses apparences, fou et raisonnable tout à la fois.

Au fur et à mesure que le désordre des facultés augmente, que la tempête qui les agite et les remue sévit avec plus de violence, la conscience se sent elle-même entraînée par le tourbillon, et devient le jouet des rêves. Les moments lucides sont de plus en plus courts. L’activité intellectuelle semble se replier et se concentrer tout entière dans le cerveau ; nous nous abandonnons sans réserve à nos sensations intérieures : nos yeux, nos oreilles n’ont cessé d’être ouverts ; mais pour ne plus admettre que les impressions fournies par la mémoire ou l’imagination ; enfin, pour rendre brièvement et fidèlement ma pensée, nous nous endormons en rêvant.

Mais alors, comme si la conscience ne pouvait jamais être éteinte complètement, voici ce qui arrive... Je me ferai mieux comprendre en rappelant un fait bien connu de ceux qui rêvent beaucoup. Sans cesser de dormir, nous avons quelquefois conscience de nous-mêmes, nous savons que nous rêvons ; mieux que cela, lorsque le rêve nous plaît, nous craignons de nous éveiller, nous nous efforçons de prolonger le rêve, et lorsque nous sentons qu’il va finir, nous nous disons à nous-mêmes : Pourquoi tout cela n’est-il qu’un rêve ?... C’est absolument l’état dans lequel se trouve celui qui éprouve l’influence du hachisch, dans son plus haut degré d’intensité.

Cependant, l’analogie que nous venons de constater entre les rêves qui sont le résultat du sommeil naturel, et les modifications intellectuelles que détermine le hachisch, ne doivent pas nous faire oublier que ces derniers se distinguent par certains caractères qui leur sont exclusivement propres. Et d’abord, elles sont loin d’avoir jamais le décousu, l’incohérence des rêves ordinaires. Le reste de conscience et de volonté qui, comme nous le disions tout-à-l’heure, survit aux plus graves désordres, semble modérer la fougue de l’imagination, et l’empêche de trop s’écarter de la réalité. En second lieu (nous ne saurions trop fixer l’attention sur ce fait), elles se bornent le plus souvent, c’est-à-dire lorsque l’action du hachisch est modérée, soit à des erreurs des sens ou de la sensibilité générale, soit à de fausses convictions, à une ou plusieurs idées extravagantes, etc., sans que les facultés soient autrement altérées. De plus, ces convictions, ces idées ne se rapportent pas toujours à des objets imaginaires ; le plus souvent elles tirent leur origine d’impressions venues du dehors, impressions réelles, mais mal interprétées, d’apparences plus ou moins spécieuses, véritables produits de l’imagination, dont la source primitive est dans la vie réelle.

Avant de les soustraire complètement au monde extérieur, aux impressions qu’elles reçoivent du dehors, l’action du hachisch, s’exerçant sur toutes les facultés à la fois, se signale, ainsi que nous le disions dans le mémoire déjà cité, par un surcroît d’énergie intellectuelle, la vivacité des souvenirs, une conception plus rapide, etc. Insensiblement elle arrive à produire dans la volonté, dans les instincts, un tel relâchement, que nous devenons le jouet des impressions les plus diverses. Le cours de nos idées peut être rompu par la cause la plus légère ; nous subissons les influences les plus opposées : nous tournons, comme on dit vulgairement, à tout vent. Par un mot, par un geste, nos pensées peuvent être dirigées successivement sur une foule de sujets divers avec une rapidité, et, malgré cela, une lucidité qui tient du prodige...

Un sentiment intime d’orgueil vous saisit, en rapport avec l’exaltation croissante de vos facultés, dont vous sentez grandir l’énergie et la puissance. Il dépendra des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons placés, des objets qui frapperont nos yeux, des paroles qui arriveront à notre oreille, de faire naître en nous les plus vifs sentiments de gaieté ou de tristesse, d’exciter en nous les passions les plus opposées et quelquefois avec une violence inaccoutumée ; car de l’irritation on peut passer rapidement à la fureur, du mécontentement à la haine et à des désirs de vengeance, de l’amour le plus calme à la passion la plus emportée. La crainte devient de la terreur, le courage un emportement que rien n’arrête et qui semble ne pas voir le danger ; le doute, le soupçon le moins fondé peut devenir une certitude. L’esprit est sur la pente de l’exagération en toutes choses ; la plus légère impulsion manque rarement de l’entraîner. Ceux qui fout usage du hachisch, en Orient, lorsqu’ils veulent s’abandonner à l’ivresse de la fantasia, ont un soin extrême d’écarter d’eux tout ce qui pourrait tourner leur délire vers la mélancolie, exciter en eux autre chose que des sentiments doux et affectueux. Ils profitent de tous les moyens que les mœurs dissolues de l’Orient mettent à leur disposition. C’est au fond de leur harem, entourés de leurs femmes, sous le charme de la musique et des danses lascives exécutées par des aimées, qu’ils savourent l’enivrant dawamesc, et, la superstition aidant, en voilà assez pour qu’ils soient transportés au sein des merveilles sans nombre que le Prophète a rassemblées dans son paradis.

Présentement, nous ne ferons point application de ce qui vient d’être dit à l’aliénation mentale.

Cette application trouvera sa place lorsque nous entrerons dans les détails relatifs aux divers phénomènes qui découlent du fait primordial dont nous venons de tracer un tableau succinct. Je dois me borner, pour le moment, à faire remarquer combien ce tableau rappelle les symptômes du délire maniaque dans toutes ses nuances. Je ne me suis pas seulement observé moi-même ; j’ai vu plusieurs personnes qui avaient pris du hachisch dans l’état d’excitation que j’ai décrit, et j’affirme qu’il était impossible d’établir la moindre différence entre eux et les malades que nous soignons dans nos maisons de santé.

P.-S.

Texte établi par Abréactions Associations d’après l’ouvrage de Jacques-Joseph MOREAU (de Tours), Du Hachisch et de l’aliénation mentale, Éditions Fortin, Masson et Cie, Paris, 1845.

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