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La paranoïa Schreber

Le Seigneur des « Annales »

Séance du jeudi 10 février 2005

Date de mise en ligne : samedi 11 juin 2005

Auteur : Christophe BORMANS

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Introduction

Alors on peut certes dire que c’est à l’invite de Paul que je vais essayer de tracer un parallèle entre Schreber et l’Homme aux rats... Mais enfin, d’une part, il était attendu que j’en vienne à un tel parallèle après mon insistance sur le signifiant “rat” dans le déclenchement de la maladie du premier ! D’autre part, je n’en parlerai pas directement ce soir : peut-être parce que j’ai du mal à répondre à une invite... Ce soir, je ne ferai qu’esquisser une ligne, une ligne bien précise cependant, qui est celle de la ligne éditoriale de l’internationalisation de la psychanalyse - “L’Histoire du mouvement psychanalytique”, comme l’a écrit Freud.

“Un rat est venu dans ma chambre” pour Paul Schreber : et tout s’écroule ; “un rat est venu dans mon anus” pour l’Homme baptisé du même nom par Freud, et tout s’écroule également.

S’écrouler, donc, à défaut de s’écouler. Un petit “r”, une petite “erre” comme dit Lacan, qui fait toute la différence entre ce qui peut passer pour du normal et ce qui se donne à montrer comme du “pas-tout-logique”... Enfin on a coutume de dire “pathologique” ! Mais c’est tout à fait logique du point de vue psychanalytique.

C’est logique que l’Homme aux rats précède immédiatement Paul Schreber, car c’est logique dans la démarche freudienne de l’internationalisation de la psychanalyse.

Comme vous le savez, Freud commence à s’intéresser plus sérieusement à la paranoïa avec sa rencontre avec Jung. À proprement parler, ce n’est pas qu’il ne s’y intéressait pas sérieusement avant : c’est qu’avec sa rencontre avec Jung, la paranoïa va être l’enjeu de la transmission de la psychanalyse, comme je l’ai clairement exprimé à la séance inaugurale de ce séminaire, il y a maintenant plus d’un an.

La paranoïa a été l’enjeu de la transmission de la psychanalyse donc, mais surtout, d’une rivalité sans égal. Sans égal, au plein sens du terme. Parce que la véritable rivalité, vous le savez, c’est avec Fliess qu’elle s’est déroulée. Là, ils étaient “d’égal à égal” comme on dit.

Avec Jung, ce n’est pas le cas. Non seulement Freud a été vacciné par Fliess, pourrait-on dire, mais surtout : il a maintenant (au moment où il rencontre Jung) cinquante ans. Jung, lui, n’a qu’à peine la trentaine. Entre eux, il y a une génération, et c’est justement là que ça se complique sérieusement !

Parce que Jung, aussi brillant et ambitieux soit-il, il ne pourra jamais atteindre Freud. Ça c’est vraiment frustrant pour lui... Mais malgré ça, il croit qu’il peut, et, en un sens, il a raison... Il a raison parce que Freud, il lui offre le flanc sur une chose (mais une seule) : c’est qu’il a besoin de lui. Il a besoin de lui, mais pas sur ce que Jung veut. Ça c’est du symptôme, n’est-ce pas, ça c’est un vrai couple.

Freud, il a besoin de lui : “esprit de mon esprit”, lui écrit-il. Bref, “Mon enfant, mon fils”. Ça, ça devrait vous rappeler le premier refrain de la fille de Londres : “Dors mon rat, mon flic, dors mon vieux bobby !” Bref : “dors mon enfant”, qu’il lui dit (qu’il lui chante) Freud à Jung ! Et surtout : “Ne siffle pas sur les quais endormis” ! C’est du symptôme... Mais à proprement parler, c’est le symptôme de Freud. Et Jung l’entend ! Jung l’entend et il s’en empare, voir s’en pare, mais il ne peut rien en faire ! C’est ça l’apparat... Jung se pare du symptôme... L’apparat du symptôme de Freud !

Il s’empare de l’apparat, comme on dit en Allemand “psychischer apparat” (l’appareil psychique), ou “photo apparat” (l’appareil photo), avec cette véritable manie, de Freud, de demander une photo dès le début de la correspondance : à Fliess, puis à Jung.

Jung ne peut rien faire du symptôme de Freud parce que ce n’est pas le sien. C’est comme ça que les analyses échouent n’est-ce pas ? Ou disons stagne dans le meilleur des cas. C’est pour ça également, que la psychothérapie échoue ! Ce n’est pas tant parce qu’elle ne vise pas l’inconscient - que sa “visée” ne soit pas l’inconscient - car qu’on le veuille ou non, elle a des effets inconscients ! C’est bien plutôt, parce qu’on ne sait pas y faire avec le symptôme, que ça vient se confondre, se fondre avec le transfert, alors que ça n’a aucun rapport.

Alors à ce point, à ce point d’emmêlement, de confusion, on forge un mot, on invente quelque chose qu’il n’y a pas lieu de convoquer pour cet état de nœud, et l’on appelle ça : le contre-transfert.

Alors, quel est le symptôme de Freud en l’occurrence ? Nous l’avons déjà dit clairement. Il est lisible dans la “Psychopathologie de la vie quotidienne” qui signe la fin de son analyse... Et peu nous importe, finalement, que l’on qualifie ça d’auto... D’auto-analyse !

Auto-analyse et « automaton »

Auto comme “automaton”. Vous savez ce que ça veut dire quand même, automaton. J’ai mis le texte de La Physique d’Aristote en ligne pour ça : parce que c’était quand même passé à la trappe. Automaton, ça vient de “maten”, qui veut dire “en vain”. “En vain”, pour Aristote, c’est sans but. Alors vous rajouter le “auto” là-dedans, et vous avez également le “sans cause” ! “Automaton”, à proprement parler, c’est : sans but ni cause. C’est tout ce que ça veut dire !

Alors l’auto-analyse de Freud, ça n’a pas de cause, au sens où l’on dit que l’analyste se fait “cause” du désir. L’analyse de Freud est une “autoanalyse”, au sens d’une “automaton-analyse”. Rien d’étonnant, dès lors que dans cette analyse, il y a de la tuchê... C’est-à-dire, de la rencontre manquée ! Et ce sont, principalement, les rencontres avec Fliess et Jung qui nous les signifient.

« Est-il bien vrai que tu désires une postérité à toi ? »

Donc la Psychopathologie de la vie quotidienne, ça commence par “un oubli de nom”, on en a déjà parlé, c’est l’oubli de Signorelli. Mais cet “oubli” date de 1898. Il a en effet, déjà été publié dans l’article de 1898 : “Sur le mécanisme psychique de l’oubliance”.

Dans “Psychopathologie de la vie quotidienne”, en 1901, c’est donc une reprise. De sorte, que l’on pourrait dire que le véritable premier cas (premier oubli ou acte manqué) de l’ouvrage est, véritablement, le second cas : et il n’est pas là par hasard !

Si on le lit comme signifié, il est, ma foi, peu parlant : le jeune homme à l’air des plus stupide (enfin c’est comme ça que Freud le dépeint) et la psychanalyse n’y est pas motivée au premier chef : ce n’est pas un cas analytique, ni un cas dans lequel Freud est véritablement engagé (à la différence du Signorelli). Ce second cas, ce second oubli, il faut l’entendre au niveau du signifiant : “Est-il bien vrai que tu désires une postérité à toi ?”. Ça c’est le symptôme de Freud !

On a déjà évoqué le fait que c’est par le symptôme que Freud sort de l’analyse ; c’est le symptôme que Freud fait passer au premier plan dans sa fin d’analyse (à la manière de la double moulinette de Paul). Un “savoir y faire avec son symptôme”, comme dit Lacan.

“Est-il bien vrai que tu désires une postérité à toi ?” Hé bien Freud, avec Jung, démontrera que désormais, il sait plus ou moins y faire avec ce symptôme. Parce qu’il ne se fait pas bouffer par ses “chiens”, il ne se fait pas bouffer par Jung, même si celui-ci mord, mord à l’appât. Et Jung ne lâche pas facilement sa première prise : “L’appât-rat-noïa” !

C’est dans ce contexte donc, que se déroule pour Freud l’élaboration de sa théorie de la paranoïa. Il a besoin de Jung pour sa cause, mais en même temps se pose cette question : “Est-il bien vrai que tu désires une postérité à toi ?”

Le début de la correspondance et le Journal

Ça monte rapidement en intensité, car Freud veut léguer à Jung un journal. Tout tourne autour de cette entreprise dans la correspondance. La correspondance n’a qu’un seul but : Le Journal.

La correspondance débute le 11 mars 1906 par une lettre de Freud, qui remercie Jung de son envoi d’un livre... Un livre édité par Jung, recensant un certain nombre de travaux effectués par Jung et ses collègues à la clinique du Burghölzli. Là-dessus, bien entendu, Freud lui envoie en retour un Recueil de petits écrits sur la théorie des névroses, qu’il vient de publier à Vienne en 1906.

Un an et deux mois plus tard, le 6 juin 1907, Freud propose à Jung un enfant ! Il lui propose un petit livre, une Revue qu’il faut désormais fonder :

“Mais ne voulez-vous pas prendre une telle intention au sérieux ? Osez-vous déjà entreprendre sérieusement le combat pour la reconnaissance de nos nouveautés ? La première chose serait alors de fonder une revue, par exemple “pour la psychopathologie et la psychanalyse”, ou plus insolemment seulement la psychanalyse. On trouverait bien un éditeur, le rédacteur ne pourrait être que vous, Bleuler ne refusera pas, j’espère, de faire fonction de directeur à mes côtés. Nous n’avons pas encore d’autres collaborateurs ! Mais quelque chose comme cela attire. Nous ne manquerons pas de matériel, rien ne nous causera plus de peine que de choisir, d’abréger et de refuser les contributions. Avec nos propres analyses (de nous deux) nous remplissons facilement plus d’un volume par année. Et si le dicton a raison : qui insulte achète, alors l’éditeur fera une bonne affaire.
 Cela ne vous attire-t-il pas ? Réfléchissez-y donc !” (p. 109).

Le temps d’une grossesse (un peu plus) et la correspondance commence véritablement par ce projet, puis elle finira lorsque Jung démissionnera du Journal, à la veille de la première guerre mondiale, le 20 mars 1914. C’est la dernière lettre entre Freud et Jung : la lettre de démission de Jung de la direction de la Revue.

La dernière lettre entre Freud et Jung, excepté une lettre de 1923, où Jung adresse à Freud un patient juif qui “transfère” massivement sur Freud (le cas est intéressant puisque le patient reviendra chez Jung par la suite). C’était donc la dernière lettre entre Freud et Jung, mais encore faut-il préciser que la correspondance n’était qu’administrative depuis plus d’un an déjà.

Car c’est au tout début de l’année 1913, dans une lettre datée du 3 janvier exactement, que Freud, en réponse à une lettre insolente de Jung, lui propose de “rompre” les “relations privées”.

Dans sa lettre, datée du 18 décembre 1912, Jung, après reconnaître son “peu de sécurité” en face du Maître, accusait Freud de traiter ses élèves comme s’ils étaient ses patients. Il perçait donc à jour le truc [en français dans le texte] de Freud :

“[...] Voyez-vous, mon cher Professeur, aussi longtemps que vous opérez avec ce truc, mes actes symptomatiques ne m’importent pas du tout, car ils ne signifient absolument rien à côté de la poutre considérable qu’il y a dans l’œil de mon frère Freud. - Je ne suis en effet pas névrosé du tout - bien heureux ! Je me suis en effet fait analyser lege artis et tout humblement, ce qui m’a fort bien convenu. Vous savez bien jusqu’où peut aller le patient dans son auto-analyse, il ne sort pas de sa névrose - comme vous. Quand vous serez un jour tout à fait libéré de complexes et que vous ne jouerez plus du tout le père envers vos fils, dont vous visez constamment les points faibles, que vous vous mettrez vous-même en joue à cet endroit, alors je veux bien revenir sur moi et exterminer d’un coup le péché de mon désaccord avec vous.
[...] Adler et Stekel se sont laissés prendre à votre truc et sont devenus puérilement insolents. Je me tiendrai publiquement de votre côté, en gardant mes opinions, et je me mettrai en secret à vous dire toujours dans mes lettres ce que je pense vraiment de vous. Je tiens cette voie pour la voie honnête.
Vous maudirez peut-être cet étrange service d’amitié, mais peut-être cela vous fera-t-il quand même du bien.
Avec les meilleures salutations votre entièrement dévoué, Jung” (pp. 670-671).

Ce sur quoi, Freud répond brièvement le 22 décembre, puis définitivement le 3 janvier 1913, en écrivant à Jung, qu’en vérité, on ne peut pas répondre à sa lettre car “elle crée une situation qui causerait des difficultés dans le commerce oral, et qui est tout à fait insoluble par écrit” :

“Vous vous êtes ici rendu la tâche aussi facile, pour fonder votre construction, que lors du fameux « geste de Kreuzlingen ».
Pour le reste on ne peut pas répondre à votre lettre. Elle crée une situation qui causerait des difficultés dans le commerce oral, et qui est tout à fait insoluble par écrit. Il est convenu entre nous analystes qu’aucun de nous ne doit avoir honte de son morceau de névrose. Mais celui qui, en se conduisant anormalement, crie sans arrêt qu’il est normal, éveille le soupçon qu’il lui manque l’intuition de sa maladie. Je vous propose donc que nous rompions tout à fait nos relations privées” (pp. 678-679).

« Le geste de Kreuzlingen »

Alors, le “geste de Kreuzlingen”, qu’est-ce que c’est ? Hé bien, tout simplement, c’est l’histoire de la lettre volée.

Enfin déjà, Jung, depuis le début, faisait de “l’acting out” dans sa correspondance avec Freud. Il était “capricieux” et négligeant et répondait souvent en retard, ce qui avait le don - et il le savait - d’inquiéter Freud :

“Je suis un paresseux écriveur de lettre. Mais cette fois j’ai (comme toujours) d’excellentes excuses”, écrit Jung au tout début d’une lettre datée du 11 février 1910 (p. 383).

Et Freud ne cachait pas à Jung, que ce trait lui rappelait sa correspondance avec Fliess, qui avait donné les mêmes signes avant-coureurs de brouille, en manifestant du retard dans ses réponses aux lettres de Freud.

Ce retard, chez Jung, s’amplifie au fur et à mesure de la correspondance, et Jung a beau protester contre les inquiétudes de Freud, rien n’y fait. Ainsi, déjà à la veille du Congrès de Nuremberg, en 1910 - en plein préparatif -, Jung part subitement aux Etats-Unis, prétextant qu’il allait voir là-bas un ancien patient, McCormick, qui souffrait de paralysie ou de manie dont il n’excluait pas que la cause soit “d’origine psychogène”.

“Ne vous fâchez pas de mes tours !” écrit-il à Freud en tête de sa lettre, datée du 9 mars 1910 (soit seulement 1 mois après l’en-tête que je viens de vous lire précédemment).

Je vous rappelle que l’on est là en plein préparatif du Congrès qui va élire Jung comme président de l’Association internationale de Psychanalyse (IPA), le 30 et 31 mars prochain. Freud est comme fou !

Mais le pompon, c’est tout de même la lettre de Kreuzlingen. Kreuzlingen est une petite ville suisse près de Constance. Nous sommes en 1912. Freud avait depuis longtemps promis à Binswanger de lui rendre visite (en retour d’une visite qu’il lui avait faîte à Vienne), et il s’y décide à la Pentecôte, non pas tant par pur agrément, qu’à cause de l’opération que devait subir Binswanger dans les jours qui suivaient.

Néanmoins, une de ses filles avait eu le bon goût de tomber malade à ce moment-là, et Freud attendait avant de se mettre en route pour son voyage. Au dernier moment, rassuré par l’état de santé de sa fille, il écrit à Binswanger et à Jung le mercredi 22 mai et leur dit qu’il part le lendemain (jeudi 23 mai 1912), étant certain que Jung saisira cette occasion de les rejoindre à Kreuzlingen. Il arrive le samedi midi et repart le lundi : mais aucune nouvelle de Jung !

Ensuite, Jung glissera régulièrement et curieusement quelques remarques énigmatiques à propos du “geste de Kreuzlingen”. Tout d’abord, Freud est perplexe, et lui explique les circonstances du voyage, et ne comprend toujours pas pourquoi Jung n’est pas venu.

Inutile de préciser, qu’au niveau de la correspondance, nous sommes ici en pleine discussion théorique sur l’inceste !

Ce n’est que six mois plus tard, à Munich, en novembre 1912, que l’incident va s’éclairer pour Freud (et Jung).

Il s’agissait, là encore, d’une rencontre à propos du problème des journaux psychanalytiques : il fallait abandonner le Zentralblatt (le journal de l’IPA) à Stekel, qui en était le directeur et qui ne souhaitait pas s’en défaire malgré son départ (il avait l’éditeur avec lui). Il fallait tout simplement créer une nouvelle revue (Zeitschrift) pour remplacer l’ancienne.

Jung avait, de son côté, convoqué ses principaux collègues. Il y a avait donc Freud, Jung (et ses collègues), Jones et en outre : Abraham, Ophuijsen (qui remplaçait Maeder), Riklin et Seif.

Déjà, Jung avait adressé la convocation à Jones à l’adresse de son père - au Pays de Galles -, et avait indiqué comme date le 23 novembre au lieu du 24.

Entre-temps, Jones avait appris la date exacte d’une lettre de Vienne et est donc arrivé à temps. Mais “l’air surpris de Jung” dit Jones, lui a fait classer son “erreur” dans la catégorie des “para-praxies” (autre nom, donc, pour acte manqué : de praxis, pratique, acte ; et para...).

Jones raconte ce lapsus inconscient à Freud, qui a ce mot sublime : “Un gentleman ne devrait pas faire des choses comme ça, même inconsciemment.”

Donc nous sommes le 24 novembre : réunion à 9h et à 11h, l’affaire Steckel est classée. On doit déjeuner à 13h et, en attendant ce déjeuner, Freud et Jung vont faire ensemble une petite promenade... Et c’est là, qu’a lieu la grande explication sur “le geste mystérieux de Kreuzlingen”.

Jung déclare tout d’abord à Freud sa flamme : et lui dit qu’il avait été froissé que Freud ne lui aurait fait connaître son voyage que deux jours après son arrivée à Kreuzlingen.

Jung lâche en effet le morceau : il dit qu’il n’avait seulement reçu la lettre de Freud que le lundi, c’est-à-dire le jour où Freud devait repartir.

Freud s’étonne : il est certain d’avoir mis en même temps les deux lettres à la poste du jeudi - celle adressée à Binswanger et celle destinée à Jung. Mais à ce moment précis - au moment où Jung le dit à Freud -, Jung se rappelle tout à coup qu’il s’était lui-même absenté durant ce fameux week-end. De sorte, qu’il n’avait pu avoir en main la lettre de Freud que le lundi soir, en arrivant chez lui. Ce qui ne voulait pas dire que la lettre était arrivée le lundi ! Freud lui demande alors pourquoi il n’avait pas tout simplement regardé le cachet de la poste (ni demandé à sa femme) avant de se fâcher, puisque la date d’arrivée de cette fameuse lettre devait s’y trouver, là, bien en évidence !

Le problème est que Freud enfonce le clou : il lui dit que sa rancune devait probablement provenir d’une autre source et qu’il s’était saisi de ce motif impropre pour la justifier.

C’est là, après le déjeuner - au cours duquel on discute d’un récent article d’Abraham sur l’Egyptien Amenhotep, puis de la fameuse question concernant certains articles parus à Zurich où les Suisses n’avaient cité ni le nom de Freud ni la psychanalyse -, c’est là que Freud s’évanouit, au Park hotel.

Pourquoi Freud s’évanouit-il ?

L’article d’Abraham sur Amenhotep IV (Echnaton), attribue la grande révolution réalisée par ce pharaon à une profonde hostilité envers son père, puisqu’il avait, paraît-il, ordonné d’effacer le nom de son père et les inscriptions le concernant partout où elles se trouvaient. Pour Jung, ce désir de mort envers le Père, n’avaient que peu d’importance : seul comptait ce grand acte qu’était l’instauration du monothéisme que l’on attribue à Echnaton. Alors, certes, l’instauration du monothéisme... Mais c’est un peu court.

« L’homme à la tête de choux »

Parce qu’enfin, si l’on passe toutes ces historiettes, tous ces signifiés qui renvoient irrémédiablement à la mort du père et à la question de la progéniture, du point de vue du signifiant, il reste que tout tourne, toute l’histoire Freud / Jung tourne autour d’un Journal, d’une feuille de choux !

Et l’on sait que c’est dans cette feuille de choux que naissent les enfants. Et c’est bien dans l’histoire de cette feuille de choux, que l’on peut lire le symptôme de Freud : que l’on peut lire que Freud ne veut pas de progéniture à lui, puisque, précisément, il s’entête à choisir “Jung” ! Le “Jeune”... Comme on dit le “Jeune-con” !

Alors que Schreber, lui, le paranoïaque (spécialité de Jung), qui de surcroît n’arrive pas à avoir de progéniture, vienne directement se greffer là-dessus, ce n’est quand même pas étonnant. C’est de la tuchê en plein automaton, où je ne m’y connais pas : bref, c’est “l’archétype” de la rencontre ratée ! “Rencontres, partances hâtives : est-ce ainsi que les hommes vivent ?”, disait Aragon au sommet de son art, c’est-à-dire au sommet de sa névrose obsessionnelle.

Parce qu’il n’aura suffi à Freud que d’un “geste” de Jung, pour que Freud qui était en train d’étudier la névrose obsessionnelle, quitte d’un coup ce domaine, pour immédiatement “se parer” de “l’apparat”... De la paranoïa !

Pour preuve, ce premier congrès, à Salzbourg, là où Freud et Fliess s’étaient rencontrés (“hâtivement”, forcément) en 18... (comme l’écrit E. A. Poe dans la Lettre volée)... Ce premier congrès, à Salzbourg où Jung supplie Freud de parler d’un cas, d’un cas à tout prix, et où Freud tergiverse : il pense d’abord au petit Hans ? Mais il ne veut pas exposer de cas : c’est trop long pour une intervention d’une heure ! Mais Jung le supplie, en pleine discussion épistolaire sur la paranoïa (laquelle vient juste de débuter), et Freud va finalement et effectivement finir par céder : il va donner à Jung “L’homme aux rats”.

Nous sommes donc en 1908. C’est la première fois que Freud va parler de l’homme aux rats, c’est au premier Congrès, celui de Salzbourg. C’est le premier “Congrès de psychologie freudienne”, tels sont les termes de l’invitation.

Il se tient en avril 1908, le 27, c’était un lundi plus exactement : 42 participants. Et c’est là que fut fondé le fameux journal : le Jahrbuch für psychoanalytische und psychopathologische Forschungen [à proprement parler : “Annuaire” ou “Annales de Recherches psychanalytiques et psychopathologiques”].

Les “Annales” donc !

Et devant l’insistance de Jung à y exposer un cas, à ce Congrès, Freud choisi finalement L’Homme aux rats. Il commence à se “décider” un mois plus tôt, dans une lettre datée du 5 mars 1908 :

“D’autre part, j’aimerais vous demander conseil sur ce que je dois raconter. L’exposition d’un cas, comme vous pensiez, serait trop longue et me donnerait sur les autres une priorité qui serait ressentie comme pénible. Une telle chose prend une heure et plus. Peut-être quand même un thème plus général ? Vraiment quelque chose comme un slogan électoral ? Cela ne sera en aucun cas facile pour moi, mon esprit est fatigué et en outre très entêté ; il travaille à ce qui lui est agréable, en ce moment par exemple uniquement la névrose obsessionnelle, alors que j’aurais volontiers entrepris autre chose. Vous l’aurez remarqué à mes observations sur la paranoïa, qui n’ont en fait apporté du neuf que sur la névrose obsessionnelle et ont dû être pour vous une belle déception, un déblayage de notre échange de lettres sur la question de la paranoïa peu après votre visite à Vienne il y a justement un an. Mais mes découvertes sur la névrose obsessionnelle, qui par endroits vont à une grande profondeur, ne devraient guère être compréhensibles sans la narration d’un cas” (p. 194).

Freud n’est pas encore décidé, il ne se décidera qu’au dernier moment, de sorte qu’il demande à Jung de mettre comme titre de son exposé, sur le programme qui lui, doit être tiré : “un morceau de psychanalyse” (lettre du 13 mars 1908). Puis, au milieu des discussions épistolaires sur la paranoïa d’Otto Gross, Freud annonce finalement à Jung le 19 avril, que ce sera “L’Homme aux rats” :

“Une petite heure de bavardage là-bas me fera du moins beaucoup de bien. Otto Gross, il est vrai, nous occupera aussi ; il a maintenant besoin d’urgence de votre aide médicale ; c’est dommage pour cet homme extrêmement doué et convaincu. Il est pris dans la cocaïne et devrait se trouver au début de la paranoïa cocaïnique toxique. J’ai une grande sympathie pour sa femme ; une des seules Germaines qui m’ait jamais plu, - Je pense arriver le dimanche matin, m’accorder quelques heures de solitude et ensuite, après la clôture du congrès, prendre un jour de repos, s’il - ne pleut pas. Avec la conférence j’ai de grandes difficultés, car un véritable cas dans son entier ne se laisse pas raconter, seulement décrire ; j’ai acquis toutes sortes d’expérience dans le cours de Vienne. D’autre part je n’ai justement pas de cas achevé aperceptible dans sa totalité. J’ai déjà abandonné le petit garçon de cinq ans, parce que malgré tout, avec sa névrose qui se résout brillamment, il ne s’en est pas tenu aux délais. Ainsi cela deviendra sans doute un mélange d’observations isolées et de communications générales, se rattachant à un cas de névrose obsessionnelle. Sur un point je suivrai exactement vos directives : ce ne sera rien de particulier” (pp. 205-206).

“Une telle chose prend une heure et plus”, “une petite heure de bavardage” écrit successivement Freud. Le lundi 27 avril 1908, c’est Freud qui parle le premier, le matin, pendant plus de quatre heures de ses “Aphorismes sur la névrose obsessionnelle”, que l’on connaît désormais sous le nom de “L’Homme aux rats”. C’est, avec “La phobie du petit Herbert”, les deux premiers articles qu’il donne à Jung pour ses “Annales” !

Alors qu’est-ce qu’il a cet Homme aux rats, n’est-ce pas ? C’est la question que nous devons nous poser : qu’est-ce qu’il a cet Homme aux rats qui emmerde tant Jung ?

Déjà, il n’y a pas que l’Homme aux rats, qui emmerde Jung. Il y a surtout Abraham.

Vous savez qu’à cette époque, autant Jones que Abraham, viennent d’abord voir Jung, rencontre d’abord Jung, et c’est Jung qui les introduira tous les deux à Freud.

Freud, lui, parle de ses “viennois”... Mais l’international, c’est Jung. C’est entendu entre eux... Freud rameute les Juifs, et à la charge de Jung de représenter au niveau international, “la cause”, “la cause” épurée de judaïsme. C’est comme ça que Freud l’a voulu en tout cas, et clairement !

Alors Jung s’accommode assez bien du Gallois jovial, comme il l’appelle, Jones. Le “Gallois jovial”, comme on dit le “Hobbit joufflu” qui accompagne Monsieur Fre(u)don dans le Seigneur des anneaux.

Jung s’accommode donc assez bien du “Hobbit joufflu”, mais il a du mal avec Abraham. Abraham “l’obsessionnel” comme Jung n’hésite pas à le qualifier d’entrée de jeu. Donc Jung a du mal avec l’obsession.

Jung, c’est un peu Gollum. Il veut le précieux, “l’anneau”, mais il ne supporte pas l’anus !

Ce n’est tout de même pas par hasard que ce soit à la suite de la rupture avec Jung (et que ce soit à l’initiative de Jones lui-même - le “hobbit joufflu” -), que se passera le pacte, le cercle restreint, la ceinture de protection, bref le pacte des anneaux ! Le pacte de l’anus ! Si ça ce n’est pas du passage à l’acte !

Et devant l’embarras de Jung devant sa propre théorie, Freud pose à Jung cette même question que le Dieu supérieur pose à Schreber : “Pourquoi ne ch... vous donc pas ?” Car c’est en effet au deuxième Congrès, celui de Salzbourg, en 1910, que Jung répond à Freud en lui glissant dans les mains les fameuses “Mémoires” de Schreber.

Retour sur la Denkzwang

Alors la “Denkzwang” est effectivement à rapprocher du penseur de Rodin. Mais également de la statue qui a tant fasciné Freud : celle du Moïse. Quel est le point commun ? Les deux sont assis :
 L’un revient du paradis, en quelque sorte,
 l’autre est destiné à être placé aux portes de l’enfer.

L’un se demande qu’est-ce qu’il va faire de ce peuple, qui est en train d’adorer le Veau d’Or ! Des indignes, indignes de la descendance d’Abraham, l’obsessionnel, qui a su épargner... Épargner son enfant, n’est-ce pas !

L’autre, je parierai, - à prendre la discussion sur Rodin et Camille Claudel du point de vue du signifiant -, je parierai qu’il se demande si une femme peut prendre la relève ! [Et pourquoi pas Anna ?] Bref, s’il n’y a que les femmes qui peuvent accoucher ou si l’homme, par un mécanisme anal quelconque, peut lui aussi également engendrer !

Car les deux, finalement, sont dans la même position : ils sont en train de chier ! Il sont aux portes de l’en-faire ! Et après tout, - dans cet en-faire - ils se demandent la même et unique chose... C’est la question d’avoir ou pas une progéniture... Et de leur position, on distingue en effet clairement que la question de la progéniture pour l’obsessionnel, c’est d’avoir une progéniture de merde !

Après moi, le déluge, après moi l’enfer, c’est pareil ! C’est tout de même là où l’Homme aux rats reste bloqué - derrière cette histoire de Dame -, et c’est là où Schreber, justement, n’arrive même pas à chier ! N’arrive pas à avoir de progéniture !

Car enfin, qu’est-ce que cette question que le Dieu supérieur pose à Schreber : “Warum sch... Sie denn nicht ?”... Si ce n’est là le fameux : “Est-il bien vrai que tu désires une postérité à toi ?”

« Anus, feuille, ciseau »

Alors j’ai commencé par évoquer que c’était peut-être sur l’invite de Paul, que je m’étais résolu à commencer à parler de l’Homme aux rats dans un séminaire sur Paul Schreber, et que j’ai parlé de la sortie d’analyse de Freud en termes d’une dynamique de “double moulinette”.

On sait que Paul pense que le “Cartel” (notre “Cartel”) s’est formé à ce moment précis (pour ne pas dire précieux), où il nous a abhorré ses chouchous.

Alors ce petit groupe, ce petit noyau restreint, n’est-ce pas, ça n’est pas sans nous évoqué la ceinture, “rapprochée”, autour de Freud : le Seigneur des anneaux, et de ce que j’en ai dit ce soir, à savoir que ce n’était pas sans un certain rapport, ce noyau, avec un passage à l’acte, avec une pulsion anale.

D’autant que l’obsessionnel, n’est-ce pas - ça ne manque jamais -, ne manque jamais de s’interroger sur ses déjections et, en particulier, lorsqu’il a mangé un fruit : une cerise par exemple... Il ne manque jamais de s’interroger sur ce que va devenir ce petit “noyau” ! Hé bien généralement, il se rassure, on le rassure, parce que ça ressort bien par l’anus ! Il n’y a pas d’arbre qui va pousser dans son ventre ! Il se rassure car, quelque part, il en devient certain, de cette manière : qu’il n’aura pas de progéniture à lui ! Bref, qu’il n’y aura pas d’inceste, bien entendu !

Vous voyez comment la transmission de la psychanalyse était tout de même mal engagée ! Et ce dès le début, dès la correspondance avec Jung... Et en ce qu’immédiatement après, on passe au mode anal de la transmission de la psychanalyse.

Freud le déplore d’ailleurs clairement à Jung, dans sa première lettre de 1910 (datée du 2 janvier) : “C’est comme si l’art de la typographie avait depuis lors été inventé pour nous, la tradition orale a perdu de sa valeur” (p. 370).

Freud parle ici de la préparation du Congrès de Nuremberg, et de la bonne marche du Jahrbuch (für psychopathologische und psycho-analytische Forschungen) créé en mars 1909 (premier numéro).

Vous voyez qu’on y repère, de fait, la subversion de Lacan : non seulement dans son mode de transmission orale, mais également, dans le signifiant même qu’il va prendre pour que l’on perpétue l’étude de ses séminaires : le “Cartel”.

Parce que “Cartel”, c’est tout simplement, en Grec, “Khartès” ! Et ça veut dire : “feuille de papier”.

Non pas une “feuille de choux”, mais une “feuille de papier”, avec laquelle, il était grand temps - il faut bien le dire -, il était grand temps que l’IPA décide à se torcher !

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