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Alfred Binet

Note sur l’Écriture hystérique

Études de psychologie expérimentale, Éd.DOIN, Paris, 1888

Date de mise en ligne : samedi 12 juillet 2003

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Alfred BINET, « Note sur l’Écriture hystérique », Études de psychologie expérimentale, Bibliothèque des actualités médicales et scientifiques, Paris, Octave DOIN Éditeur, 1888, pp. 299-306.

La graphologie, qui recherche dans l’écriture la traduction graphique des mouvements inconscients par lesquels le scripteur manifeste extérieurement ses états de conscience, nous paraît être un simple fragment de l’étude de la mimique, laquelle rentre à son tour dans l’étude encore plus générale de la psychologie des mouvements. Il faut donc, selon nous, étudier l’écriture d’après les procédés dont on se sert en physiologie pour étudier les réactions motrices par lesquelles un individu répond à une excitation donnée. MM. Ferrari, Héricourt et Richet sont entrés récemment dans cette voie, par leurs recherches de graphologie expérimentale [1]. Ces observateurs ont vu que lorsqu’on impose par suggestion à un hypnotique une personnalité d’emprunt, le sujet invité à écrire trace des caractères dont la forme paraît être en harmonie avec sa personnalité nouvelle. Nous citerons par exemple le fac-similé de l’écriture du sujet qui, transformé en Napoléon 1er, envoie un ordre à Grouchy sur le champ de bataille de Waterloo. Ces recherches sont excellentes comme méthode, et les auteurs ont eu bien raison de procéder en modifiant les états de conscience du scripteur, pour rechercher ensuite les effets de ces modifications sur l’écriture, au lieu de suivre la méthode inverse, et fort incertaine, des graphologues de profession, qui le plus souvent remontent, par induction, des caractères graphiques aux états de conscience du scripteur. Nous disons que cette dernière méthode est fort incertaine, parce qu’elle manque de contrôle ; lorsqu’on certifie par exemple que telle écriture trahit la main d’un homme orgueilleux, quelle preuve peut-on donner de cet état psychique ? et qui nous dit que le scripteur, au moment où il écrivait, était dominé par l’orgueil et non par tel autre sentiment ? Ce doute est supprimé, lorsque c’est par suggestion que l’on communique au scripteur un état de conscience ; alors, on n’a plus à étudier que son écriture, c’est-à-dire un phénomène beaucoup plus objectif.

Cependant, si les recherches de MM. Ferrari, Héricourt et Richet nous paraissent conformes à la meilleure méthode, on peut hésiter sur l’interprétation qu’il convient d’en donner. La graphologie, disons-nous, cherche dans l’écriture l’expression inconsciente du caractère du scripteur ; or, lorsqu’on impose à un sujet une personnalité d’emprunt, il n’est pas du tout prouvé que son écriture soit le résultat direct de sa nouvelle personnalité. Quand un hypnotique qui croit être Napoléon écrit un ordre à Grouchy, il est probable qu’un phénomène d’idéation s’interpose entre sa volonté d’écrire et l’acte ; le sujet copie un modèle mental fourni par le souvenir (si par exemple le sujet a vu des autographes de Napoléon 1er) ou inventé par l’imagination. L’expérience n’a donc pas une grande valeur pour la graphologie.

Nous pensons que cette objection ne peut pas être opposée à la majorité des expériences suivantes, qui ont été faites en soumettant des hystériques hypnotisables, du service de M. Charcot, à des excitations sensorielles et psychiques, pendant que les sujets écrivaient sous la dictée.

Nous avons constaté très nettement que sous l’influence des excitations des sens, comme la vue d’un disque rouge, l’hallucination du rose ou du rouge, un bruit réel ou imaginaire, une odeur forte de musc, ou même une odeur puante, etc., l’écriture s’agrandit et les traits s’épaississent, comme si le sujet sentait le besoin de dépenser un surcroît de force musculaire. De plus, le sujet écrit plus vite.

Les suggestions d’états de conscience excitants, comme la joie, l’amour-propre, l’orgueil, produisent la même écriture dynamogéniée que les excitations de la sensibilité. La suggestion n’est même pas nécessaire pour amener ce résultat. Chez un sujet nous constatons un jour le fait suivant : il écrit sous notre dictée pendant dix minutes des phrases banales, et son écriture conserve pendant tout ce temps une grandeur normale. À un certain moment, nous intercalons dans notre dictée les mots : Vive la République ! aussitôt le caractère graphique s’agrandit, bien que nous n’ayons pas élevé la voix ni soumis l’hypnotique à aucune autre excitation qu’à celle qui résulte du sens de ces paroles. Nous dictons ensuite des phrases qui n’ont aucun caractère émotif, et aussitôt l’écriture du sujet se calme et reprend son caractère primitif.

Cependant quelques-unes de nos expériences nous paraissent susceptibles des mêmes objections que celles de MM. Ferrari, Héricourt et Richet : ainsi, ayant suggéré à G... qu’elle est la plus belle femme de la Salpêtrière, nous obtenons une écriture dans laquelle la malade nous donne son maximum d’élégance ; ici l’imagination a probablement joué un rôle.

Ces premiers résultats concordent parfaitement avec ceux de M. Féré qui a montré que chez les hyperexcitables, toute excitation sensorielle détermine un accroissement momentané du pouvoir moteur, mesurable au dynamomètre. Seulement le dynamomètre a sur l’écriture l’avantage de donner un chiffre.

On sait aussi, depuis les expériences de M. Féré, que l’aimant agit sur les hyperexcitables comme toute autre excitation périphérique, et peut amener les mêmes résultats dans les mêmes conditions. Ainsi M. Féré a montré que l’application de l’aimant à distance accroît la force musculaire du bras vers lequel il est tourné, avant d’opérer le transfert de cette force musculaire à l’autre bras : et que semblablement l’excitation d’un seul œil par une lumière rouge produit d’abord une exaltation de force motrice dans le bras correspondant, et ensuite un transfert de la puissance motrice à l’autre bras.

Nous avons constaté qu’il est possible de refaire sur l’écriture cette double expérience de dynamogénie et de transfert. Nous avons vu antérieurement, dans des recherches faites en commun avec M. Féré [2], que l’aimant opère le transfert de l’impulsion d’écrire ; dans une expérience récente faite avec notre collaborateur, nous avons constaté en outre que l’aimant, placé à une certaine distance de la main qui écrit, ne tarde pas à augmenter l’amplitude des caractères, comme le fait une excitation sensorielle. Cette expérience a été faite sur la nommée G..., qui n’a pas été soumise jusqu’ici à des expériences de transfert d’impulsion.

En somme, tous ces résultats sont confirmatifs ; et on peut poser en règle générale que toute excitation sensorielle, produite par un objet quelconque, ou par l’aimant, détermine dans un sujet hyperexcitable une dynamogénie générale, qui se traduit non seulement par une augmentation de force dynamométrique, mais par un agrandissement des caractères graphiques.

Si l’excitation sensorielle est prolongée, elle fatigue le sujet : les rapports entre l’hystérie et la fatigue sont aujourd’hui bien certains : on sait que l’hystérique s’épuise vite (Féré). Or, ce n’est pas seulement le pouvoir moteur qui traduit cet épuisement à la suite d’une excitation prolongée ; l’écriture aussi le rend manifeste, en devenant plus petite qu’à l’état normal. Nous voyons en effet que si nous faisons écrire un sujet après lui avoir donné la suggestion d’une impression sensorielle telle que la couleur rose ou l’odeur du musc, on obtient d’abord une écriture large, dynamogéniée : peu après, l’écriture se rapetisse progressivement, elle s’épuise en quelque sorte. Par conséquent le parallèle entre les mouvements graphiques et l’effort musculaire se maintient ici. Ce n’est pas tout. Si on laisse l’expérience continuer un certain temps, dans le cas où la première excitation n’a pas été trop violente, l’écriture s’agrandit de nouveau : en d’autres termes, il se fait une oscillation consécutive dans laquelle l’état prime reparaît, exactement comme cela se passe pour la force musculaire. Cette série d’excitations et de dépressions que présente l’écriture sous l’influence d’une excitation sensorielle continue nous paraît être tout à fait l’analogue de la polarisation motrice, où l’impulsion est remplacée par la paralysie ; ici seulement, la dépression ne va pas jusqu’à la paralysie, parce que l’excitation épuisante n’est pas assez forte.

On peut amener le même épuisement de l’écriture par des suggestions d’états psychiques à caractères déprimant, comme la modestie ou la tristesse. On voit alors d’emblée les caractères graphiques se rapetisser.

Les expériences précédentes nous montrent toutes que les mouvements coordonnés de l’écriture suivent, chez des sujets hystériques, les mêmes modifications que la puissance musculaire : ces modifications peuvent être d’ailleurs classées tout simplement sous les noms d’excitation et de dépression, de dynamogénie et d’inhibition (Brown-Séquard). Les observations précédentes ne s’appliquent qu’aux hystériques ; mais il est probable que l’hystérie rend seulement plus apparents des phénomènes qui existent aussi à l’étal normal.

L’excitation et la dépression, tel est le point unique que nous désirions signaler dans cette courte note. Nous reviendrons plus tard sur d’autres modifications de l’écriture. Nous n’avons pas examiné ici la grosse question de savoir si l’écriture permet de diagnostiquer le caractère mental du scripteur ; pour résoudre un tel problème, le seul moyen serait de recourir à la méthode hypnotique ; un expérimentateur ferait écrire son sujet sous l’influence de suggestions diverses ; et ensuite le graphologue, auquel les spécimens d’écriture seraient présentés sans commentaires, aurait à deviner à quelle espèce de suggestion chaque spécimen correspond. L’essai de ce diagnostic permettrait de savoir où en est la graphologie contemporaine.

P.-S.

Alfred BINET, « Note sur l’Écriture hystérique », Études de psychologie expérimentale, Bibliothèque des actualités médicales et scientifiques, Octave DOIN Éditeur, Paris, 1888, pp. 299-306.

Notes

[1Voir la Revue philosophique, 1886, tome XXI, p. 114.

[2Le transfert psychique (janvier 1885, Rev. phil.).

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