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Gaëtan Gatian de Clérambault

Hallucinations psychogènes et délires à début Spirite

Intervention (1920)

Date de mise en ligne : samedi 6 janvier 2007

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Gaëtan Gatian de Clérambault, « Hallucinations psychogènes et délires à début Spirite », Discussion de la communication de Leroy et Pottier : « Délire systématisé de persécution et de possession démoniaque consécutif à des pratiques spirites », Ann. Méd. Psych., oct. 1930, p. 217.

HALLUCINATIONS PSYCHOGÈNES
ET DÉLIRES À DÉBUT SPIRITE

— Intervention —
1920

Les Délires à Début Spirite sont les derniers à poser encore la question des Hallucinations Psychogènes.

L’origine organique des hallucinations tend de plus en plus à être admise. Elle a pour elle l’analogie entre les cas cryptogéniques et les cas nettement organiques, entre les psychoses systématiques nettement secondaires et celles qui paraissent ne pas l’être ; elle a pour elle la termination démentielle et les caractères intrinsèques de certaines hallucinations jusqu’à maintenant trop négligées : neutres, athématiques, voire anidéiques. Au cours de ces dernières années, d’une part les séquelles d’E. E., d’autre part les bouffées hallucinatoires chez les P. G. malarisés sont venues apporter de nouvelles preuves d’une genèse purement mécanique des hallucinations d’abord, ensuite des conceptions systématiques elles-mêmes.

Dans l’histoire de la Psychiatrie, rarement les théories dualistes ont prospéré. Ainsi en matière de P. G., ni le dualisme nosologique de Baillarger ni l’éclectisme étiologique qui régnait il y a 40 ans n’ont survécu. Toutes probabilités sont donc a priori en faveur d’une thèse uniciste.

En présence d’un délire à début spirite, nous devons tout d’abord nous demander si le début apparent du délire a bien été le début réel de la psychose. Bien des sujets sont attirés par les praticiens et adeptes du magnétisme, du spiritisme, de l’occultisme, précisément parce que, hallucinés déjà, ils cherchent en dehors du concret des explications à leur cas ; d’autres, par suite des simples malaises de la période d’incubation, cherchent un réconfort moral dans une foi et dans l’esprit du groupe ; les deuils récents, qui sont une cause de ralliement au spiritisme et semblent agir en développant la crédulité du sujet, agissent surtout en activant, par une méiopragie globale, la maturation de la psychose encore latente. J’ai vu ainsi passer le même jour dans mon service deux veuves, hallucinées chroniques, qu’exploitait un magnétiseur, amant de toutes deux ; d’autres sujets, en apparence hypomaniaques, en réalité déments précoces ou déments adultes, avaient fréquenté des Instituts Psychologiques, où ils espéraient raviver leurs forces mentales (l’un était devenu professeur après avoir été élève) ; plusieurs de mes malades ont changé de religion soit au début, soit dans le courant de leur psychose.

Dans le cas des spirites devenant hallucinés, on croit saisir la gradation entre une phase psychologique initiale et une phase morbide terminale. L’hallucination résulterait chez eux de l’intensification de l’idée (et de l’affectivité connexe) dont elle serait un retentissement sensoriel ; la morbidité résulterait de l’exaltation de la fonction même. Ball comparait le déclenchement sensoriel incoercible au cas du balai enchanté que le magicien ne sait plus retenir. Joffroy et ses élèves ont soutenu qu’hallucinations et interprétations s’équivalaient, traduisant, chacune sur un mode, une même idée fondamentale dont elles n’étaient que le résultat. Cette conception n’est pas encore abandonnée ; elle a même, je crois, emprunté au freudisme quelques moyens de rajeunissement.

Or, nous ne surprenons jamais sur le fait la transformation de l’idée en hallucination vraie. Les hallucinations des foules, celles des hystériques, des anxieux, des obsédés, sont tout autrement constituées que celles du persécuté chronique, de l’intoxiqué ou du maniaque. Les persécutés raisonnants ne deviennent jamais hallucinés. Bien plus, dans de nombreux cas où régulièrement l’hallucination devrait apparaître si elle était le résultat de la fonction intensifiée, l’hallucination n’apparaît pas. Une voyante célèbre qui pendant quatre ou cinq années a donné le spectacle quotidien d’un mécanisme psycho-verbal surentraîné (car elle improvisait en vers toutes ses réponses, souvent fort longues), a passé dans mon service, quelque vingt ans plus tard, mégalomane et visiblement pré-démente, mais exempte de tout phénomène psychomoteur verbal.

Dans l’étude des hallucinations on a négligé jusqu’ici un facteur que je crois pouvoir isoler, sans qu’on puisse, jusqu’à nouvel ordre, le définir : c’est l’hallucinabilité. Aucune hallucination, thématique ou athématique, ne peut se produire sans une condition préalable qui est l’Imminence Hallucinatoire. C’est cet état qui s’intercale entre l’idée préalable, quand elle existe, et sa transposition en hallucination. Cette vérité paraît naïve, cependant elle est méconnue quotidiennement. D’autre part, les deux stades de l’hallucination (stade virtuel et stade effectif) sont, chez certains malades, distincts, et étudiables séparément.

Chez les alcooliques aigus ou subaigus, à côté des hallucinations spontanées s’observent, chacun le sait, des hallucinations exogènes, provocables, dans quelque mesure, à volonté. Ce sont les hallucinations visuelles obtenues par pression des yeux, et les hallucinations auditives provoquées par un bruit soudain (claquement d’une porte) ou scandé (bruits du réveil, du robinet, etc.), ou uniforme (filet d’eau, rotation, roulement). Le stimulus qui agit sur un centre sensoriel (soit dit ainsi pour abréger) est ainsi de nature mécanique ou de nature déjà sensorielle. Manifestement, dans ces cas, l’imminence hallucinatoire dans le centre concerné est tout, le stimulus externe n’est rien ; il pourrait être remplacé par un stimulus d’un autre genre, il peut même être supprimé, et les mêmes hallucinations ou d’autres à peu près semblables se produiront ; ce processus n’a qu’une valeur provocatrice, il n’a pas de force créatrice. Il en sera exactement de même quand le mécanisme provocateur sera une idée ; exemple une suggestion verbale. D’autre part, si un tel stimulus réussit, c’est dans une mesure limitée et une forme prédéterminée, le sujet ne pouvant être amené par suggestion à voir et entendre que les choses qu’il est déjà capable de voir ou entendre spontanément, c’est-à-dire dont ses centres sensoriels (soit dit encore elliptiquement) se trouvent être déjà en charge, et en charge pour des raisons non idéiques. Ce dernier point, d’une démonstration délicate pour les hallucinations auditives, est évident pour les visuelles : aucune idéation n’a jamais préparé l’alcoolique à imaginer des insectes, des fils flottants et des paillettes, ni à craindre tout spécialement de grands serpents ; et nous ne pouvons par suggestion lui faire voir d’objets d’un autre ordre. Le même raisonnement vaut pour les autres toxiques : ils ont chacun son répertoire d’hallucinations favorites.

En résumé, la traduction d’une idée sous forme sensorielle est subordonnée à un éréthisme sensoriel préalable sans lequel elle restera idée, éréthisme lui-même peu plastique, et d’autre part capable de se passer d’idées ou d’en créer. Telle est la loi certaine dans les délires toxiques.

Or, I’hallucinabilité, c’est-à-dire le don de résonance à un stimulus extérieur, varie au cours d’un cas donné selon une courbe qui lui est propre, je veux dire qui ne se confond pas avec la courbe des hallucinations spontanées.

Je n’ai parlé de provocations que dans le domaine d’un seul et même sens : par exemple les bruits suscitant les paroles. Mais la provocation peut s’exercer aussi d’un sens à un autre, l’éréthisme du domaine idéo-visuel se propageant au domaine idéo-auditif, ou inversement : le sujet entend parler ses persécuteurs en même temps qu’il les aperçoit ; il voit l’eau et les fils en même temps qu’il les sent, etc. ; il y a en un mot hallucinations combinées. Ce phénomène ne se produit que durant le stade aigu des délires éthyliques ; il n’appartient ni à la période subaiguë, ni au stade de défervescence, ce qui montre bien qu’il dépend directement d’une imprégnation élective. Ainsi l’association des hallucinations, où les anciens auteurs voyaient la preuve d’une origine psychique, s’explique d’une tout autre façon.

Cette action intersensorielle est de même ordre que l’action intrasensorielle plus haut citée. Dans les deux cas, il y a éréthisme de frayages ; dans un cas frayages intérieurs à un domaine (centre ou réseau), comme on voudra ; dans l’autre cas frayages plus longs et moins usuels qui relient deux domaines différents. La liaison intersensorielle suit, elle aussi, une courbe spéciale. Elle apparaît beaucoup plus tard et disparaît beaucoup plus vite que la liaison intrasensorielle. C’est elle qui réalise ce qui d’un point de vue psychogéniste s’appellerait auto-suggestion : suscitation simultanée de toutes les données sensorielles afférentes à une même idée. Quant à l’hétéro-suggestion, c’est-à-dire suggestion verbale, le fait que son efficacité soit limitée à l’acmé de la maladie la montre nettement subordonnée à une formule histo-chimique portant sur les frayages seulement. En résumé, les frayages intrasensoriels, les frayages intersensoriels et les frayages psycho-sensoriels sont susceptibles d’éréthismes latents, et ces éréthismes spéciaux sont dans une très forte mesure indépendants des éréthismes généraux de ces mêmes centres.

L’éréthisme des voies de liaison, condition et mécanisme des associations hallucinatoires rationnelles, éclaire la genèse des Synesthésies Paradoxales. Les Synesthésies sont fréquentes dans les intoxications subtiles : éther, haschisch, peyotl ; elles s’observent quelquefois aussi dans la manie. Ces Synesthésies interviennent dans les états dits ineffables, qu’il s’agisse de bien-être global ou de sentiments intellectuels. Le Sentiment de Compréhension universelle assez fréquent dans les intoxications subtiles et nullement rare dans la manie, nous semble pouvoir en grande partie être ramené à une exaltation des Sentiments de Zone ou de Catégorie (mot sur la langue, solution proche, etc.), qui jouent à vide, de même que souvent jouent à vide les Sentiments d’Imminence, de Virtualité, de Reconnaissance, de Déjà Vu, Ces processus sont frères des hallucinations. Ils constituent des Paresthésies des Frayages ; ils donnent la perception factice d’un terminus là où il n’y a qu’une direction. Si l’on admet qu’il y ait une sensibilité des frayages (et le terme Sentiment de Zone implique cette sensibilité), on doit admettre que cette sensibilité comme toute autre peut s’exalter et jouer à vide, sous l’action élective d’un processus morbide, spécialement intoxication.

C’est encore par une fixation tout élective d’un processus sur des frayages que nous paraît devoir s’expliquer la remise au jour de blocs idéo-affectifs, telle qu’elle s’observe dans la Manie, dans les Ivresses Pathologiques, dans les Psychoses Systématisées. Cette fois, il est vrai, il s’agit de l’utilisation des frayages, non de leur mise en jeu illusoire et isolée ; mais entre les deux ordres de cas, il y a au moins ceci de commun : l’éréthisme des voies de liaison.

Revenons aux Psychoses à Début Spirite. Y trouverons-nous quelques indices d’une hallucinabilité préétablie ? Cette hallucinabilité peut-elle elle-même être produite par l’entraînement aux manoeuvres du spiritisme ?

Je ne crois pas avoir rencontré un seul sujet à développement hallucinatoire rapide qui ne présentât un état d’ordre hypomaniaque, tel qu’il se constate au début de beaucoup de psychoses chroniques et tel qu’il se développe souvent à la période pré-démentielle de ces psychoses : euphorie, idéorrhée, mentisme, vivacité générale. J’ai noté surtout des troubles très marqués du réflexe oculo-cardiaque. Ce dernier était ascendant presque toujours, parfois fortement descendant, enfin tel que dans la manie. Ce signe a une grosse importance, car il prouve un déséquilibre dans le domaine neuro-végétatif et dans les domaines endocriniens, déséquilibre qui, s’il ne produit pas lui-même les hallucinations, résulte de la même cause profonde que ces dernières. Cette cause profonde peut être grossièrement organique dans les cas mêmes où l’anamnèse semble démontrer une gradation psychogénique. Ainsi un homme de 55 ans environ, veuf, ayant connu en villégiature, tout récemment, un groupe spirite, entraîné au graphisme passif, communiquant ainsi avec l’esprit de sa femme, était, après deux ou trois mois de ce régime, amené dans mon Service dans un état sensiblement hypomaniaque, avec insomnie et inappétence : il mourait moins de 10 jours après dans un asile. De tels états hypomaniques présentent, par rapport à la manie vraie, quelques détails différentiels ; mais ce point n’importe pas à notre thèse. J’insiste sur la présence des troubles du R.O.C. et recommande de compléter (suivant le conseil de Gorriti), la numération après pression par une ou plusieurs autres numérations, de 30 en 30 secondes, afin de déceler les réactions soit retardées, soit prolongées. — Je ferai remarquer que dans la manie proprement dite, les hallucinations ne sont pas absolument rares, qu’elles affectent des caractères un peu spéciaux, et que l’ensemble clinique lui-même, en pareil cas, s’écarte du type ordinaire par diverses nuances.

Ici se pose la dernière question. L’état hypomaniaque et les hallucinations qui en résultent (ou s’y rattachent) peuvent-ils être le résultat des émotions liées constamment aux préoccupations spirites ? Autrement dit, dans quelle mesure une activité pré-frontale peut-elle influencer les systèmes végétatif et glandulaire ? Des expériences sur la tortue et la grenouille ont montré une inhibition gastro-intestinale se produisant à la suite d’une incitation sur leur télencéphale rudimentaire. D’autre part, les suites des émotions : insomnie, troubles du régime, recours aux stimulants divers (caféisme ou théisme fréquents) semblent de nature à pouvoir réaliser la sensibilisation psycho-sensorielle plus haut décrite, l’hallucinabilité. Mais dans cette hypothèse encore, on voit qu’entre l’idée initiale et l’idée devenue hallucination, s’il y a continuité verbale et affective, la continuité mécanique n’existe pas. L’hallucination n’est pas le résultat d’un monoïdéisme extensif, mais d’une préparation entièrement organique, sans laquelle les échos sensoriels d’une idée ne pourraient se produire, et qui, sans idée préalable, produirait encore et des voix et des idées.

En d’autres termes, entre une idée (préalable ou non préalable) et sa traduction sensorielle, s’interposent ce qu’on peut appeler le processus intermédiaire. Ce processus intermédiaire est évident dans le cas d’imprégnation toxique ou de manie, a fortiori dans les tumeurs et les démences. II doit être supposé, par voie d’analogie et pour d’autres raisons encore, dans les Psychoses Cryptogéniques. Il est autonome, c’est-à-dire susceptible de fonctionner avec ou sans provocation, avec idée ou sans idée, capable de créer des idées, d’en combiner, d’en réveiller et d’en choisir. Dans le cas des Psychoses Spirites, le processus le plus bénin qu’on puisse admettre comme processus interposé est un état hypomaniaque ; et, bien que compréhensible en soi, la genèse d’un état de ce genre, du moins durable, par les seuls facteurs émotifs, n’est pas totalement établie.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’intervention de Gaëtan Gatian de Clérambault, « Hallucinations psychogènes et délires à début Spirite », dans la Discussion de la communication de Leroy et Pottier : « Délire systématisé de persécution et de possession démoniaque consécutif à des pratiques spirites », Ann. Méd. Psych., octobre 1930, p. 217.

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