« Cet homme ne me prescrivit aucun traitement. Il se bornait à me regarder d’un oeil fixe pendant quelques minutes, en tenant mes mains serrées dans les siennes. Alors, au lieu des étouffements nerveux qui me faisaient tant souffrir, je sentais un calme assoupissant circuler dans tout mon être, et je tombais dans un long sommeil. Plus tard, il me sembla qu’en dormant j’étais douée d’un sens nouveau. Le médecin m’interrogeait, et je lui disais tout ce qui se passait en moi, comme si j’eusse lu dans un livre. Plus tard encore, il me sembla qu’Alban (c’est le nom de ce docteur étrange) allumait par sa volonté, au centre de mon être, un foyer de lumière qui resplendissait ou s’éteignait, selon que cette volonté m’attirait à lui ou me refoulait sur moi-même. Que te dirai-je enfin, chère amie ? Il se passe en moi un phénomène que nulle expression ne peut retracer. Tu riras peut-être de moi, et tu me traiteras de visionnaire ; eh bien, je t’assure qu’il s’opère entre Alban et moi une sorte de transsubstantiation intellectuelle qui me procure un bonheur bien supérieur à toutes le délices que je pourrais imaginer dans la vie réelle.
Quoi qu’il en soit, tu peux dire à mon fiancé Hippolyte que je ne l’ai jamais tant aimé, et que je n’ai jamais tant désiré son prompt retour. Depuis que le docteur Alban m’a soumise à cette puissance singulière qu’il nomme, je crois, magnétisme, il me semble que c’est par lui et en lui que j’aime Hippolyte avec plus d’effusion » (E. T. A. Hoffmann, Le magnétiseur).