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La Paranoïa Schreber

Schreber, « Un Père » et Passe

Résumé de la première séance

Date de mise en ligne : vendredi 18 avril 2003

Auteur : Christophe BORMANS

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« Car Je suis le Seigneur votre Dieu, fort et jaloux, qui venge l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération de ceux qui Me haïssent » (Exode, 20, 5).

Nous avons vu lors de cette séance que, contrairement à ce que l’on pourrait penser en étant un lecteur "dilettante" de Freud, le cas dit du Président Schreber n’est pas le premier cas de psychose, et encore moins le premier cas de paranoïa qu’analyse Freud, bien au contraire.

Dès 1894, dans un article fondateur de sa première théorie psychologique des névroses, intitulé "Les Névrospsychoses de défense", on trouve l’analyse d’un cas qu’il qualifie de "confusion hallucinatoire". L’on y remarque déjà qu’en conclusion, il semble plaider pour l’élaboration d’une théorie, dont il y a tout lieu de croire qu’elle sera dite « théorie de la libido ». Il n’y a encore dans l’analyse de Freud, ni le concept d’inconscient, ni celui de psychanalyse, ni la théorie de la libido, et pourtant, c’est déjà là, et la psychose est également déjà là, déjà présente, déjà partie intégrante de ses premières découvertes.

Lors d’un second article sur le même thème, deux ans plus tard, en 1896, intitulé à juste titre "Nouvelles remarques sur les Psychonévroses de défense", toute la troisième partie qui, cette fois-ci est, de loin, la plus importante, est consacrée à l’Analyse d’un cas de paranoïa chronique. C’est le cas de Mme P... "La voilà qui s’en va. Où va-t-elle ?"

Entre ces deux articles, datés respectivement de 1894 et 1896, l’on trouve en outre, dans sa correspondance avec Fliess, le manuscrit dit "Manuscrit H", joint à une lettre datée du 24 janvier 1895, et dans lequel Freud nous expose là encore, un cas de paranoïa, celui d’une "demoiselle déjà mûrissante" de 30 ans environ, selon l’expression même dont Freud se sert pour l’introduire.

Freud conclue l’exposé de ce cas de "psychose intellectuelle" (selon le vocable qu’il semble vouloir imposer à cette époque), sur cette formule qui préfigure de loin, l’analyse qu’il mènera 15 ans plus tard à propos de Schreber :

« Ces malades aiment leur délire comme ils s’aiment eux-mêmes. Voilà tout le secret ! »

Si ce n’est pas les cas de psychose, et encore moins les cas de paranoïa qui manque à Freud, pourquoi, en 1910, va-t-il chercher celui du Président Schreber, qu’il ne connaît ni d’Adam ni d’Ève, selon l’expression qui convient bien ici, afin d’exposer sa propre théorie de la paranoïa ?

Freud nous avait lui-même donné la réponse, six ans plus tôt, dans sa "Psychopathologie de la vie quotidienne" :

« Quant aux matériaux beaucoup plus abondants que m’offrent mes malades névrosés, dit-il, je cherche à les éviter, afin de ne pas voir m’opposer l’objection que les phénomènes que je décris constituent précisément des effets et manifestations de la névrose. Aussi suis-je heureux d’une santé psychique parfaite et qui veut bien se soumettre à une analyse de ce genre » (Psychopathologie de la vie quotidienne, p. 19).

Freud parle là, bien entendu, du second oubli de mot qu’il analyse, juste après celui du fameux maître des fresques représentant le "Jugement dernier" de la cathédrale d’Orvieto : Signorelli. Si l’on se souvient du cas, c’est celui d’un jeune homme brillant et ambitieux, de "formation universitaire" nous dit Freud, qui, alors qu’il en appelle à la postérité d’une façon toute théorique, redoute au même instant de recevoir d’une jeune fille, une nouvelle lui annonçant qu’empiriquement, si l’on peut dire, il risquait bien d’en avoir une, et cela un peu trop rapidement de son propre aveu.

C’est alors qu’à la suite de l’analyse, Freud lui rétorque sèchement : "Est-il bien vrai que tu désires si vivement avoir une postérité à toi ?"

Et c’est justement de cela dont il s’agit dans le cas du Président Schreber, de la postérité ! Mais notre hypothèse est que ce n’est pas tant de celle de Schreber, dont on sait pourtant qu’elle est au centre du délire, que de celle de Freud lui-même, et plus précisément, de sa postérité analytique.

Pour preuve : l’après-coup, dans lequel Freud se rend compte - en conclusion de l’analyse du cas Schreber -, que la "langue fondamentale" du Président n’est jamais qu’une autre formulation de ce qu’il appelle lui, Freud, l’Inconscient, et surtout, que la théorie schrébérienne des "rayons de Dieu" se confond purement et simplement avec la sienne, sa propre théorie de la libido. Si bien que dans cette conclusion littéralement folle, Freud en appelle "au témoignage" d’un de ses amis et collègues, afin de prouver qu’il avait bien édifié sa théorie de la libido "avant d’avoir pris connaissance du livre de Schreber". Freud semble se complaire à nager dans les eaux troubles de la paranoïa, et termine sa conclusion sur cette phrase sublime : "L’avenir dira si la théorie contient plus de folie que je ne le voudrais, ou la folie plus de vérité que d’autres ne sont aujourd’hui disposés à le croire".

Ce que Freud a voulu faire avec le cas Schreber, c’est soumettre ses élèves à une ordalie, une épreuve relative à la paternité. Pour preuve, cette seconde conclusion que Freud se sent obligé de rajouter en annexe, en appendice du cas Schreber. Ainsi, tout comme l’aigle, faisant regarder à ses aiglons le soleil, exigeant d’eux qu’ils ne soient point éblouis par son éclat, Freud s’est comporté comme l’ancêtre, soumettant ses enfants à l’épreuve du soleil : la paranoïa.

Or, ni Jung ni Ferenczi n’ont supporté de regarder Schreber en face. Nous savons en effet, qu’alors que la psychose était la spécialité des Suisses, comme il les appelait (Jung et Bleuler), et que c’est Jung qui lui mit Schreber entre les mains, Freud n’a rien trouvé de mieux à faire, que d’immédiatement s’empresser de proposer à Ferenczi une collaboration des plus obscurs, pour l’écriture du cas.

C’est en septembre 1910, lors d’un voyage en Italie avec Ferenczi, que Freud souhaite "enseigner à son élève l’ensemble de la théorie et jusqu’à cette pointe extrême qu’il compara maintes fois à la terre de Canaan où lui, Nouveau Moïse, ne pouvait pénétrer, le domaine pathologique de la psychose. Force du mythe ! Il propose donc à Ferenczi d’utiliser leurs soirées pour travailler en commun la question de la paranoïa, cela en examinant le cas du célèbre psychotique, le président Schreber" [1].

Seulement un incident éclate dès la première soirée ! Lequel ? On ne le saura que des années plus tard, en 1921, lorsque le jour de Noël, Ferenczi le raconte en ces termes à son collègue Groddeck :

« À Palerme, il voulut faire ce fameux travail sur la paranoïa [SCHREBER], en commun avec moi. En un soudain accès de révolte, je bondis sur mes pieds dès la première soirée de travail, alors qu’il voulait me dicter quelque chose et je lui expliquai que simplement me dicter, n’était pas un travail en commun. "Alors c’est comme ça que vous êtes ? dit-il étonné. Vous voulez manifestement prendre le tout". Et dès lors il travailla seul tous les soirs ». [2].

À la suite de cet échec, Freud écrit à Ferenczi une lettre sublime, montrant combien le cas du Président Schreber et de la paranoïa est intimement lié à la question qui le préoccupe, celle de la transmission de la théorie psychanalytique et de l’expérience même de la pratique analytique, via la question du transfert sur Fliess :

« Vous avez non seulement observé, mais également compris, que je n’éprouve plus le besoin de révéler complètement ma personnalité et vous l’avez fort justement attribué à une raison traumatisante. Depuis l’histoire de Fliess, qu’il m’a fallu liquider récemment, comme vous le savez, ce besoin n’existe plus pour moi. Une partie de l’investissement homosexuel a disparu et je m’en suis servi pour élargir mon propre moi. J’ai réussi là où le paranoïaque échoue » [3].

La brouille avec Ferenczi est une répétition de la brouille avec Jung, qui est elle-même une répétition de celle d’avec Fliess [4]. Elle est consignée dans le fameux rêve "qui joue avec des nombres" dit rêve de "Gœthe", où ce dernier, sous les traits duquel se cache Freud, attaque violemment M..., qui est littéralement "écrasé par cette attaque" (Interprétation des rêves, p. 373). La scène a probablement eu lieu et, dix ans après, Freud entend rendre compte de sa propre analyse, par cette phrase : " J’ai réussi là où le paranoïaque échoue ". D’autant qu’à la même époque, il confie à Abraham, dans une lettre datée du 3 mars 1911, que le "secret", le fameux secret de la paranoïa lui aurait été révélé par Fliess. Nous avons vu, bien au contraire, que c’est Freud qui déclare avoir trouvé tout le secret de la paranoïa dans le manuscrit H : "Voilà le secret", s’exclame-t-il ! "Ces malades aiment leur délire comme ils s’aiment eux-mêmes" ! Freud semble dire en 1910 : "j’ai aimé ma théorie comme je me suis aimé moi-même au travers de Fliess".

Les aiglons n’ont pas pu regarder cette méprise transférentielle constitutive de l’analyse, n’ont pas pu regarder la paranoïa analytique en face, et Freud, tel l’aigle ne les a pas reconnu pour ses fils légitimes, il les à jeté "hors de l’aire" ! Plus exactement, comme le pointera J. Lacan en 1967, lors de sa fameuse proposition du 9 octobre, il leur a légué un semblant d’héritage, une structure religieuse, l’IPA, justement fondée au Congrès International de Psychanalyse de Nuremberg, au moment même (1910) où Freud rédige le cas Schreber. IPA dont Lacan fera remarquer qu’elle est devenue "tout entière justiciable du délire du président Schreber".

En conclusion de cette séance, nous faisons remarquer que cette phrase, prononcée par J. Lacan résumant le cas Schreber, se trouve transposable, applicable, mots pour mots à Freud :

« Il fait lui-même remarquer que son bonheur domestique n’est assombri que par le regret de n’avoir pas d’enfant. »

« Pas d’enfant », étant à prendre ici, au sens analytique, puisqu’il lui a fallu prendre sa progéniture de chair et d’os pour descendance théorique, et nommément Anna, dont le prénom n’est pas tant emprunté à celui, fictif, du premier cas de la psychanalyse, qu’à celui de sa propre sœur cadette, dont il fantasmait la conception avec sa propre mère. Répétition transférentielle, c’est ce que fera à son tour Lacan, quarante ans plus tard.

Notes

[1Gérard HADDAD, Freud en Italie, Albin Michel, Paris, 1995, p. 88

[2S. FERENCZI, Correspondance 1921-1933, trad. Fr., Paris, Payot, 1982, p. 57

[3Lettre de S. Freud à S. Ferenczi datée du 6 octobre 1910, dans Marte Robert, La révolution psychanalytique, p. 343-345

[4cf. C. BORMANS, La Psychanalyse, Éd. Studyrama, coll. : "Principes", Paris, 2003, p. 70 à 74

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