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Alexandre Cullerre

Pervertis simulateurs

Les frontières de la folie (Ch. VII, §. III)

Date de mise en ligne : mardi 20 novembre 2007

Mots-clés :

Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre VII, §. III : « Pervertis simulateurs », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 237-244.

CHAPITRE VII
PERVERTIS

—  — —
III
SIMULATEURS

Le besoin de tromper, de mystifier, de simuler est, chez certains individus, tellement irrésistible et se traduit par des faits si étranges, qu’on ne peut s’empêcher de lui reconnaître une origine maladive. Comme le mensonge, la simulation est une particularité propre aux hystériques, sans leur appartenir exclusivement ; on la rencontre aussi chez les dégénérés ordinaires. Elle caractérise ce que Dally a appelé le délire malicieux, sorte de disposition mentale en vertu de laquelle ces derniers s’efforcent à la fois de produire chez les autres une impression extraordinaire, et de se persuader qu’ils sont eux-mêmes des êtres exceptionnels.

Une jeune fille, par exemple, annoncera sa mort pour tel jour, telle heure. À l’époque dite, elle fait la morte, et le délai de trois jours expiré, elle revient à elle enchantée des marques de désespoir qu’elle a recueillies de la part de sa famille.

Un jeune homme, pour se donner une certaine originalité, refuse avec ostentation de faire usage de la viande : il en mange en cachette.

Voici un homme de loi qui prétend n’avoir pas dormi depuis deux ans. Il jouit de la surprise que cause son cas vraiment extraordinaire, et il entre en colère contre son domestique et le met à la porte en apprenant que celui-ci a déclaré qu’il dort très bien.

Une jeune fille très pieuse continue un beau jour à aller à confesse et refuse absolument de communier, sous prétexte que c’est inutile au salut. Désespoir d’une famille pénétrée de sentiments religieux. D’après un conseil éclairé, elle se résout à affecter l’indifférence vis-à-vis de l’hérésie de la jeune fille, qui ne tarde pas à l’abandonner [1].

Une jeune femme, rentrant du bal avec son mari, va au berceau de son enfant, ne l’y trouve pas, montre à son mari la lampe renversée et enfin découvre l’enfant la tête la première dans la fontaine. Rien n’avait été volé. Or cette femme, en soirée dans une maison située deux portes après la sienne, était sortie un instant prétextant un pressant besoin. Ma conviction profonde était qu’elle avait tué son enfant et j’avais dit au juge d’instruction : « Elle sera dévorée de l’envie de paraître en cours d’assises. » Ma prédiction s’est réalisée. L’affaire ayant été classée, cette femme venait constamment trouver le juge d’instruction en lui disant : « Mais puisque vous ne poursuivez personne, c’est donc moi qui suis la coupable… Alors, poursuivez-moi ! » [2]

Une très-jeune fille, d’une piété éclatante, dit Bourdin [3], n’avait pu trouver à se marier à son gré. Elle vivait donc modestement, sans bruit et sans éclat. La condition de la famille, très-honorable d’ailleurs, ne permettait pas qu’il en fût autrement. La vie calme de l’intérieur ne donnait pas de satisfaction suffisante à la jeune dévote. Pour sortir de cette condition, elle eut recours à un stratagème qui lui réussit pendant un certain temps. Elle feignit une maladie. Des douleurs violentes dans le bassin la retenaient au lit. Un jour même, elle rendit par les parties secrètes un petit fragment d’os dont on ne put découvrir la provenance. Un médecin appelé déclara ne pas connaître la véritable cause du mal On se décida à conduire la jeune demoiselle dans l’hôpital d’une ville voisine. Là, elle fut examinée par des médecins et des chirurgiens qui, en l’absence de tout symptôme de maladie, et en face d’une personne jouissant d’une santé florissante, déclarèrent que la jeune fille n’était pas malade. On avait donc résolu de lui donner son exeat, quand apparurent successivement de petites esquilles, qui étaient remises le matin au chirurgien de service. Un nouvel examen au spéculum donna au chirurgien la conviction qu’il avait affaire à une fourbe. La prétendue malade fut mise à la porte. La jeune fille se réfugia successivement dans presque tous les hôpitaux de la province. Enfin, elle arriva à l’école secondaire de médecine. Le professeur chargé du service de la clinique chirurgicale consentit à mettre la malade en observation. La chute des esquilles recommença. Elles étaient abondantes. La carrière qui les fournissait, était, paraît-il inépuisable. On eut l’idée d’examiner au microscope les fragments osseux. Dès le premier jour la supercherie fut découverte. Le dernier fragment rendu portait, dans l’une de ses anfractuosités, un petit morceau de carotte cuite. La menteuse fut jetée à la porte de l’hôpital. L’affaire fit du bruit dans la province, et, à partir de ce moment, les portes de tous les établissements hospitaliers lui furent fermées.

Mais les simulations des hystériques ne sont pas toujours aussi inoffensives ; elles revêtent souvent la forme d’imputations graves et de dénonciations contre autrui.

C’est une hystérique qui dénonce faussement ses servantes comme voleuses. C’en est une autre qui accuse un jeune homme de s’être introduit dans sa chambre la nuit et de lui avoir fait violence.

Une autre, qui est reconnue vierge à l’examen médical, accuse un prêtre de l’avoir violée dans les circonstances les plus dramatiques, après s’être, lui-même, frappé de deux coups de poignard.

Une autre tombe évanouie sur le seuil de sa porte. Ses poignets sont liés, sa bouche bâillonnée, ses vêtements souillés de boue. Revenue à elle, elle raconte qu’elle a subi une tentative de viol de la part de jeune gens qui, n’ayant pu réussir, lui avaient, pour se venger, lacéré et tailladé le visage, les bras et la poitrine. L’instruction n’ayant pas abouti, elle finit par avouer que l’aventure était imaginaire et quelle s’était fait elle-même les incisions qu’on avait constatées sur son corps [4].

Une jeune fille disait avoir été l’objet d’une attaque en wagon, et présentait une toute petite plaie au-dessous de la mamelle gauche. On finit par découvrir que le couteau de l’assassin avait été acheté un mois auparavant, par la prétendue victime elle-même [5].

La vie entière de certaines hystériques n’est qu’un tissu de fourberies et de simulation, comme on peut le voir par l’observation suivante :

Le 23 novembre 187…, Pauline R… était atteinte d’une violente exaltation à la suite, disait-on, d’un attentat à la pudeur avec violences. Demi-nue, sa chemise en lambeaux, elle proférait des imprécations contre son agresseur, qui n’était autre, prétendait-elle, que le fabricant chez qui elle était employée.

Cet homme fut poursuivi et condamné à un mois de prison, bien qu’innocent et victime des machinations de Pauline. Celle-ci avait, en effet, préparé d’avance la scène à laquelle elle s’était livrée en répandant le bruit que son patron l’obsédait de ses ardeurs indiscrètes, et en faisant circuler des lettres anonymes.

Elle n’en était pas d’ailleurs à son coup d’essai. Légère et coquette, elle avait épousé successivement deux maris, et s’était ostensiblement livrée à la débauche.

Perdue de réputation, elle avait changé de résidence et fait peau neuve. Dans la nouvelle localité où elle vient se fixer, elle simule des visions, des apparitions, des miracles. Le curé se défie, alors elle va ailleurs. Cette fois, pour donner plus de poids à ses récits d’extases et de conversations avec les saints, elle brise elle-même les vitres de sa maison et accuse les libres-penseurs de la persécuter. Ces scènes de violence se renouvellent à chaque instant ; la justice s’en mêle sans y voir clair ; les enquêtes n’aboutissent pas ; elle passe à l’état de martyre.

Un mois après, elle simule dans sa propre maison un vol avec effraction. Une procédure volumineuse s’engage, mais ne donne aucun résultat ; les gendarmes sont sur les dents, et on accuse le juge de paix d’incapacité.

Trois mois plus tard, elle simule enfin une tentative d’assassinat sur sa personne. Le parquet se transporte pour la troisième fois chez elle, et le juge d’instruction comprend enfin qu’il a été jusqu’ici dupe de cette fourbe rusée [6].

Nous terminerons cette étude par la relation d’une affaire judiciaire où le mensonge et la simulation d’une hystérique eurent les conséquences les plus désastreuses.

Un jeune homme, faussement accusé de tentative de viol, subit une condamnation déshonorante et passa dix années de sa vie au milieu des malfaiteurs de la pire espèce. « Puisse, dit Legrand du Saulle, qui, le premier, a publié cette observation, le récit de cette terrible erreur judiciaire servir à réparer, dans une certaine mesure, le mal fait à un innocent, et contribuer à éviter, à l’avenir, d’aussi lamentables méprises. »

En 1834, le général de X…, commandant en chef de l’École de cavalerie de Saumur, habitait cette ville avec sa famille, composée de sa femme et de deux enfants, un petit garçon et une petite fille, Marie, âgée de seize ans. Celle-ci fut l’héroïne du terrible procès dont nous allons résumer les principaux incidents.

Parmi les officiers de l’École qui assistaient aux réceptions de l’hôtel de X…, se trouvait un lieutenant de lanciers, que des incartades de jeunesse avaient brouillé avec sa famille. Marie de X.. se plaignit un jour à ses parents que le jeune lieutenant, placé à côté d’elle à dîner, lui eût tenu ce propos inconvenant : « Vous avez, mademoiselle, une mère charmante ; mais vous êtes bien malheureuse de lui ressembler si peu. » — Déjà depuis quelque temps une pluie de lettres anonymes tombait dans l’hôtel, on en trouvait dans tous les coins, il en arrivait par la poste : les unes contenaient des déclarations d’amour pour Mme de X…, les autres, des outrages et des menaces pour sa fille. À Paris, l’année précédente, Mme de X… en avait reçu de semblables, mais on n’en avait pas tenu compte. Bientôt, il en vint de signées avec des initiales si transparentes (E. de la R…), que Mme de X… avertit son mari.

En même temps, une lettre de la même écriture parvenait à un autre officier reçu chez le général, et, supposant une intrigue entre lui et la jeune Marie, l’engageait à compromettre celle-ci, en remettant à sa mère un billet en forme de déclaration d’amour, signée Marie de X…, et contenue dans la lettre anonyme.

Le générai lui-même reçut un écrit par lequel on l’avertissait qu’une machination était tramée contre son repos et que sa fille était menacée du déshonneur. Aussi, le lieutenant de la R… s’étant présenté à une soirée de l’hôtel de X…, fut-il sommé par le général de n’y plus revenir. Tandis que ce jeune homme, au comble de la surprise, cherchait à avoir l’explication de l’affront qui lui avait été infligé par son supérieur, l’hôtel de X… était le surlendemain le théâtre du plus dramatique événement.

À deux heures du matin, la gouvernante de Marie de X…, entendant des plaintes dans la chambre de sa maîtresse, y pénètre, et la trouve étendue sur le carreau, sa chemise tachée de sang, un mouchoir serré autour du cou et une corde autour de la taille. La jeune Marie raconte qu’un homme, reconnu par elle pour être le lieutenant de la R…, malgré un morceau d’étoffe qui lui cachait le visage, avait pénétré dans sa chambre par la fenêtre en brisant un carreau, l’avait terrassée, et, après avoir inutilement cherché à la violer, l’avait frappée de coups de couteau dans les parties les plus secrètes. Les parents, avertis seulement le lendemain, tiennent secret l’attentat ; il est à noter que, deux jours après ses blessures, Marie de X… dansait dans un bal ; elle ne montra point, même à sa mère, les plaies secrètes dont elle se disait atteinte, et, trois mois après, un médecin, commis par la justice, ne put constater qu’une cicatrice à peine visible de trois lignes de longueur et d’une ligne de largeur.

Cependant, la famille de X… continue à recevoir des lettres signées E. de la R…, dans lesquelles le signataire se vante de son crime dans les termes les plus odieux. Marie sort un jour de son cabinet de toilette, tenant un billet anonyme plein de menaces pour les siens, qu’elle vient d’y trouver ; elle tombe en proie à des spasmes nerveux effrayants ; elle a des hallucinations : « Homme rouge ! Le papier !… on assassine mon père et ma mère ! » s’écrie-t-elle. Pendant deux jours, elle est dans un état si horrible qu’on lui donne l’extrême-onction.

Dès lors, le parquet est saisi de l’affaire ; le lieutenant de la R…, qui dans l’intervalle s’était battu en duel avec M. d’E…, est emprisonné ; et, pourtant, fait incompréhensible, les lettres signées de lui parviennent encore à sa victime.

Le défenseur de l’accusé, dans une plaidoirie qui peut être considérée comme un modèle de sagacité médico-légale, s’attacha à faire ressortir les invraisemblances, les contradictions et impossibilités matérielles contenues dans le récit de l’attentat, tel que le faisait la victime.

Portant la question sur son véritable terrain, Me Chaix d’Est-Ange, par une prescience fort remarquable à cette époque où la pathologie nerveuse était encore si mal connue, conclut que les lettres anonymes ont été l’oeuvre de Marie de X… et qu’il n’y avait pas eu d’attentat, sinon dans l’imagination d’une jeune fille, peut-être hallucinée, en proie en tout cas à une névrose étrange, sans doute, mais certaine. Par les rapports des docteurs Bailly, Récamier et Ollivier (d’Angers), il a été établi que Marie de X… était affectée de mouvements spasmodiques très prononcés et d’accidents morbides présentant à la fois les caractères de la catalepsie et du somnambulisme. Elle avait chaque jour plusieurs accès, revenant heure fixe, caractérisés par un mal de tête atroce, les grimaces les plus bizarres, des mouvements automatiques des membres et un état d’insensibilité complète de la vue et de l’odorat ; on pouvait lui faire respirer impunément de l’ammoniaque.

Le jury déclara M. de la R… coupable de tentative de viol et de blessures volontaires avec admission de circonstances atténuantes : la Cour condamna à dix ans de réclusion cet infortuné, qui subit en entier sa peine à Clairvaux et faillit perdre la raison à la suite d’une si dure épreuve.

M. de la R… fut enfin réhabilité en 1849 sur le rapport favorable du garde des sceaux, Odillon Barrot, qui avait été l’avocat de ses adversaires [7].

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre VII, §. III : « Pervertis simulateurs », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 237-244.

Notes

[1Dally, Le délire malicieux (Annales, 1887).

[2Brouardel, cours de la Faculté, Revue de l’hypnotisme 1887, p. 287.

[3C.-E. Bourdin, Les enfants menteurs (Annales, 1883).

[4Legrand du Saulle, Les Hystériques, Paris 1883.

[5Brouardel, loc. cit.

[6Marandon de Montyel, résumé d’après Un cas de simulation (Annales, 1879).

[7Legrand du Saulle, les Hystériques, page 410 et suiv.

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