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Richard von Krafft-Ebing

Paranoïa sexualis avec ses types cliniques

Traité clinique de psychiatrie (1897)

Date de mise en ligne : jeudi 24 janvier 2008

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Richard von Krafft-Ebing, « Paranoïa sexualis avec ses types cliniques », Traité clinique de psychiatrie, traduit sur la 5e édition allemande par le Dr Émile Laurent, Éd. A. Maloine, Paris, 1897, pp. 467-471.

Paranoïa sexualis avec ses types cliniques

Paranoïa sexualis avec ses types cliniques. — La base de ces formes est une maladie génitale fonctionnelle ou organique devenant la cause de la maladie psychique. Chez l’homme c’est presque exclusivement l’abus des organes génitaux par la masturbation, plus rarement l’abstinence forcée malgré un grand libido, et plus rarement l’urétrite blennorragique chronique, c’est-à-dire la neurasthénie sexuelle et plus tard universelle produite par celle-ci, qui agissent comme éléments étiologiques. Nous parlerons plus tard de cette paranoïa neurasthénique (masturbatoria).

Chez la femme existent les mêmes causes que chez l’homme, ou bien il s’agit d’autres maladies génitales qui agissent d’une manière irritative sur le système nerveux et qui deviennent efficaces par l’intermédiaire d’une neurasthénie. Le tableau morbide, qui se produit par l’interprétation alogique et consciemment allégorique des malaises génitaux locaux ou neurasthéniques généraux, correspond complètement à celui qu’on rencontre chez l’homme. Là encore il y a des pollutions (faussement interprétées comme tentatives de viol), des hallucinations olfactives, de la manie de la persécution physique, etc. Mais il y a aussi des cas de paranoïa sexuelle chez la femme (particulièrement fréquente à la ménopause) dans lesquels la maladie génitale fait éclater directement, sans aucun intermédiaire spinal irritatif, des délires et des hallucinations dans le sens d’une persécution sexuelle. Ces malades s’aperçoivent que des hommes les poursuivent de leurs assiduités en les prenant pour des prostituées. On a répandu ces bruits sur elles évidemment dans une intention méchante. De là le prétendu mépris de la part de la famille, des amis, des patrons, etc.

Avec la marche de la maladie, les malades entendent qu’on frappe la nuit aux volets de leurs fenêtres et qu’on leur fait des propositions immorales. Même au sermon du prêtre, à l’office, elles croient entendre de ces obscénités. Plus, tard même des hallucinations de l’ouïe se développent (être une drôlesse, syphilitique, infanticide, avoir provoqué un avortement). De fausses perceptions de ce genre sont ensuite amplifiées par combinaison : par exemple, on veut attirer la malade dans un bordel. Profonde dépression réactive, à l’occasion suicide même, manie de la gravidité, toutes sortes d’efforts pour défendre l’honneur sexuel menacé (tampons dans le vagin, etc.). Ce délire de persécution ne peut se transformer en un délire érotique expansif. Dans ces états de paranoïa sexuelle féminine il y a souvent des éléments hystériques qui trouvent leur utilisation paranoïque. Alors des transitions cliniques vers le paranoïa hystérique se produisent.

OBSERVATION XXXVI. — Paranoïa sexuelle. — Semlisch Marie, trente-cinq ans, non mariée, servante, a été reçue le 8 avril 1880 à la clinique psychiatrique de Gratz. Elle venait d’elle-même pour être reçue, cherchant protection contre ses « souffrances ». La malade est issue d’un père ivrogne ; elle n’a jamais été gravement malade ; fut menstruée pour la première fois à l’âge de quinze ans ; avait de grands besoins sexuels ; a eu beaucoup d’amants ; elle a accouché sept fois sans difficultés, la dernière fois en 1873. Depuis elle a eu souvent des indispositions intestinales, des règles irrégulières. Depuis 1877 elle renonça à tout rapport sexuel. Il y a trois ans, étant avec ses maîtres en voyage, elle commença à entendre des voix. C’était toujours la même voix virile. La malade l’entendait comme si elle lui parvenait à travers un tube acoustique. On lui disait qu’elle avait tué ses enfants, qu’elle était une prostituée, atteinte d’une maladie honteuse, une voleuse qu’on devrait fouetter et qui mériterait d’être jetée à l’eau. Toute sa vie, toutes ses liaisons d’amour étaient critiquées ; elle fut consternée et supposa que son ancien confesseur avait divulgué tous les secrets de la confession. Elle remarqua alors combien elle était méprisée de tout le monde ; les gens crachaient devant elle. Elle quitta son service, en essaya un autre ; partout même persécution par les voix, même mépris des gens.

La malade était très fatiguée et souffrait de cette persécution. À la voix d’homme se joignirent plus tard des voix féminines, toutes ayant le même sujet sexuel et persécutoire. On ne la laissait pas tranquille, même la nuit ; on connaissait ses affaires les plus secrètes. En 1878 elle s’aperçut que ses persécuteurs connaissaient même ses pensées, car on répondait à ce qu’elle pensait à un moment donné. Toutes ses pensées, désirs et actes, étaient critiqués et tournés en ridicule. Ce n’était plus tenable. On lui disait aussi qu’elle était malade de la tête, mais elle croyait que c’était de la persécution et non pas une maladie. On l’injuriait en l’appelant prostituée, torchon, infanticide. Elle était souvent exténuée de souffrance, Dans les derniers mois elle était aussi tourmentée par des odeurs puantes qui passagèrement l’avaient aussi tourmentée au début de la persécution. Pour échapper aux tracasseries de ses persécuteurs inconnus, la malade erra pendant les derniers mois, sans but, dans le pays, jusqu’à ce que, dénuée de tout, elle vint chercher aide et protection à l’hôpital de Gratz.

Elle a un crâne rhombocéphale ; elle a nu aspect névropathique. Ce qui est à remarquer, c’est le type de race chez cette femme d’origine prolétairienne, ses traits fins, sa peau douce et fine, son oeil vague et nerveux.

L’utérus a le volume d’une pomme ; difficilement mobile, il est fixé des deux côtés par des adhérences. La partie vaginale est grosse, irrégulière et sensible à la pression.

La malade ne présente aucun phénomène de neurasthénie, ni d’hystérie, mais des sensations dans la région du plexus honteux et sacré. Elle les compare à des vers qui entrent dans le bassin et qui sortent par le derrière. Pendant quelques jours la malade n’entend plus ses voix et se croit à l’abri de ses persécuteurs. Puis les voix reviennent et avec elles les anciennes souffrances. Le bromure de potassium et les injections de morphine produisent un effet calmant pour les voix. Avec le temps les voix sortent aussi du ventre de la malade. Cela fait des rumeurs là dedans, comme s’il y avait un chat. On lui reproche toutes les obscénités et toutes les vilenies possibles. Comme la maladie reste stationnaire pendant des mois entiers, la malade est envoyée dans un asile.

Une variété remarquable de la paranoïa persecutoria sexualis est représentée par la monomanie de la jalousie chez les femmes paranoïques.

D’accord avec Kräpelin j’ai trouvé cette idée délirante en majeure partie à la ménopause et avec une origine combinatoire. Un court stade d’incubation, de dépression morale irritable basée sur le sentiment qu’on est négligée par l’homme et qu’on peut ramener en partie aussi à la constatation de voir se faner les charmes physiques, prélude à la formation de l’idée délirante avec les symptômes d’une méfiance toujours croissante.

Le soupçon de l’infidélité conjugale du mari est confirmé par des incidents insignifiants du monde extérieur (le mari adresse la parole à une voisine, il tarde à rentrer le soir, des propos tout à lait insignifiants de l’entourage, etc.). Le soupçon devient de la certitude, car l’épouse outragée surprend son mari la nuit à des rendez-vous de femmes. Son impudence va jusqu’à admettre des maîtresses dans la chambre conjugale. On frappe à la fenêtre ; le frou-frou des robes dans les corridors et dans les chambres sont des preuves irrécusables. En toussant, l’infidèle fait signe à sa maîtresse. Finalement, la malade entend la nuit des femmes se glisser même dans le lit conjugal auprès de son mari. Fait curieux, elle ne voit pas les concubines, mais elle les sent (réveil des sensations voluptueuses par des images mentales sur ce sujet, sensations qui mènent jusqu’aux pollutions) aussitôt que son mari fait le coït avec ces femmes. L’entourage plaint la femme trompée, la raille pour cette raison. La paix du ménage est rompue. Suivant son caractère la malade devient martyre ou furie. Elle craint pour sa vie, s’attend aux pires choses de la part de son mari. Souvent par défense légitime imaginaire elle commet des actes de violence contre son mari et même des tentatives d’empoisonnement. Selon les circonstances il y a aussi des attentats sur les parties génitales du mari, acte inspiré par la vengeance.

OBSERVATION XXXVII. — Paranoïa sexuelle (Manie de la jalousie). — W., femme d’un fonctionnaire, quarante-trois ans, reçue le 21 décembre 1880, est issue d’une mère imbécile, psychopathe, dont la mère était aliénée. La malade était dès son enfance névropathe, souffrait souvent de migraines, avait passagèrement des hallucinations de la vue. Elle se maria à l’âge de vingt-trois ans, accoucha à l’âge de vingt-cinq ans, avorta à l’âge de vingt-six ans. À la suite de cet accident elle eut de la métrite chronique. Depuis elle est irritable, querelleuse, jalouse de son mari sans aucun motif. Au commencement de 1880, la malade arriva à la ménopause (règles minimes, irrégulières, sommeil agité, sentiments de vertige et d’ébullition dans la tête). Elle devenait très irascible, se brouillait sans cesse avec son entourage, accusait son mari d’avoir une liaison d’amour avec une vieille femme maladive, devenait excessivement agitée, tempêtait et rageait littéralement contre lui et contre diverses voisines qu’elle impliquait dans son délire de jalousie. Des hallucinations de l’ouïe et de la vue la confirmaient dans son idée délirante.

Elle entendait la nuit des chuchotements dans la chambre à coucher de son mari, les souffles, des gémissements, elle devint alors très agitée sexuellement ; elle avait des pollutions et conçut la conviction que son mari faisait le coït avec d’autres femmes. Peu à peu des pollutions se produisirent pendant la journée et la malade en arriva à la même conclusion. Souvent aussi elle avait des hallucinations olfactives (odeurs puantes). Agitation croissante, scandales publics, menaces contre son mari et contre ses prétendues rivales ; elle se comportait en véritable furie ; tout cela imposait la nécessité de l’interner dans un asile. Ces temps derniers le délire de la persécution élargit son cadre. La malade s’imagina non seulement qu’elle était trompée sexuellement, mais qu’elle était aussi menacée dans sa vie, que son mari ourdissait un complot avec sa maîtresse pour se débarrasser d’elle par le poison. Elle s’apercevait qu’on la regardait d’un air goguenard, qu’on se moquait d’elle.

À l’asile la malade prit tout d’abord le rôle d’épouse offensée et persécutée. Elle implora, pour obtenir sa mise en liberté, la protection des autorités, l’arrestation le son mari, maintenant en tous points sa manie de la jalousie et de la persécution. Au cours de l’année 1881, ce délire fut relégué au second plan et à sa place apparut le tableau d’une nymphomanie chronique.

Elle devint coquette, aimant la toilette, érotique, insinuante envers les médecins elle accusait ces derniers (à cause des pollutions) de se livrer sur elle nuitamment à des scènes de débauche, après l’avoir endormie par le chloroforme ; elle poursuivait à l’occasion les médecins de ses propositions de coucher avec elle ; elle les prenait pour des princes et demandait impétueusement l’enlacement des hommes. La malade présentait les années suivantes une nymphomanie chronique avec phénomènes de débilité psychique de plus en plus avancée.

La manie de la jalousie chez l’homme appartient en majeure partie à l’alcoolisme. En dehors de l’alcoolisme, je l’ai rencontrée occasionnellement chez des hommes disposés de tout temps à la jalousie, intellectuellement bornés, d’une puissance sexuelle minime, mais en même temps selon les circonstances, libidineux, tout en n’éprouvant aucune satisfaction dans l’acte sexuel.

Cette dernière circonstance, qu’elle soit amenée par la frigiditas uxoris ou par l’absence du sentiment de la volupté chez l’homme, joue dans tous les cas le rôle principal dans le développement de l’idée délirante. Cette dernière naît tout d’abord par voie de combinaison : l’apparition accidentelle ou fréquente d’hommes dans la maison vise la femme ; la petite toux de cette dernière est le signal pour l’amant qui se trouve caché tout près. Chaque bruit pendant la nuit est interprété dans le même sens. Les époux s’emportent de plus en plus l’un contre l’autre. Traitement brutal de l’épouse, allant jusqu’aux voies de fait. Des illusions de l’ouïe et parfois aussi de la vue fortifient la manie. Les gens, dans la rue, ont un air moqueur, font des gestes qui indiquent les cornes sur le front. Les enfants sont détournés du père par leur mère. Ils ne lui ressemblent pas ; par conséquent, ce ne sont pas ses enfants. Avec les progrès de la maladie, il se produit souvent un délire de persécution : l’idée d’être volé par la femme infidèle qui porte de l’argent à ses amants, d’être empoisonné. Souvent il y a des actes de violence grave contre la femme et les prétendus rivaux.

OBSERVATION XXXVIII. Paranoïa sexualis. (Manie de la jalousie chez un homme.) — P…, quarante-sept ans, reçu le 20 novembre 1873, petit employé ; on le dit exempt de toute tare ; homme rangé, sobre et d’esprit borné, ayant eu de tout temps de grands besoins sexuels, père de plusieurs enfants, jusque-là vivant en bonne intelligence avec sa femme ; a reçu en 1877 un grave trauma capitis, ayant été assailli, renversé sur le pavé et frappé à la tête avec une canne plombée. Outre plusieurs blessures légères, il en reçut une grave avec contusion de l’os temporal ; il resta longtemps sans connaissance et pendant plusieurs semaines au lit.

Arrivé à la convalescence il parait changé psychiquement, irritable, affaibli intellectuellement. Il avait des besoins sexuels énormes et devint importun à sa femme déjà près de la ménopause et de laquelle il exigeait sans cesse l’accomplissement du devoir conjugal. Il se sentait désagréablement affecté par l’attitude évasive de sa femme ; d’ailleurs le coït ne lui procurait plus aucune satisfaction. Il devint méfiant, exprima la pensée que sa femme entretenait des relations avec d’autres hommes. Quand sa femme toussait légèrement on qu’elle soupirait, il devenait agité et grossier, « car voilà, disait-il, l’amant qui pense maintenant à ma femme. »

Les visites d’hommes n’ont lieu que pour sa femme. Épisodiquement il prétendit que sa femme faisait venir ses amants à la maison, faisait des scènes de débauche avec eux et avait conçu le projet de l’assassiner. À cause de ses idées, ses amis se moquaient et riaient de lui. Il s’en froissa vivement et son état empira. Il prétendait que sa femme portait du combustible et des victuailles à ses amants. À chaque bruit qu’il entendait la nuit, il croyait que quelqu’un se glissait auprès de sa femme. Il entendait ouvrir les portes, des voix parler ; il devenait de plus en plus agité et brutal ; il menaçait sa femme de la tuer d’un coup de fusil. Le 29 novembre 1878 fit mine d’exécuter cette idée et il fut arrêté pour ce motif.

À l’asile il maintient son idée délirante. Sa femme était d’une amabilité surprenante avec les hommes qui venaient à la maison. Il en venait un nombre vraiment surprenant et sous toutes sortes de prétextes. Il s’aperçut de disparitions dans la boîte à charbon et dans le garde-manger ; quand il en fit l’observation à sa femme, elle devint embarrassée et se mit à pleurer. Le soir elle aimait à s’occuper hors de la maison. Le malade est convaincu qu’elle se livre à plusieurs hommes. À plusieurs reprises elle est rentrée à la maison avec sa toilette toute dérangée. Elle était indifférente au lit et n’accomplissait son devoir qu’à contre-coeur. Il ne voulait pas lui brûler la cervelle, mais il a voulu la menacer afin de faire cesser enfin sa conduite scandaleuse.

Le malade n’a pas de stigmates de dégénérescence, pas de phénomènes consécutifs à son trauma capitis ; faiblesse intellectuelle. À l’asile, la manie de la jalousie est refoulée mais sans être complètement corrigée.

Le 2 décembre 1878 il est relâché comme guéri, mais sous réserves.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’exposé de Richard von Krafft-Ebing, « Paranoïa sexualis avec ses types cliniques », Traité clinique de psychiatrie, traduit sur la 5e édition allemande par le Dr Émile Laurent, Éd. A. Maloine, Paris, 1897, pp. 467-471.

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