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L. Moreau

Nymphomanie

Les aberrations du sens génésique (1887)

Date de mise en ligne : lundi 16 juillet 2007

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L. Moreau, « Nymphomanie », Les aberrations du sens génésique, Éd. Asselin et Houzeau, Paris, 1887, pp. 179-187.

Nymphomanie

La nymphomanie à qui l’on donne pour étymologie les mots […], fille nouvellement mariée, et […], manie, désignée aussi, mais plus rarement par les noms de métromanie, utéromanie, andromanie…, est une névrose exclusivement propre au sexe féminin : une exaltation morbide des organes de la génération, des désirs vénériens d’une violence telle qu’ils engendrent un trouble mental pouvant parcourir toutes les phases qui séparent la simple aberration d’esprit du délire le plus furieux, en constituent les caractères pathognomoniques.

La nymphomanie a existé de tous les temps, mais elle ne parait pas avoir fixé d’une manière spéciale l’attention des médecins de l’antiquité.

Hippocrate, Galion, Celse, Arétée, Oribase et Paul d’Egine qui exercèrent dans la Grèce ou dans l’Italie, n’en font presque aucune mention. II faut arriver à Soranus, médecin grec qui pratiqua et professa la médecine à Rome vers le IIIe siècle de l’ère chrétienne, avec la plus grande célébrité, et après lui Aétius, pour trouver les premières descriptions de cette maladie.

Attribuée par Bonnet à l’action des esprits animaux embrasés par l’amour réagissant sur le cerveau, sur la matrice, sur tout l’appareil génital, cette affection est aujourd’hui bien connue et la description faite avec le plus grand soin et la plus scrupuleuse exactitude prouve que la science a fait justice de toutes les théories plus ou moins ingénieuses mais plus ou moins fausses des anciens auteurs.

Contrairement à ce qui s’observe dans l’érotomanie, le mal prend naissance dans les organes de la génération et ce n’est que tardivement que l’irritation agit sur le cerveau.

Bien que la nymphomanie ne s’observe le plus souvent que chez des aliénés, elle peut cependant se montrer chez des femmes ayant en partie conserve leur intelligence et la conscience de leurs actions. Ces cas ne sont malheureusement pas très rares, et il n’est rien de plus affligeant, de plus navrant que de voir la femme en proie à la plus hideuse des maladies, entraînée irrésistiblement, malgré elle, tomber au-dessous de la brute, et assister impuissante à sa dégradation.

Pour mieux faire comprendre les différentes étapes que parcourt cette affection avant d’arriver à bon summum d’intensité, on divise les symptômes en trois phases. Cette division toute théorique présente un grand avantage pour l’étude, aussi, tout en ne l’acceptant pas en pratique, nous y aurons cependant recours pour la clarté de la description.

La première phase se rapproche beaucoup de ce que l’on observe dans l’érotomanie : la femme instinctivement résiste aux pensées, aux désirs qui l’assiègent. C’est, en un mot, le tableau du désir sexuel ordinaire, vulgaire, porté à un haut degré. La femme qui éprouve les atteintes de cette ardeur inconnue cherche d’abord à les repousser. Le penchant la domine, mais la raison conservant encore son empire, elle en comprime les élans et en asservit la violence. Maîtresse d’elle-même, aidée et retenue par un sentiment de pudeur, fortifiée par les secours de la morale et de la religion, ses combats sont intérieurs, et rien jusqu’alors ne fait soupçonner le besoin impérieux qui la maîtrise. Cependant son inquiétude ou son agitation la rend déjà l’objet d’une attention particulière. On aperçoit du changement à son caractère ; elle était gaie, franche, expansive, elle devient triste, dissimulée, taciturne ; dans d’autres circonstances, la simplicité de ses manières fait place aux prétentions et aux manèges de la coquetterie : devant les hommes sa respiration devient plus fréquente, le pouls prend plus de force et de vivacité et l’expression de sa physionomie, sa démarche, ses poses, son langage même, trahissent enfin tous les feux dont elle est dévorée.

Dans le deuxième degré, les symptômes sont bien plus prononcés : l’intellect et par suite la volonté sont obsédés, parfois même subjugués et aliénés. La mémoire peut encore résister à cet orage, et on peut voir la raison, le jugement conserver en partie leur empire.

« Dans cette période, dit Louyer Villermay, souvent la femme n’éprouve plus de combats intérieurs. Dégagée de tout frein, elle se livre sans réserve à toute l’impétuosité de ses sens, à toute la fougue de son tempérament, au délire de son imagination : elle se plaît dans les idées les plus lascives, les entretiens les plus voluptueux, les lectures les plus obscènes : ses désirs sont pleins d’ardeur et de lascivité : voluptates semper anhelant. Tout ce qui ne flatte pas sa fatale inclination, sa passion dominante ; tout ce qui ne se rattache pas aux jouissances vénériennes l’ennuie, la fatigue et l’irrite. Si l’entretien tarit sur de tels objets, elle l’y ramène effrontément, ou quand la conversation roule sur des questions d’un intérêt général, elle n’y prend aucune part, et se retire pour cacher la turpitude de ses pensées ou de ses actions. À la vue d’un homme, tout son être s’agite, sa sensibilité s’exalte, son imagination se monte, sa physionomie s’anime, la rougeur couvre ses joues, ses yeux sont étincelants, un feu dévorant est près d’éclater ; sa poitrine est agitée, sa respiration précipitée et tumultueuse, souvent il se manifeste alors des palpitations violentes, une accélération et un trouble général de la circulation ; les expressions les plus passionnées sont sur ses lèvres ; elle prodigue des soupirs, les avances, les regards les plus tendres, enfin les attitudes les plus voluptueuses pour engager celui qui est l’objet de ses désirs à satisfaire sa lubricité.

Ce n’est plus une ardeur en ses veines cachée
C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.

Autant, en général, les nymphomanes recherchent la société des hommes, autant elles montrent de l’éloignement pour celle des femmes ; souvent même, elles les maltraitent sans autre raison que celle de l’identité de sexe.

Ces accidents augmentent ordinairement à chaque époque de la menstruation, et surtout en présence des hommes. Dans ce degré il y a perversion des facultés morales, et légère aliénation dans les idées : l’imagination est de plus en plus asservie, la mémoire et le jugement sont intacts. »

Sandras [1] dit avoir vu passer par tous ces degrés une jeune personne d’ailleurs très bien née qu’une nymphomanie progressive avait jetée successivement, d’une vie désordonnée, au rang des prostituées dont Paris abonde. La malheureuse raccrochait ardemment dans les rues, et tâchait ainsi, disait-elle, de se guérir. Elle était arrivée en peu d’années au dernier degré de l’abrutissement. Tout cela, dans les commencements, s’était borné à des désirs d’abord comprimés, puis satisfaits par l’onanisme ; des lectures provocantes, des conversations trop libres, avaient peu à peu décelé la maladie qu’une pudeur mourante cachait encore à des regards indifférents ; enfin le mal avait éclaté dans foute sa violence jusqu’aux discours et aux gestes les plus obscènes, jusqu’à la provocation de tous les hommes, jusqu’à la fuite de la maison paternelle pour se livrer au seul métier qui offrit à satiété les actes dont on sentait le besoin.

Et tout cela, sans folie, sans hallucinations, sans aucun désordre apparent. de l’intelligence, mais sans qu’aucun frein moral ait pu arrêter un si misérable entraînement.

Arrivée à sa troisième période, cette maladie présente le tableau le plus déplorable, le plus navrant. Le délire s’empare de la malheureuse, et suivant l’expression de Cabanis, « la nymphomanie transforme la fille la plus timide en une bacchante et la pudeur la plus délicate en une audace furieuse dont rien n’approche, même pas l’effronterie de la prostitution. » La constitution physique ne résiste pas à la surexcitation nerveuse générale : la fièvre, le marasme le plus profond, viennent achever la ruine de l’organisme ébranlé. Tout homme que la nymphomane rencontre devient l’objet de son ardeur : elle l’appelle et le provoque ; s’il hésite, elle emploie l’adresse ou la ruse pour le séduire ou le retenir près d’elle ; ses prières, ses supplications, ses caresses sont-elles impuissantes ? Tout le manège des oeillades ou de la coquetterie est-il sans empire ? elle a recours aux menaces, et bientôt à celles-ci succèdent des actes de violence. Scintillant oculi, mala mens, oratio blanda. Elle poursuit l’homme qui se refuse à sa passion, se précipite sur lui et le frappe avec violence.

Sa raison s’aliénant de plus en plus, et l’exaltation des sens physiques étant portée au plus haut degré, l’homme peut n’être plus l’unique objet de ses attaques ; un penchant contre nature a existé dans quelques cas. Manget parle d’une jeune fille noble et très honnête, qui, en proie à cette maladie, homines et canes ipsos ad congressum provocabat.

Tous les traits de la physionomie sont dans le désordre de l’agitation. La malade est souvent dévoré par une soif intense : sa bouche est sèche, brûlante ; son haleine fétide ; sa salive épaissie forme écume ; elle grince des dents et cherche à mordre tout ce qu’elle rencontre. On a remarque parfois un sentiment de strangulation des plus violents, et l’horreur de l’eau ou des liquides la plus caractérisée.

La femme est alors insensible aux intempéries de l’air, au froid ou à la pluie : négligeant les soins de sa personne, elle s’abandonne à une malpropreté repoussante ; elle se livre à mille actions déraisonnables : l’imagination n’offre plus que des images luxurieuses, que des rêves pénibles. Ce trouble avait commencé vers l’organe utérin ; mais, soit par suite de sa marche naturelle, soit par le fait de l’exaltation générale, le désordre local fait des progrès sensibles ; le clitoris acquiert souvent un volume énorme, surtout chez les femmes qui ont succombé à l’onanisme ; les grandes lèvres et le vagin se gonflent et parfois s’excorient : un écoulement plus ou moins épais et fétide lubréfie toutes ces parties, et ajoute à la phlogose qui se propage au loin. Dans certains cas, il n’existe vers la vulve aucun désordre apparent ; mais la sensibilité ou l’irritabilité y sont tellement développées, que le moindre attouchement, le simple froissement des vêtements ou le plus léger mouvement suffit pour exciter un frissonnement, un état générai de spasme ou de douleur insupportable. Souvent, à la suite des plus forts accès d’utéromanie, comme après les délires les plus violents, il survient un collapsus, une prostration des forces, contre lesquels on ne saurait trop se tenir en garde [2].

Un pouls petit, misérable, de fréquents hoquets, un rire sardonique, une sueur froide générale, annoncent la mort qui vient alors le plus souvent mettre un terme à tant de maux. Mais, souvent aussi la maladie passe à l’état chronique et présente des exacerbations périodiques dont les paroxysmes ne cessent que pour faire place à une prostration absolue.

De l’aveu de tous les auteurs, et d’après les données les plus élémentaires de la physiologie, l’utérus n’agit sympathiquement sur l’économie entière que pendant le court espace où il est apte à remplir les fonctions de reproduction qui lui sont dévolues, depuis la puberté jusqu’à la ménopause. Cependant la nymphomanie peut se présenter, bien qu’avec modifications dans les symptômes, à tous les âges do la vie.

Nous appuyant sur des faits, nous avons rangé les nymphomanes suivant leur âge en quatre grandes classes :
 1° Enfants au-dessous ou à peine au-dessus de 7 à 8 ans ;
 2° Adolescents ;
 3° Adultes ;
 4° Vieillards.

Sans vouloir revenir sur les causes générales indiquées au début de cet ouvrage, disons que dans les faits relatifs aux enfants et aux vieillards, chez qui on ne peut, sauf de très rares exceptions, invoquer l’action de l’utérus, on doit ne rechercher l’explication de cette névrose que dans l’hérédité et dans l’exaltation singulière de la sensibilité générale, qu’il n’est pas rare de trouver dans l’enfance, dans la puberté et dans la vieillesse la plus avancée.

Quelques exemples de nymphomanie à ces différentes périodes de l’existence confirmeront la raison d’être de notre division :

1° Enfants au-dessous ou à peine au-dessus de 7 a 8 ans.

Une petite fille n’ayant pas encore trois ans, couchée sur le carreau ou s’appuyant avec force contre un meuble, agitait son corps avec une violence singulière. Ses parents ne virent d’abord dans cette action qu’un jeu ; mais bientôt, reconnaissant avec douleur qu’elle dépendait d’une sorte de libertinage, ils s’occupèrent avec soin de corriger une aussi fâcheuse habitude, recourant tantôt aux caresses et aux prières, tantôt aux menaces et à la honte, enfin aux corrections : ils ne parurent aucunement réussir.

L’enfant grandit et le mal s’accrut au point qu’à table, en société, à l’église, à la vue d’un objet agréable, elle s’abandonnait par tous les moyens possibles à ses manoeuvres, qui étaient suivies d’une éjaculation considérable. Quand on l’interrogeait sur l’époque où devait arriver son paroxysme, elle se taisait ou avouait éprouver un plaisir extrême. Au moment de ses crises elle semblait avoir perdu presque entièrement la vue et l’ouïe. Par suite des menaces et des réprimandes de ses parents, elle s’abstenait, en leur présence, de se livrer à son funeste penchant ; mais du reste, elle recherchait la solitude pour le satisfaire : souvent on la trouva exténuée et assoupie.

Rien ne pouvant arrêter cet excès de lascivité, on appela un médecin dont les conseils furent infructueux. Alors les parents songèrent à la marier, et firent choix d’un homme très robuste. Elle devint grosse, et fut dès lors exempte de sa maladie ; mais elle sortait toujours des assauts amoureux les plus réitérés, fatiguée mais non rassasiée.

Enfin l’accouchement ayant été très difficile, elle succomba pendant le travail. Le clitoris était de la grosseur du pénis. L’époque de sa plus grande salacité s’étendait du commencement à la fin du printemps, et pendant toute cette période la malade répandait une odeur de bouc.

Cette lubricité était en quelque sorte héréditaire [3].

Louyer-Villermay a vu chez des petites filles de trois et quatre ans l’onanisme porté à un degré révoltant. Deux autres un peu plus âgées s’agitaient et se raidissaient contre tous les meubles qu’elles pouvaient embrasser.

Il est inutile d’insister plus longuement sur ces perversités maladives qui frappent du plus profond étonnement tous ceux à qui il est donné de les étudier. En présence de pareils faits, on comprend que l’antiquité ait attribué ces fléaux à une vengeance de la divinité !

2° Adolescents.

Une jeune fille nubile, douée d’une beauté rare, appartenant à une famille placée dans un rang élevé, fait usage d’aliments échauffants et passe sa vie dans la mollesse. Bientôt elle s’éprend d’amour pour un jeune homme de basse extraction, et perd le sommeil parce que ses proches s’opposent au mariage qu’elle a rêvé en secret. Un peu plus tard tous les signes de la nymphomanie se déclarèrent. Les propos et les chants sont cyniques, les gestes dégoûtants et lascifs : les efforts que l’on fait pour la contenir excitent un redoublement d’exaltation. À chaque instant, elle cherche à s’échapper toute nue ; les efforts de plusieurs hommes vigoureux, les liens dont on fait usage pour la dompter, pour l’empêcher de se précipiter sur les individus de l’autre sexe qu’elle provoque à l’acte vénérien, parviennent à grand-peine à la tenir fixée dans son lit. Ses nuits se passent dans l’insomnie, sa figure est brûlante et colorée, son oeil ardent, sa parole érotique, son souffle fétide, sa lange sèche, son pouls accéléré, son corps altéré par la fatigue. Un liquide âcre et pour ainsi dire corrodant s’échappe des organes sexuels… La mort au bout de peu de temps termina cette scène désolante… Il est vrai qu’elle avait été saignée trente fuis en dix jours !

À l’ouverture du corps, on trouva les ovaires d’une dimension considérable, parsemés de vésicules grosses comme des pois : les dimensions du clitoris étaient également extraordinaires [4].

— Mademoiselle O… était une jeune fille unique de quinze ans, appartenant à des parents riches qui n’ont rien négligé pour l’instruire et pour lui procurer les bienfaits d’une bonne éducation. Quand elle eut passé quelques années en pension, ils crurent leur but atteint, ne songèrent qu’à la marier, et la marièrent en effet avant qu’elle eût seize ans, à un jeune banquier de la ville. Le mari était très aimé dans le pays, sa femme était une enfant qui allait achever de grandir et de s’élever sous son honnête direction. Tels étaient du moins les voeux et le pronostic de la population. Rien, en effet, ne les démentit pendant les six premiers mois de cette union ; mais à peine cette demi-année était-elle révolue, qu’on apprit d’horribles choses. Cette enfant de seize ans avait recherché et obtenu les embrassements des commis de son mari. Ce n’est point un commis qu’elle aime, c’est trois ; ce ne sont point les commis qui l’ont séduite, c’est elle qui a séduit les commis, et dans ses ardeurs impudiques elle ne prend aucune précaution contre la publicité de ses débordements. Elle tutoie les commis en présence des domestiques ; elle se laisse surprendre les embrassant, et dans cette situation critique elle se met à rire et n’éprouve aucun embarras. On l’entend un jour dire à l’un de ces jeunes gens : « Mon mari, qui sera en affaires jusqu’à huit heures et demie, me conduit ce soir à neuf heures au bal de la Préfecture. Je t’attends toute parée à sept heures et demie, je veux que tu me fasses la cour dans cette toilette. » Cette malheureuse ne devint enceinte qu’un peu moins d’une année après son mariage, en sorte qu’on ne sait pas si l’enfant qu’elle mit au monde est de son mari ou de ses criminelles amours. La même incertitude pèse sur ceux qui vinrent plus tard, car elle continua longtemps sa vie de débauches.

M. Trélat [5], à qui nous devons cette observation, la fait suivre de judicieuses réflexions que nous reproduisons ici, quoiqu’elles appartiennent à la médecine légale.

« Voilà, dit-ii, l’existence d’un homme laborieux et honnête flétrie par un affreux contact qu’on eût pu éviter avec plus d’honnêteté d’une part, avec plus de prudence de l’autre.

1° Si les parents eussent eu le sentiment de leurs devoirs il leur eût été impossible de taire à l’honnête homme qui demandait la main de leur fille, qu’ils avaient fréquemment trouvé dans la chambre de celle-ci, dans son secrétaire et sous son oreiller, des livres et des gravures obscènes sans qu’ils aient jamais pu découvrir comment elle se les était procurés ; ils se fussent empressés de dire avec tristesse, mais avec conscience, qu’ils ne pouvaient la laisser seule dans le jardin, soit à la ville, soit à la campagne, depuis qu’ils l’avaient trouvée se faisant embrasser par le fils du jardinier, jeune homme du même
âge qu’elle.

2° Quant au mari, si au lieu de faire comme on fait généralement, c’est-à-dire de laisser les parents examiner et débattre la question d’argent et de ne pas voir autre chose dans les dispositions préliminaires du mariage ainsi réduit à un simple marché, il eût regardé comme sage et comme obligatoire de connaître celle qui allait être sa femme, celle qui allait porter et perpétuer son nom, alors il l’eût vue souvent, il eût causé avec elle, et comme il était impossible à une bacchante de se trouver à côté d’un jeune homme sans se livrer à des fureurs utérines, elle l’eût promptement mis à même de reconnaître qu’il ne pouvait, sans devenir fou lui-même, se marier à une pareille femme. Les parents le savaient, et dans leur ligne de conduite, ils tenaient leur fille murée. Tout homme qui se marie doit se tenir en défiance si l’on cache et si on l’empêche de connaître sa femme future,

— Une jeune personne, appartenant à une famille honorable, éprouva et sut d’abord comprimer des désirs voluptueux, puis elle les satisfit bientôt par l’onanisme. Des conversations d’une grande liberté décelèrent ensuite des dispositions qu’un reste de pudeur tenait encore cachées, et enfin des gestes provocateurs et des discours lascifs amenèrent des accès de désordre, sa fuite de la maison paternelle et l’inscription sur les registres de la préfecture de police. Descendue au rang des plus abjectes créatures, elle parvenait à peine, dans son infâme et très active industrie, à tempérer les feux de sa dévorante lubricité. Et tout cela sans aucun trouble apparent de l’intelligence, sans hallucinations, sans folie, mais sans qu’aucun frein moral eût pu arrêter un pareil entraînement. En peu d’années elle tomba dans le dernier degré de l’abrutissement [6]. »

3° Adultes.

« Une dame de quarante-neuf ans, d’un tempérament sanguin et surtout nerveux, éprouva dès l’âge le plus tendre les sensations les plus vives et un penchant extraordinaire pour les plaisirs vénériens auquel sa volonté fut toujours étrangère. À huit ans, l’accouplement des animaux l’irritait et l’entraînait irrésistiblement à des attouchements illicites ; réglée à onze ans, dès sa treizième année, elle avait acquis son entier développement ; avec la puberté les mêmes dispositions se maintiennent, mais sans accroissement sensible ; à dix-sept ans, elle épouse un homme de trente-six ans, vigoureux et très porté aux plaisirs de l’hymen. Elle recevait plusieurs fois de suite ses embrassements sans être satisfaite, lassa, sed non satiata ; souvent même, après trois approches, elle s’abandonnait aux habitudes lesbiennes afin d’assouvir ses sens. Une statue, un tableau, la vue d’un homme, le contact le plus simple, un mot, suffisaient pour exciter des désirs violents : la nuit, dans ses songes, son imagination lui retraçait des tableaux lascifs, qui agissaient sur ses sens avec une force surprenante. Du reste, dans la société, cette dame s’imposait une telle réserve que rien ne transpirait de ces dispositions qui la désolaient amèrement.

À quarante ans, elle devint mère de son huitième enfant ; sept ans après elle cessa d’être réglée et fut veuve à quarante-neuf ans. Deux mois d’une continence absolue sont à peine écoulés qu’elle ressent les désirs les plus violents, une chaleur vive, un spasme continuel vers les organes génitaux. La nuit était l’époque de la plus grande agitation ; pendant les veilles, les pensées les plus libertines, pendant le sommeil, les rêves les plus érotiques obsédaient son esprit. Vaincue par la force de ses penchants, deux ou trois fois elle succombe, mais ne retire de ces attouchements qu’un soulagement éphémère. Cette dame, chez laquelle le tempérament seul entraînait le désordre, ne proférait, même durant ses accès, aucune parole déplacée, de sorte que sa conversation offrait un contraste parfait avec l’état de ses sens, et, par suite, de son imagination. Elle était, il est vrai, singulièrement retenue par la présence de deux jeunes demoiselles, qui n’ont jamais connu ni même soupçonné la maladie véritable de leur mère [7]. »

Nous ferons remarquer le jeune âge auquel cette dame commença à être malade. Si nous n’avions tenu à donner un aperçu complet de cette observation, nous aurions pu la diviser en trois parties et la donner aux chapitres enfants, adolescents, adultes ; mais c’eût été une faute que de scinder un fait aussi remarquable et qui, de plus, permet de suivre le développement et la marche toujours croissante de cette horrible maladie.

— « Une demoiselle d’un tempérament bilioso-sanguin était depuis longtemps en proie au chagrin d’un amour malheureux. Fuyant avec un soin égal la société des hommes et celle de ses compagnes, elle était triste et rêveuse. À l’âge de trente ans, elle devint plus sombre et sujette à des accidents hystériques, ne sortant que pour se rendre à l’église dont le prêtre, avancé en âge et d’une bonne réputation, faisait toute sa société… Peu après, elle éprouva, sur tout le corps, un prurit, plus prononcé au visage, depuis longtemps couvert de pustules.

Bientôt elle perd l’appétit et ressent une grande révolution au physique comme au moral ; ses yeux sont plus brillants que de coutume. Jusqu’alors elle s’était exprimée sensément et en termes choisis ; mais un jour de fête, elle se rend de grand matin chez le pasteur, et se fait remarquer par des actes indécents, des propos honteux et lascifs. Celui-ci la reconduit chez ses parents qui voulurent lui donner une garde ; mais elle la refusa, disant qu’elle avait toujours détesté les personnes de son sexe. À midi, on la trouva la face contre terre, les cheveux hérissés.

Plus tard, elle était assise sur une chaise, le visage rouge, les yeux étincelants ; le pouls battait inégalement et avec fréquence : l’hypogastre était légèrement gonflé et douloureux. Pour réponse aux questions qu’on lui adressait, elle jeta au visage des assistants une tasse pleine de limonade.

Une demi-heure après, elle pousse un grand cri, puis récite la troisième strophe de l’ode à Priape. « En ma présence, dit le Dr Jauzion à qui nous empruntons cette observation, elle se précipita sur son gardien, l’engageant dans les termes les plus expressifs à satisfaire de suite l’ardeur qui la consumait, menaçant, en cas de refus, de lui arracher la vie. »

Sur ces entrefaites, le pasteur, faisant tous ses efforts pour la calmer, elle s’élance hors de son lit, nue comme une bacchante, et le prie, avec une voix effrayante, d’assouvir ses sens, prétendant qu’elle avait toujours aimé par prédilection les prêtres.

Alors on lui lie les mains et les pieds et le curé se prépare à l’exorciser. Bientôt elle s’assoupit et les parties génitales sont arrosées d’un liquide infect. Ce calme fut attribué à l’exorcisme. Le pouls devint moins fréquent et l’hypogastre moins tendu : la figure colorée se couvrit d’une sueur abondante. La malade paraissait insensible, on lui appliqua treize sangsues à la vulve, puis on la plongea, pendant deux heures, dans un bain presque froid.

Durant la nuit, elle fut assez tranquille, mais elle marmottait continuellement : le pouls était alors faible, et la respiration difficile : elle portait fréquemment la main vers le visage : le clitoris était en érection.

Le lendemain matin, il lui survint tout à coup un désir effréné et furieux des plaisirs vénériens : en même temps elle quitte son lit, jette sa chemise, descend les escaliers et se précipitant dans les bras d’un charpentier, elle l’appelle aux assauts amoureux, l’assurant que jamais il ne trouvera une aussi belle femme. On la lia de vive force et on la fit garder à vue par quatre servantes très vigoureuses. Le prêtre, de nouveau, s’efforça de chasser les démons par ses prières et ses cantiques : mais pendant près de sept heures elle ne cessa de proférer les propos les plus indécents. Outre les symptômes de l’accès précédent, on remarqua que l’oesophage était fermé par une contraction spasmodique. Devant le pasteur, ses parents et las médecins, elle récita les deux premières strophes de l’ode à Priape. Ce paroxysme dura neuf heures, une prostration absolue lui succéda bientôt, le pouls devint misérable, il s’y joignit des hoquets et le rire spasmodique. Au milieu d’une sueur froide, générale, cette infortunée expira [8]

4° Vieillards.

La nymphomanie se manifeste encore après la cessation de la vie particulière de l’utérus : veuves le plus souvent, grand-mères, ces Messalines de 70, 80 ans, aux allures caduques, font la désolation de leurs familles dont elles causent parfois la ruine par leurs dépenses insensées.

— Une dame, âgée de 70 ans, était possédée de la plus dégoûtante fureur utérine. Sage et modeste jusqu’à l’âge de 66 ans, elle devint tout à coup d’une terrible impudicité. L’offre de sa fortune était l’un des moyens de séduction les moins ridicules qu’elle employait. Les plus obscènes pratiques lui étaient familières pour apaiser la férocité de ses besoins [9].

— L… est entrée à la Salpêtrière, dans le service du docteur Moreau de Tours, en 1875. C’est une femme de 79 ans, gaie, enjouée, jouissant d’une bonne santé. Elle est en démence et ne conserve aucun souvenir de ce qui s’est passé. Dès les premiers jours de son arrivée, nous avons remarqué qu’elle courait après les hommes, à tel point qu’on était obligé de la tenir renfermée lorsque des ouvriers étaient, par leur service, appelés dans l’intérieur de la division. Les discours qu’elle tenait vis-à-vis de nous étaient empreints du plus profond délire érotique : protestations d’amour, propositions de toute nature, paroles obscènes, attouchements illicites qu’on avait la plus grande peine à réprimer étaient les traits caractéristiques de ce délire.

Nous avons su par ses enfants qu’on était forcé de la surveiller de très près, car elle s’attaquait à tous les hommes qu’elle rencontrait et leur tenait un langage qui respirait le plus éhonté libertinage. Les refus, les plaisanteries qu’elle essuyait, les insultes… rien ne la rebutait. Un jour, trompant la surveillance de ses enfants, elle s’échappa, fut ramassée errant dans les rues et amenée à l’asile.

Aucune hérédité connue.

Morte d’une hémorragie cérébrale, un an après son admission à l’hospice.

Louyer-Villermay connaissait une dame très respectable et plus qu’octogénaire, qui trompait fréquemment la surveillance des personnes qui l’entouraient pour se livrer à des attouchements répréhensibles.

Comme nous l’avons signalé à propos de l’érotomanie, l’hystérie peut venir compliquer la nymphomanie et mêler ses symptômes propres à ceux de cette névrose, au même titre que l’hystérie se mélange à l’épilepsie pour donner cette forme si connue, si bien étudiée depuis quelques années par les auteurs modernes, et sur laquelle M. Moreau de Tours a, un des premiers, jeté la lumière et décrit les symptômes.

L’observation que nous avons citée à la page 24 en est un exemple frappant : Helwich [10] nous a conservé l’histoire d’une femme qui, éloignée de son mari depuis huit ans, éprouva des accès d’hystérie et de fureur utérine.

Mais l’exemple le plus remarquable d’hystéro-nymphomanie que nous connaissions a été observé par Chambon et peut être cité comme le type de cette affection :

Une femme de 40 ans était depuis longtemps sujette à des accès d’hystérie très prononcés ; quand les accidents se prolongeaient pendant quelques heures, il survenait un délire érotique durant lequel elle se maîtrisait assez pour qu’en présence des étrangers il ne lui échappât rien qui pût instruire de l’état de son coeur : abandonnée à elle-même, elle parlait hardiment de son amour, de ses désirs, et tombait dans des convulsions violentes. Quand la fureur utérine se déclarait, les symptômes hystériques tels que la suffocation, l’oppression de la poitrine, l’étranglement et les mouvements violents du bas-ventre discontinuaient aussitôt pour reparaître dès que la fureur génitale cessait.

Une autre complication assez fréquente et qu’on pourrait facilement prévoir, connaissant le retentissement des affections utérines en général sur les facultés intellectuelles, est la mélancolie ; non plus la mélancolie simple, mais la mélancolie avec penchant au suicide.

« Une dame, dit Manget, étant stérile devint sujette à une nymphomanie compliquée de penchant au suicide.

« Une demoiselle née dans l’aisance et élevée dans les principes religieux les plus rigides, à l’âge de 16 ans devint nymphomane et se prostitua gratis. Deux ans après, de désespoir elle mit un terme à son existence. »

Voir en ligne : Folies liées à la fonction génito-sexuelle (suite) : Satyriasis

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après le texte de L. Moreau, « Nymphomanie », Les aberrations du sens génésique, Éd. Asselin et Houzeau, Paris, 1887, pp. 179-187.

Notes

[1Sandras, Maladies nerveuses, t. II.

[2Louyer-Villermay, loc. cit.

[3Éphémérides des curieux de la nature.

[4Bonnet.

[5Trélat, Folie lucide, ouvr. cit.

[6Legrand du Saulle, la Folie devant les tribunaux.

[7Louyer-Villermay, loc. cit.

[8Louyer-Villermay, loc. cit.

[9Belmer, De la nymphomanie. Thèse de Paris, 1818.

[10Éphémérides des curieux de lu nature.

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