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Sophie Morgenstern

Le rêve et la rêverie infantile

Psychanalyse infantile (Chapitre II)

Date de mise en ligne : dimanche 26 janvier 2014

Sophie Morgenstern, Psychanalyse infantile. Symbolisme et valeur clinique des créations imaginatives chez l’enfant, Éditions Denoël, Paris, 1937.

II
LE RÊVE ET LA RÊVERIE INFANTILE

La rêverie est un procédé psychologique dont le point de départ est conscient, mais qui est dû uniquement un besoin affectif de l’individu. Cet élément affectif domine sans réserve dans le rêve. Nous connaissons la structure du rêve ; sa façade qui est la partie manifeste, sa partie latente, la plus importante, que la censure oblige à rester dans l’inconscient et le préconscient comme trait d’union entre les deux.

Freud nous a montré qu’il existe, à côté du monde psychique visible, un monde infiniment plus vaste, invisible, refoulé dans l’inconscient et qui a une très grande influence sur toute notre activité. La censure veille dans le rêve entre la partie manifeste et le préconscient pour que le matériel enfermé dans le monde inconscient ne traverse pas la barrière. Mais il existe toujours des moyens de tromper les douaniers, ce qui se produit aussi dans le rêve : le matériel refoulé apparaît sous un déguisement plus ou moins transparent dans la partie manifeste du rêve.

La censure est dans les rêves infantiles moins sévère, et les conflits s’y expriment avec plus d’évidence. Il y a des symboles qui apparaissent extrêmement souvent dans les rêves infantiles et qui représentent chez tous les enfants les mêmes conflits. Un de ces symboles sont les voleurs qui s’introduisent dans les maisons pour voler et enlèvent les enfants. Ceux-là sont fiers de tromper la vigilance des voleurs et de s’échapper de leur maison et même d’attraper les voleurs. Ainsi, un petit garçon de huit ans nous raconta qu’il réussit dans un rêve à attraper d’assaut quatre voleurs à la fois. Vous savez peut‑être que Freud considère les voleurs qui viennent troubler la tranquillité du sommeil de l’enfant comme le symbole des personnes qui dérangeaient son sommeil dans le temps pour l’éduquer à la propreté.

Le rêve remplit le même rôle que le jeu et la rêverie : il permet à l’enfant d’exprimer ses griefs, ses peurs et son sentiment de culpabilité, de se venger de ses ennemis réels et imaginaires, d’exécuter une autopunition, de réaliser ses ambitions et de jouer nu rôle important. Toute la structure psychique de la personnalité infantile peut se refléter dans ses rêves ; il peut y extérioriser la phase anal‑sadique, la phase sexuelle avec le complexe d’Œdipe et celui de castration, aussi un surmoi excessivement sévère. Chacune de ces phases et chacun de ces problèmes peut être représenté seul ou mêlé aux autres. L’élément magique trouve dans le rêve sa plus large réalisation : ainsi, des animaux de taille extrêmement grande peuvent apparaître minuscules dans un rêve et peuvent être écrasés comme des mouches sur une vitre, un haricot prend une dimension énorme et bouche toute une fenêtre. Ces rêves si différents expriment le même état affectif — la peur — et les malades qui les ont rêvés les caractérisent comme des cauchemars. Le premier symbolisait la peur du petit garçon de dix ans, Sylvain T…, de son père et de son frère ; c’étaient des éléphants et d’autres bêtes de très grande taille qui se transformaient en animaux de la taille d’une mouche, ce qui lui permettait de les tuer, en les écrasant contre la vitre sans casser celle‑ci. L’enfant racontait ce rêve tout angoissé, car il en ressentait encore une grande peur et un énorme dégoût : l’enfant joue dans ce rêve le double rôle de magicien et de justicier. Des êtres qu’il considère comme ses ennemis, car ils l’éloignent de l’objet de ses convoitises, de sa mère, il les transforme d’une part dans des bêtes dangereuses, d’autre part il leur enlève le pouvoir de nuire et finalement il les tue. Mais cet acte de vengeance ne le libère pas de ses peurs et de son angoisse, il les augmente plutôt. Ce rêve nous permet de faire le diagnostic d’une phase très aiguë de la névrose de notre petit malade qui n’avait pas encore résolu ni le complexe d’Œdipe, ni celui de castration, ni le conflit qu’a provoqué la naissance de son petit frère.

Le rêve du haricot aux dimensions gigantesques provenait d’une petite fille de onze ans, avec des obsessions sexuelles et la peur d’étouffer. La taille du haricot exprime aussi bien le caractère sexuel du rêve que la peur. Un des symptômes névrotiques de cette petite malade était sa peur des serpents. Cette peur provenait de ce que ces objets représentaient pour elle des symboles sexuels.

La petite fille, Amélie P…, qui jouait la dame en visite devant une glace a fait le rêve qu’elle était une fée qui vole dans l’air, sur un bâton. Ce bâton se transforma en un serpent qui s’enroula autour de son corps. Cela lui était très agréable. Le symbole du bâton qui se transforme en uni serpent est très transparent, mais il exprime chez cette enfant non seulement le sexe viril qui lui inspire la peur, mais aussi ses tendances viriles, son désir de posséder les attributs de l’homme et ceux de la femme en même temps. Elle nous le dira plus clairement dans un conte de fées qu’elle inventa au cours de son traitement psychanalytique.

Les rêves infantiles sont peuplés d’animaux féroces ; le loup y apparaît très souvent. Un jeune garçon de huit ans, avec une imagination très vive, raconta un rêve qui s’était répété chez lui plusieurs fois à partir de l’âge de quatre ans, âge auquel il fut repris par ses parents de chez la nourrice.

Il voyait dans son rêve un orage et entendait sa mère dire : « Attention, voilà l’orage, le loup va venir. » Un moment après il sentit le loup lui attraper la main. II avait très peur et cria si fort qu’il réveilla son père. Celui‑ci vint auprès de lui et lui dit qu’il ne fallait pas avoir peur et qu’il l’emmènerait à la cave s’il continuait à crier. L’enfant dit que ce rêve revenait souvent et qu’il restait longtemps éveillé dans son lit, car il avait peur que le loup soit à la maison. Il est assez évident que le loup représentait le père que l’enfant craignait beaucoup. Pour nous enlever tout doute à ce sujet, l’enfant nous dit que c’était le loup‑garou, un monsieur qui jouait le loup.

Les rêves infantiles représentent souvent, malgré leur manque de refoulement, les conflits sous un camouflage assez compliqué, sous un aspect très lointain et détaché. Il faut connaître la constellation familiale et affective de l’enfant pour se rendre compte du sens caché sous ce camouflage. Ainsi, un petit garçon de huit ans, Jacques R…, d’une intelligence supérieure à celle de son âge, est considéré par son père comme vicieux et insupportable et attrape des punitions sévères pour sa masturbation et sa turbulence.

L’enfant est attaché à la mère par un amour très profond., il aime sa petite soeur, mais il a une haine pour son père et une hostilité pour m frère puîné. Il montre un très grand stoïcisme au cours des punitions et paraît tout indifférence par rapport à ses parents, mais il manifeste une affection très tendre pour son grand‑père paternel et la deuxième femme de celui‑ci : « Ils sont tous deux à genoux devant l’enfant », nous dit sa mère.

Ce petit garçon nous raconta deux rêves très significatifs pour ses relations avec ses parents. Dans le premier rêve, on lui fait visiter une tour où était mort un seigneur qui avait commis des crimes. Ce seigneur était enfermé dans cette tour et on l’avait laissé mourir de faim. « Quand il était mort du supplice de la faim, notre petit garçon entra dans la tour où il trouva un homme, mort — celui qui commet les crimes. » Il y avait dans cette tour aussi des chevaux caparaçonnés (fig. 1). Notre jeune malade transposa son conflit dans un siècle très éloigné et présenta l’homme qui commit les crimes sous un aspect tellement différent de celui de son père qu’il nous fallait connaître les difficultés de notre petit malade pour comprendre le symbolisme de ce rêve. Cet enfant était très malheureux dans son milieu familial : il se considérait comme le souffre‑douleur de son père et de son frère. Sa défense se manifestait dans la désobéissance et surtout dans son indifférence apparente vis‑à‑vis de ses parents. Cet enfant est arrivé à se créer un monde à lui, qui lui remplaçait la vie dans un foyer familial affectueux. Ses rêves et ses dessins étaient pour lui un équivalent de la réalité.

Fig. 1
Seigneur mort, animaux en « robes ».

Notre petit malade montrait une tendance à la sublimation, à la transposition de ses conflits et de ses curiosités sur des sujets objectifs et généraux. Il s’intéressait à l’astronomie, aux sciences et étudiait la structure du corps humain dont il faisait des dessins anatomiques surprenants. Il dessinait le squelette humain, le corps de la femme et de l’homme avec un réalisme rare chez un enfant de son âge.

Il observait dans une glace sa bouche ouverte, dans laquelle la luette qui bougeait attirait tout spécialement son intérêt.

Il était tout fier de briller devant sa psychanalyste avec ses connaissances de la structure des voies respiratoires et digestives et avec sa connaissance de la distance entre la Terre et le Soleil. Toute sa curiosité scientifique lui servait comme bouclier contre les reproches qu’on lui faisait à cause de ses préoccupations sexuelles et de sa masturbation, mais elle remplaçait aussi sa curiosité sexuelle.

Un autre rêve de notre petit malade figure ses sentiments vis‑à‑vis de sa mère. Elle l’amène, dans ce rêve, au théâtre où un clown fait des tours d’adresse et des gambades, et demande après de l’argent au public. Pour prévenir le public qu’il fallait payer pour la représentation, le clown avait, nous dit le petit garçon, « un petit truc pour siffler dans le sac ». Il ajouta : « mais cela, n’existe pas dans les théâtres ». Sa mère vint au signal et paya pour la représentation. Tout d’un coup, tout était fini, le clown avait disparu, mais avant de partir, il annonça une belle pièce et sauta dans la fosse. Il réapparut dans la prochaine pièce.

L’enfant, qui se trouvait en observation à la clinique, nous dit que c’était la première fois qu’il rêvait de sa mère ; à la maison il ne rêvait pas d’elle, car il la voyait tous les matins. Il nous raconta aussi qu’il jouait le rôle du clown quand il donnait à la maison une représentation du guignol et qu’il avait un sifflet. Dans son rêve, il est donc en même temps spectateur et acteur. Il amuse sa maman comme clown, mais il lui tient aussi compagnie, c’est‑à‑dire il remplace auprès d’elle son père et il obtient la récompense pour le spectacle qu’il lui offre, après quoi « tout est fini et le clown disparaît ». Sur le caractère de ce spectacle nous renseigne le petit truc qu’il tire du sac pour siffler. Ce sont les propres paroles de notre petit malade.

Ces deux rêves sont tellement différents l’un de l’autre que même leur atmosphère affective caractérise déjà suffisamment les relations entre les personnages qui jouent les rôles principaux dans ces rêves. Le rêve qui symbolise ses relations vis‑à‑vis de son père est enveloppé d’une atmosphère glaciale de mort, celui de sa mère a comme sujet un divertissement dans lequel l’enfant joue des tours d’adresse pour sa mère, lui tient compagnie et obtient une récompense d’elle. II est en même temps son fils et son mari.

Le contenu dit premier rêve lui permettait de se débarrasser de son père qui était un danger perpétuel pour son sexe et qui commettait le crime de le punir et de l’empêcher de goûter un plaisir auprès de sa mère. Il exprime dans les deux rêves son complexe d’Œdipe et celui de castration : le clown disparaît précipitamment après avoir obtenu la récompense de sa mère pour ses tours d’adresse, cela exprime non seulement le plaisir sexuel, mais aussi la peur de la castration bien camouflée. L’enfant nous brosse un tableau très exact de ses sentiments pour chacun de ses parents. On a l’impression que la punition si sévère du seigneur qui symbolise son père lui est très pénible. Il rend au seigneur tous les honneurs en l’entourant d’animaux de toutes sortes et de chevaux caparaçonnés.

La petite fille, qui jouait tant de rôles variés dans ses jeux, a fait encore, avant son traitement psychanalytique, un rêve qui contient toutes les lois dont Freud parle dans sa théorie sur le rêve. Nous voudrions reproduire ce rêve par les propres paroles de l’enfant, car elles expriment d’une manière très caractéristique ses pensées. C’était la nuit : elle était dans son lit chez elle en haut, ses parents en bas. « C’étaient papa et maman, le mari à maman était méchant. Ils étaient tous les deux très petits. Le mari battait fort, il était méchant. La maman était courbée, elle n’osait, pas se redresser, elle ne voulait pas battre son mari. » Cela faisait à la petite fille de la peine, comme si elle‑même recevait les coups. Dans ce rêve si court, l’enfant transpose la situation entre ses parents dans celle entre elle et son frère qui a un an de moins qu’elle : les parents sont petits — ce sont en même temps les parents et les enfants. Nous trouvons dans celte image l’expression de la loi de la condensation et de la transposition. Elle ressent les coups que sa mère reçoit dans son rêve comme si elle‑même les recevait : il s’agit certainement dans ce cas d’une identification de la petite fille avec sa mère. Mais cette scène représente aussi l’image que notre petite fille se fait des relations intimes entre ses parents : sa mère reste courbée et laisse pleuvoir les coups sur elle ; « le mari à maman était méchant » répète deux fois notre petite fille. Et cependant nous nous rappelons la phrase de cette petite fille selon laquelle elle épouserait son père, si sa mère mourait, car elle ne trouverait pas sur terre un mari aussi bon que lui.

Ces deux opinions si opposées de notre petite fille sur son père proviennent de deux différentes régions de sa personnalité. Elle présente son père dans son rêve comme méchant et cela dans une situation toute spéciale, mais consciemment elle le considère comme l’homme le meilleur du monde.

Nous voyons donc que la structure de la personnalité si jeune de notre malade n’est pas très différente de celle d’une personne adulte. Il existe déjà chez elle une barrière assez rigide entre la pensée consciente et les images de l’inconscient. Une brèche dans cette barrière provoque un bouleversement dans son équilibre moral. Nous pouvons étudier chez notre petite malade l’effet que produit l’affluence du matériel inconscient dans le conscient, c’est‑à‑dire quand cette barrière n’est plus étanche. Il y a une difficulté à accepter ce matériel, le mettre côté de celui qui est déjà agréé par nos normes conscientes. Ce matériel préconscient éveille la vigilance de notre malade, fait naître son sentiment de culpabilité en forme de peurs, de cauchemars et d’obsessions, mais aussi des mécanismes de défense, comme nous en avons vu dans les jeux de pénitence, de princesse, de flèches et d’autres.

Ces mécanismes de défense se manifestaient aussi dans l’intérêt excessif qu’elle avait pour les accidents et dans le désir que l’accident soit sérieux. Elle répétait plusieurs fois de suite que cela ne lui faisait rien qu’il y ait eu trois morts dans un accident, mais qu’elle était contente que l’accident de son père ne fût pas si grave. Son père avait écrasé un homme sourd qui n’avait pas entendu le klaxon ; il en était bouleversé. L’enfant me posa la question de savoir si son père avait commis un crime. Son intérêt pour les accidents des autres et son désir qu’ils soient graves ont une signification magique : plus grand est le nombre des morts dans ces cas, moins grave est la faute de son père.

L’observation de notre petite malade nous a donc permis de nous familiariser avec le sens symbolique des moyens dont elle se servait dans sa défense contre ses symptômes morbides : les différents rôles quelle mimait dans ses jeux, le contenu de ses rêves, dans lesquels se jouaient des scènes dont elle n’osait pas dire un mot devant ses parents, le besoin d’un nombre de victimes très élevé dans les accidents.

Le même intérêt vif pour des accidents graves de chemin de fer, mais basé sur d’autres motifs, avait un petit garçon de huit ans, Armand P…, qui nous raconta le rêve suivant qu’il avait eu la huit après avoir entendu parler d’un grave accident de chemin de fer. Il était chef d’un train qui déraillait car les mécaniciens n’avaient pas fait attention aux signaux. Il y avait eu 14 morts et 28 blessés. Dans le deuxième rêve de la même nuit, il était aussi chef de train. Il sentit le brûlé, il arrêta le train avec le frein de sûreté et constata que les deux mécaniciens étaient morts, car leurs habits enduits d’huile avaient pris feu par un retour de flammes. À la fin de son récit cet enfant dit : « Hélas ! il y a eu dans ces deux grands accidents de chemin de fer 16 morts et 28 blessés, c’est épouvantable, mais j’ai fait ces rêves avec joie. »

Cet enfant ne faisait que des rêves et rêveries au contenu cruel. Dans un autre rêve, il était à cheval et son petit frère courait derrière lui. Le cheval rua, enfonça son sabot dans le ventre de son petit frère et lui perça le ventre. Un morceau de chair tomba et notre petit malade le mangea. Il raconta ce rêve sans la moindre émotion, comme s’il s’agissait de faits les plus naturels.

Ces trois rêves nous montrent, chez cet enfant un besoin morbide d’assister à des actes sanglants et cruels. Il est lui‑même étonné d’éprouver de la joie d’un spectacle pareil.

Notre petit malade était un enfant très intelligent avec une imagination très vive et des penchants artistiques ; son affectivité n’a pas suivi la même évolution que son intelligence et était restée au stade anal‑sadique. Il mouillait encore la nuit son lit et se plaisait à faire des dégâts soit par le feu, soit par l’eau.

Cet enfant sentait qu’il n’était pas aimé autant par ses parents que les enfants nés après lui. Il se sentait incompris à la maison où on désapprouvait son vif intérêt pour un monde imaginaire et où on le jugeait paresseux et vicieux. Il était apparemment un enfant soumis, obéissant, mais il profitait de chaque occasion pour échapper à la discipline de la maison. À côté de cette vie au foyer familial il avait son monde imaginaire qu’il réalisait dans des dessins, des contes, des rêves et des rêveries. La psychanalyse devint pour lui un vaste champ d’activité. Il avait l’impression qu’on le comprenait et il écrivait de petites histoires, faisait des dessins pour sa psychanalyste et donnait libre cours à son imagination.

Grâce è ce travail, il comprit que ses actes de destruction, réels et imaginaires, n’étaient que l’expression de la peur qu’il avait de sa mère qu’il aimait et haïssait en même temps. Son énurésie avait pour but de lui procurer un plaisir sexuel et d’obliger sa mère à contrôler tous les jours son lit.

Il y avait un lien affectif entre sa peur de castration, sa jalousie de son petit frère et son énurésie. Notre jeune malade nous en donna la preuve dans le rêve suivant. Ce rêve s’était répété pendant trois nuits de suite au cours desquelles il mouillait son lit. Dans ce rêve, il était dans la voiture avec son petit frère et la nurse. Le petit frère tenait sa main penchée au dehors de la fenêtre. La nurse montait la vitre et coupait le troisième doigt de la main droite de son frère. Il prit le petit doigt et essaya de le coller, mais il ne réussit pas à le faire et se réveilla. La mutilation que subit dans le rêve son petit frère est le symbole de la castration et concerne certainement autant notre malade que son petit frère. Il essaie de recoller le doigt coupé, c’est‑à‑dire de réparer le mal procuré par la punition habituelle pour la masturbation.

L’énurésie était chez notre petit malade l’acte final de la masturbation. Avec la naissance de son petit frère, ces deux habitudes devinrent beaucoup plus fréquentes. Il est possible que notre petit malade cherchait dans ces plaisirs une consolation, car avec l’arrivée de son petit frère il redoutait que l’amour de sa mère pour lui diminuât encore. La castration, qu’il appréhendait comme punition pour lui, il la souhaitait pour son petit frère qu’il voulait faire disparaître ou au moins mutiler ; la nurse remplit ce rôle en lui coupant le doigt. Dans le précédent rêve, le cheval de notre petit malade blesse son frère mortellement et notre petit malade mange un morceau de chair de son petit frère. Cet acte cruel marquait aussi l’union de sang et de chair entre les deux frères.

Après cette courte analyse des rêves de notre petit malade, nous pouvons dire que sa vie affective était encore fixée à des satisfactions sadiques, dont nous avons rencontré maintes expressions symboliques dans ses rêves. La joie qu’il mentionne avoir éprouvée au cours des accidents de chemins de fer provenait autant de ses fixations sadiques que de son besoin de prouver sa toute‑puissance par des actes excessifs. Plus élevé est le chiffre des morts, plus recherchée est l’aventure de son rêve, plus grand et plus important il se croyait.

Cet enfant vivait dans un milieu très élevé sous le point de vue moral et intellectuel ; il n’était pas capable à cause de son âge très jeune et à cause de ses penchants instinctifs d’atteindre le diapason de son milieu. Il se sentait handicapé surtout intellectuellement par les hommes de sa parenté. Même ses dons artistiques, qui étaient d’une mesure assez grande, ne suffisaient pas comme équivalent, alors il puisait ses forces là où elles se mettaient à sa disposition dans ses penchants instinctifs.

Il construisait son sui‑moi sur un idéal contraire à celui de son père et de sa famille, car là il se sentait sûr et fort. Il existe chez notre jeune malade une discordance entre ses dispositions intellectuelles et ses tendances instinctives. La question se pose donc de savoir si cette discordance est de nature schizoïde ou purement basée sur ses dispositions instinctives morbides. Certainement les deux éléments existent chez cet enfant. Son évasion de la réalité dans ses rêveries et jeux est à la limite des réalisations schizoïdes ; cette évasion montre plutôt le caractère autistique que nous avons indiqué comme trait principal de la pensée infantile. Ses tendances instinctives restent encore dans le stade primitif, il n’a pas encore appris à tenir la balance entre la réalisation instinctive et la sublimation, oeuvre qu’accompliront chez lui probablement ses éducateurs à l’aide de la psychanalyse. Ses dons artistiques et son sens pratique de s’en servir nous paraissent un bon pronostic pour l’avenir de cet enfant.

Ce qui nous intéressait spécialement dans ce cas, c’était la richesse et le caractère sadique des symboles dont cet enfant se servait. Il est rare de trouver chez un être si jeune une imagination si vive et si unilatérale avec la compréhension du caractère illicite de ses productions. La petite remarque « hélas ! », quand il parlait de la joie qu’il éprouva dans le rêve du formidable accident de chemin de fer, nous prouve qu’il avait déjà atteint une mesure morale, mais purement logique de ses élaborations imaginaires.

L’étude des rêves de notre petit malade nous a permis de nous familiariser avec des expressions symboliques d’une imagination très curieuse, avec des symboles se rapprochant de la pensée et des actes magiques du primitif, mais aussi d’apprendre des mesures de défense contre les exigences de la réalité extrêmement brutales.

Nous voudrions encore parler de l’expression du transfert dans les rêves et nous croyons utile de présenter d’abord son expression dans les rêves d’un enfant très jeune, chez lequel le refoulement est presque nul et, après, du transfert exprimé dans les rêves d’un garçon de dix ans avec une névrose d’obsession et la pensée décousue du schizoïde.

Il s’agissait dans le premier cas d’une fillette de cinq ans et demi, Odette S…, que nous avons soignée pour une énurésie nocturne, une masturbation excessive avec prosélytisme. Dans ses rêves du début du traitement il n’était question que de la destruction de la clinique par le feu et l’inondation.

Dans un de ses rêves, tous les médecins se trouvaient au ciel quand elle arriva à la consultation ; sur son chemin de retour elle rencontra de nombreux enterrements. Elle exprime par des images que les médecins sont non seulement au ciel, mais aussi réellement enterrés. Dans un autre rêve, le Bon Dieu envoya à la clinique d’abord le déluge, ensuite les rats et les loups. La même nuit elle rêvait qu’elle fut arrêtée par des agents pour avoir volé un pain. On la mit en prison, quoiqu’elle n’eût rien volé. La punition de ce rêve, lui paraissait injuste, car elle la considérait comme celle pour la masturbation qu’on lui reprochait tellement sans qu’elle se sentît coupable, mais d’autre part elle méritait tout de même une punition car c’est elle qui envoyait les médecins au ciel et détruisait la clinique.

Elle faisait encore des rêves dans lesquels le feu et l’eau causaient la mort des collaborateurs de la clinique, sauf celle de sa psychanalyste.

À la fin du traitement, quand elle fut guérie, ses rêves changèrent de caractère. Elle faisait dans ses rêves des voyages en compagnie de sa psychanalyste. Nous allions ensemble à Lourdes où nous produisions toutes les deux des miracles en guérissant des malades. Le transfert de notre petite malade sur sa psychanalyste s’exprimait en premier lieu dans le rêve, où, elle, la psychanalyste, était la seule rescapée de la mort, mais aussi dans les rêves de la fin du traitement. Il s’y ajouta encore le mécanisme d’identification : notre petite malade devint elle‑même médecin et accomplissait les mêmes miracles que sa psychanalyste, elle guérissait les malades, mais seulement en sa compagnie.

Nous nous trouvons dans ce cas devant des mécanismes psychologiques non compliqués, transparents ; la barrière entre la partie latente et la partie manifeste du rêve est très mince, la censure n’est pas sévère, le symbolisme très clair. La réalisation de ses désirs mêmes dans le rêve a un caractère magique : les crimes et les punitions, les miracles, tout se suit immédiatement. Elle emprunte les symboles aux contes de fées et à l’histoire sainte : les inondations, le déluge, le feu, les rats et les loups sont à sa disposition et elle s’en sert largement.

Un caractère bien différent et plus compliqué a le rêve dans lequel le deuxième malade exprime ses sentiments envers sa psychanalyste. Un jour il me raconta le rêve suivant, après m’avoir prévenue d’abord qu’il l’avait fait un an auparavant, et ensuite qu’il était sûr que je ne croirais jamais qu’il l’avait fait. Voilà son contenu :

« Une vieille dame vivait toute seule dans son appartement. Elle avait un lavabo dans lequel elle se débarbouillait tous les jours et elle lui parlait comme à uni ami. Le lavabo la prenait. Un jour, elle partit chez sa soeur et, en rentrant de ce voyage, elle sut qu’elle allait mourir. Elle écrivit une lettre à sa soeur et prit congé pour toujours du lavabo. Celui‑ci en avait un grand chagrin ; il se mit à pleurer à chaudes larmes. L’eau coulait du lavabo goutte à goutte et inonda tout l’appartement. Quand la soeur de la dame arriva, elle la trouva morte et la pièce inondée, mais elle ne comprit pas le chagrin du lavabo. »

Après avoir fini son récit, il me dit plusieurs fois qu’il était sûr que je ne croyais pas qu’il avait fait ce rêve. Je le rassurai sur ce point en lui disant que dans un rêve une table se met à parler, un lit à danser.

Je lui interprétai ce rêve de la manière suivante : la vieille dame, c’était moi, et le lavabo, lui-même. D’une part, il serait content si je mourais, car je ne l’ennuierais plus avec le traitement, d’autre part, ma mort lui ferait de la peine, car il m’aimait bien : nous en avons la preuve dans les chaudes larmes du lavabo. Je lui dis qu’il avait certainement fait ce rêve ces derniers temps.

Il accepta cette interprétation et ajouta qu’il était maintenant sûr d’avoir fait ce rêve la nuit précédente. Rappelons‑nous tout ce que ce jeune garçon tenait à nous dire avant de raconter ce rêve. Il avait certainement une très grande résistance à exprimer ses bons sentiments envers moi, même sans ce camouflage, et il est probable qu’il a pu le faire à condition de se suggestionner d’avoir fait ce rêve il y a déjà longtemps et que je ne croirais pas qu’il l’avait fait. Nous comprendrons mieux ces précautions quand nous saurons plus de détails sur ce jeune malade.

Il faut tout de même dire que pour un rêve d’un garçon de dix ans, il est très bizarre, mais l’enfant se trouvait sur le chemin de s’éloigner de la réalité, après avoir subi un traumatisme très grave.

Ses parents étaient divorcés et son père venait de temps en temps en visite dans son ancienne famille, mais les enfants ne devaient pas savoir que c’était leur père, car on gardait l’incognito sur sa personne. Notre petit malade s’en doutait, mais il ne se trahissait pas.

Sa mère est une femme très dure, elle inspirait à l’enfant une haine profonde. C’est dans ce milieu, où il y avait heureusement une tante qui le comprenait, qu’il apprit à garder ses pensées pour lui et à vivre à l’écart de la société et même de sa famille ; il ne prenait pas part aux jeux de son frère et de sa soeur et devint de plus en plus renfermé et bizarre. Se trouvant en société de sa famille ou des personnes qui les rappelaient, exception faite de sa tante, il se sentait poussé à leur donner des gifles et pendant les repas à lancer des assiettes à leur tête. Il ne prenait plus les repas qu’à la cuisine en compagnie des bonnes qui n’excitaient pas ses actes d’agressivité.

C’est ainsi que cet enfant arriva à un isolement extérieur et encore à un plus grand isolement intérieur. Il considérait toute manifestation affective comme un crime. Voilà la raison qui l’empêchait d’exprimer son transfert sur sa psychanalyste autrement que par ce camouflage peu transparent.

Les symboles que notre petit malade avait choisis pour exprimer ses sentiments étaient bien éloignés de ceux que nous rencontrons d’habitude chez les enfants. Mais ces symboles nous donnaient une image bien émouvante de sa détresse morale, qui provenait du cercle vicieux de sa vie, car on l’éloignait toujours des êtres qui lui étaient sympathiques. Il comprenait bien qu’il ne pourrait pas rester longtemps dans ma compagnie, étant donné que sa famille ne voulait pas continuer le traitement psychanalytique. Nous avons essayé de donner, dans cette petite découpe de l’histoire de l’obsession de notre jeune malade, une ébauche de sa névrose et de son caractère.

Nous nous rendons bien compte que nous nous trouvons seulement au début d’une étude sur les expressions symboliques dans les jeux et les rêves des enfants, mais notre matériel nous a déjà permis d’observer différentes manifestations dans ce domaine. Ainsi, il nous a appris les différentes sources desquelles provenaient les symboles dont les enfants se servaient : les contes de fées, l’histoire sainte, la vie quotidienne, un nouveau milieu — tout se prêtait à ce travail. La manière avec laquelle l’enfant exprimait ses conflits dans ses jeux et dans ses rêves nous permettait de faire un diagnostic et même un pronostic sur sa névrose. Nous avons constaté que le refoulement était plus ou moins profond selon l’âge de l’enfant en question. L’atmosphère des rêves, le camouflage dont l’enfant se servait, les attitudes qu’il prenait dans le même jeu ou dans un rêve semblable nous renseignaient sur la gravité de la névrose de nos petits malades.

Ainsi avec le matériel, le travail théorique se compliquait de nouveaux problèmes, de nouvelles questions se posaient et certainement aussi de nouvelles difficultés apparaissaient.

Nous avons vu qu’entre le jeu, la rêverie et le rêve existent des liens très étroits. Les mêmes conflits et les mêmes problèmes cherchent leurs réalisations imaginatives dans les mêmes symboles et par les mêmes mécanismes.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage original de Sophie Morgenstern, Psychanalyse infantile. Symbolisme et valeur clinique des créations imaginatives chez l’enfant, Éditions Denoël, Paris, 1937.

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