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Berbiguier de Terre-Neuve du Thym

Consultation de M. Pinel

Les Farfadets (Chapitre XXI à XXX)

Date de mise en ligne : mercredi 6 décembre 2006

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CHAPITRE XXI
Conduite des parents, et ce qui s’ensuivit

PEU DE TEMPS APRÈS LA LEVÉE DES SCELLÉS en présence des parents et des
procureurs fondés des absents, nous fûmes extraordinairement surpris de ne pas trouver l’argent ou les effets que nous avions tout lieu d’espérer, d’après la fortune présumée de mon oncle. Chacun murmura, des soupçons se manifestèrent. Je cessai de voir la veuve, et je ne communiquai avec elle que lorsque le cas l’exigeait. Ce n’était point l’intérêt qui en était le motif : j’en avais donné des preuves, lorsque mon oncle voulait me faire donation de sa fortune, à laquelle je ne voulais prétendre qu’au préalable il n’y fit participer ses autres parents. Ceux-ci attaquèrent le testament du défunt. Le juge de paix intervint comme conciliateur, et pria les réclamants de lui faire part de leurs prétentions, espérant parvenir à un arrangement qui pourrait convenir à tous les parents, et à les réunir d’estime et d’amitié. Toutes ses propositions furent sans effet, ils persistèrent dans leur première résolution. La perte que je venais de faire avait si extraordinairement attaqué ma santé, que j’étais devenu méconnaissable ; j’avais besoin de repos. Les prétentions des parents, le désir d’arrêter une procédure scandaleuse et ridicule sous tous les rapports, fit qu’on leur proposa une somme d’argent qu’ils refusèrent, et l’affaire fut portée devant les tribunaux. Ce n’était point cela seulement qui contribuait à me rendre la vie insupportable, c’était encore les moyens que ne cessent d’employer contre moi les magiciens et sorciers. Eloigné que je suis de cent soixante lieues de mon pays, où les esprits infernaux ont commencé à diriger contre moi leurs attaques diaboliques, je ne puis les éviter, ni espérer de m’en délivrer. Je m’étais persuadé que l’éloignement affaiblirait leur pouvoir ; mais je n’ai pas tardé à me convaincre du contraire, par les souffrances qu’ils ne cessent de me faire endurer. Je voyais quelques personnes qui s’intéressaient à moi, je leur fis part de mes persécutions ; elles me témoignèrent l’intérêt qu’elles prenaient à ma position, et elles me conseillèrent de consulter M. Moreau, physicien célèbre dans cette science. Je pris la résolution d’aller chez lui. Il me donna audience et m’invita à revenir le lendemain. J’y vins à l’heure convenue. Arrivé, il me fit entrer dans son cabinet et me pria de lui faire part du motif de mes inquiétudes et de mes persécutions, et particulièrement des causes qui pouvaient les avoir provoquées. L’intérêt qu’il parut prendre à ma situation m’inspira de la confiance, et je me vis forcé de répondre à ses pressantes sollicitations. Je lui donnai connaissance du commencement de mes malheurs, des moyens employés par mes ennemis, et de mon étonnement de ce que, quoiqu’éloigné de cent soixante lieues de ma résidence habituelle, ils conservaient sur moi la même influence. M. Moreau me répondit qu’il ne trouvait rien d’extraordinaire dans cela ; que ses vastes connaissances en physique, et différentes expériences diaboliques qui l’avaient, dans certaines circonstances, fait admettre dans cette société, l’avaient initié dans tous ses mystères ; que cette société avait une correspondance générale, et que sa puissance s’étendait sur tout le globe terrestre ; que, participant à ce pouvoir, il avait celui de me soustraire à mes persécuteurs ; mais que, pour y parvenir, je devais me soumettre à sa toute puissance. Pour sortir de mon pénible état, j’aurais fait toutes sortes de sacrifices ; mais, réflexion faite, tout m’éloignait de ce qu’il voulait exiger de moi. Je me disais que c’était à Dieu seul que j’appartenais, que je devais tout souffrir plutôt que de m’exposer à ne plus mériter sa grâce divine ; que l’expérience du passé et la religion même me défendaient d’approuver sa proposition : il me répondit que mon obstination ferait mon malheur, et que rien ne pouvait me soustraire à mes ennemis ; qu’ils me poursuivraient jusqu’au bout du monde. Cette réponse m’affecta extraordinairement. Je lui payai deux visites que je lui avais faites pour le consulter, dans la persuasion que je trouverais avec lui quelque soulagement ; mais en le quittant, je fus convaincu que je venais, malheureusement pour mon repos, de me faire un ennemi de plus qui me poursuivrait jusqu’au dernier retranchement. En effet, il se réunit avec ceux d’Avignon, et il ne tarda pas à s’introduire dans mon appartement, sous des formes invisibles, pour exercer sur moi toute sa vengeance et me faire éprouver les plus cruels tourments.

CHAPITRE XXII
Je fais connaissance d’une autre magicienne
aussi perfide que celles qui l’avaient précédée

QUELQUE TEMPS APRÈS, je fis connaissance de deux dames, la mère et la fille, logées dans l’hôtel Mazarin, où j’avais conservé mon appartement. La mère me pria d’accompagner sa fille chez Madame Vandeval. Rendu chez cette dernière, cette demoiselle la pria de lui tirer les cartes. Pendant le temps de cette jonglerie, la sybille avait les yeux fixés sur moi. Mon air pensif et rêveur provoqua sa curiosité, et elle m’en demanda le motif, en m’engageant à me laisser faire le jeu des cartes ; qu’elle espérait trouver la cause de mes inquiétudes et m’en indiquer le remède. Je consentis à cette opération. Elle me dit que plusieurs hommes s’étaient réunis pour me faire beaucoup de mal ; mais qu’il en était un, en ce moment, qui m’inquiétait davantage, et qui me tourmenterait toujours. Personne mieux que moi ne pouvait être convaincu des vérités qu’elle me disait. Je lui demandais si elle pourrait me dire, aidée de ses opérations magiques, si je serais toujours malheureux. Elle me répondit que non ; que, si je le voulais, elle me guérirait des maux présents et à venir, et que je pouvais moi-même faire le remède. Quoique trompé déjà plusieurs fois par de semblables personnages, je crus à ce qu’elle me conseilla. Il faut, me dit-elle, acheter une chandelle de suif chez la première marchande dont la boutique aura deux issues, et avoir attention, en payant, de vous faire rendre sur une pièce de la monnaie dans laquelle se trouveraient deux deniers. Elle m’observa de sortir ensuite par la porte opposée à celle par laquelle je serais entré, et de jeter en l’air les deux deniers ; ce que je fis. Je fus grandement surpris d’entendre le son de deux écus, au lieu de celui des deux deniers. L’usage qu’elle me dit de faire de la chandelle, fut d’allumer d’abord mon feu, et de jeter dedans du sel, d’envelopper ensuite la chandelle avec du papier sur lequel j’aurais écrit le nom de la première personne qui m’a persécuté ; que je piquerais ce papier dans tous les sens ; et qu’après l’avoir fixé à la dite chandelle avec une épingle, je la laisserais brûler jusqu’à extinction. Aussitôt que j’eus exécuté ce que cette devinesse m’avait ordonné, ayant eu auparavant la précaution de m’armer d’un couteau en cas d’attaque, j’entendis un bruit effroyable dans le tuyau de ma cheminée ; et quoiqu’elle m’eût prévenu de l’effet que cela pouvait produire, je n’en fus pas moins épouvanté. Je me persuadai bientôt que, malgré ma vive résistance, j’étais au pouvoir du magicien Moreau, à qui ses collègues avaient délégué leurs pouvoirs ; qu’il s’était ainsi introduit d’une manière invisible dans mon appartement, pour exercer contre moi toute sa vengeance, en raison du refus que je lui avais déjà fait, et de l’efficacité du remède que je venais d’employer ; le bourdonnement qui se manifestait dans mon appartement m’en donnait l’assurance. Un physicien infernal participait à mes maux, et une sybille magicienne les adoucissait. Je passai ainsi la nuit à alimenter le feu, en y jetant de grosses poignées de sel et de soufre, afin de prolonger le supplice de mes ennemis.

Le lendemain, je dis à Madame Vandeval qu’ayant mis à exécution ses conseils, leurs résultats m’avaient inspiré la plus grande confiance ; elle en fut satisfaite. Elle me dit en souriant, que si je voulais tuer M. Moreau et sa suite, je n’avais qu’à continuer ce que j’avais fait la nuit précédente, et à jeter dans le feu la même quantité de sel. Ma réponse fut que je me contentais de les faire souffrir autant qu’ils me faisaient souffrir moi-même. Elle approuva ma résolution, et m’engagea à continuer pendant neuf jours la même opération de jeter au feu le sel et de la chandelle toujours enveloppée d’un papier sur lequel j’aurais écrit le nom de mes persécuteurs, après l’avoir piqué dans tous les sens, et de la laisser ainsi brûler jusqu’à extinction. Je fis part à Madame Vandeval de ma crainte que le son des deux deniers jetés en l’air, en tombant par terre, ne fût le même que celui des deux premiers, et que dans ce moment quelque passant, entendant ce même son, ne fût tenté de les ramasser et de les garder ; que si, au contraire, je les jetais dans la rivière, j’aurais alors l’assurance qu’ils ne seraient pas relevés, et que par cette précaution, j’aurais payé mes ennemis de leurs forfaits. Madame Vandeval goûta mes observations, et m’autorisa à les jeter dans la rivière, observant que le résultat en serait le même. J’entrai avec elle dans d’autres détails sur lesquels elle me rassura : elle m’engagea à la patience, et surtout au courage, m’assurant que sous peu de jours je ressentirais les bienfaits de ses conseils : elle me tira les cartes, et elle se fortifia dans l’assurance que mes ennemis souffraient beaucoup de mes opérations, malgré tous les moyens que les esprits infernaux leur faisaient employer pour vaincre toutes les attaques que je leur opposais ; mais qu’ils succomberaient. Elle me parla de la succession de mon oncle, elle croyait qu’elle était cause en partie de mon humeur sombre et mélancolique ; que j’aurais dû exécuter ses volontés, lorsqu’il voulait me nommer son héritier universel. M. Moreau m’avait tenu le même langage. C’est par cette réunion des vérités qui m’ont été annoncées par tous ces personnages, que je me suis convaincu de leur association avec les esprits infernaux pour tourmenter les humains. Je répondis à Madame Vandeval que l’intérêt n’avait jamais dirigé mes actions, mais bien l’honneur et la justice ; que cette marche ne conduisait pas toujours au bonheur terrestre, que je dédaignais, n’ayant jamais ambitionné que le bonheur céleste ; que je laissais tout à la volonté de la divine Providence. J’étais extrêmement impatient de savoir, si, après le temps que m’avait fixé Madame Vandeval, je serais débarrassé de mes persécuteurs, et si je reprendrais ma liberté première. Vaine espérance ! tout était déchaîné contre moi : l’intérêt que cette dernière paraissait prendre à ma situation n’était chez elle que perfidie ; elle avait mis tout en oeuvre pour m’inspirer de la confiance, afin de me tromper avec plus de facilité. Devais-je m’attendre à des bienfaits de la part d’une femme réprouvée de Dieu ? Je ne pouvais trouver de consolation que dans les bras de l’Église, dans un Dieu juste et miséricordieux que j’aurais toujours dû consulter dans toutes mes actions.

CHAPITRE XXIII
Consolation à mes maux apportée par les Ministres de la Religion

JE FAISAIS SOUVENT DE JUSTES RÉFLEXIONS, lorsque, passant un soir devant Saint-Roch, j’aperçus l’intérieur de l’église éclairé, un grand nombre de fidèles rassemblés, et beaucoup d’autres qui se réunissaient à eux : cela piqua ma curiosité et me détermina à demander à une dame quel était le motif de cette réunion. Elle me répondit que c’était la conférence qui a lieu ordinairement tous les ans pendant le carême. Je m’empressai de me placer aussi près que possible du ministre qui devait par sa morale indiquer à son auditoire le chemin du bonheur. Son discours et son exhortation produisirent sur mon âme un effet salutaire. Ses conseils contrastaient extraordinairement avec ceux que j’avais déjà reçus des gens qui, sous le masque de l’amitié, avaient fait jusqu’ici mon malheur. Je pris alors la résolution de suivre cet exercice religieux jusqu’à Pâques. À cette époque je me préparai à communier, mais il fallait m’en rendre digne. Je fus trouver un prêtre de ma paroisse, et le priai de me confesser ; il voulut bien satisfaire à mes désirs. J’entrai dans différents détails relatifs aux événements malheureux de ma vie ; je le suppliai de m’indiquer des moyens pour adoucir mes maux et me délivrer des malins esprits. Le bon prêtre, qui ne voulait pas me bercer par de vaines promesses et tergiverser avec ses devoirs, m’adressa au grand pénitencier de l’église métropolitaine de Paris. Je ne tardai pas à me présenter à lui. Après m’avoir entendu, il m’adressa à M. le grand vicaire. Rendu chez ce dernier, je lui exposai le motif de mes démarches et des événements qui en sont les funestes causes. Il m’écouta jusqu’au bout et me témoigna tout l’intérêt qu’il prenait à moi ; mais il me dit qu’il ne pouvait rien faire à cela : il me conseilla de me jeter dans les bras d’un bon prêtre, et d’espérer tout de la bonté de Dieu. Cette réponse n’était pas entièrement satisfaisante, et je me retirai. Quoi ! me dis-je, je serai constamment la proie de mes ennemis, et je ne trouverai jamais aucun moyen de m’en délivrer ? Abandonné, comme un réprouvé de la nature entière, mille réflexions plus noires les unes que les autres s’emparèrent de moi et me livrèrent au plus cruel désespoir. Les mauvais génies profitant alors de ma situation, me tourmentèrent encore si violemment, que je fus vivement tenté de me jeter dans la rivière, et c’était à quoi ils voulaient m’entraîner ; mais la providence ne m’abandonna pas, elle vint à mon secours et me donna la force de revenir à moi.

Je m’aperçus bientôt que ce n’était qu’une inspiration diabolique que les mauvais esprits font ressentir à tous ceux qui se donnent eux-mêmes la mort, soit en se jetant dans la rivière, soit par tout autre moyen non moins criminel. Le calme revint dans mon âme, et je me sentis alors soulagé de tous mes maux. Ah ! Seigneur, que les conseils de tes ministres sont salutaires, et combien ceux des esprits infernaux sont pernicieux !

Je fus à l’Abbaye Saint-Germain revoir mon confesseur, lui faire part de l’entretien que j’avais eu avec le grand vicaire de Notre-Dame, et du peu d’espérance que j’en avais obtenu ; il en fut surpris, et me conseilla de me présenter une seconde fois chez le grand pénitencier, que ma cause était de sa compétence. Je me rendis donc chez lui, et je lui fis l’historique des événements que j’avais éprouvés, et de ceux que j’éprouvais encore. Il m’invita de venir souvent le voir, afin de connaître à fond ma maladie, et de chercher un remède salutaire à ma guérison, et, en attendant, de prendre patience et de faire des invocations au Tout-Puissant, de lui demander pardon des fautes que je pouvais avoir commises ; qu’étant tout miséricordieux, et mes maux n’étant peut-être que des épreuves pour assurer mon salut, je devais les supporter avec résignation ; que le Dieu de bonté ne m’abandonnerait pas, et qu’il m’offrirait dans le Saint Sacrifice de la messe. Je pris congé de lui, en lui témoignant combien j’étais sensible à ses honnêtes procédés, combien ses conseils étaient efficaces, et combien toutes ses consolations étaient nécessaires pour me rendre le repos.

CHAPITRE XXIV
Ouverture du Testament de mon oncle.
Mes sacrifices pour éviter un procès

DU VIVANT DE MON ONCLE un procès avait été intenté contre lui, par ses parents, pour le faire déclarer en démence, incapable de gérer ses affaires, et hors d’état de pouvoir disposer de ses biens par des actes légaux, dans l’intention de se partager sa fortune.

L’affaire fut portée au tribunal d’appel. Je plaidai moi-même la cause de mon respectable oncle, et je remportai une victoire complète, comme je l’ai dit, en citant la plaidoirie de M. le procureur impérial, et l’éloquent discours de M. le premier président, lors du prononcé du jugement.

Après la levée du scellé, on fit l’ouverture du testament, dans lequel la volonté de mon oncle était légalement consignée d’une manière claire et précise ; mais rien ne pouvait faire revenir les parents de leur première prétention. C’était à sa fortune qu’ils en voulaient, leur but ne tendait que là ; leur avidité se montrait sans déguisement. Ils appelèrent du jugement du tribunal de première instance ; et quoique persuadé qu’ils ne seraient pas plus heureux dans leur appel, toujours désintéressé moi-même, et désirant en voir la fin, je leur fis proposer des moyens de conciliation, par des hommes de lois, qui louèrent ma générosité. Des propositions leur furent faites ; elles étaient acceptées par les uns et refusées par les autres. Fatigué de tant d’obstination, ainsi que les personnes que j’avais employées pour terminer cette affaire, j’en fis part à Madame Berbiguier, et lui dis que j’étais prêt à faire de nouveaux sacrifices pour voir la fin de nos discussions et acheter ma tranquillité. La veuve adhéra à cette proposition, et nous promîmes de nous rendre le lendemain chez le notaire pour y passer une transaction. Accablé par mes réflexions, je parcourais l’appartement de mon oncle ; mes yeux le cherchaient de tous côtés, mais je ne le voyais plus, je n’entendais plus ses sages conseils. J’étais dans un tel affaissement, qu’étant rendu chez moi je gardai le lit pendant quatre jours. Mes forces m’avaient entièrement abandonné, au point que je n’étais pas encore remis, lorsque je fus chez le notaire, où je m’étais pour ainsi dire traîné. Je mis trois heures pour me rendre à pied de la rue Mazarine chez le notaire, logé près du Palais-Royal. M. le notaire fut surpris de me voir ; mais il le fut encore plus lorsqu’il apprit tous les sacrifices que je voulais faire. Il m’observa que, d’après l’avis de mon avocat, ces sacrifices étaient trop forts. Je lui répondis que j’étais sensible à l’intérêt que lui et mon avocat prenaient à moi, mais qu’ayant toujours dédaigné la fortune, je ne faisais jamais rien pour elle ; que mes besoins se bornaient à bien peu de chose ; que j’étais au contraire, très envieux de mon repos et du bonheur à venir, que je méprisais les richesses de ce monde. D’après cette résolution bien prononcée, la transaction devait se passer avec tous les cohéritiers des biens de mon oncle, ainsi que nous en étions convenus avec la veuve, et elle fut par nous deux signée. Cette convention entre la veuve et moi devait amener au même résultat tous les prétendants en conséquence, je priai M. le notaire de faire part de cette décision à ceux qui se trouvaient présents et d’écrire aux avocats des absents, afin de les réunir. Tous se rendirent en effet ; mais les fondés de pouvoir des absents ne se croyaient pas assez autorisés pour adhérer à toutes les propositions qui furent faites, sans en prévenir leurs commettants ; ce qui entraîna des longueurs fatigantes pour moi ; et malgré les difficultés qui se succédaient les unes aux autres, cette pénible affaire se termina à la fin de décembre 1816. Je m’empressai d’en faire part à mon avocat, qui parut fâché de ce que tout avait été fait sans en avoir été prévenu, improuvant surtout les grands sacrifices que j’avais faits ; mais il n’avait pas éprouvé les maux que m’avait occasionnés l’existence de ce procès, il eût alors, tout comme moi, terminé bien vite. Je le priai instamment de vouloir bien faire payer à chacun des parents ce qui leur revenait d’après la transaction. Plusieurs d’entre eux attendaient avec impatience cette répartition : elle produisit sur eux un effet particulier ; ils vinrent me rendre visite, et me témoignèrent leur surprise sur mon désintéressement ; mais ils furent convaincus que je préférais mon repos à mes intérêts. Je venais de me rendre tranquille de ce côté, mais je ne le fus pas plus de celui de mes ennemis. La féroce Vandeval ne me perdait pas de vue ni le jour, ni la nuit ; elle employait contre moi tous les pouvoirs qui lui avaient été donnés par les esprits infernaux pour me faire souffrir. Je m’en plaignis à M. le grand pénitencier de Notre-Dame, qui en parut très étonné. Il me témoigna tout l’intérêt qu’il prenait à ma situation : je lui donnai également des détails sur les tourments que j’éprouvais de la part de mes ennemis de Carpentras et d’Avignon. Il ne savait que penser de la ténacité de ces monstres odieux : tantôt il craignait que cela ne fût provoqué que par un bouleversement général des humeurs. Il m’adressa à M. Pinel père, médecin en chef à la Salpêtrière.

CHAPITRE XXV
Consultation de M. Pinel

LE 24 AVRIL 1816, je me rendis chez M. Pinel, sur l’indication que l’on m’en avait donnée ; mais il logeait alors rue des Postes, près l’Estrapade, n° 12. Rendu chez lui, sa domestique m’introduisit. Je lui dis que je me présentais à lui de la part du grand pénitencier de Notre-Dame, qui m’avait fait espérer que je trouverais quelque soulagement à mes maux. Je lui fis alors l’exposé de leur commencement, des lieux où les malins esprits avaient exercé sur moi leurs pouvoirs et leur haine. Après m’avoir entendu avec la plus grande attention, ce docteur me répondit que les maladies de cette nature étaient de sa connaissance ; qu’il avait déjà traité plusieurs personnes qui en étaient attaquées, et qu’il les avait guéries radicalement ; que je pouvais assurer, de sa part, M. le grand pénitencier, qu’il me guérirait également. Cette promesse avait déjà porté la joie dans mon coeur. Nous étions aux approches du mois de mai, il m’ordonna de prendre huit bains pendant ce mois. Je lui avais dénoncé M. Moreau et la femme Vandeval comme mes plus cruels ennemis. Il me promit de les voir le soir même, et de savoir tout ce qu’ils faisaient chez moi, et il m’engagea de venir le lendemain chez lui, dans la matinée : je le lui promis. Mais je devais, avant tout, rendre compte à M. le grand pénitencier de la conférence que j’avais eue avec le docteur, ainsi que des promesses qu’il m’avait faites. Ce respectable ministre en parut très satisfait, et se félicita de m’y avoir envoyé. M. le docteur m’avait demandé si lorsque je me plaignais des souffrances que l’on me faisait éprouver, je voyais des animaux ? Je lui répondis que non, que c’était un bruit qui se faisait entendre sous mon traversin, ou des attouchements sur moi quand j’étais au lit. Alors il se mit à rire, en me disant que ce n’était rien et qu’il y mettrait ordre. Je restai toute cette journée à réfléchir sur les demandes et réponses faites de part et d’autre dans cette entrevue avec le docteur. Je me dis, le soir, en me retirant : Je dois me coucher, cette conversation me rassure et j’ai espoir de retrouver le repos. Etant au lit, je sentis, sur les minuit, un attouchement et un travail particulier : je ne dis rien, je laissai faire et pris patience jusqu’à la fin. Je m’abandonnais à bien des réflexions sur les promesses de M. Pinel, et je me flattais d’obtenir bientôt un changement favorable. Après mon lever je me rendis de suite chez le docteur ; sa domestique me dit qu’il était parti pour sa campagne, et qu’il ne serait de retour que le lendemain à midi, qu’alors seulement je pourrais le voir. J’avais envie, en l’absence de M. Pinel, de voir M. le grand pénitencier, pour lui faire part de ce que j’avais éprouvé la nuit ; mais je pensai que ses moments pouvaient être employés plus utilement pour lui, et je changeai de résolution. Je me rendis chez M. le docteur à l’heure que m’avait indiquée la domestique : je le trouvai effectivement et lui fis part de ce que j’avais enduré la nuit dernière ; je le priai de vouloir bien me délivrer du pouvoir de mes ennemis. Je ne lui cachai point que les épreuves faites sur moi les deux nuits précédentes me faisaient croire qu’il n’était point étranger à toutes ces menées, et que je le priais très instamment d’employer son art, et surtout ses liaisons avec les farfadets, à mon entière guérison. Il sourit à ces observations qui le blessaient peut-être, et m’engagea à prendre les bains qu’il m’avait ordonnés, m’ajoutant que j’en ressentirais bientôt les heureux effets. Ma réponse fut celle d’un homme qui ne dévie jamais du droit chemin, quoiqu’il prenne conseil des individus qu’il croit être utiles à sa guérison, et qui trop souvent abusent de sa crédulité. Il doit tout espérer, celui qui n’a jamais cessé d’implorer la Providence ! Je pris congé de M. Pinel. Je m’attendais, d’après les explications franches que je venais de lui faire, et d’après les assurances qu’il m’avait données, d’obtenir quelque amélioration à mes persécutions, mais ce fut en vain. Qu’attendre de créatures qui ne respirent que vengeances et ne se réjouissent que du mal qu’elles peuvent faire ! Je m’aperçus donc bientôt que le docteur ne valait pas mieux que la Vandeval ; qu’il était de la même société et agissait de concert avec elle. J’allai faire part au grand pénitencier du peu de confiance que le docteur m’inspirait d’après tous les maux que j’éprouvais, ne trouvant pas plus de repos pendant la nuit, et ma position étant toujours pire. Ce bon prêtre, qui ne croit que le bien, et non le mal, m’engagea à suivre exactement ses ordonnances ; alors je l’instruisis des quatre apparitions dont j’avais parlé, et j’entrai là-dessus dans les plus grands détails. Il me recommanda d’avoir constamment recours à la divine Providence et de me rendre de sa part chez M. Audry, docteur en médecine, rue du Temple, n° 118. Après lui avoir témoigné combien j’étais sensible à l’intérêt qu’il prenait à moi, je me rendis de suite chez le docteur, à qui je fis le récit fidèle de tout ce que j’avais éprouvé depuis l’origine de mes souffrances, jusqu’au moment de ma visite ; je lui fis connaître les noms de ceux que je croyais être les auteurs de mes maux, sans que j’eusse provoqué sous aucun rapport leurs vengeances : il m’écouta très attentivement jusqu’au bout, et m’ordonna des calmants. Il ajouta que ma santé était altérée par les souffrances que j’avais éprouvées ; qu’il s’apercevait que j’avais le sang très agité ; que je devais donc employer des adoucissants, et qu’il n’y avait d’autre remède à faire pour le moment. Je lui observai que ceux dont j’avais fait usage jusqu’à ce jour, quoiqu’ordonnés par des médecins dont la réputation était connue, n’avaient produit aucun bon effet, et cela parce que ceux qui me les ordonnaient se réunissaient à mes ennemis pour me persécuter. Le docteur se rendit à mes observations, il m’invita de revoir le grand pénitencier, ce que je fis, en le priant d’intercéder pour moi la Providence, afin de me délivrer des êtres invisibles qui m’apparaissaient sous différentes formes pour me tourmenter et interrompre entièrement mon repos. Ce vertueux ministre calma mes inquiétudes par une conversation morale, et m’ordonna de ne jamais consulter d’autres médecins que le Tout-Puissant, étant le seul capable, par sa divine bonté, de me délivrer de ces monstres ennemis de l’espèce humaine, qui chaque jour nous prouvent indubitablement que toutes leurs actions ne sont dirigées que pour faire opérer le mal en flattant quelquefois par des jouissances perfides ceux qu’ils entraînent ainsi avec eux dans un abîme éternel. Il m’invita de réfléchir avant d’agir, afin de prévenir leurs tentatives, de me mortifier par une suite de sobriété, et d’observer surtout les jeûnes ordonnés par l’Église. Je ne fus pas longtemps à édifier mon digne pasteur, en lui faisant un rapport vrai de ma conduite journalière ; il m’en témoigna sa satisfaction, et je me plais à croire que les épreuves morales qu’il m’ordonna lui furent inspirées par le Dieu suprême, qui voulait se convaincre si, par une résistance obstinée à éviter le mal, je parviendrais à mériter sa bienveillance ou à la démériter par mes actions.

Toujours persécuté par les malins esprits, je fus engagé par le bon prêtre à le voir souvent pour l’instruire de mon état et l’assurer par là de l’effet que pouvaient produire sur moi ses sages conseils. Son invitation prévenait mes désirs. Je ne manquai pas de le visiter par affection particulière ; mais je ne me suis jamais trouvé dans une position à pouvoir lui annoncer une amélioration ; ce qui parut singulièrement l’affecter, par l’intérêt qu’il prenait à moi. Alors il me conseilla de voir le grand vicaire général, M. Joubert, à qui je fis une première visite et l’historique de tout ce que l’on me faisait éprouver depuis si longtemps et particulièrement M. le docteur Pinel. Le vicaire me demanda si j’exerçais les devoirs que notre religion nous impose ; je lui répondis que non seulement j’en remplissais les obligations, mais que je faisais tout ce que je croyais pouvoir être agréable à Dieu ; alors il m’ordonna de visiter tous les jours quatre églises, Notre-Dame, Saint-Amorain près Sainte-Geneviève, Saint-Germain-l’Auxerrois et Saint-Roch. J’éxécutai scrupuleusement cet ordre, rien n’aurait pu m’y faire manquer.

CHAPITRE XXVI
Je prends la résolution de mener une vie sobre et retirée, pour éviter et éloigner les mauvais Esprits

JE PRIS ALORS un nouveau régime pour être dans le cas de remplir mes obligations avec plus de facilité je cessai de prendre mes repas chez le restaurateur et je fis moi-même mon ordinaire afin de ne le composer que d’aliments peu succulents, propres seulement à me substanter ; je me bornai à deux médiocres repas, composés de légumes peu assaisonnés, l’un à une heure de l’après-midi, l’autre à deux heures du matin ; époque à laquelle mes quatre stations étaient faîtes et à laquelle j’avais médité sur mes actions de la journée, pour m’assurer si elles étaient dignes d’être offertes à Dieu. Je me privai, comme je me prive même encore, de toute jouissance de la vie, trop heureux, par ces légers sacrifices, si je pouvais m’affranchir des fautes involontaires que je puis avoir commises.

Il faut cependant quelque délassement à l’homme pour ne pas tomber dans les inconvénients d’une vie trop sévère ; mais je choisis alors ce qui me parut le plus innocent pour servir mes récréations. J’avais fait l’achat d’un petit écureuil de deux mois, afin de l’élever plus facilement à mes volontés ; mais il n’entra pas dans les combinaisons de mes ennemis de me laisser jouir de ce plaisir innocent. M. le docteur Pinel, jaloux d’un délassement qui ne pouvait être contrarié que par des monstres tels que ceux qui me poursuivent, se rendait invisiblement chez moi pour tourmenter ce petit animal, afin de le rendre indocile par des persécutions, et me priver des jouissances qu’il pouvait me procurer. Tout était mis en oeuvre par ces éhontés : ils me croyaient assez petit maître pour me présenter souvent devant une glace que j’avais à ma cheminée ; ils y dessinèrent avec une matière grasse dont l’odeur était celle de l’huile, un paysage : ma domestique employa tous les moyens pour le faire disparaître ; mais il ne lui fut pas possible d’y parvenir ; et comme il m’importait de faire connaître aux personnes qui venaient me voir les moyens qu’employaient mes ennemis pour me rendre la vie dure, j’écrivis au bas de ce paysage : n’y touchez pas, c’est l’ouvrage de M. Pinel.

Tous les moyens sont employés par les farfadets : ils cherchent à nous faire naître des jouissances qui flattent nos sens ; parfois ils nous font apparaître des choses épouvantables ; enfin ils font tout pour nous attirer la colère de Dieu. Mais toutes leurs tentatives sur moi, de ce côté, ont été sans effet ; je ne dévierai jamais des devoirs que m’impose ma sainte religion. La pluie, la neige et la grêle ne m’ont pas détourné de passer trois heures par jour à Saint-Roch pour y implorer la grâce de Dieu et de sa sainte mère, afin de me délivrer, s’ils m’en trouvaient digne, de mes persécuteurs, ou de me donner la force de résister à toutes les tentations et à leurs méchancetés. J’assiste également les dimanche, mardi et jeudi de chaque semaine, à la prière du Rosaire, qui a lieu à la chapelle de la Vierge dans la même paroisse. Personne mieux que moi n’a peut-être éprouvé les heureux effets de ce pieux devoir, par la jouissance des apparitions. J’ai vu pendant quatre fois ce que les autres assistants n’avaient pas aperçu : une guirlande de feu attirait l’enfant Jésus, et sa sainte mère en tenait quatre, sur lesquelles ils restèrent l’espace de cinq minutes !… Est-ce une grâce particulière que Dieu a bien voulu me faire, en faveur de ma résignation à tant souffrir pour lui, à ne faire que sa volonté ? Oui, sans doute, je ne ferai jamais celle de M. Pinel, dont les apparitions diaboliques ne sont faites que pour ébranler ma foi et me jeter dans un abîme où il a été entraîné. Il aurait dû s’apercevoir depuis longtemps que tout ce qu’il fait et se propose de faire est en pure perte ; que je suis dans la bonne voie, et que je n’en prendrai jamais d’autre. Il a tout fait pour me contrarier, au point que, lorsque je me rendais à Saint-Roch par un temps de pluie, j’avais à peine fait la moitié du chemin, que sous des formes invisibles il s’emparait de mon parapluie et me le brisait, dans l’espoir que cette privation me conduirait dans toute autre direction. Détrompez-vous, esprits infernaux, infâmes farfadets, rien ne pourra ébranler ma foi ; faites-moi souffrir, j’y suis résigné depuis longtemps, parce que j’ai toujours présent à mon esprit tout ce que Dieu a souffert pour nous. Je méprise les richesses et les jouissances de ce monde ; elles ne sont rien pour moi, c’est l’avenir que j’ai en vue ; voilà ma résolution inébranlable. Que mes ennemis soient donc convaincus que je n’entrerai jamais dans leurs projets ; que s’ils me font des attaques, je leur riposterai par des contre-attaques.

Les apparitions dont j’ai eu le bonheur de jouir m’ont fait naître l’idée d’offrir et faire brûler dans la chapelle de la Vierge un cierge que je voulais donner du poids de cinq livres ; mais, craignant que cette grosseur ne piquât trop la curiosité de quelques personnes indiscrètes, et qu’on n’en demandât le motif, je me suis décidé à le faire mettre d’une livre seulement, et à continuer ce don, à titre de fondation, quoique je ne doive pas rester toujours dans la capitale.

CHAPITRE XXVII
Mêmes résolutions, mêmes tourments

JE SENTAIS LA NÉCESSITÉ de rendre visite à monsieur le grand pénitencier pour lui faire part de mes agitations continuelles ; il m’invita encore à voir monsieur le grand vicaire, où je fus en effet. Ce bon prêtre fut surpris de me voir toujours dans le même état, il me demanda quel était mon régime de vie ? je lui répondis qu’une sévère frugalité présidait à tous mes repas ; que ma nourriture ordinaire était des légumes peu assaisonnés, point de viande, point de vin, ni aucune friandise. Il blâma ma trop grande abstinence, et m’ordonna de faire usage du gras les jours permis par l’Église, et du maigre les jours d’obligation ; il ajouta que les prières que je faisais la nuit altéraient ma santé, et que je devais user d’une meilleure nourriture pour pouvoir continuer mes exercices religieux. Malgré toutes ses pressantes invitations à me faire changer mon régime de vie, je crus ne devoir pas y adhérer. Je continuai à me mortifier, pour me rendre maître de mes passions et combattre plus facilement mes ennemis, en me rendant plus digne de la miséricorde de Dieu. Monsieur le grand vicaire me dit de continuer mes stations et mes prières, et m’invita à faire mes dévotions, en me disant qu’il verrait ensuite le grand pénitencier, pour me faire exorciser. Cela fut en effet exécuté par ces deux respectables et vertueux ministres, qui ne prévoyaient pas qu’en suivant les conseils des apôtres de la vérité, je ne ferais qu’accroître l’audace de M. Pinel et de l’exécrable Vandeval et consorts.

En effet, leur acharnement alla toujours croissant : ils poussèrent l’insolence et le mépris, jusqu’à me passer sous le nez, au moment de mes prières, des ordures, que par décence je n’ose nommer, mais que je dois désigner pour faire connaître mes ennemis au monde entier, et particulièrement aux incrédules. Les monstres non contents d’avoir commis cette indécence dans mon appartement, ils l’ont renouvelée à St-Roch au moment de mes prières, et cela pour me prouver qu’ils pouvaient s’introduire partout pour y exercer leur pouvoir, et que leur puissance était immense. Ah ! combien de faibles humains se laisseraient tenter s’ils ignoraient que pour mériter la grâce de Dieu, il faut passer à des épreuves et que rien n’arrive dans ce bas monde sans son ordre et ses commandements ; que tout ce qui existe est son ouvrage ; qu’il peut le détruire aussi aisément qu’il l’a créé.

C’est par la résistance à toutes les épreuves du diable qu’on peut mériter la clémence de Dieu. Voyez les apôtres, lisez la vie des saints, vous y verrez toutes les épreuves auxquelles ils ont été exposés : tentés par les démons ils ont été quelquefois ébranlés, mais sans perdre jamais de vue leurs devoirs, ils les ont repoussés en invoquant le Tout-Puissant. Ce n’est que par cette ferme résolution qu’ils ont mérité leur sainteté et la gloire éternelle. C’est ainsi qu’en suivant leurs exemples nous déjouerons les manoeuvres des mauvais esprits, et que nous vaincrons tous les satellites de Satan. Je ne veux pas finir ce chapitre sans citer quelque nouvelle tentative de mes ennemis. L’hiver approchait, je fis mettre un poêle dans ma chambre, et pour me mettre à l’abri de la fumée je fis passer le tuyau de ce poêle dans la cheminée, que je fis fermer hermétiquement : cette opération terminée, j’entendis, à minuit, du bruit au bas de la cheminée ; j’écoutai avec attention, et je reconnus la voix du docteur Pinel, qui, conjointement avec quelqu’un de sa troupe, cherchait à s’introduire dans mon appartement. Mais j’avais tout prévu. J’avais fermé jusqu’à la clef du tuyau. Je me mis à rire aux éclats, et je leur dis : Eh bien ! entrez aimable Pinel avec votre compagnie ; que faites-vous donc dans ce petit réduit ? ne restez pas ainsi à la porte… Je les entendis chuchoter et proférer des injures, me menacer, et dire que les moyens que j’avais employés ne les empêcheraient pas de s’introduire dans ma chambre toutes les fois qu’ils le voudraient. En effet, ils firent répandre dans mon appartement beaucoup de fumée pour m’empêcher de me chauffer et de faire ma petite cuisine. Je me serais bien passé de leurs visites ainsi que mon Coco, c’est le nom que je donnais à mon petit écureuil, qui n’était pas plus exempt que moi de leurs persécutions. Mais ce qui m’étonnait le plus de la part de M. le docteur Pinel, c’est qu’il ne me demandait pas le montant des fréquentes visites qu’il m’avait faites, sans parler de celles qu’il se proposait de faire : s’il peut se présenter, je suis prêt à le satisfaire et à solder en entier son mémoire.

CHAPITRE XXVIII
Nouvelles persécutions de mes ennemis ou des Esprits malins pour mettre à l’épreuve ma probité et celle de tous ceux qui habitaient la même maison que moi

C’EST ASSEZ ORDINAIREMENT dans les hôtels garnis qu’on fait de nouvelles connaissances. C’est dans l’hôtel Mazarin que je fis celle de M. Prieur, fils de M. le Docteur en médecine de ce nom, habitant à Moulins. Ce jeune homme fut envoyé à Paris pour entrer au séminaire ; il y resta un certain temps, s’en dégoûta, et fut rappelé chez lui par ses parents : après avoir fait quelque séjour au sein de sa famille, il fut renvoyé à Paris pour y étudier la profession de médecin : cet état, quoiqu’honorable, ne lui convint pas. Son père ne fut pas longtemps à s’en apercevoir, et lui conseilla d’entrer à l’École de Droit : il exécuta la volonté de son père ; mais, inconstant par caractère, d’après le rapport même de ses parents, il ne tarda pas à se dégoûter d’un état qui n’était pas plus de son goût que les deux premiers. Le hasard m’avait procuré sa connaissance. Un besoin pressant m’ayant appelé aux lieux d’aisance, je trouvai une pièce de cinq francs qu’un ami de M. Prieur avait laissé tomber : ne sachant à qui elle pouvait appartenir, je crus devoir la remettre à M. Rigal, propriétaire de l’hôtel, pour qu’il la rendit à la personne qui la réclamerait. En effet, M. Rigal la remit à celui à qui elle appartenait, en lui disant que c’était M. Berbiguier, n° 3, qui l’avait trouvée. Ce Monsieur, accompagné de M. Prieur, son ami, vint m’en remercier. Je dis à ces Messieurs que je n’avais fait, en la rendant, que rendre à César ce qui appartenait à César, comme je rends à Dieu ce qui appartient à Dieu. Nul doute que c’étaient les farfadets qui m’avaient tendu ce piège, croyant que je m’approprierais un bien qui ne m’appartenait pas. Détrompez-vous, race maudite, vous pouvez mettre tout en oeuvre pour prolonger mes souffrances, j’y suis résigné : je les offre toutes à Dieu en expiation des fautes que je puis avoir commises ; mais ma conduite sera toujours invariable. Je suivrai les préceptes de l’Église ; je mépriserai les richesses et les grandeurs de ce monde, pour me rendre digne d’un bonheur à venir.

Cette particularité me lia d’amitié avec ce jeune homme. Nous allions souvent nous promener ensemble. Nous fûmes à la fête de Saint-Cloud, et peu de jours après nous visitâmes le Calvaire. Le bon ton de ce jeune homme, ses prévenances, tout m’avait inspiré pour lui la plus grande confiance. Je lui fis connaître mes ennemis, tous les maux qu’ils me faisaient éprouver et le désir que j’avais de m’en délivrer. Il avait eu connaissance de ce que le docteur Pinel avait écrit sur ma glace, ainsi que de l’inscription que j’avais mise au bas afin d’en faire connaître l’auteur. J’y mettrai ordre, me dit-il, il faut absolument prendre un parti pour vous délivrer de vos persécuteurs et recouvrer votre liberté. Il me fit faire la connaissance de Monsieur son frère, logé dans le même hôtel, n° 4, vis-à-vis de mon appartement. Après avoir causé quelques moments avec M. Étienne Prieur, nous résolûmes d’aller voir la belle machine de Marly. Rendus sur les lieux, nous avons discouru longtemps sur la perfection de cette invention, ainsi que sur les progrès extraordinaires des arts. Nous fûmes dîner à Saint-Germain : nous parcourûmes ensuite la campagne, et nous y admirâmes les productions de la nature ; tout cela nous inspira des réflexions morales. Comment se peut-il, disions-nous, que cet ordre qui règne dans la nature, puisse tenir du hasard, d’après le système de quelques impies ? Insensés ! comment fructifierait la terre si elle n’était pas vivifiée par un Dieu tout-puissant ; si cet astre resplendissant ne parcourait pas méthodiquement sa carrière par un arrangement admirable ? Il n’y a que les esprits infernaux qui puissent inspirer des idées aussi criminelles et si contraires à celles que nous devons nous faire de ce Dieu créateur de tout ce que nous voyons. Ils s’apercevront, mais trop tard, ces impies, de leurs coupables erreurs, et ils en seront punis par des souffrances éternelles. Que de réflexions à faire sur cette éternité de malheurs au lieu d’une éternité de bonheur ! Cette espérance est si consolante, qu’elle seule devrait régler notre conduite dans ce bas monde, nous éloigner de toute inconduite, de toute inspiration des malins esprits, qui ne cherchent qu’à nous jeter dans l’abîme.

CHAPITRE XXIX
Confidence de M. Prieur. Ma confiance en lui

M. PRIEUR ME CONFIA ses peines, il me dit qu’il souffrait beaucoup sans en pouvoir deviner la cause ; qu’il était décidé à consulter un prêtre de la paroisse Saint-Louis, M. Imbert, ancien ami de son père, sur notre position, et qu’il espérait qu’il trouverait dans ses sages conseils quelque consolation. Je le priai de m’y présenter, et je ne lui laissai pas ignorer que j’avais, pour les ministres de ma religion, une entière confiance. Il refusa mon offre en m’assurant qu’il se chargerait de tout ce qu’il croyait nécessaire à notre intérêt commun ; qu’il ne devait y avoir que lui seul pour cela. Je n’insistai pas davantage, et j’attendis avec impatience le résultat promis.

J’eus le plaisir de revoir M. Prieur le soir, et il m’assura que M. Imbert emploierait tous les moyens que lui inspirerait son saint ministère, pour donner quelque soulagement à nos maux. Le lendemain, en causant avec les deux messieurs Prieur, l’un d’eux, M. Baptiste, dit à l’autre : Ne pourriez-vous pas administrer vous-même les remèdes que vous ordonnera le bon prêtre ? Non, répliqua le frère, j’aime mieux que ce soit M. Imbert. Il se passa plusieurs jours sans qu’il fût question de cet homme vertueux. Une vive impatience s’était emparée de moi. Les malheureux espèrent toujours, et cette seule idée provoquait mon impatience.

La conduite que ces deux frères tenaient à mon égard, les personnes honnêtes qu’ils fréquentaient, avaient inspiré en leur faveur toute ma confiance : ils m’avaient présenté plusieurs de leurs amis, à qui on fit voir ce qu’avait écrit sur ma glace M. Pinel, et l’inscription que j’avais mise au bas pour en faire connaître l’auteur.

Le 24 octobre, au matin, j’eus la visite de M. Prieur, pour m’apprendre qu’il allait chez M. Imbert le supplier de nous indiquer quelque soulagement à nos maux. Je le priai encore de me permettre de l’accompagner ; que, mieux que personne, je lui peindrais ma situation. Il me répondit, ainsi qu’il l’avait déjà fait, qu’il croyait nécessaire à nos intérêts qu’il se présentât seul et qu’il l’instruirait de tout, sans oublier aucune circonstance. Je me rendis volontiers à ses observations et j’attendis avec impatience le résultat. De retour de chez ce bon prêtre, après avoir eu avec lui une longue conférence sur tous nos malheurs, pour le mettre en état d’agir avec connaissance de cause et employer les moyens salutaires, M. Prieur me dit que ce bon pasteur l’avait engagé à faire dans mon appartement une chose qu’il ne pouvait me communiquer que lorsqu’elle serait exécutée.

Cette confidence me parut fort extraordinaire. L’expérience du passé sur des promesses de cette nature, a tourné contre moi d’une manière si désavantageuse, que j’étais devenu moins crédule, surtout envers les personnes que je ne connaissais que très imparfaitement. Je lui répondis que je ne consentirais jamais à ce qu’il se permît rien chez moi, sans que je fusse sûr de ne point me livrer, contre ma volonté, à un pouvoir inconnu ; que je préférais supporter les tourments de mes implacables ennemis, plutôt que d’avoir recours à des moyens qui pourraient déplaire à Dieu. Il parut édifié de ma réponse ; mais il m’assura que l’intention du père Imbert n’avait d’autre but que de me délivrer de toute persécution et me rendre entièrement libre de mes actions, et que je ne pouvais autrement espérer aucun soulagement. Le ton persuasif avec lequel il me parla, me fit consentir à le laisser faire. Il prit mon bénitier et jeta de l’eau bénite aux quatre coins de mon appartement, en faisant le signe de la croix avec l’aspersoir et en récitant un vers et du de profundis ; il continua de réciter, au milieu de ma chambre, les autres versets de ce psaume et en prononçant le requiescant in pace. Il m’assura alors que Pinel, Moreau, la Vandeval et toute la troupe infernale, sans en excepter aucuns, étaient anéantis et hors d’état de nuire à leur victime.

Il prit ensuite mon grand couteau de cuisine, frappa trois fois sur une falourde qui se trouvait à ses pieds et dit : « Monstres que vous êtes ! parlant à MM. Pinel, Moreau, la Vandeval et consorts, que le diable vous en fasse autant ». Tous ces misérables, me dit-il, souffrent horriblement en ce moment. Il répéta plusieurs fois la même cérémonie en prononçant souvent le nom du Saint-Esprit et il m’assura, que tout était fini, que j’étais entièrement délivré de mes persécuteurs. Cette promesse était certainement très consolante ; mais ne nous réjouissons pas d’avance, attendons-en les effets.

Les conjurations n’étaient pas encore terminées, qu’il coupa jusqu’aux pieds toutes les tiges d’un vase de verveine que j’avais dans ma chambre ; il en fit cinq petits paquets qu’il mit à chacun des angles de mon appartement et le dernier sur mon piano. Je suis à présent content, me dit-il, d’avoir fait toutes mes opérations, sans que personne ne soit venu les interrompre. Il reprit son grand couteau, frappa encore sur le bois, en répétant les mêmes paroles, et en m’assurant de nouveau que je pouvais être tranquille, qu’il garantissait mon entière liberté. Je lui demandai pourquoi il laissait le couteau si avant dans le bois, l’y ayant enfoncé avec force. Il me répondit que c’était pour que cela devint plus sensible à l’exécrable Pinel, à ses abominables collaborateurs ; qu’il les avait mis dans l’impuissance de me nuire.

Je me félicitai du triomphe qu’il venait de remporter par l’entremise et les conseils du vertueux pasteur M. Imbert. Il me donna toujours l’assurance qu’à l’avenir rien ne troublerait plus mon repos, et il se retira peu de temps après.

CHAPITRE XXX
Nouveaux bruits, et nouvelles confidences de M. Prieur.
Ses raisons pour me convaincre

LES MALHEUREUX ESPÈRENT TOUJOURS, bien plus particulièrement quand ils implorent la Providence. L’événement qui venait de se passer, les promesses réitérées d’un avenir plus heureux, tout avait porté la joie dans mon âme ; et je me disais souvent que je devais me féliciter d’avoir un ami comme M. Prieur, qui voulait me soustraire à tous mes maux. À peine avais-je fait cette réflexion, que j’entendis un bruit extraordinaire, semblable à celui d’une affreuse tempête que les démons suscitent lorsqu’ils veulent fixer leur planète pour amener la pluie. Cet événement inattendu me fit subitement passer de la joie à la stupeur. Je crus alors que les promesses qui venaient de m’être faites ne l’avaient été que pour mieux me tromper et m’empêcher d’avoir recours à des moyens plus efficaces ; et comme il n’est jamais entré dans ma pensée d’accuser personne sans en avoir acquis la preuve, je voulus observer si l’infâme Pinel et ses acolytes reviendraient encore d’après les conjurations et les promesses de M. Étienne Prieur.

Je désirais revoir le jour pour faire part à ce jeune homme du résultat de ses opérations. L’heure de le voir arrive. Je m’empresse de lui apprendre que Pinel et sa troupe infernale, ainsi qu’il me l’avait promis, n’avaient pas reparu, mais je n’en étais pas plus heureux pour cela ; que je m’étais bien convaincu d’être tranquille de leur côté ; mais que par un nouveau travail, d’autres s’étaient chargés, sans doute, de me faire éprouver les mêmes persécutions. Je lui demandai contre qui, la nuit dernière, il avait tiré une planète, ce que cela signifiait, et pourquoi enfin il ne tenait pas les promesses qu’il m’avait faites.

Il parut surpris de mon apostrophe, ainsi que des connaissances qu’une trop cruelle expérience m’avait données sur les moyens qu’emploient les esprits infernaux, lorsqu’ils veulent porter leurs ravages sur les productions de la terre, ou qu’ils veulent s’amuser à persécuter les humains. Vous avez tort, me répondit-il, ce sont des opérations nécessaires, mais qui n’ont pas été dirigées contre vous et soyez très assuré que vous avez recouvré la liberté. S’il en était ainsi, lui répliquai-je, vous n’auriez pas tiré une planète sur moi ; et j’ai acquis par expérience la certitude que toutes les fois que je me suis trouvé entre les mains d’un nouveau pouvoir, on en avait agi ainsi. Vous seriez-vous entendu, par hasard, avec le père Imbert ? ou bien prétendez-vous, seul, vous donner cette jouissance ? Prenez bien garde, jeune homme, à ce que vous avez fait et à ce que vous pouvez peut-être faire encore ! En politique, comme en morale, on se sert d’instruments qui, l’ouvrage achevé, sont ordinairement brisés. Si nous voulons jouir d’un bonheur à venir, nous devons nous résigner à des souffrances dans ce bas monde, qui sont toujours légères lorsqu’on les compare à l’éternité bienheureuse. S’il faut des persécuteurs, quel peut être leur avenir ? Il n’appartient qu’au grand juge de le déterminer.

Mes justes observations l’avaient jeté dans un cruel embarras. Il chercha à me rassurer en me promettant de voir le père Imbert pour lui faire part de tout ce qui s’était passé.

J’eus occasion de voir M. Baptiste Prieur son frère, dans le courant de la journée. Je lui fis part des opérations que son frère avait faites la veille, par ordre de M. Imbert. Je lui dis qu’à la vérité il était parvenu jusqu’à présent à ce que l’affreux Pinel, ainsi que ses compagnons de malédiction, ne revinssent pas exercer sur moi leurs pouvoirs infernaux ; mais que ce qui m’affligeait de nouveau, c’était la planète lancée contre moi. Il chercha de son côté à calmer mes alarmes, m’ajoutant que son frère, avec les sages conseils du père Imbert, parviendrait à mon entière guérison.

Voir en ligne : Lire la suite : Les Farfadets (Chapitre XXXI à XL)

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