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Politique

La Marseillaise : Champ œdipien ?

Football & Conflit névrotique

Date de mise en ligne : lundi 13 mai 2002

Auteur : Christophe BORMANS

Mots-clés :

Les sifflets du public à l’encontre de l’hymne national français, le samedi 11 mai 2002, lors de la finale de la coupe de France de football, au stade de France, appellent une interprétation psychanalytique de la Marseillaise. Bien au-delà des débats et des conflits politiques conscients, la Marseillaise exprime d’abord et avant tout, le conflit névrotique inconscient par excellence : le conflit œdipien. Pour le comprendre, il suffit d’expliquer qu’elle exprime tout à la fois le Ça, lieu des pulsions œdipiennes, et le Surmoi, qui tend à réfréner ces mêmes pulsions.

L’hymne de la République française est en lui-même un chant hautement conflictuel, en ce qu’il semble tout autant combattre, qu’exalter nos pulsions œdipiennes inconscientes.
Dès la première phrase, en effet, la Marseillaise se situe d’emblée dans un impératif infantile. Elle ne s’adresse pas aux adultes, bien au contraire. Elle adresse un impératif aux enfants et, qui plus est, aux enfants issus d’un même Père : "Allons enfants de la Patrie". Cet impératif, nous l’apprenons dès le deuxième vers, est des plus ambitieux : "le jour de gloire est arrivé". L’impératif infantile est donc une ambition, c’est-à-dire un désir. Les deux premiers vers de la Marseillaise nous plongent par conséquent d’emblée dans le désir infantile d’enfants issus d’un même père. Quel est ce désir ?

Ce désir va à l’encontre d’un tyran : "contre nous de la tyrannie". C’est-à-dire qu’il va à l’encontre d’un "maître" qui s’emparerait du pouvoir par la force. C’est bien là l’image du père imaginaire de l’enfant œdipien, qui voit dans le père un usurpateur de ce qu’il considère comme son propre bien : la mère. Dans la clinique, le névrosé obsessionnel (généralement un homme) est rempli de rancœur à l’égard d’un tel personnage, qui n’est à sa place que parce qu’il est plus fort (c’est-à-dire adulte), alors que l’enfant commence alors à se ressentir comme faible et chétif, ce qui nourrira par la suite son narcissisme et son ambition œdipienne justement, si le conflit n’est pas résolu de manière satisfaisante. L’enfant a tendance à se remémorer cette époque comme un esclavage, esclavage auquel fait d’ailleurs très clairement allusion la deuxième strophe de la marseillaise de Rouget de Lisle : "C’est nous qu’on ose méditer de rendre à l’antique esclavage !". Le père est d’autant plus ressenti comme un usurpateur, qu’il possède la mère avec une arme que l’enfant, lui, ne possède pas encore : il la possède sexuellement. C’est ce que le quatrième vers exprime très clairement : "L’étendard sanglant est levé". L’ "é-tend-dard" ( le "dard tendu"), est ici le symbole du phallus du père, tandis que le sang est celui du vagin de la mère. L’usurpation de la mère est donc totale et, il ne reste plus à Rouget de Lisle, qu’à décrire la scène primitive, durant laquelle le père va justement s’emparer de la mère, devant l’enfant muet, partie prenante de la scène. C’est l’enjeu de la seconde strophe.

D’emblée, le fantasme est souligné par le caractère interrogatif et suggestif du premier vers : "Entendez-vous dans les campagnes ?". Afin de se convaincre de l’existence d’une telle scène primitive, deux sens sont essentiellement mis à contribution : l’ouïe et la vue. Si l’ouïe est clairement appelée par le verbe "entendre", la campagne est, quant à elle et littéralement, une vaste étendue de pays à découvert, c’est-à-dire un lieu où rien n’échappe au regard. Car qu’est-ce que la scène primitive ? C’est, tout simplement, la scène de jouissance entre les parents auquel l’enfant assiste de manière muette (cf. l’homme aux loups dans les cinq). Celle-ci est particulièrement bien condensée par le second vers de la deuxième strophe : "Mugir ses féroces soldats". La condensation "Mu-gir" exprime particulièrement bien la jouissance et le mutisme : "Mu-jouir". Le caractère de "déjà-là" (ou de "déjà-vu") de l’enfant du fantasme, qui nie par là même son ex-sistence, est exprimé par le troisième vers : "Ils viennent jusque dans nos bras".
À l’évocation du désir meurtrier à l’endroit du père et du fantasme de la scène primitive, ne manque plus que le troisième ressort de l’Œdipe : le complexe de castration. Sur le même mode qu’Ouranos ou Saturne dévorant ses propres enfants dans les mythologies grecque ou romaine, le Tyran de la Marseillaise est sensé, lui aussi, égorger les enfants : "Égorger nos fils, nos compagnes !".
C’est là que va se produire, justement, l’appel au refrain qui, rappelons-le, veut dire mot à mot : que l’on ne peut réfréner. Que ne peut-on, en effet, contenir ou réprimer ? Il faut refouler l’intolérable, ce fantasme, cette représentation que l’on trouve dans l’Inconscient et si difficilement surmontable, mais ô combien superbement mis en évidence par Freud tout au long de son œuvre : celui de la castration de la mère : "Égorger nos fils, nos compagnes !". C’est devant une telle représentation rigoureusement intolérable, et justement pour s’en défendre, que la citoyenneté est appelée : "Aux armes, Citoyens ! Formez vos bataillons !".

N’oublions pas qu’une telle représentation signifiante est à double tranchant : elle reproduit ce qu’elle dénonce. La Marseillaise est une marche ininterrompue ("Marchons, marchons") vers l’inceste qu’elle reproduit, alors qu’elle est censée la dénoncer. C’est du reste cette ambivalence, c’est-à-dire ce conflit entre le Ça (abritant les pulsions œdipiennes) et le Surmoi tyrannique (formation inconsciente visant à refouler ces mêmes pulsions, elle-même issue de l’identification au Père imaginaire), que Lamartine met particulièrement bien en évidence lorsqu’il écrit de l’hymne : "Il fut le chant du patriotisme, mais il fut aussi l’imprécation de la fureur. Il conduisit nos soldats à la frontière, mais il accompagna nos victimes à l’échafaud. Le même fer défend le cœur du pays dans la main du soldat et égorge les victimes dans la main du bourreau" (Alphonse de Lamartine, L’Histoire des Girondins).
C’est la fameuse bande de möbius du fantasme œdipien reliant sur une même surface le meurtre du père et la jouissance de la mère : "Qu’un sang impur abreuve nos sillons". Le "sang impur" est, en effet, l’évocation de l’inceste, tandis que les sillons ne sont que les fentes plissées de la terre-mère, c’est-à-dire le sexe maternel, que le désir de l’hymne est d’abreuver.

Si, d’un point de vue strictement spirituel et conscient, la Marseillaise est bien un chant militaire, ou plus exactement un chant de guerre révolutionnaire, du point de vue de l’Inconscient (au sens freudien du terme), il représente indéniablement un hymne œdipien. La Marseillaise nous plonge dans le meurtre du père primitif par la horde des frères, à l’aube de la naissance de l’humanité, que S. Freud a merveilleusement décrit dans son "Totem et tabou" de 1913. La fraternité ne peut s’exprimer que par le meurtre du père, qu’il conjure autant qu’il reproduit ("Tremblez ! vos projets parricides vont enfin recevoir leurs prix !", 4ème strophe). Il n’est pas anodin que ce soit lors de la finale de la coupe de France de football qu’elle ait été sifflée, obligeant ainsi le Président, c’est-à-dire le Père de la République, à quitter le stade de France. Le football n’est autre que, mot à mot, un sport que l’on "joue au pied avec une balle gonflée". À cet égard, rappelons que le complexe d’Œdipe exprime la jouissance de celui qui a un œdème au pied (Œdipe), c’est-à-dire un pied gonflé. En d’autres termes, il paraît incontournable, du point de vue de l’inconscient, que les pulsions œdipiennes des "spectateurs" des matchs de football, sport œdipien par excellence, soient décuplées par les pulsions non moins œdipiennes véhiculées par la Marseillaise, pouvant autant pousser le Père de la République à acclamer l’équipe nationale lorsqu’elle devient championne du monde, que l’obliger à quitter l’arène.

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