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Théodore FLOURNOY

Origine et naissance du cycle martien

Des Indes à la planète Mars (Chapitre V - §I)

Date de mise en ligne : mercredi 24 mai 2006

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Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

CHAPITRE CINQ
Le cycle martien

Le titre de ce livre devrait m’engager à étudier le roman hindou avant le cycle martien. Une considération de méthode me décide à renverser cet ordre. Ii vaut mieux aller du simple au composé et, bien que la planète Mars nous soit assurément moins connue que les Indes, le roman qu’elle a inspiré au génie subliminal de Mlle Smith est relativement plus facile à expliquer que le cycle oriental. En effet, il ne paraît relever que de l’imagination pure, tandis qu’on rencontre dans ce dernier des éléments historiques réels dont il est très difficile de savoir où la mémoire et l’intelligence d’Hélène ont bien pu les puiser. Il n’y a donc dans le roman martien qu’une faculté à l’oeuvre, comme aurait dit un psychologue classique, tandis que le cycle oriental en met plusieurs en jeu et doit, par conséquent, être abordé en second lieu, en raison de sa plus grande complexité psychologique.

Bien que la langue inconnue qui sert de véhicule à beaucoup de messages martiens ne puisse naturellement être dissociée du reste de ce cycle, elle mérite cependant une considération spéciale et le chapitre suivant lui sera plus particulièrement consacré. Elle ne figurera dans celui-ci, où je traiterai des origines et du contenu du roman martien, qu’autant que son apparition ne fait qu’un avec l’apparition même et les premiers développements de ce roman.

I. ORIGINE ET NAISSANCE DU CYCLE MARTIEN

« Nous osons espérer, dit M. Camille Fiammarion au commencement de son bel ouvrage sur la planète Mars, que le jour viendra où des moyens inconnus de notre science actuelle nous apporteront des témoignages directs de l’existence des habitants des autres mondes, et même, sans doute, nous mettront en communication avec ces frères de l’espace [1] ! » À la dernière page de son livre, il revient sur la même idée : « Quelles merveilles la science de l’avenir ne réserve-t-elle pas à nos successeurs, et qui oserait même affirmer que l’humanité martienne et l’humanité terrestre n’entreront pas un jour en communication l’une avec l’autre [2] ! »

Cette splendide perspective ne laisse pas de paraître encore un peu lointaine, même avec la télégraphie sans fil, et de fleurer presque l’utopie quand on s’en tient strictement aux conceptions courantes de nos sciences positives. Mais franchissez ces cadres étroits, élancez-vous, par exemple, vers les horizons illimités que le spiritisme ouvre à ses heureux adeptes, et aussitôt la vague espérance de tout à l’heure peut prendre corps, rien ne s’oppose plus à sa réalisation prochaine, et la seule chose dont il faille s’étonner, c’est qu’on n’ait point encore vu surgir le médium privilégié à qui reviendra la gloire, unique au monde, de nous avoir le premier servi d’intermédiaire avec les humanités des autres planètes. Car, pour le spiritisme, les barrières de l’Espace ne comptent pas plus que celles du Temps. Les « portes de la distance » sont grandes ouvertes devant lui. La question des moyens est ici chose secondaire ; on n’a que l’embarras du choix. Que ce soit par intuition, par clairvoyance, par télépathie, par dédoublement permettant à l’âme entourée de son périsprit de quitter momentanément sa guenille terrestre pour faire en rien de temps le voyage du bout du monde aller et retour ; ou encore par vision dans l’Astral, par réincarnation des désincarnés omniscients, par les « fluides » ou par tel autre procédé enfin que vous voudrez - il n’importe. Le point essentiel, c’est qu’aucune objection sérieuse ne saurait être opposée à la possibilité de cette communication. Le tout est de trouver un sujet qui ait des facultés psychiques suffisantes. C’est une simple question de fait ; s’il ne s’en est point encore rencontré, c’est apparemment que les temps n’étaient pas mûrs. Mais maintenant que les astronomes eux-mêmes pressentent, désirent, appellent de leurs voeux ces « Moyens inconnus de la science actuelle » pour nous mettre en rapport avec les autres mondes, nul doute que le spiritisme - qui est la science de demain, la science définitive comme la Religion absolue - ne réponde bientôt à ces légitimes aspirations. On peut donc s’attendre à voir paraître d’un instant à l’autre le révélateur impatiemment souhaité, et tout bon médium est en droit de se demander s’il ne serait point justement l’être prédestiné à cette mission sans égale.

Telles sont, à mon avis, dans leur contenu essentiel et leurs grandes lignes, les considérations qui ont inspiré au subliminal de Mlle Smith la première idée de son roman martien. Je ne veux point dire que les passages de M. Flammarion que j’ai cités soient tombés directement sous les yeux d’Hélène, mais ils expriment et résument à merveille un des éléments de l’atmosphère dans laquelle elle se trouva au début de sa médiumité. Car, s’il n’y a pas d’indices certains qu’elle ait jamais lu ou feuilleté elle-même aucun ouvrage sur les Terres du Ciel et leurs habitants, ni de M. Flammarion, ni de personne autre, elle en a cependant entendu parler. Elle connaît fort bien le nom du célèbre astronome-écrivain de Juvisy, et un peu ses idées philosophiques, ce qui n’a rien de surprenant quand on sait la popularité dont il jouit dans les milieux spirites qui trouvent en lui un appui scientifique fort bien venu pour leur dogme de la réincarnation sur d’autres astres. Je tiens d’ailleurs d’un témoin [3] que dans le groupe de Mme N., dont Hélène fit partie en 1892, la conversation roula plus d’une fois sur l’habitabilité de Mars, que la découverte des fameux canaux recommandait spécialement depuis quelques années à l’attention du grand public [4]. Cette circonstance me paraît expliquer suffisamment le fait que l’astronomie subliminale d’Hélène se soit concentrée sur cette planète, alors que des médiums plus anciens ont manifesté des préférences différentes, preuve en soient les fameuses maisons de Jupiter de M. Sardou [5].

Il est, du reste, fort possible que les premiers germes du roman martien remontent encore plus haut que les commencements mêmes de la médiumité d’Hélène. Le caractère oriental bien accusé de ses dessins relatifs à cette planète, ainsi que l’impression très nette qu’elle a d’avoir déjà éprouvé dans sa jeunesse et son enfance beaucoup de visions du même genre « sans se rendre compte de ce que c’était », font en effet supposer que les ingrédients de ce cycle datent de bien des années en arrière. Peut-être est-ce un seul et même fonds primitif de souvenirs exotiques, de récits ou d’images des pays tropicaux, qui s’est ramifié plus tard, sous la vigoureuse impulsion des idées spirites, en deux courants distincts, le roman hindou d’une part, et le martien de l’autre, dont les eaux se sont plus d’une fois mélangées dans la suite. Tout en regardant donc comme probable qu’il plonge ses racines jusque dans l’enfance de Mlle Smith, il ne s’agit cependant pas dans le cycle martien, pas plus que dans les autres, d’un simple retour cryptomnésique d’anciens produits tout faits, d’une pure exhumation de résidus fossiles reparaissant au jour à la faveur du somnambulisme. C’est bien un processus actif et en pleine évolution auquel nous assistons, alimenté sans doute par de vieux éléments, mais qui les combine et les repétrit à nouveau d’une façon très originale, puisqu’il aboutit entre autres à la création d’une langue inédite. Il serait intéressant de suivre pas à pas les phases de cette élaboration ; comme toujours, malheureusement, elle se dérobe dans l’obscurité de la subconscience ; nous n’en saisissons que quelques apparitions de loin en loin, et tout le reste de ce travail souterrain doit être inféré, d’une manière assez hypothétique, d’après ces éruptions supraliminales et les trop rares données que nous avons sur les influences extérieures dont il a pu subir l’action stimulante.

C’est donc en 1892 que se placent les conversations qui ont dû préparer le terrain pour cette oeuvre de haute fantaisie subliminale, en mettant dans l’esprit d’Hélène la double idée de l’énorme intérêt scientifique qu’il y aurait à entrer en relations directes avec les habitants de Mars, et de la disponibilité, insoupçonnée des savants, mais que nous fournit le spiritisme, d’y arriver par voie médianimique. Je doute, cependant, que cette suggestion vague de la part du milieu ait suffi à engendrer le rêve martien - car pendant plus de deux ans il ne manifeste aucune velléité d’éclosion - sans l’appoint de quelque chiquenaude plus concrète capable de donner le branle à tout le mouvement. Il n’est malheureusement pas aisé, faute de documents, d’assigner avec précision les circonstances et le moment où l’imagination subconsciente d’Hélène a reçu cette impulsion effective ; mais on en retrouve une trace non équivoque dans le procès-verbal même, tout a fait contemporain, de la première séance spécifiquement martienne de Mlle Smith, comme je vais le montrer. Il convient toutefois de reprendre la chose d’un peu plus haut. En mars 1894, Hélène fit la connaissance de M. Lemaître qui, s’intéressant vivement aux phénomènes de psychologie anormale, assista chez d’autres personnes à quelques-unes de ses séances, puis finit par la prier d’en venir donner chez lui. Dès la première fois (28 octobre 1894), Hélène y rencontra une dame veuve aussi digne de respect que de pitié. Outre qu’elle souffrait d’une affection très grave de la vue, Mme Mirbel - je lui conserve le pseudonyme que M. Lemaître lui a donné dans le compte rendu qu’il a publié de cette séance [6] - avait eu, trois ans auparavant, l’affreux chagrin de perdre son fils unique Alexis, alors âgé de dix-sept ans et élève de M. Lemaître. Sans être encore adepte bien convaincue du spiritisme, on comprend que Mme Mirbel ne demandât pas mieux que de croire à cette consolante doctrine si seulement on lui en fournissait des preuves, et quelle preuve plus impressive pouvait-elle souhaiter qu’un message de son enfant bien-aimé ? Aussi, n’était-ce probablement pas sans quelque secret espoir d’obtenir une communication de ce genre qu’elle s’était rendue à l’invitation que M. Lemaître lui avait adressée, dans l’idée de procurer quelques moments de distraction à la malheureuse mère. Comme cela arrive fréquemment avec Hélène, cette première séance répondit pleinement aux voeux des assistants et dépassa leur attente. Pour ne parler que de ce qui concerna Mme Mirbel, Hélène eut la vision, d’abord, d’un jeune homme dans la description très détaillée duquel on n’eut pas de peine à reconnaître le défunt Alexis Mirbel, puis d’un vieillard que la table dit être Raspail, amené par le jeune homme pour soigner les yeux de sa mère. Celle-ci eut ainsi le double privilège de recevoir par la table quelques mots de tendresse de son fils, et de Raspail, contre les maux d’yeux, une indication de traitement au camphre tout à fait dans l’esprit de l’auteur populaire du Manuel de la santé. Rien, d’ailleurs, dans cette séance, ne se rapportait de près ou de loin à la planète Mars, et ne pouvait faire prévoir qu’Alexis Mirbel désincarné deviendrait plus tard, sous le nom d’Esenale, l’interprète officiel de la langue martienne.

Il en fut autrement un mois après (25 novembre) à la seconde réunion chez M. Lemaître, à laquelle assistait de nouveau Mme Mirbel. Ici, le rêve astronomique, pour sa première apparition, éclate d’emblée et domine toute la séance.

Dès le début, relate le procès-verbal, Mlle Smith aperçoit dans le lointain et à une grande hauteur une vive lueur. Puis elle éprouve un balancement qui lui donne au coeur ; après quoi il lui semble que sa tête est vide et qu’elle n’a plus de corps. Elle se trouve dans un brouillard épais, qui passe successivement du bleu au rose vif, au gris, et au noir. Elle flotte, dit-elle ; et la table, appuyée sur un seul pied, se met à exprimer un mouvement flottant très curieux, comme des spires recommençant constamment le même tour. - Puis elle voit une étoile qui grandit, grandit toujours, et devient « plus grande que notre maison ». Hélène sent qu’elle monte. Puis la table donne par épellation : Lemaître, ce que tu désirais tant ! - Mlle Smith, qui était mal à l’aise, se trouve mieux ; elle distingue trois énormes globes, dont un très beau. Sur quoi est-ce que je marche ? demanda-t-elle. Et la table de répondre : Sur une terre, Mars.

Hélène commence alors une description de toutes les drôles de choses qui se présentent à sa vue et lui causent autant de surprise que d’amusement. Des voitures sans chevaux ni roues, glissant en produisant des étincelles ; des maisons à jets d’eau sur le toit ; un berceau ayant en guise de rideaux un ange en fer aux ailes étendues, etc., etc. Ce qu’il y a de moins étrange, ce sont encore les gens, qui sont tout à fait comme chez nous, sauf que les deux sexes portent le même costume formé d’un pantalon très ample, et d’une longue blouse serrée à la taille et chamarrée de dessins. L’enfant qui est dans le berceau est identique aux nôtres, d’après le croquis qu’Hélène en fit de mémoire après la séance.

Pour finir, elle voit encore dans Mars une sorte de vaste salle de conférences où professe Raspail, ayant au premier rang de ses auditeurs le jeune Alexis Mirbel, lequel, par une dictée typtologique, reproche à sa mère de n’avoir pas suivi les prescriptions médicales d’il y a un mois : Bonne maman, as-tu donc si peu de confiance en nous ! tu ne saurais croire combien tu m’as fait de peine. Suit encore une conversation d’ordre privé entre Mme Mirbel et son fils répondant par la table ; puis tout se calme, la vision de Mars s’efface peu à peu, la table reprend le même mouvement de rotation sur un seul pied qu’elle avait au commencement de la séance ; Mlle Smith se retrouve dans les brouillards et refait en sens inverse le même trajet. Puis elle dit : Ah ! me revoilà ici ! et plusieurs coups frappés assez fort marquent la fin de la séance.

J’ai relaté dans ses traits principaux cette première séance martienne à cause de son importance à divers égards. La série initiale des hallucinations cénesthésiques correspondant au voyage de la Terre à Mars reflète bien le caractère enfantin d’une imagination que n’embarrassent guère les problèmes scientifiques ou les exigences de la logique. Sans doute, le spiritisme peut expliquer que les difficultés matérielles d’une traversée interplanétaire soient supprimées dans un transport purement médianimique, fluidique, mais pourquoi alors cette persistance des sensations physiques de mal de coeur, balancement, flottaison, etc. ? - Quoi qu’il en soit, cette série de sensations est dès lors restée le prélude coutumier, et comme l’aura prémonitoire, du rêve martien, avec certaines modifications selon les séances ; parfois elle se compliquera d’hallucinations auditives (grondement, bruit de grosses eaux, etc.), ou même olfactives (odeurs désagréables de brûlé, de soufre d’orage) ; plus souvent elle tend à se raccourcir et à se simplifier, jusqu’à se réduire soit à un court malaise, reste du mal de coeur primitif, soit à l’hallucination visuelle initiale de la lueur, généralement éclatante et rouge, dans laquelle se dessinent graduellement les versions martiennes.

Mais le point sur lequel je tiens surtout à attirer l’attention, c’est cette singulière dictée de la table à l’instant où Mlle Smith arrive sur l’étoile lointaine, et avant même que l’on sache de quel astre il s’agit : « Lemaître, ce que tu désirais tant. » Cette déclaration faite ainsi dès l’abord, à la façon d’une dédicace inscrite au frontispice même de tout le roman martien, nous autorise, à mon sens, à le regarder et à l’interpréter comme étant, dans ses origines, une réponse directe à un désir de M. Lemaître, désir parvenu à une époque récente, indéterminée, à la connaissance d’Hélène, et qui a joué chez elle le rôle de suggestion initiatrice de son rêve astronomique. Il est vrai que M. Lemaître lui-même ne comprit point sur le moment à quoi faisait illusion cet avertissement préliminaire, mais la note qu’il inséra à la fin de son procès-verbal de cette séance est bien instructive à cet égard :

Je ne sais trop comment expliquer les premiers mots dictés par la table : Lemaître, ce que tu désirais tant ! Monsieur S. me rappelle que, dans une conversation que j’avais eue avec lui l’été dernier, je lui aurais dit : Ce serait bien intéressant de savoir ce qui se passe dans d’autres planètes ! - Si c’est la réponse à ce désir d’antan... très bien !

Il convient d’ajouter que M. S., qui avait été assez frappé du souhait de M. Lemaître pour s’en souvenir au bout de plusieurs mois, fut précisément pendant tout ce temps-là l’un des plus fidèles habitués des séances de Mlle Smith. Et pour qui sait par expérience tout ce dont on cause dans les réunions spirites, avant, après et même pendant la séance proprement dite, il ne peut guère rester de doute que c’est par l’intermédiaire de M. S. que Mlle Smith a entendu parler des regrets de M. Lemaître sur notre ignorance relativement aux habitants des astres [7]. Cette idée, probablement saisie au vol pendant l’état de suggestibilité qui accompagne et déborde les séances, revenue avec une nouvelle force lorsque Hélène fut invitée à faire une séance chez M. Lemaître, vivifiée par le souci toujours latent chez elle d’avoir des visions aussi intéressantes que possible pour les personnes chez qui elle se trouve - telle est à mon sens la graine qui, tombée sur le terrain fertilisé par les conversations antérieures sur les habitants de Mars et la possibilité de relations spirites avec eux, a servi de germe au roman dont il me reste à retracer le développement ultérieur.

Un point toutefois mérite encore d’être relevé dans la séance que je viens de résumer, à savoir le caractère singulièrement artificiel et lâche du lien entre la vision proprement martienne, d’une part, et, d’autre part, la réapparition de Raspail et d’Alexis Mirbel. On ne comprend absolument pas ce que ces personnages viennent faire là ; qu’ont-ils besoin de se retrouver aujourd’hui sur Mars pour continuer simplement avec Mme Mirbel leur entretien commencé dans la séance précédente sans l’intervention d’aucune planète ? La salle de conférences qui les renferme en même temps qu’elle est renfermée dans Mars, est un trait d’union d’autant plus factice entre eux et cet astre qu’elle n’a rien de spécifiquement martien dans sa description, et paraît empruntée à notre globe. Tout cet incident est au fond un hors-d’oeuvre, plein d’intérêt sans doute pour Mme Mirbel qu’il concerne directement, mais sans connexion intime avec le monde martien. Il saute aux yeux, en d’autres termes, qu’on est en face d’une de ces rencontres ou confusions d’idées dont la vie du rêve est coutumière. C’était évidemment la révélation astronomique, destinée à M. Lemaître et mûrie par une incubation préalable plus ou moins longue, qui devait faire la matière de cette séance ; mais la présence de Mme Mirbel a de nouveau réveillé les souvenirs de son fils et de Raspail, qui avaient occupé la réunion précédente, et ces souvenirs interférant avec la vision martienne s’y sont tant bien que mal incorporés comme un épisode étranger sans attaches directes avec elle. Le travail d’unification, de dramatisation, par lequel ces deux chaînes d’idées disparates se sont harmonisées et fondues l’une dans l’autre par l’intermédiaire d’une salle de conférence, n’est ni plus ni moins extraordinaire que celui qui se déploie dans toutes nos fantasmagories nocturnes, où des souvenirs absolument hétérogènes s’allient souvent d’une façon inattendue et donnent lieu aux imbroglios les plus bizarres.

Mais voici en quoi les communications médiumiques diffèrent des rêves vulgaires.

C’est que l’incohérence de ces derniers ne tire pas à conséquence. Elle nous étonne et nous divertit un instant quand nous y réfléchissons au réveil. Parfois elle retient un peu plus longtemps l’attention du psychologue qui cherche à démêler la trame embrouillée de ses songes et retrouver, dans les caprices de l’association ou les rencontres de la veille, l’origine de leurs fils enchevêtrés. Mais, au total, cette incohérence reste sans influence sur le cours ultérieur de nos pensées, parce que nous ne voyons dans nos rêves que des effets de hasard, sans valeur en soi et sans signification objective.

Il en est autrement des communications spirites, en raison de l’importance et du crédit qui leur sont accordés. Le médium qui se rappelle en partie ses automatismes, ou à qui les assistants ne manquent pas de les raconter après la séance, en y joignant leurs remarques, se préoccupe de ces mystérieuses révélations ; comme le paranoïaque qui entrevoit des intentions cachées ou une profonde signification dans les plus futiles coïncidences, il sonde le contenu de ses visions étranges, il y réfléchit, les examine à la lueur des notions spirites ; s’il y rencontre des difficultés, des contradictions, des incohérences trop criantes, sa pensée consciente ou subconsciente (les deux ne sont point toujours d’accord) s’attachera à les dissiper, et à résoudre tant bien que mal les problèmes que lui imposent ces créations oniriques tenues pour des réalités, et les somnambulismes ultérieurs porteront la marque de ce travail d’interprétation ou de correction.

C’est ce qui est arrivé dès le début au roman astronomique de Mlle Smith. Le rapprochement purement accidentel et fortuit de la planète Mars et d’Alexis Mirbel dans la séance du 25 novembre a déterminé une soudure définitive entre eux. L’association par contiguïté fortuite s’est transformée en connexion logique : si le jeune homme apparaît dans ce monde voisin du nôtre, c’est qu’il s’y est effectivement réincarné au sortir de sa vie terrestre. Tel est le raisonnement subconscient, très naturel au point de vue spirite, qui a fourni un des thèmes principaux pour la suite du roman.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

Notes

[1C. Flammarion, La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité, Paris, 1892, p. 3.

[2Ibid., p. 592.

[3M. le Dr Piperkoff, actuellement médecin de l’hôpital Alexandre à Sofia, qui assista à plusieurs séances du groupe de Mme N., alors qu’il se trouvait à Genève en 1892, a bien voulu me donner divers renseignements précieux sur ces réunions.

[4Les découvertes de Schiaparelli et de tant d’autres depuis une vingtaine d’années, et les discussions scientifiques qui en découlèrent, ont eu de nombreux échos dans la presse quotidienne et populaire. Il suffit de rappeler des articles de vulgarisation comme celui de M. Flammarion sur les « Inondés de la planète Mars » (Figaro du 16 juin 1888) ou des caricatures comme celles de Caran d’Ache, « Mars est-il habité ? » (Figaro du 24 février 1896), pour comprendre à quel point l’idée d’une humanité martienne doit maintenant faire partie des notions courantes de tout le monde.

[5Voir par exemple « Un dessin médianimique de M. Victorien Sardou », Revue encyclopédique Larousse du 20 février 1897, p. 154.

[6A. Lemaître, « Contribution à l’étude des phénomènes psychiques », Annales des sciences psychiques, t. VII, 1897, p. 70.

[7À moins peut-être que ce ne soit beaucoup plus simplement encore par M. I.emaitre lui-même, qui, ainsi que je l’ai dit, avait assisté à plusieurs séances d’Hélène pendant le printemps et l’été 1894.

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