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Mythopologie

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Œdipe et son Complexe…

… Sans jamais avoir osé le demander à la Sphinge !

Date de mise en ligne : lundi 5 août 2002

Auteur : Christophe BORMANS

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« Ioh ! générations humaines, comme votre vie ne compte pour rien ! Quel homme, quel homme n’a pour plus grand bonheur que l’apparence du bonheur puis cette apparence même s’en va. Je pense devant ton sort, ton sort à toi, pauvre Œdipe, que chez les hommes rien n’est enviable. Il visa le plus haut possible et obtint la chance d’un bonheur total. Il détruisit, ô Zeus, la prophétesse aux ongles courbes et se leva, rempart du pays contre la mort. Alors tu fus notre roi, tu reçus les plus grands honneurs, tu fus maître de Thèbes la grande. Et maintenant, qui est plus éprouvé ? qui connaît de pires peines, de pires malédictions dans pareil retournement ? Ioh ! illustre Œdipe, chère tête, le même grand havre nuptial a suffi au fils comme au père. Comment, comment les sillons de ton père ont-ils pu, malheureux ! te supporter en silence si longtemps ? Le temps qui voit tout t’a trouvé malgré toi. Il condamne le mariage qui n’est pas mariage, l’engendreur qui est l’engendré.
Ioh ! fils de Laïos, si seulement, si seulement je ne t’avais pas connu ! Je gémis, mon cri strident monte de ma bouche. C’est par toi, à vrai dire, que j’ai repris respiration et aussi que se ferment mes yeux. » (SOPHOCLE, Œdipe Roi, Le Chœur, 1186-1221, p. 699).

Lorsque l’on entame une analyse, ou que l’on envisage de le faire, il est nécessaire de se défaire d’un certain nombre d’idées reçues sur la psychanalyse en général, et le savoir du psychanalyste en particulier, au premier rang desquelles se trouve ce que l’on croit connaître de la signification du complexe d’Œdipe. C’est pour cette raison qu’il est toujours bénéfique d’en revenir, à la lettre, à la légende œdipienne, dont nous apprendrons avec surprise, que le personnage central n’est pas tant Œdipe lui-même, que l’Inconscient et son Énigme.

Chacun d’entre nous, en effet, même s’il ne connaît pas le mythe d’Œdipe, ou s’il n’en a qu’une vague idée, semble néanmoins capable de répondre à cette question : qu’est-ce que le complexe d’Œdipe ? À première vue, la réponse paraît facile et le raisonnement élémentaire : comme Œdipe a tué son père et couché avec sa mère, le complexe d’Œdipe se manifeste lorsque l’on souhaite tuer son père et coucher avec sa mère ! C’est possible, mais disons pour l’instant que nous n’en savons rien, et que, ce que l’on sait en revanche, c’est que si c’est bien cela, si Œdipe a effectivement tué son père et épousé sa mère, c’est justement parce qu’il ne le voulait pas !

C’est justement en voulant l’éviter, qu’il y réussit. Autrement dit, le complexe d’Œdipe est d’abord et avant tout, inconscient. Et c’est justement afin de redonner toute sa vigueur à cette hypothèse fondamentale, que Freud entreprend en 1923, de la reformuler à l’aide de sa deuxième topique :

« […] La formation de la conscience morale est intimement liée au complexe d’Œdipe qui appartient à l’inconscient. Si l’on voulait soutenir ce paradoxe que l’homme moral n’est pas seulement beaucoup plus immoral qu’il ne le croit mais aussi beaucoup plus moral qu’il ne le sait, la psychanalyse dont les données fondent la première partie de cette affirmation, n’aurait rien non plus à objecter à la seconde partie ».

Que la « conscience morale » dont parle Freud, est une « conscience » qui hante les lieux du refoulé et est issue du complexe d’Œdipe qui l’habite, c’est ce que Freud nous précise en note de bas de page :

« Cette proposition n’est qu’apparemment un paradoxe. Elle signifie que la nature de l’homme déborde largement, dans le bien comme dans le mal, ce qu’il croit sur lui-même, c’est-à-dire ce qui est connu de son moi par la perception de la conscience. » [1]

Autrement dit, lorsque l’on s’engage dans l’analyse, ou que l’on souhaite le faire, ce n’est pas tant la réponse à la question « qu’est-ce que le complexe d’Œdipe ? » qui compte, mais bien la question elle-même, et ce, bien au-delà de la résistance et du refoulement qui se manifeste dans une réponse toute faite. C’est justement pour que le patient réussisse à dépasser « ce qu’il croit sur lui-même » et se hisser au niveau de sa propre question - pour qu’il réussisse à entendre sa propre énigme -, que le psychanalyste est là, et il est uniquement là pour ça.

Car si Œdipe subit un si triste sort, c’est justement parce qu’il répond un peu trop vite à une devinette : devinette que l’on peut du reste formuler simplement de la façon suivante : « Qu’est-ce que l’homme ? ». En répondant un peu trop vite à cette petite devinette, à cette énigme, Œdipe entre de plain-pied, si l’on peut dire, dans le complexe qui porte son nom. La légende d’Œdipe est donc avant tout là, pour nous faire entendre que c’est lorsque l’on croit savoir, qu’il faut justement se méfier ! C’est lorsque l’on sait déjà ce que signifie le complexe d’Œdipe, que nous avons le plus de chance d’y être empêtré. Écoutons plutôt, la célèbre légende qui raconte comment, c’est justement lorsque le moi se croit « le maître chez lui » qu’il se méprend le plus.

La légende d’Œdipe : le meurtre du père

Dans la pièce de Sophocle, un oracle aurait averti la mère d’Œdipe, Jocaste, que l’enfant qu’elle portait tuerait son père. Selon Eschyle ou Euripide, au contraire, c’est à Laïos que s’adressait l’oracle, lui prédisant que s’il engendrait un fils, celui-ci le tuerait. Laïos outrepassant l’interdit, expose cependant son fils Œdipe dès sa naissance, afin d’échapper à son destin. Lui perçant les chevilles, pour les attacher avec une courroie, il charge son serviteur de le conduire sur le mont Cithéron, auprès de Thèbes. Des bergers corinthiens qui passaient par là, faisant paître leurs troupeaux dans la région, le recueille, et, sachant leur roi Polybos désireux d’avoir un enfant, lui apporte.

Notons au passage, que c’est de l’enflure causée par la blessure que lui infligea son père aux chevilles, qui valut à Œdipe son nom qui, littéralement, veut dire : Pied enflé.

Si l’enfance d’Œdipe se passe sans heurt, c’est au sortir de son adolescence qu’il en vient à se quereller avec un Corinthien qui, pour l’insulter, lui révèle qu’il est un enfant adopté. Dans le doute, Œdipe s’enfuit à Delphes, interroger l’oracle afin de découvrir la vérité. Pour toute réponse, il obtient de l’oracle qu’il tuerait son père et épouserait sa mère. Affolé et croyant que Polybos était effectivement son père, Œdipe décide en revenant de Delphes, d’emprunter le chemin de Thèbes afin de s’exiler.

Arrivé au « Carrefour » dit de Mégas, il rencontre Laïos, qui charge Polymontès d’ordonner à Œdipe de leur laisser le passage. Ne se pressant pas d’obéir, Polymontès sur ordre du roi, tue un des chevaux d’Œdipe qui, de colère, tue Polymontès et Laïos. Il avait ainsi accompli, à son insu, le premier versant de l’oracle.

La légende d’Œdipe : l’inceste

Continuant son chemin, Œdipe arrive à Thèbes, où il rencontre la Sphinge. Ce monstre, pour moitié lion, pour moitié femme, posait des énigmes aux passants et dévorait tout bonnement ceux qui ne pouvaient lui répondre. Il posait notamment cette énigme devenue célèbre : « Quel est l’être qui marche tantôt à deux pattes, tantôt à trois, tantôt à quatre, et qui, contrairement à la loi générale, est le plus faible quand il a le plus de pattes ? »

« L’homme », répond Œdipe, parce que c’est l’homme qui, dans son enfance, marche d’abord à quatre pattes, puis sur ses deux jambes, avant de s’appuyer sur un bâton dans sa vieillesse. Cependant, aucun Thébain n’avait jamais pu résoudre cette énigme, et le Sphinx les dévorait les uns après les autres.

Seul Œdipe vit tout de suite quelle était la réponse, et le monstre, de dépit dit-on, se précipita du haut du rocher sur lequel il était perché ou, selon d’autres versions, Œdipe lui-même le poussa dans le précipice.

Ce faisant, c’est-à-dire en tuant le Sphinx et en délivrant Thèbes du monstre, les Thébains donnèrent à Œdipe, en signe de reconnaissance, la veuve de Laïos en mariage et le prirent pour roi. Il épousait donc sa propre mère.

Par conséquent, c’est en répondant à l’énigme, qu’Œdipe réalise le complexe qui porte son nom. En effet, avant d’avoir répondu à l’énigme, non seulement Œdipe n’avait pas encore épousé sa propre mère, mais surtout, il ne savait pas, ni qui était son épouse, ni qu’il avait tué son propre père.

Il ne pouvait pas le savoir et, d’ailleurs, nul ne pouvait le savoir, justement parce que la Sphinge était là pour empêcher les Thébains de résoudre le meurtre de Laïos et de confondre le meurtrier.

Car Œdipe trouve bien entendu énigmatique que le meurtre du roi de Thèbes, Laïos, soit demeuré impuni, et il s’en étonne :

« Quand une royauté tombait ainsi, quels malheurs pouvaient empêcher d’éclaircir à fond l’affaire ? » demande-t-il à Créon, le frère de Jocaste.

Ce sur quoi, Créon lui répond : « La Sphinx avec ses chants artificieux nous obligea à regarder devant nous sans sonder de mystères » (Sophocle, Œdipe Roi, 130).

En répondant à l’énigme et en débarrassant Thèbes de la Sphinge, Œdipe fait d’une pierre deux coups : il épouse sa mère et peut élucider le meurtre de Laïos, réalisant qu’il est le meurtrier de son propre père.

C’est bien en répondant, un peu trop facilement à une devinette, qu’il entre à son insu dans le complexe qui porte son nom.

Pire, il s’en vante en prenant Tirésias à parti :

« Pourquoi quand la chienne chanteuse était là n’as-tu rien trouvé pour délivrer les citoyens ? Ce n’était pas au premier venu d’expliquer l’énigme, il y fallait de la divination. Tu n’as guère paru en être doué par les oiseaux ni par révélation divine. Et moi Œdipe, venu sans rien savoir, je l’ai fait taire par ma force d’esprit, sans recourir aux présages. […] Si je ne te voyais si vieux tu apprendrais à tes dépens ce que vaut ta science », (Sophocle, Œdipe Roi , 391).

Si chacun se fait fort d’être averti de ce qu’est le complexe d’Œdipe, d’une part, et du rôle de la sexualité dans l’étiologie des névroses, de l’autre, on oublie ce faisant la véritable singularité de la découverte freudienne et de la psychanalyse, le complexe d’Œdipe se présentant alors sous un aspect on ne peut plus grand-guignolesque. Car ce qui est fondamental dans la découverte freudienne, mais il sera toujours nécessaire semble-t-il de le rappeler avec Freud, c’est l’Inconscient. Ce qu’il faut arriver à entendre et accepter, c’est que le complexe d’Œdipe « appartient à l’inconscient » et n’existe nulle part ailleurs que sur cette autre scène qu’est l’inconscient.

Notes

[1S. Freud, " Le Moi et le Ça ", [1923], Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 1981, p 267.

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