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La Paranoïa Schreber

D. P. Schreber : Re-pères crocs-nologiques

Juillet 1842 - Juin 1894

Date de mise en ligne : samedi 5 juillet 2003

Auteur : Christophe BORMANS

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Ce tableau est un résumé de la seconde séance du séminaire intitulé « La Paranoïa Schreber », laquelle a consisté en un exposé chronologique du cas du Président SCHREBER. Voici la première partie de cet exposé.

Dates Chronologies
1842 Daniel Paul SCHREBER est né le 25 juillet 1842 (un dimanche). Son père, le Dr Daniel Moritz Gottlob [1] SCHREBER a 34 ans.
Le Père Né le 15 octobre 1808 à Leipzig, le père de Daniel Paul effectue ses études secondaires et passe son baccalauréat au collège humaniste de Leipzig.
 En 1826, il débute ses études supérieures de médecine, qu’il achève par sa thèse de doctorat en 1833.
 D’abord médecin dans le corps du prince russe Alexej Somorewskij, il effectue de nombreux voyages en Europe (Allemagne, Autriche, Belgique, France et en Angleterre).
 En 1836, il s’établit à Leipzig et commence son activité en tant qu’orthopédiste et enseigne même temps à l’Université de médecine.
 En octobre 1838, il épouse Pauline Louise Henriette Haase, dont il aura 5 enfants :
 Daniel Gustav SCHREBER, le frère aîné de Daniel Paul, né l’année de la publication du premier ouvrage de son père (« Le livre de la santé », 1839), se suicidera par balle à l’âge de 38 ans.
 Anna SCHREBER, sœur aîné de Daniel Paul, née le 30 décembre 1840, épousera un certain Carl JUNG, commerçant à Leipzig.
 Daniel Paul, dit « Le Président SCHREBER ».
 Sidonie SCHREBER, née en 1846, mourra célibataire et malade mentale.
 Klara SCHREBER, la dernière sœur de Daniel Paul, née en 1848, s’occupera particulièrement de lui lors de la seconde hospitalisation.

- En 1843, soit juste un an après la naissance de son deuxième fils, Daniel Moritz SCHREBER prend la direction d’une clinique orthopédique privée à Leipzig.
En ce milieu de XIXe siècle, le travail des enfants dans les usines est le problème d’acutalité sociale. C’est à ces enfants particulièrement faibles, qui travaillent souvent jusqu’à 14 heures par jour, que le Dr SCHREBER a affaire dans son quotidien professionnel. En collaboration avec d’autres professeurs de l’Université, il commence alors à créer des nombreuses associations dans la région de Leipzig, puis dans toute la Saxe, associations ayant pour but d’offrir une possibilité de formation physique et des aires de jeux à ces enfants.

Pour les familles, il tente de promouvoir des espaces verts afin de remédier aux conditions de vie dégradées par l’industrialisation croissante.

Plus tard, sous l’influence de son beau-fils (directeur d’école et philosophe), ce projet prendra le nom de « Jardins Schreber » (Schrebergarten). C’est ce que l’on a appelé en France, le « paternalisme », incitant à la construction de lotissements ouvriers avec jardin. À ce titre, l’œuvre de Moritz SCHREBER sera soutenue par la sociale démocratie, puis sera plus tard récupérée par le national-socialisme.

 En 1855, Moritz SCHREBER publie son « Aerztliche Zimmergymnastik » (Gymnastique de chambre médicale et hygiénique), ou représentation et description des mouvements de gymnastique n’exigeant aucun appareil ni aucune aide et pouvant s’effectuer en tout temps. Les innombrables éditions de sa « Gymnastique médicale de chambre » assureront au SCHREBER - et à Daniel Paul en particulier -, de quoi vivre largement. Troisième des cinq enfants, Daniel Paul a treize ans lorsque paraît l’ouvrage de son père.

 En 1958, cependant, Daniel Moritz reçoit une échelle en fer sur la tête. Cet accident le plonge dans une grave névrose et il devient quotidiennement confronté à de fortes pulsions meurtrières.

 Le 10 novembre 1861, soit trois ans après son accident, il meurt à Leipzig d’une perforation d’ulcère. Il est alors âgé de 53 ans, Daniel Paul n’a que 19 ans.

L’enfance Dès sa plus tendre enfance, Daniel Paul se dépeint déjà « d’un naturel calme et sans passion ». D’esprit clair et sérieux, il devient un adolescent dont les dispositions individuelles vont bien plus vers « la critique raisonnable et froide que vers l’activité créatrice d’une imagination débridée ». Sa jeunesse n’est nullement celle d’un poète, bien qu’il se soit parfois essayé de temps en temps, « lors de petites occasions familiales, précise-t-il, à des vers de circonstances ». Il préfère de loin s’occuper des sciences de la nature et se passionne pour ce que l’on appelait à l’époque la science moderne de l’évolution. Même s’il pense que l’évolutionnisme ou le matérialisme ne pourront jamais véritablement donner le dernier mot sur ce qu’il en est des choses divines, il était cependant logique qu’il en vienne à douter « de la vérité littérale de ce que nous enseigne la religion chrétienne ». Il n’avait jamais cru bon, pour autant, de dénigrer la religion, ou de mépriser « ceux qui avaient eu le bonheur de pouvoir garder dans l’âge mûr la foi d’un pieux enfant ». Mais peu enclin à « l’effusion religieuse », il n’avait jamais été « un vrai croyant au sens de notre religion positive », c’est-à-dire qu’il ne s’était jamais décidé à croire fermement en « l’existence d’un Dieu » ou à « soutenir cette foi » (Mémoires, chap. VI).
1877 C’est en 1877, que son frère aîné, également juriste et déjà psychotique, se suicide en se tirant une balle dans la tête à l’âge de trente-huit ans. Daniel Paul a lui 35 ans.
1878 L’année suivante, en 1878, Daniel Paul SCHREBER décide de se marier avec Sabine BEHR. Née le 19 juin 1857, elle a donc 15 ans de moins que lui. Elle fera six fausses couches au cours des six premières années de son mariage.
1884 La première maladie
Oct. 1884 En 1884, SCHREBER est âgé de 42 ans. Il est juge au tribunal de grande instance de Chemnitz. Il décide de se présenter aux élections du Reichtag. Libre-échangiste et laïque convaincu, il est le candidat du parti national libéral, le parti conservateur.
 Les élections se déroulent le 28 octobre 1884. SCHREBER est largement battu, par 5762 voix contre 14 512 pour son adversaire direct.
 C’est à ce moment précis que les premiers signes de ses troubles se font ressentir.
 Le 8 décembre 1884, soit à peine plus d’un mois après les élections, SCHREBER est admis à la clinique des maladies mentales de l’Université de Leipzig : il devra y rester 6 mois.
 Le directeur de la clinique, le professeur Paul Fleichsig (1847-1929) - de cinq ans son cadet -, note la lourde hérédité du patient et suspecte tout d’abord une syphilis. Finalement, le diagnostic adéquat est donné par Paul Flechsig : « hypocondrie grave ».
Hypocondrie Aucun délire mystique ou religieux. SCHREBER semble bien plutôt obnubilé par un désir de maigrir.
 Dès cette époque, il est déjà très critique à l’égard de la psychiatrie en général, et des diagnostics de Flechsig en particulier.
Il se plaint que Flechsig voulait faire passer sa maladie pour une simple intoxication au bromure et la mettre au compte d’une mauvaise prescription d’un docteur (R. à S.), dont SCHREBER avait suivi le traitement quelque temps auparavant.
 Il pense qu’il aurait certainement pu être délivré bien plus rapidement de certaines idées hypocondriaques qui le dominaient alors, notamment celle de maigrir.
 Il se plaignait qu’on ne l’avait laissé apprendre à se servir tout seul de la balance... Laquelle balance de la clinique universitaire, qui servait à peser les malades, semblait déjà fortement l’intriguer. Il la décrit comme étant « d’une conception singulière », jusqu’alors « inconnue » de lui.
juin 1885 À la fin du mois de juin 1885 SCHREBER sort néanmoins guéri de la clinique. Il part en voyage avec sa femme et, après cette période de convalescence, semble avoir réprimé ses doutes sur Flechsig et fini par attribuer sa maladie nerveuse au « surmenage intellectuel » occasionnée par sa candidature au Reichstag. Il se déclare finalement « empli des sentiments de la reconnaissance la plus vive envers le professeur Flechsig ». Il revient le voir et lui verse des honoraires qui, à son avis, étaient « équitables ».
 La reconnaissance de sa femme est plus fervente encore : « elle révérait », dira-t-il, « dans la personne du professeur Flechsig celui qui lui avait rendu son mari ». Pendant des années, celle-ci garda en effet « sur sa table de travail le portait du professeur » de la clinique de l’Université de Leipzig.
Janv. 1886 Le 1er janvier 1886, SCHREBER reprend ses fonctions. Il vient d’être nommé président du tribunal de grande instance de Leipzig.
1886 - 1893 Pendant 8 ans, de 1886 à 1893, SCHREBER passe avec sa femme des années très heureuses, si ce n’est cette déception de ne pas avoir de descendance (sa femme va sur ses 30 ans). Néanmoins, sur un plan professionnel, il avoue être « comblé d’honneurs ».
1893 La seconde maladie
Juin 1893 En juin 1893, SCHREBER se voit notifié par le ministre de la Justice sa nomination prochaine (1er octobre 1893) comme président de chambre à la cour d’appel du Land de Dresde.
Été 1893 Durant l’été, SCHREBER commence à faire des rêves étranges et répétitifs.
 Il rêve à plusieurs reprises qu’il est de nouveau atteint de ses anciens troubles nerveux. Au sortir de ce rêve qui le rend malheureux, il est d’autant plus heureux de constater que ce n’était là qu’un songe.
 Un matin, « dans un état intermédiaire entre le sommeil et la veille », il lui vient l’idée qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement. Cette idée à peine émergée de son état d’inconscience, il la repousse immédiatement en se réveillant :

« Un jour, cependant, un matin, encore au lit (je ne sais plus si je dormais encore à moitié ou si je m’étais déjà réveillé), j’eus une sensation qui, à y repenser une fois tout à fait éveillé, me troubla de la façon la plus étrange. C’était l’idée que, tout de même ce doit être une chose singulièrement belle que d’être une femme en train de subir l’accouplement. Cette idée était si étrangère à toute a nature que si elle m’était venue en pleine conscience, je l’aurais rejetée avec indignation, je peux le dire » (Chapitre IV).

Il n’y prête donc pas d’attention particulière et se fie à l’adage selon lequel « tout songe est mensonge ». SCHREBER continue donc d’attribuer ces rêves et sa fragilité au « surmenage intellectuel » et au « travail écrasant », qu’il anticipe devoir fournir lorsqu’il entrera dans ses nouvelles fonctions de président de la Cour d’Appel de Dresde.

Il est vrai que le Droit allemand est à l’époque en pleine recomposition. Alors qu’en 1878, le Code prussien, le Code Napoléon et le Code saxon s’appliquaient diversement dans les trois grandes régions qui composaient l’Empire, en 1879 démarre une période de réunification législative. Les juristes travaillent d’arrache-pied à l’élaboration d’un Code civil unique pour l’ensemble de l’Empire allemand. La Cour suprême fédérale (Reichsgericht) s’était alors installée à Leipzig. Le premier projet de réforme échoue et, trois ans plus tard, il faut recommencer.
 C’est en 1891 que s’inaugure cette nouvelle période d’élaboration et c’est dans ce contexte juridico-politique, qu’en juin 1893, SCHREBER apprend qu’il est nommé Président de chambre à la Cour d’appel de Dresde.
Oct. 1893 Le 1er octobre 1893, SCHREBER entre dans ses nouvelles fonctions comme prévu.
 SCHREBER parle de la somme de travail « singulièrement lourde » qu’il doit fournir, de sa propre ambition « d’acquérir d’entrée », par « l’indiscutable excellence » de ses « prestations », « la considération » requise de ses collègues et des autres milieux officiels en cause (avocats, etc.). D’autant que les membres du conseil (cinq juges, dont il avait à assumer la présidence) dépassaient presque tous son âge, et de loin, avec jusqu’à vingt ans d’écart !
 Dès la fin du mois d’octobre 1893, SCHREBER n’arrive plus à dormir : il prend du bromure de soude, mais rien n’y fait ! Il entend un craquement, revenant « à intervalles plus ou moins longs » dans le mur de sa chambre à coucher, le réveillant chaque fois qu’il est sur le point de s’endormir. Il pense tout d’abord à une souris...
Nov. 1893 Le 8 novembre 1893, il va consulter le Docteur O. à Dresde : celui-ci lui donne un congé de huit jours, qu’il met immédiatement à profit pour aller à Chemnitz, passer le dimanche chez son beau-frère, et pense aller dès le lendemain lundi, consulter Flechsig à Leipzig.
 La nuit est déplorable. Le soir même on lui fait une piqûre de morphine et on lui administre du chloral. Malgré cela, il a l’impression de faire un malaise cardiaque... L’angoisse monte toute la nuit.
 Le lendemain matin, il envoie un télégramme à Flechsig et part immédiatement pour Leipzig où, à la gare, il prend un fiacre pour se rendre à la clinique universitaire.
 Flechsig le rassure en lui parlant des progrès que la psychiatrie avait accomplis depuis le temps de sa première hospitalisation, des derniers somnifères à la mode, et lui donne l’espoir que, sous l’effet d’un copieux sommeil d’une seule traite, et qui autant que possible devrait durer de trois heures de l’après-midi au jour suivant, « toute la maladie... » !
 Son humeur se rétablit, fortifié qu’il se trouve par le voyage dans l’air frais du matin. Il va chercher à la pharmacie le somnifère prescrit, déjeune chez sa mère, et passe le reste de la journée à se promener. Il rentre le soir à 21 h. et va immédiatement se coucher.
 Juste avant d’aller dormir, cependant, des symptômes surgissent : le lit est trop froid, il a des frissons et est déjà très agité lorsqu’il prend le somnifère en question. Le somnifère ne fait pas effet et il décide de prendre de l’hydrate de chloral. Rien n’y fait ! Il n’arrive pas à dormir et une angoisse profonde monte à nouveau.
 Durant le nuit, il quitte son lit et tente de se suicider avec une serviette. Sa femme, réveillée entre temps, l’en empêche in extremis.
 Le lendemain matin, ses idées hypocondriaques le reprennent (notamment le cœur). On envoie chercher Flechsig dès le lever du jour, lequel considère que le placement immédiat en maison de santé s’impose. SCHREBER repart sur le champ dans la voiture de Flechsig.
Nov. 1893 Au matin du 21 novembre 1893, SCHREBER est donc de nouveau admis à la clinique de l’Université où il commence par occuper la chambre d de l’aile des hommes (cf. document joint : plan de la clinique). Pendant les quatre ou cinq premiers jours, il ne quitte pas son lit, mais les nuits se passent sans sommeil malgré le recours à une lourde médicamentation. SCHREBER est obnubilé par la mort.
Nov. 1893 Incident dit de « la salle de billard » (chap. IV).
Déc. 1893 SCHREBER est déménagé au rez-de-chaussée de l’aile des femmes (chambres a, b et c).
Noël 1893 Durant la semaine de Noël, il passe quelques après-midi chez sa mère.
Fév. 1894 Aux alentours du 15 février 1894, sa femme, qui jusque-là passait plusieurs heures par jour à la clinique et déjeunait quotidiennement avec lui, entreprend un voyage de quatre jours à Berlin chez son père. Elle est elle-même épuisée et s’accorde quelques jours de repos dont elle semble avoir grand besoin.
 La nuit même, Daniel Paul SCHREBER s’effondre. Il fait « pipi au lit » six ou sept fois et entend le professeur Flechsig lui parler « par le truchement » de ses « nerfs », c’est-à-dire sans que celui-ci soit physiquement présent. Dès le lendemain, il commence à douter du sérieux de la thérapie dirigée par le professeur Flechsig et, partant, commence à douter de Flechsig lui-même (« j’acquis l’impression que les intentions du professeur Flechsig envers moi n’étaient pas pures »).
 Au retour de sa femme, Daniel Paul ne souhaite la revoir qu’une seule fois : justement pour lui expliquer qu’il ne souhaitait plus la voir. Il ne pouvait souhaiter, dit-il, qu’elle le voit tomber encore plus bas. Sa femme s’abstiendra de visites pendant six mois.
 C’est donc « de ce moment », comme l’écrira SCHREBER, que « datent les premières manifestations de collusions avec des forces surnaturelles » (chap. IV).
Fév. 1894 À la fin février 1894, SCHREBER est re-déménagé l’aile des hommes.
Mars 1894 Le « Temps sacré »
{{}} S’ouvre alors la « période la plus atroce de ma vie », écrira Daniel Paul SCHREBER au chapitre VI de ses Mémoires ; mais c’est aussi ce qu’il appelle son « Temps sacré ». Durant ce « Temps sacré », s’enchaînent les visons de fin du monde (VI) : il pense qu’un « grand trou dans le temps » s’est « creusé dans l’histoire de l’humanité » et parle d’extinction des « horloges du monde ». Le Président SCHREBER est dès lors maintenu au lit jour et nuit (VII).
{{}} Une vision
{{}} « Les visons où il était question de la fin du monde - et, comme je l’ai dit, j’en ai eu d’innombrables, - étaient en partie de nature terrifiante, mais en partie aussi d’une indescriptible grandeur. Dans l’une d’elles, assis dans un compartiment de chemin de fer, ou dans un ascenseur, je descendais dans les profondeurs de la terre et je reparcourais pour ainsi dire toutes les couches de l’histoire de l’humanité sinon de la terre ; dans les régions supérieures, il y avait encore des forêts à essences feulllues ; il faisait de plus en plus obscur et de plus en plus noir dans les régions profondes. Lorsque par moments je me risquais hors du vaisseau, je me promenais comme dans un vaste cimetière et, parmi ces lieux où reposait la population de Leipzig, mon chemin croisait la tombe de ma propre femme. Remonté dans le vaisseau, je m’arrêtais en un certain point n° 3 ; je redoutais de devoir franchir le point n° 1, qui marquait les débuts les plus reculés de l’humanité. Au retour, le puits s’effondra derrière moi, menaçant de façon permanente un certain "Dieu du soleil" qui s’y trouvait également. À ce propos il était dit qu’il y avait deux puits (correspondant au dualisme des Royaumes divins ?). Lorsque parvint la nouvelle que le deuxième puits s’était effondré, on crut que tout était perdu » (chap. VI).
Mars 1894 Meurtre d’âme et meurtre originaire
{{}} À la mi-mars 1894, des voix anoncent à Daniel Paul SCHREBER qu’une « crise » s’est déchaînée aux « Royaumes divins ». Elles lui révèlent également l’origine de cette « crise » : un meurtre a été perpétré.
 Ce « meurtre d’âme », comme l’appelle SCHREBER, il lui faut l’éclaircir et en retrouver l’instigateur. Au cours de son enquête, il en vient à supposer qu’un « meurtre originaire » a du se produire autrefois et que, « vraisemblablement, en vertu du dict l’appétit vient en mangeant, d’autres meurtres d’âmes se succédèrent ». Il acquiert ensuite la conviction que Flechsig a effectuer sur lui-même une tentative de « meurtre d’âme », à l’époque où sa maladie nerveuse avait semblé « prendre un tour difficilement curable ». Il en vient logiquement à supposer « qu’autrefois, entre les familles Flechsig et Schreber, pour des générations anciennes, a dû se produire un événement qu’il faut bien qualifier de meurtre d’âme ». Mais dèls lors cette question : « Est-ce réellement à un individu spécifié qu’incombe la responsabilité morale du premier meurtre d’âme ? » (chap. II).
Avril 1894 La Première Ordalie
« Das ersten Gottesgericht »
{{}} Du 2 avril au 19 avril 1894 se déroule le « premier jugement de Dieu » (chap. VII) : il s’agit d’une série continue de visions à propos de l’hégémonie compromise du peuple élu, lequel devait se désigner un « champion », ou « challenger ». Tantôt SCHREBER lui-même est désigné pour être ce « champion », tantôt, c’est à lui que revient le rôle de « citer des noms », c’est-à-dire de désigner ce « challenger ».
Pâques Visions de Flechsig
{{}} SCHREBER à plusieurs visions concernant le professeur Flechsig : il le voit successivement au cours d’un voyage dans le Palatinat ou en Alsace, puis se suicider par balle au poste de police de Leipzig, et voit enfin son « convoi funèbre » ; il voit Flechsig en conversation avec sa femme, lui annonçant qu’il est « Dieu Flechsig » ; il se voit lui-même incorporer toute l’âme de Flechsig dans le ventre, puis expulser celle-ci par la bouche dans une odeur hautement nauséabonde :

« À peu près vers ce moment, j’ai passagèrement eu dans le corps l’âme, et toute l’âme vraisemblablement, du professeur Flechsig. C’était une boule assez volumineuse ou une pelote que je comparais au mieux avec son volume équivalent d’ouate ou de fils d’araignée, et qui avait été catapultée dans mon ventre par un miracle, sans doute en vue de l’y faire aller à sa perte. Il eût été vraisemblablement impossible, de toutes façons, de conserver cette âme dans mon corps, étant donné son volume, de la digérer en quelque sorte ; et, en tout état de cause, me laissant aller à un mouvement de compassion, je la lâchai lorsqu’elle s’efforça de se libérer volontairement ; elle se précipita alors de ma bouche vers l’extérieur » (chap. VII).
Avril 1894 Le « Complot »
{{}} À la mi-avril 1894, le fameux « complot » lui est révélé par voies de « parler de nerfs » :

« Ainsi se perpétra le complot dirigé contre moi (...), qui visait, une fois qu’aurait été reconnu ou admis le caractère incurable de ma maladie nerveuse, à me livrer à un homme de telle sorte que mon âme lui soit abandonnée, cependant que mon corps changé en corps de femme à la faveur d’une interprétation ambiguë du dynamisme immanent à l’ordre de l’univers dont j’ai parlé plus haut, cependant que mon corps, donc, aurait été livré à cet homme, en vue d’abus sexuels, pour être ensuite tout bonnement "laissé en plan" [2] c’est-à-dire sans doute abandonné à la putréfaction » (p. 61).
Juin 1894 Transfert à « La Cuisine du Diable »
{{}} Le 14 juin 1894, SCHREBER est transféré à la maison de santé privée pour malades mentaux du docteur Pierson (près de Coswig), laquelle lui est indiquée par les voix sous le nom de « cuisine du diable ».

« Lorsqu’un jour (autour de la mi-juin 1894) trois gardiens apparurent de grand matin dans ma cellule avec une valise contenant mes quelques effets et m’annoncèrent que je devais me préparer à quitter la clinique, je n’eus tout d’abord l’impression que d’une délivrance d’un séjour où me menaçait un monde de dangers infinis. Je ne savais pas où le voyage devait me mener, et jugeai qu’il ne valait pas la peine de m’en enquérir, puisque ces gardiens, je ne les tenais nullement pour des êtres humains mais seulement pour des "images d’hommes bâclées à la six-quatre-deux". L’objet du voyage me paraissait indifférent : l’unique sentiment que j’avais, était qu’en aucun lieu du monde je ne pourrais être plus mal que je ne l’avais été à la clinique de Flechsig - que tout changement ne pouvait signifier qu’une amélioration. Je descendis en voiture de place à la gare de Dresde accompagné par les trois gardiens sans seulement avoir revu le professeur Flechsig. Les rues de Leipzig que nous empruntâmes, notamment la place Auguste que nous traversâmes, me firent une impression remarquablement étrange ; elles étaient, autant que je me souviens, totalement vides de toute présence humaine. Cela tenait peut-être à l’heure très matinale sans doute celui de 5h 30 du matin. Après avoir vécu au milieu des miracles pendant des mois, j’étais plus ou moins enclin à prendre pour miracle tout ce que je voyais. Je me demandais donc si je ne devais pas tenir les rues de la ville de Leipzig où je passais pour des décors de théâtre, analogues à ceux qui avaient, dit-on, été dressés par le comte de Potemkine tout exprès sur le trajet de l’impératrice Catherine II de Russie lors d’un voyage qu’elle fit à travers les plaines désolées, afin de lui donner l’illusion d’un paysage florissant. [...] Ce voyage en chemin de fer se déroula, à mon sentiment tout au moins, avec une rapidité presque sans rapport avec la vitesse habituelle aux trains des voyageurs ; mon humeur à ce moment-là était telle que j’aurais été capable à tout instant (si On l’avait exigé) de m’étendre sur les rails ou de sauter à l’eau au moment où nous franchissions l’Elbe. Nous descendîmes du train après un voyage de plusieurs heures, à une gare qui, comme je l’appris plus tard, devait être celle de Coswig ; un fiacre nous prit à cet endroit et me conduisit après un trajet d’une demi-heure à ma nouvelle destination. C’était censé, là aussi être, comme je l’appris que des années plus tard, la maison de santé privée pour malades mentaux du docteur Pierson ; à l’époque, encore une fois, je ne connaissais cette clinique que sous le nom indiqué par les voix de "cuisine du diable" » (chapitre VIII).
Juin 1894 Le séjour à la « Cuisine du Diable »
{{}} « Pendant mon séjour - d’ailleurs court - à la clinique du docteur Pierson ("la cuisine du diable"), écrit SCHREBER, je ne me suis livré à aucune activité intellectuelle ou physique ; j’étais presque toute la journée entièrement accaparé par la conversation des voix et par le saisissement que provoquaient en moi les choses miraculeuses qui se produisaient alentour » (chap. VIII).
 En fait SCHREBER assiste « passivement » à la « production » à « profusion » d’« images d’hommes bâclées à la six-quatre-deux » : L’« huissier de la cour d’appel » de Dresde (un gardien), le docteur O., consulté à Dresde (le docteur Pierson), la femme du pasteur W. de Fr. et sa propre mère (dames dans le parc), le conseiller à la cour d’appel de Dresde K. (messieurs dans le parc), « plusieurs douzaines de personnes au moins » écrit-il, « portaient la marque de personnalités que j’avais plus ou moins eu l’occasion d’approcher au cours de mon existence passée » :

« Parmi les figures familières de l’enclos qui me restent en mémoire, je citerai celle du docteur Rudolph J. de Leipzig, cousin de ma femme, suicidé par balle en 1887 ; [...]. [...] L’avocat général B. [...] le docteur W., conseiller privé [...] le docteur F., président de chambre ; le conseiller à la cour d’appel M. ; l’avocat W., de Leipzig (une ancien ami de jeunesse) ; mon neveu Fritz, etc. [...] un certain M. von O ., de Mecklemburg [...]. Un jour j’aperçus mon beau-père par la fenêtre » (chap. VIII).
{{}} Von W.
{{}} « Je dois consacrer un développement tout particulier au cas du gardien-chef de la clinique. Dès le jour de mon arrivée, les voix m’avaient indiqué qu’il n’était autre que von W., l’un de mes voisons ; lors d’une enquête ouverte par l’État à mon sujet, ce dernier avait, disait-on, exprimé, intentionnellement ou par négligence, des choses inexactes sur mon compte et m’avait notamment accusé d’onanisme ; c’est en quelque sorte pour son châtiment que lui avait été imposé, disait-on, d’être à mon service en tant qu’"homme bâclé à la six-quatre-deux".
Il paraît tout à fait exclu que j’aie pu en venir à imaginer tout cela tout seul, n’ayant jamais eu avec ce monsieur ni désaccord ni grief ; je n’avais d’ailleurs eu l’honneur de le rencontrer que de façon épisodique. Les voix cherchaient continuellement à me monter contre ce gardien-chef. ; on exigeait de moi que je m’adresse à lui en l’appelant "W.", omettant de façon injurieuse sa particule nobiliaire ; je n’y fus tout d’abord nullement disposé, mais, pour me débarrasser des voix qui se faisaient pressantes, j’obtempérai tout de même une fois. Par la suite, je l’ai également giflé ; je ne me souviens pas autrement du motif, je sais seulement qu’un jour où il m’avait imposé une exigence absurde et indécente, les âmes me firent honte de mon soi-disant manque de vert virile et me mirent au défi, jusqu’à ce que je passe à l’acte » (chap. VIII).
{{}} « Une nouvelle race d’homme faite d’esprit Schreber »
{{}} « Certains communiqués, en rapport avec les visions de fin du monde évoquées dans les précédents chapitres, évaluaient l’ampleur d’une éventuelle résurrection qui alors pourrait intervenir au sein de la Création ; tantôt il était dit que cette résurrection ne s’étendrait que jusqu’aux poissons, tantôt qu’elle n’irait pas au-delà des mammifères inférieurs, etc. Je ne puis préciser davantage si, dans ces communiqués tout n’était qu’expression de craintes pour l’avenir, ou si quelque motif réel était à leur fondement. En revanche, il me fallut admettre que sur un astre éloigné on tentait véritablement de créer un nouveaumonde humain,"une nouvelle race d’homme faite d’esprit Schreber", tel était le nom de cette humanité nouvelle (dénomination sarcastique assurément, que depuis j’ai entendu répéter à d’innombrables reprises), par conséquent vraisemblablement à partir de certains de mes nerfs » (chap. VIII).
 « Ces "hommes nouveaux faits d’esprit Schreber" - d’une taille bien plus exiguë que celle de nos humains terrestres - étaient parvenus déjà, disait-on, à un état de culture assez remarquable ; ils élevaient un bétail de petite taille proportionnée à la leur ; moi-même, j’étais devenu pour eux une sorte de "saint national",objet d’une vénérationdivine[...].
Jesuisamenéàpenserqu’ildevaityavoirquelque chose de vrai dans toute cette histoire ; car, à l’époque, j’abritais dans mon corps, sous les espèces d’une âme, plus précisément contenue dans mon bas-ventre [...], le "dieu" ou "apôtre" de ces petits hommes [...]. Ce petit "dieu" ou "apôtre" surpassait toutes les autres âmes [...] ; [...] d’une certain façon, je reconnaissais en lui la chair de ma chair et le sang de mon sang. D’ailleurs on flanqua ce petit "dieu" ou "apôtre" d’un antagoniste qui était sa contrefaçon - comme cela s’était produit dans bien des cas, par exemple pour ce qui est de l’âme de mon père en son temps, des âmes de jésuites, etc. - de façon à m’égarer » (chap. VIII).
Juin 1894 Le 29 juin 1894, le Président SCHREBER sera de nouveau transferé dans un nouvel asile : la clinique privée du Dr Weber, le « Sonnenstein », près de Pirna (Saxe), laquelle lui est désignée par les voix sous le nom de « citadelle du diable ». Il en sortira libre neuf ans plus tard, en janvier 1903, après que la Cour d’Appel Royale de Dresde ait reconnu en juillet 1902, sa pleine capacité à gérer et à administrer ses biens et ses affaires personnelles, et à se montrer dans la plupart des domaines de l’existence, « à la hauteur des exigences de la vie courante » (Annexe E, Motifs du Jugement).
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Voir en ligne : D. P. Schreber : Re-pères nez-crocs-logiques (Juillet 1894 - Avril 1911)

P.-S.

Référence bibliographique :
 Daniel Paul SCHREBER, Mémoires d’un névropathe [1903], traduit de l’Allemand par Paul DUQUENNE & Nicole SELS, Seuil, Paris, 1975.

info portfolio

Clinique du Pr. FLECHSIG La « Cuisine du Diable » Carte de l'Allemagne

Notes

[1Mot à mot, Gottlob se traduit de l’Allemand par : « éloge de Dieu »

[2Liegen gelassen

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