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La Paranoïa Schreber

« Qui tire les ficelles ? »

Séance du 1er avril 2004

Date de mise en ligne : samedi 24 avril 2004

Auteur : Christophe BORMANS

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J’ai donc intitulé la séance de la dernière fois, « un rat est venu dans ma chambre », et mis en logo de l’article : Mickey. Parce qu’après tout, me suis-je dit, s’il y a un rat célèbre, un rat qui s’exporte (et qui s’exporte des Etats-Unis), c’est bien le Mickey de Disney. Un rat qui s’exporte, c’est-à-dire un rat que l’on importe, ou du moins qui réussit, lui, à se faufiler (non pas jusqu’au premier plancher - étage - d’une solide bâtisse, comme chez Schreber, à Dresde, en 1894), mais bien un rat qui réussit à se faufiler un peu partout dans le monde, y compris en Europe et en France.

Je vous ferai remarquer ici, que le mot « rat » est l’un des rares mots de la langue (aussi bien française qu’anglaise ou allemande), a avoir conservé telle quelle sa racine européenne « rat », racine européenne dont on nous dit, dans le dictionnaire Larousse du même nom, qu’elle est obscure... Comme quoi, le rat est bien l’emblème, le signifiant plutôt - le représentant de la représentation (Vorstellung) - ou peut-être encore mieux : ce signifiant dans le réel. En tout cas pour Schreber, c’est le premier, et ce signifiant, il semble être animé (c’est-à-dire qu’on le met en scène : « Darstellung »).

Ce rat est en effet animé. Animé, c’est-à-dire que quelqu’un semble tirer les ficelles. Dans la réalité, c’est le dessinateur, bien entendu, mais on rigole tellement, n’est-ce pas, à voir les dessins animés, on rigole tellement de cette « Darstellung », de cette mise en scène, que quand même, c’est peut-être parce qu’on se dit :
 « Heureusement que moi, je ne suis pas animé de la même manière ! ».

Heureusement que personne me tire les ficelles à moi, de cette manière, qui - il faut bien le dire - rend ces personnages, ou du moins les place dans des situations, la plupart du temps, ridicules.

« Mickey Mouse », c’est-à-dire « Mickey mousse ». Mousse comme l’expression qu’utilise Schreber, lorsqu’il rêve que « ce serait quand même beau... Que, d’être une femme en train de subir l’accouplement ». Au réveil, à l’inverse de Lacan, il repousse ce rêve.

En effet (Guy Massat le rappelait la dernière fois), pour Lacan : « le réveil, c’est un éclair » (RSI, p. 74). Le moment où effectivement il « sort » du sommeil, Lacan nous dit qu’il a, « à ce moment-là un bref éclair de lucidité »... Bref éclair de lucidité qui « ne dure pas, bien sûr », puisque ensuite, il « rentre comme tout le monde dans ce rêve qu’on appelle la réalité » :

« Il y a donc des moments, des moments fulgurants, des moments d’éveil » rappelait Guy Massat, dès moments « où l’on ne se ment pas à soi-même... Puis, on entre dans le rêve de la réalité avec ses lois et ses contraintes... Comme si la souffrance, précisait-il, n’avait d’autre fonction que de faire croire qu’il y a quelque chose ».

La cause de la souffrance ne peut-être, dans ces conditions, que « le désir inconscient », c’est-à-dire « l’objet a et ses fantasmes ». « Il y a de la souffrance et personne qui souffre ». N’est-ce pas là tout Schreber ?

Car Schreber lui, au contraire de Lacan (mais c’est la même chose puisqu’il y insistera après, dans ses Écrits à lui, dans ses Mémoires), Schreber il se dit : « Traüme sind Schaüme ». Ce qui est traduit par « tout songe est mensonge », mais mot à mot, ça veut plutôt dire : « les rêves sont de la mousse ». Ou, plutôt, si l’on veut respecter l’allure de proverbe, quelque chose qui serait du goût, non pas « les rêves n’amassent pas mousse », mais bien : « Les rêves n’amassent que de la mousse ».

« Mickey mouse », en anglais, mais plutôt : « Mickey mice », en américain. En américain, dont on a vu, la dernière fois avec la leçon n° 5 du séminaire RSI de Lacan, que « lalangue » anglaise résistait à l’inconscient. Alors, s’il elle résiste, on va quand même tenter de la faire parler aujourd’hui, vous allez voir : parce que « Mickey mice », on peut le prononcer « Mickey miss ». Un peu à la Renaud... Avec son Miss Thatcher... (Peut-être un autre vagin denté, qui sait ?).

Miss Mickey comme les voix disaient « Miss Schreber ». Enfin, en allemand, cela donne « Miß Schreber ». Élue, certes ! Mais élue, au chapitre IX des Mémoires, Miss Sonnenstein 1894 !

Plus sérieusement, en français, « Mickey mice », il suffit d’y glisser - d’y faufiler - dans se « mice », un « LA » inversé, un LA barré en quelque sorte, autrement dit un « AL », ici, pour que cela fasse « mALice ».

Voilà, les « maudites malices ». En allemand : « Menschenspielerei » traduit par Paul Duquenne et Nicole Sels, par « malice ». Mais, à proprement parler, il s’agit là d’une jouissance, ou plutôt d’un jeu, d’un jeu humain, d’un jeu avec l’homme, et encore plus rigoureusement d’un « se jouer de l’homme ».

Et les traducteurs de préciser d’ailleurs ceci, en note de bas de page de l’avant-propos - parce que Schreber parle de ces « Menschenspielerei » dès son avant-propos, dès la présentation après-coup de ses Mémoires -, les traducteurs de préciser ceci :

Qu’ils rapprochent ce « Menschenspielerei » de cette autre expression allemande : « jedem übel mitspielen », c’est-à-dire « faire des malices à quelqu’un ». Et ils mentionnent également la symétrie avec le terme allemand « Wortenspielerei », c’est-à-dire « jeux d’esprit ». Cependant, précisent-ils, « il faut entendre ce terme de malices dans son sens fort ; les humains sont manipulés par les forces de l’au-delà comme des fantoches ». Et ils précisent également - et peut-être surtout - que plus loin (p. 83 [§. 86]) Schreber parlera explicitement des ficelles qui actionnent d’en haut les pantins humains.

C’est au chapitre VII, lorsqu’il nous explique - ce que je vous disais la dernière fois, à propos du rapport au corps de Schreber -, lorsqu’il nous explique qu’il a avalé l’âme du Dr Flechsig, et qu’il l’a recraché comme une gigantesque balle de coton, c’est-à-dire, une pelote de fils, des ficelles :

« C’était une boule assez volumineuse ou une pelote que je comparerais au mieux [il le dit explicitement] avec son volume équivalent d’ouate ou de fils... de fils d’araignée, dit-il... » (c’est à la page 80 des Mémoires).

C’est le temps sacré du premier jugement de Dieu, c’est là qu’il faut désigner un champion (un « challenger »), c’est là qu’un « grand trou » s’est « creusé dans l’histoire de l’humanité », c’est là l’extinction des « horloges du monde », c’est à partir de ce moment que le sommeil devient « sommeil de rayons » (sommeil des fils du soleil), c’est là - il le dit en conclusion de ce chapitre - que l’âme de son père était encore en mesure (comme celui de son grand-père maternel - également médecin comme on le sait), que « l’âme de son père [...] était encore en mesure [« dans une certaine mesure », précise-t-il] de lui « communiquer certains conseils médicaux », « grâce à l’expérience scientifique qu’il avait acquise de son vivant ».

Voilà donc ces ficelles qui se déploient, et ces cordes, hé bien Schreber ne les tient pas (il ne tient pas la corde du borroméen), il les avale tout au mieux, ou il en est joué - joué comme une marionnette.

Vous vous souvenez du dessin que Guy Massat a fait circuler, de l’étable (le Réel), de la vache (le corps, l’Imaginaire), et la queue, la corde, le signifiant (le Symbolique). G. Massat rappelait à ce propos que :

« L’inconscient nous manipule comme si nous n’étions qu’une marionnette. Tout sujet de l’inconscient ne se compose que de pouvoir se décomposer. Lacan illustre ça par le théâtre japonais des Bunraku, qui est un théâtre de marionnettes, mais où les manipulateurs, bien que vêtus de noirs, sont parfaitement visibles pour les spectateurs. L’inconscient (le marionnettiste), la marionnette (le sujet) et le signifiant (les ficelles) tout est visible comme dans un nœud borroméen dans une interminable histoire d’objet a ».

Hé bien Schreber, c’est ce qu’il n’a cessé d’essayer de nous dire :

« Je ne puis dire jusqu’à quelle distance peut s’exercer cette possibilité de tirer d’en haut - si je puis m’exprimer ainsi - les ficelles qui actionnent les êtres humains. Je reviendrai plus amplement sur tout cela plus loin » (p. 83). Ce sera au chapitre XV, intitulé : « “Malices” et “jeux de miracles” - Appels aux secours. - Oiseaux parleurs ». Alors voilà, la question que j’ai posée aujourd’hui, c’est :
 Qui tire les ficelles ?

Cette question, c’est la question majeure, la question sous-jacente de ce best-seller américain, « mis en scène » par Francis Ford Coppola : « Le Parrain ». Film, sur l’affiche duquel (c’est déjà sur la couverture du roman), est déjà suggéré ce « jeu de ficelles », ce jeu de marionnettes.

Alors, je veux bien que l’on dise que la psychanalyse, c’est un peu vieillot, que ça date, mais on s’engouffre tous pour aller voir ces films américains, parce que les Américains, tout de même, ils refoulent tellement, qu’ils en savent tout de même un bout sur la paranoïa, c’est peut-être même leur pain quotidien.

Ils savent tout de même, les Américains, vous présenter cette question fondamentale de la psychanalyse, et faire pas mal d’argent avec : « Qui tire les ficelles ? », voilà en effet la question fondamentale du film.

« Qui tire les ficelles ? », je vous rappelle que - contrairement à ce que l’on pourrait croire - c’est Marlon Brando, c’est-à-dire si vous vous souvenez bien, que c’est « Le Parrain », lui-même - et c’est là du reste l’un des ressorts fondamentaux du film me semble-t-il -, c’est le père lui-même qui se pose la question !

« Qui tire les ficelles du père ? », autrement dit : « Qu’est-ce que c’est que cette ficelle du Nom-du-Père ? » C’est particulièrement clair sur l’affiche du film, où ce n’est pas un homme qui y est manipulé, mais bien un signifiant !

Le « Godfather », tout comme Schreber nous dit les « Gottesreiche » (pour les Royaumes de Dieux : « Ein Krisis der Gottesreiche ? » Réponse : « Seelenmord »). « Don Corleone », que l’on peut écrire comme ça : le « Don », le « Corps » et « le “On” » (ou le « OM »).

DON-CORPS-LE-OM

« Qui tire les ficelles ? »
 Hé bien, la réponse est donnée d’emblée, n’est-ce pas, par cette superbe scène (mise en scène) qui ouvre le film, l’une des scène les plus longues du cinéma américain. Car si vous regarder bien, la caméra ne s’arrête pas une seule seconde, la scène n’est absolument pas coupée !

Il n’y a que Hitchcock qui savait faire ça avant, et justement, je vous le donne en mille, enfin regardez le film, c’est hallucinant, car il n’est que d’une seule prise, c’est le fameux plan séquence de 1h 20mn... (En fait, la longueur de la pellicule n’excédant pas les dix minutes, il a fallu raccorder huit plans pour filmer l’ensemble du film - alors disons qu’il y a une quasi-absence de montage) Hé bien ce fameux film de Hitchcock qui n’est pas coupé, il s’appelle : « La Corde » !

Mais, pour en revenir au Parrain, et à cette scène, qui elle aussi a émerveillé tant de monde, c’est la scène du mariage, autrement dit :
 D’emblée, la réponse est donnée à cette question de « qui tire les ficelles ? », puisque d’emblée, nous sommes plongés, baignés, dans le sacrifice que l’on offre au « Don » (au Parrain), dans l’agneau, dans l’anneau, c’est-à-dire que nous venons au film, comme on vient au monde : le symbolique est déjà là ! Et si vous tentez d’y refouler ou d’y forclore quelque chose, un signifiant par exemple, hé bien il revient dans le réel, et c’est le film qui va pouvoir alors se déployer, se ramifier, à proprement parler « se tramer ».

« Qui tire les ficelles ? » Je ne vous fais pas un commentaire du film, mais je vous fais remarquer la chose suivante :
 C’est l’enfant que l’on a souhaité épargner (« Michael »), épargner du sacrifice, hé bien c’est justement lui qui va s’embrouiller avec le Nom du Père, en essayant de démêler les ficelles, bref, c’est lui le héros, c’est lui qui est - permettez-moi l’expression ici - c’est lui qui est le plus « attachant ».

Alors, n’est-ce pas, vous avez ici tout « Totem et Tabou » :
 Le meurtre du père (l’assassinat de Marlon Brando).
 La rivalité entre les fils (je vous passe les détails, mais je vous rappelle quand même que dans le dernier épisode je crois, Michael ira jusqu’à faire tuer Fredo, son propre frère).
 Tout ça pour un mariage, c’est-à-dire une entente, un pacte pour une femme, un pacte qui se voulait apaisant, mais qui tourne au mariage raté, parce que c’est quand même Michael qui se mariait dans la première scène.

Alors, je veux bien que la psychanalyse soit datée, que « Totem et Tabou » et le complexe d’Œdipe, un truc démodé, mais ça rapporte encore à certains, mais ça ne rapporte plus qu’à ceux qui le refoulent, c’est-à-dire aux Américains.

Alors Schreber, lui, c’est un « Michael » avant l’heure. Il a sans doute... « On » a sans doute voulu l’épargner. Comme je l’ai rappelé l’autre jour, « Paul »-ine était enceinte de « Paul », lorsque sa propre mère en est venue à quitter ce bas monde. Alors que son frère avait réussi à se suicider, lui Paul, n’y arrivera pas (malgré ses nombreuses tentatives), parce qu’il a été conçu pour être épargné. Il a été conçu pour être épargné, et c’est pour cette raison précise qu’il s’emmêle avec ces ficelles, avec cette question : « Qui tire les ficelles ? »... « Menschenspielerei ».

C’est lui le Champion tout désigné, n’est-ce pas (le « Challenger »), après le premier jugement de Dieu, après qu’un « grand trou » se soit « creusé dans l’histoire de l’humanité », après l’extinction des « horloges du monde ».
C’est lui que l’on désigne pour lutter contre Bin Laden, voilà : « Schreber contre Bin Laden », comme on a pu dire, dans les années trente, en pleine montée du nazisme, « Max Schmelling contre Joe Louis ». Ça, c’était juste avant que le « grand trou » ait été « creusé » (c’est le cas de le dire) dans « l’histoire de l’humanité » :

Ce « grand trou » que, selon certains commentateurs, Paul aurait prédit... Ce « grand trou » pour y déverser tous ces ossements, ces restes de corps, ces corps calcinés. Et si Éros est d’abord selon Hésiode « celui qui rompt les membres », il faut bien reconnaître que la libido de Hitler y avait sa plus grande part, dans ce « grand trou ». Hitler et son Ève brune (pas la première, l’Ève blonde, blonde comme les blés d’Orient). Enfin, prendre ça au sérieux, pourrait peut-être nous sortir véritablement de la « pensée unique »... La pensée unique telle que - non pas telle, que les intellectuels la définissent -, ça, ça ne vaut rien, mais telle que Gustave Parking la définit, lorsqu’il s’étonne : « Tout le monde est d’accord pour critiquer la pensée unique ! »

Enfin les Américains nous ont sauvés, ils ont arrêté le massacre hitlérien, bref, c’est finalement, on le sait, Max Schmelling qui s’est retrouvé dans les « cordes » !

Mais, ils se sont du même coup désignés eux-mêmes comme « Challengers », en champion du Nouveau Monde, et... Ils ont réussi à exporter leur « rat », leur « Mickey Mousse », leur Mickey en mousse, leur faux trou, leur faux borroméen.

Parce que Guy Massat nous rappelait la dernière fois que « pour schématiser », il y avait eu l’art figuratif (la perspective), l’art abstrait, le minimalisme, le pop art, etc. Et il annonçait qu’il y aurait « sans doute un jour », quelque chose comme l’Odinknot’art : l’art des nœuds et des nouages d’Odin (ou Borromé’art), et que « ce sera un art pour le XXIe siècle ». Hé bien, on peut dire que les Américains s’y sont déjà essayés, au XXe siècle, mais ont lamentablement échoué, et avec Mickey, justement.

Parce que quand même, n’est-ce pas, il faut bien le dire, ce « Mickey mousse », c’est bien un faux borroméen. Enfin je ne sais pas si vous avez le câble, mais le logo de « Disney Channel », c’est quelque chose comme ça, un faux borroméen dessiné, qui plus est, dans l’ombre :

Ça ne tient pas cette espèce de tête, comme ça, dessinée dans l’ombre avec trois ronds de ficelle.

Alors, pour le faire tenir, il y a quand même une solution. C’est y faire passer un sinthome, comme ça, pour le faire tenir, ou comme ça, comme vous voulez, enfin, ça ce sont bien entendu les moustaches de Mickey, les « Mousses-tâches » de Mickey Mousse.

Mais là, dans le logo initial : pas de moustaches, alors ça ne tient pas, ça ne tient pas parce que le Mickey américain : « On » lui a rasé les moustaches... Ouais, comme Schreber en 1895... Et alors là, le rat est devenue une souris, « Mickey Mice », « Miss Mickey », comme on entend Miss Schreber !

Mickey est devenue femme. Parce qu’il faut savoir que c’était un homme. C’était bien un rat ce Mickey, la preuve en est qu’il avait sa « Minie », sa petite souris à lui... Mais enfin Mickey est devenu femme, femme certainement pour mieux éviter la castration !

Et avec ce jeu de mot sur lalangue anglaise - comme quoi l’on peut quand même la faire parler cette langue anglaise (Joyce l’a prouvé) -, avec ce jeu de mot sur Miss :
 « To miss », ça veut quand même dire manquer. Avec ce corollaire, qu’il y a, dans le passage de l’Anglais au Français, une inversion de l’objet et du sujet : Chacun apprend, en effet, en sixième ou cinquième, que « I miss You » (la célèbre chanson des Rolling Stones), c’est « tu me manques ». Alors Paul est devenue Miss Schreber, pour éviter la castration, c’est-à-dire qu’il est devenu la femme qui manque... « Miss Schreber » : La femme qui manque à Dieu !

Vous pouvez donc interpréter le fameux rêve : « Ce serait tout de même beau d’être une femme en train de subir l’accouplement... » par : « N’y a-t-il pas plus beau moyen d’éviter la castration, que de se faire LA femme qui manque ». Vous avez là, en effet, tout le transsexualisme de Schreber !

C’est comme ça qu’il s’en tire Schreber ! Comme ça qu’il s’en tire de ses ficelles... Comme on dit se faire tirer les bretelles... Comme les bretelles de Mickey (hein, remarquez bien que Mickey il a aussi, non seulement des moustaches, mais aussi des bretelles). Schreber il se les rase, ses moustaches, parce qu’il en a marre de se faire tirer les bretelles d’en haut ! Il essaye de jouer un peu avec le signifiant... C’est sa manière de se soigner, mais il n’y en a pas d’autre, il n’a pas le choix : il prend le réel du symptôme pour du réel...

... Tout comme le névrosé obsessionnel prend le réel du symptôme pour du Symbolique...

Ça, c’était particulièrement clair dans le dessin que Guy Massat nous a présenté à la séance dernière, souvenez-vous, celui de la vache. Où le corps de la vache passe, l’imaginaire (l’image, l’idole : « tu ne te feras point d’idole »), l’idole passe... C’est-à-dire que, non pas la vache, mais le Veau d’or passe, mais la queue, le signifiant, la loi, ne passe pas, la loi reste coincée dans l’étable : L’étable de la loi !

Vous avez, résumé dans ce dessin, tout le destin de l’Homme occidental, de l’Homme Moïse, le destin, ou plutôt le testament de Freud.

Mais si c’est comme ça que ça se résout pour Schreber, la question subsiste pour les Américains : « Qui tire les ficelles d’en haut ? »

Car pour les Américains, la menace vient bien d’en haut, n’est-ce pas ? Ça vient d’en haut comme dans cet autre film, non moins célèbre, de Hitchcock : « Les oiseaux ». Ça vient d’en haut parce que leur « Super Oiseau » à eux, leur « Super héros », leur « Challenger » pour dire son nom... (Sauf que là, c’était une femme, on dit une navette, n’est-ce pas, une navette à tisser par exemple - comme les célèbres navettes d’Aristote, hein ?, s’il n’y avait plus d’esclaves, les navettes tisseraient toutes seules - ce qu’un autre paranoïaque célèbre, Marx, a su magnifiquement bien exploiter, permettez-moi l’expression)... Alors voilà, tout ça pour en revenir... Enfin, il est vrai que c’est un peu cousu de « fil blanc » comme on dit... Tout ça pour en revenir à leur « Challenger »... Hé bien, leur « Challenger » il a explosé, le 28 janvier 1986, 72 secondes après son lancement. Et le 11 septembre 2001, ce n’est pas les débris qui ont fait exploser les tours, non. C’est un autre « Challenger » qui les a fait exploser, le « Challenger », c’est le Champion des Arabes : Bin Laden. Alors voilà, les deux tours jumelles, explosées par le champion des Arabes. Y a de quoi faire ici un peu d’analyse sauvage, non ? (comme disait Guy Massat : « une sale analyse rouge de vérité »).

Parce que Lacan, qu’est-ce qu’il reproche aux Américains, finalement ? Lalangue ? Que Lalangue, pour les Américains, ne serait pas (au moins) à double face ? Guy Massat nous disait : « Lalangue en un seul mot, c’est ce qui nie l’équivoque ». Pour les américains, en effet, il y a bi-univocité du signifiant et du signifié. Ils auraient « Gémélifié », si je puis dire, la face du signifiant et la face du signifié. Bref, ils auraient bien construit leur tour de Babel, leur tour de « Lalangue » en double, puis ils auraient « recollé » les morceaux, côte à côte... Et puis, finalement, ils finissent par se reprendre la Barre (Arabe, c’est l’anagramme phonétique de Barre), il y a la barre qui serait venue comme ça trancher d’un coup, la faire exploser cette bi-univocité de « lalangue » américaine. Alors si on pousse un peu plus loin... Tout comme Schreber avait prédit le « grand trou » dans « L’Histoire de l’humanité », Lacan avait prédit l’explosion des deux tours !

Il l’avait prédit, non seulement parce qu’il avait su comparer, ou su opposer les figures géométriques (les « faux borroméens »), aux frises arabes :
 Lacan (p.73) : « Il est évidemment tout à fait extraordinaire, je passe à un autre sujet, tout à fait extraordinaire de voir que l’art, l’art même qui a traité les sujets qu’on appelle géométriques au nom de ceci qu’un interdit est porté par certaine religion sur la représentation humaine, que même l’art arabe donc, pour l’appeler par son nom, fait des frises, mais que parmi ces frises et ces tresses que ça comporte, il n’y ait pas de nœud borroméen. Alors que le nœud borroméen prête à une richesse de figures tout à fait foisonnantes dont il n’y a justement dans aucun art, trace. C’est une chose en soi-même très surprenante » (RSI, p. 73).

Mais il l’avait prédit surtout, parce qu’il s’y connaissait en psychose, et qu’il avait rencontré Chomsky. Il avait rencontré Chomsky, à l’époque de son séminaire sur Joyce, justement, et, il le dit lui-même, il a été « soufflé » !

« Si nous partons en effet de l’analyse, nous constatons, c’est autre chose que d’observer, une des choses qui m’ont le plus frappé quand j’étais en Amérique, c’est ma rencontre qui était, certes, pas par hasard, qui était tout à fait intentionnelle de ma part, c’est ma rencontre avec Chomsky. J’en ai été, à proprement parler, je dirai, soufflé... Il me paraît tout à fait saisissant, c’est ce que j’ai exprimé par le terme de « soufflé », il me paraît tout à fait saisissant que de ce langage, on puisse faire retour sur lui-même, comme organe. Si le langage n’est pas considéré sous ce biais, qu’il est lié à quelque chose qui, dans le Réel, fait trou, il n’est pas simplement difficile, il est impossible d’en considérer le maniement... C’est de cette notion, fonction, du trou que le langage opère sa prise dans le Réel... Il n’y a de vérité comme telle possible que d’évider ce Réel. Le langage, qui d’ailleurs mange ce Réel... Le désir de connaître rencontre des obstacles. C’est pour incarner cet obstacle que j’ai inventé le nœud, et que au nœud il faut se rompre... »

Puis, étant « fort las de cette épreuve américaine » où il a tout de même été « récompensé » dit-il, par l’« agitation » provoquée par ses nœuds, Lacan demande à ce qu’on lui pose des questions :
 « J’attends donc que s’élève une voix quelle qu’elle soit ».

X. - « Ce n’est pas une question sur le nœud lui-même, c’est une question plutôt historique... Qu’est-ce qui vous a amené à croire au début, que vous trouveriez quelque chose chez Chomsky ? ... Pour moi, c’est quelque chose qui ne me saurait jamais venu en tête... »

LACAN - « Ben ! C’est bien pour ça que j’ai été soufflé, c’est certain. Mais ça ne veut pas dire que je ne - on a toujours cette sorte de faiblesse, n’est-ce pas - et il y a un reste d’espoir. Je veux dire que Chomsky s’occupant de linguistique, je pouvais espérer voir une pointe d’appréhension de ce que je montre concernant le Symbolique, c’est-à-dire qu’il garde, même quand il est faux quelque chose du trou. Il est impossible par exemple, de ne pas qualifier ce faux trou l’ensemble constitué par le Symptôme et le Symbolique, mais que d’un autre côté, c’est en tant qu’il est accroché au langage que le Symptôme subsiste au moins, si nous croyons que par une manipulation dite interprétative, c’est-à-dire jouant sur le sens, nous pouvons modifier quelque chose au symptôme. Cette assimilation chez Chomsky de quelque chose qui, à mes yeux, est de l’ordre du symptôme, c’est-à-dire qui confond le symptôme et le Réel, c’est très précisément ce qui m’a soufflé ».

Voilà, Lacan l’a dit, les Américains sont paranoïaques, et précisément parce qu’ils prennent - Chomsky tout du moins - le réel du symptôme pour du réel. Vous voyez que ma formule de la dernière fois, aussi problématique soit-elle, vise quand même quelque chose.

Mais il y avait d’autres questions ce jour-là :

X. - « Lorsque vous parlez de la libido, dans ce texte, vous dites qu’elle est remarquable par un trajet d’invagination aller-retour. Or, cette image (...) me semble fonctionner comme celle de la corde qui est prise dans un phénomène de résonance et qui ondule, c’est-à-dire qui fait un ventre qui s’abaisse et se lève et des nœuds... je voudrais savoir si... »

LACAN - « Non, mais ce n’est pas pour rien que, dans une corde, la métaphore vient de ce qui fait nœud. Ce que j’essaie, c’est de trouver à quoi se réfère cette métaphore, n’est-ce pas, s’il y a dans une corde vibrante des ventres et des nœuds, c’est pour autant que c’est au nœud qu’on se réfère. Je veux dire qu’on use du langage d’une façon qui va plus loin que ce qui est effectivement dit. On réduit toujours la portée de la métaphore comme telle, n’est-ce pas, c’est-à-dire qu’on la réduit à une métonymie, n’est-ce pas » (Le Sinthome, 9 décembre 1975).

Alors, bien entendu, ces cordes qui ondulent et qui résonnent sans faire nœud, c’est-à-dire sans faire métaphore (c’est là la forclusion), là encore, nous en avons l’exemple flagrant chez Paul Schreber matraquant littéralement les cordes de son piano :

« Comme je l’ai déjà dit à la fin du chapitre X, mon existence avait pris, depuis la première moitié de l’année 1895 environ, un tour plus supportable. L’élément essentiel étant que je commençais à pouvoir me livrer à certaines activités suivies. Mais je me refusais encore à entamer une correspondance avec ma famille [suit l’énumération de ce qu’il ne peut pas encore faire (l’énumération des « sans »comme disait Paul, l’autre Paul, la dernière fois)]. Il m’était, en revanche, possible dès cette époque de jouer de temps à autre aux échecs (avec d’autres patients ou avec des infirmiers) et de me mettre au piano. Comme à l’occasion de visites de ma femme, j’avais joué une ou deux fois du piano dans le salon ou dans la bibliothèque de l’asile, on installa dans ma chambre, vers le début de l’année 1895, un pianino à mon usage exclusif. Le sentiment que j’éprouvais, à retrouver cette activité à laquelle de tout temps je m’étais adonné avec un plaisir extrême, je ne saurais mieux le traduire que par cette citation de Tannhäuser : “Un oubli épais s’est abattu entre l’hier et l’aujourd’hui. Tous mes souvenirs se sont évanouis et je puis seulement me rappeler que j’ai perdu tout espoir de vous saluer et de lever vers vous mon regard” » (p. 145).

Néanmoins, cette activité ne va pas sans difficulté, disons sans miracles (« Menschenspielerei ») :

« Du moment où, à l’asile, je [...] repris, les échecs et le piano constituèrent l’essentiel de mes distractions pendant les cinq années qui se sont écoulées depuis. [...].
Les difficultés qu’on mit sur mon chemin pour y faire obstacle défient toute description. Paralysie des doigts, changement de la direction des yeux pour que je ne puisse pas voir les notes justes, déplacement des doigts sur des touches fausses, accélération du tempo en déclenchant trop tôt mes articulations, étaient et sont encore choses quotidiennes. Le piano lui-même était la cible de miracles, et les cordes cassaient de façon réitérée (...), et en 1897, c’est à un total de pas moins de quatre-vingt-six marks que s’éleva la facture pour cordes cassées » (Chapitre XII, p. 145).

Ça se passe au chapitre XII, c’est-à-dire juste avant le fameux chapitre XIII qui relate le fameux mois de « novembre 1895 » qui « marque un tournant capital » dans l’histoire de la vie de Paul Schreber (p. 150). C’est à partir de ce moment, qu’en « pleine conscience » dit-il, il « inscrit » sur ses « étendards » le « culte de la féminité ». Bref, qu’il accepte de devenir Miss Schreber.

La rupture des cordes n’est pas une hallucination, elle est attestée par première expertisemédico-légale du 9 décembre 1899 (Dr Weber) :

« En novembre 1894, l’attitude rigide du patient céda quelque peu ; il sortit de lui-même, s’anima, se mit à tenir des discours plus cohérent, [...] et dès lors, des hallucinations qui continuaient à l’assiéger en permanence, émergea de façon non déguisée un délire fantastique systématisé [...].
La surexcitation du malade montait graduellement, perturbant son sommeil jusque-là pas si mauvais ; elle s’extériorisait de façon fort gênante, notamment par des éclats de rire très bruyants et prolongé, de jour comme de nuit : ou alors le malade tambourinait violemment sur les touches de son piano [...] » (Mémoires, p. 303).

On sait que pour Moritz, il en allait de même lorsque, après que l’échelle lui soit tombé sur la tête, il ne pouvait plus voir personne. Les deux seules activités auxquelles il pouvait s’abandonner étaient l’écriture et le piano. Il en ira de même pour Paul, avec l’écriture de ses Mémoires et son matraquage des cordes.

Alors si vous voulez, concluons aujourd’hui là-dessus : observez bien que, s’il y a bien un archétype de cette représentation du « jeu avec l’homme » (« Menschenspielerei ») comme dit Paul, de ce jeu de Marionnette, c’est tout de même bien - excusez du peu -, ces mouvements de gymnastiques du père. Dans leurs répétitions, dans leurs uniformités, n’a-t-on pas l’impression, tout le long des livres de Moritz Schreber, à tomber sur les gravures qui les parsèment, que nous avons affaire-là à un véritable pantin animé, à propos duquel on ne peut se poser qu’une seule et unique question : qu’est-ce qui le pousse à faire cela ? ou, en d’autres termes : « Qui tire les ficelles ? »

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